mercredi 1 janvier 2014

Bon an

La photographie est prise sur le vieux port à Marseille sans montage, les reflets sont ceux d’un miroir de 46 sur 22 mètres de  Norman Foster.
Je prends un petit morceau d'un texte d'Ariane Mnouchkine paru sur Médiapart  pour présenter mes voeux aux lecteurs de ce blog :
« Et surtout, surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ils en sont encore aux tout premiers chapitres d’une longue et fabuleuse épopée dont  ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire, les inévitables auteurs. »

mardi 31 décembre 2013

The beats. Pekar. Piskor. Buhle.



Une histoire de la beat generation aux Etats Unis.
Les dessins de Piskor, très ligne claire, sont un peu raides pour transcrire la folie de l’époque qui est mieux traduite par d’autres dessinateurs qui ont collaