lundi 2 mai 2016
Dégradé. Tarzan Arab Nasser.
Treize femmes attendent, clientes ou travailleuses, à
l’intérieur d’un salon de coiffure étouffant à Gaza. Les garçons se canardent à
l’extérieur et les femmes, dont la magnifique Hiam Abbass, avec leurs
dilemmes : carré ou dégradé, sont de vraies résistantes aux jeux absurdes
des mâles pétaradants. Nous transpirons avec elles et subissons les coupures
d’électricité mais le maquillage de la future mariée est quelque peu longuet et
la variété des personnages en atmosphère confinée déjà aperçue.
« Caramel » 2.
dimanche 1 mai 2016
Yātrā. Andres Marin & Ensemble Divana.
Dans le cadre du festival « Détours de Babel », la
MC2 recevait un orchestre traditionnel du Rajasthan pour accompagner des
danseurs de flamenco et de hip hop.
La dernière fois que les deux danses se sont rencontrées
avec Montalvo c’était plutôt drôle,
cette fois la démarche pédagogique était privilégiée.
« Yātrā » signifie « voyage »
en sanscrit, le latin des hindous.
L’orchestre composé, comme le précisait le programme, d’une
vielle, d’un kamanchiya, instrument à cordes frottées, d’un dholak instrument à percussion et de castagnettes (kartal)
jouées avec entrain et jovialité, soutiennent
des chants qui peuvent faire penser à des sonorités arabes d’une puissance
impressionnante, en plus rude.
Au début, le danseur de flamenco impose ses claquements
ferrés avec son allure traditionnelle de coq macho qui ferait passer Aldo
Maccione pour un parangon de discrétion.
Nous avions connu, ici, de plus riches heures de flamenco
qui recèle rien moins que « les
trois mémoires de l'Andalousie, mêlées de façon inextricable : la
musulmane, savante et raffinée ; la juive, pathétique et tendre ; la
gitane enfin, rythmique et populaire ».
Si les gitans viennent d’Inde, cette danse s’accorde
pourtant moins bien, à mon avis, que le hip hop qui capte toutes les lumières,
malgré les regards rogues du bailaor et ses postures de domination. La
filiation était incontestable avec le kathak auquel nous avait habitué Akram Khan qui
faisait naître plus évidemment les émotions
La musique indienne
de ce soir, ondoyante, convient bien aux contorsions de la danse urbaine,
augmentée parfois d’une batterie ainsi que de sons aux stridences
contemporaines.
En guise de préliminaire, quelques défis m’ont semblé sans
surprise, les séquences de hip hop, certes spectaculaires, se succédant comme
des performances juxtaposées.
Et puis le dialogue a avancé, comme en témoignaient les
applaudissements de plus en plus convaincus : claquements agiles des
talons et bavardes castagnettes, volutes des bras, énergies complices.
Du groupe d’amis qui s’est retrouvé à la fin du spectacle,
enfant gâté par le souvenir d’émotions plus fortes, je fus, je pense, le moins
enthousiaste, bien que j’aie passé une soirée agréable.
samedi 30 avril 2016
Les encombrants. Marie-Sabine Roger.
Le titre donne bien le ton: il s’agit des vieux désignés
comme embarrassants, thème vieux comme le monde et exacerbé en ce siècle où les
vies s’étirent.
Dans les appréciations concernant la littérature, il est
d’usage de souvent apparier légèreté et profondeur, rudesse et tendresse,
humour et gravité, mais je ne sais faire autrement avec cette auteure que je
viens de découvrir avec délectation en un shoot de sept nouvelles de 95 pages.
La grand-mère qui a tant attendu ses petits enfants :
« C’est qu’on ne
va pas rester tu sais… »
La gardienne de nuit d’une maison de retraite :
« Qu’on ne lui
dise pas qu’elle fait un beau métier »
Un père âgé:
« Il perd ses
mots, sa mémoire est confuse, son corps se pétrifie »
La centenaire s’appelle Madame Vivieux :
« On n’a pas tous les jours cent ans » à chanter.
Le monsieur qui s’est perdu contemple une rose dans un
jardin voisin :
«- Vous ne vous
souvenez plus de l’endroit où vous habitez ? C’est ça ?
Il a baissé la tête,
d’un air contrarié, vaguement boudeur. »
Une femme en attend une autre au café :
« Et, avec une
reconnaissance éperdue dans les yeux, elle sourira à ce preux chevalier qui
vient de lui faire l’offrande d’un Lipton Yellow âcre et d’un carré de mauvais
chocolat. »
Souvent des surprises éclatent dans ces récits efficaces,
envisagés sous des angles variés avec une poésie certaine :
« Certains jours,
la maison sans son pas qui résonne, c'est une trahison. Les lieux devraient
mourir, eux aussi. Disparaître. Ne pas offrir leur théâtre désert au jeu truqué
des souvenirs. Il faudrait effacer les jardins, qu'ils se volatilisent. Les
objets, qu'ils partent en fumée, se changent en brouillard. »
Quel délice d’avoir à découvrir d’autres titres de cette
écrivaine qui a commencé dans la littérature jeunesse.
vendredi 29 avril 2016
Petits bobos.
Il fut un temps où au sortir de la guerre, certains vieux osaient, pour relativiser des récriminations d’enfants gâtés:
« Ce qui leur
faudrait c’est une bonne guerre ! »
Cette archaïque réplique m’est revenue en mémoire quand je commençais
à énumérer quelques informations décourageantes qui finissent par peser sur
tout habitant de nos zones riches.
Cette mémoire s’esquinte pour moi en ce moment autour de
tombes s’ouvrant à proximité, alors que je me surveille pour ne pas exprimer à
tout bout de champ que « c’était mieux avant ».
Au cours d’une journée, en beau bobo qui a abusé de bien des
jeux avec les mots, choisir ses maux :
se réveiller après un sommeil trop court comme tant de mes
concitoyens, se doucher en pensant que la pénurie d’eau devient un problème
majeur dans le monde.
Enchainer avec un trop plein de sucre sur tartine saturée de
gluten en écoutant la radio :
« Yémen, Rohingyas, Chrétiens au Pakistan, Balkany,
Cahuzac, Thévenou, sur fond de ricanements en cascade… Et le sang à Bruxelles,
Bamako, Grand-Bassam, Homs, Bagdad … Boko Haram, Shebab, Al-Qaïda et E.I.
… »
Sur Facebook, la laïcité perd des plumes, et dans
les pages de mon journal papier qui a sacrifié quelques arbres se détaillent
d’autres horreurs, d’autres lâchetés, d’autres reniements, d’autres faits
divers qui ne divertissent plus guère.
A activer mon blog, je participe à
« la consommation
énergétique liée au web qui atteindrait, en 2030, l'équivalent de la
consommation énergétique mondiale de 2008, tous secteurs confondus ! »
Croissance chaude.
Faut-il redonner des graines aux mésanges qui deviendraient
dépendantes ?
Les cigognes auraient tendance à ne plus migrer alors que les
migrants se cognent à nos barbelés.
Des mots se perdent entre les murs des écoles :
travail, respect.
Plus personne n’a envie d’enseigner, de soigner, ni de
conduire des trains.
Nos légumes sont riches en intrants, les canards sont pris
en grippe, le vin part en vrille, cochon qui s’en dédit et le lait de vache est
toxique dit-on.
Nos déchets deviennent envahissants.
Ma voiture lâche ses particules et j’écoute des musiques de
fantômes.
Ce soir ne sera pas un moment d’innocence devant des joueurs
surpayés, des athlètes dopés, des matchs truqués, à la lumière de stades qui
pourraient éclairer combien de chambres de ces étudiants qui viennent lire sous
les réverbères de pays où l’école est encore désirable.
Dans les contrées où tremble la terre, pas besoin de calmer
d’hypocondriaques recensions, alors que j’aime
pourtant remarquer que mes compatriotes, pessimistes incorrigibles, exagèrent.
Lorsque je regarde mes petits enfants et leur appétit, leur
confiance, leur potentiel de mémoire, de finesse, renaît un sourire qui aurait
tendance à s’affaisser.
Alors la poésie :
« Ne dites pas :
la vie est un joyeux festin ;
Ou c'est d'un esprit sot ou c'est d'une âme basse.
Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ;
C'est d'un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.
Riez comme au printemps s'agitent les rameaux,
Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève,
Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ;
Et dites : c'est beaucoup et c'est l'ombre d'un rêve. » Jean Moréas.
Ou c'est d'un esprit sot ou c'est d'une âme basse.
Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ;
C'est d'un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.
Riez comme au printemps s'agitent les rameaux,
Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève,
Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ;
Et dites : c'est beaucoup et c'est l'ombre d'un rêve. » Jean Moréas.
Et l’humour: une histoire racontée par Orsten Groom http://www.carnetdart.com/orsten-groom
:
« Celle du juif
qui fuit les pogroms, les guerres et les occupations depuis les confins de la
Sibérie pour la Pologne, l’Allemagne et enfin la France. Là il se rue dans une
agence de voyage et réclame un billet.
« Pour où
? », lui demande la femme de l’agence.
« N’importe où, loin et vite ».
« Je ne peux pas décider pour vous. Prenez ce globe terrestre, faites votre choix ».
Le type le tourne, le tourne, et finalement demande:
« N’importe où, loin et vite ».
« Je ne peux pas décider pour vous. Prenez ce globe terrestre, faites votre choix ».
Le type le tourne, le tourne, et finalement demande:
« Vous n’en
auriez pas un autre ? ».
……
La photographie en tête de l’article est de Kristoffer
Eliassen parue dans Courrier international ainsi que le dessin ci dessous du
Journal Belge « Le Soir ».
jeudi 28 avril 2016
L’art du portrait au XVIII° siècle. Fabrice Conan.
Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a
feuilleté pour nous le grand livre d’histoire de l’époque où furent allumées des
lumières, en prêtant plus d’attention aux peintres qu’à leurs modèles, bien
qu’avec le « Louis XIV » par Hyacinthe
Rigaud, difficile d’oublier sa majesté. Réalisé pour que le
petit fils partant pour l’Espagne garde le souvenir de son grand-père, ce
portrait va appeler de nombreuses répliques. Sous le céleste dais rouge, le pouvoir terrestre est drapé
dans sa dignité. La composition rigoureuse de cette toile va influencer toutes
les représentations officielles des chefs d’Etat. Bien que la couleur bleue s’éloigne
du royal manteau, violet en principe lors du sacre, et que la fleur de lys du
sceptre étouffe dans un coussin, les jambes découvertes du danseur ne mettent
pas en cause une autorité indiscutable. L’épée de Charlemagne dite « la
Joyeuse » en impose et le raffinement dans le détail, le moelleux des
tissus seront applaudi.
« Madame la Dauphine, Marie-Antoinette » en Hébé, divinité
de la jeunesse, signe la fin d’une époque où les travestissements mythologiques
se démodent, alors que le style rocaille ou rococo disparait avec le retour du
classicisme.
Une des œuvres de jeunesse de Rigaud représente son ami le
sculpteur « Martin Desjardin » placide et attentif
et plus tard sa "Menasseuse" ne manque pas de caractère. Il n’a même pas eu besoin d’effectuer le traditionnel voyage
en Italie des apprentis peintres,
sa spécialité sera le portrait (400). Il
réunit pour une fois ses confrères« Le Brun et Mignard », et en
plus intime dresse le double portrait de sa mère à destination du sculpteur
Coysevox qui ne l’avait jamais vue.
« Le cardinal Dubois », jugé
« chafouin » par Saint Simon, joua un grand rôle diplomatique sous la
régence, mais je retiens plus volontiers qu’il serait à l’origine de la
contrepèterie de la comptine : « Il
court, il court, le furet »… « Il fourre, il fourre, le curé ».
Hyacinthe, natif de Perpignan, recommandera Jean Ranc, le fils de son formateur
Antoine Ranc, à la cour d’Espagne. Celui-ci use aussi des drapés, de l’hermine
et des colonnes dans un portrait de louis XV.
Les belles lumières de son « Vertumne
et Pomone » au
musée Fabre fixent dans nos mémoires, l’histoire de Vertumne déguisé en vieille
femme pour séduire Pomone la nymphe aux beaux fruits qui préférait la
conversation des plus âgés, mais ne sera pas déçue par la supercherie.
La clientèle, d’un autre portraitiste, Nicolas de Largillierre, qui travailla beaucoup en Angleterre, était
moins aristocratique et son « Elizabeth Throckmorton chanoinesse
de l'Ordre des Dames Augustines » est d’une grande force.
« Guillaume
Coustou » sculpteur lui aussi représenté par Jacques-François Delyen est
crédible, robuste et vigoureux. Charles est le plus connu de la dynastie Van Loo,
et sa notoriété à l’époque fut considérable. Ses portraits de Louis XV en campagne, de Marie Leczinska, Reine de France,
d’Innocente Guillemette de Rosnyvinen de Pire
ou de « La Marquise de Pompadour en jardinière »
tellement bien mise en scène que l’on disait « vanlouter »
pour des dispositifs trop apprêtés, sont de précieux témoignages.
Le portrait aujourd’hui contesté de « Denis Diderot » est de Louis Michel Van Loo.
« Manon
Balletti » est bien
traitée par Jean-Marc Nattier, elle le fut aussi par Casanova. Douce mélancolie,
élégance, légèreté.
Le pastel rend bien
les carnations; le très vivant « Abbé Jean-Jacques Huber », happé
par son travail, de Maurice Quentin de La Tour, en
est une preuve.
Le vigoureux Jean-Baptiste Perronneau, plus rude,
rend bien les vérités psychologiques, voir son Portrait de « Madame de Sorquainville ».
Francois-Hubert Drouais, représente les descendants lointains de Godefroy de Bouillon « Les
enfants du duc de Bouillon déguisés en petits Savoyards »
et avec «Le
comte d'Artois et sa sœur, madame Clotilde », les enfants apparaissent, la chèvre diabolique apprivoisée.
Entre ses cadres dorés, la peinture de portraits , « une frénésie française du
paraître », a témoigné « d’un
renouveau vers l’intime, et donné un visage d’insouciance aux protagonistes du
siècle des lumières ».
mercredi 27 avril 2016
C’est arrivé près de chez vous. Rémy Belvaux
J’ai vu quelques films choc, mais j’ai
attendu 23 ans pour voir ce film générationnel
encore culte.
Le documentaire parodique concernant le
quotidien d’un meurtrier en série est excellent pour se blinder le second degré
et prendre de la distance sur notre position d’amateur de cinéma.
Potache, il nous met le pistolet sur la tempe
pour en rire, sinon c’est la crise cardiaque comme pour la mamie qui a eu
tellement peur qu’elle en fait « une attaque » comme on disait, et
lui économise des munitions.
Poelvoorde est un jeune poète :
Ses douces paroles contrastent quelque peu avec un cynisme
trash et cash :
« Tu vois
généralement en début de mois je me paie un petit facteur... Je me lève le
matin... Et je prends ma matinée pour récolter les pensions, ce qui me permet,
par la même occasion, de repérer les vieux qui ont de l’argent... J’évite
par-dessus tout, les jeunes couples qui commencent, tout ça, ça pue la
pauvreté... C’est désagréable...
Mais les vieux, hein... Ils ont de l’argent ça c’est sûr... Des vieux pauvres, j’en connais pas... Avares oui hein ! Mais pauvres, non... »
Mais les vieux, hein... Ils ont de l’argent ça c’est sûr... Des vieux pauvres, j’en connais pas... Avares oui hein ! Mais pauvres, non... »
Un sommet de l’humour noir.
mardi 26 avril 2016
Animal’z. Bilal.
J’aimais bien jadis quand l’artiste yougoslave prenait si
bien l’air des temps autogestionnaires, mais en ces temps de dérèglement climatique la
fiction se fait frisquette.
Toujours aussi beau et le sachant, ses rehauts de blanc sur
fond gris font toujours leur effet, et les petits filets de rouge donnent signe
de vie, mais je finis par trouver ses dessins trop hiératiques.
Le scénario n’est pas là pour me réconcilier avec le genre
science fiction que je trouve ici sans surprise : l’animalité revue en
hybridation avec de beaux êtres à l’apparence humaine à la cruauté implacable
était peut être prémonitoire en 2009 des compassions présentes envers dauphins
et baleines. Mais navires et canots clapotent trop paresseusement dans les eaux
glacées.
Les patronymes des belles et des beaux au profil toujours
avantageux frôlent le ridicule avec Lester Outside et Franck Bacon, aux
pédigrées chargés d’enfant soldat, rescapé de cataclysme ou veuve de fraiche date.
« Je sens que je
peux en rajouter encore, sur son égoïsme, son arrivisme, son narcissisme, son
nihilisme… Ce mec était tout en ismes, du gigantisme de notre mariage jusqu’à
l’anticonformisme de sa mort… »
Omar est un robot
domestique et un clone de Bartabas sur son mi-zèbre ne parle qu’en citations.
« Vous n'aimez
pas les citations? Pourtant, à elle seule, la vie en est une...C'est Borges qui
l'a dit. »
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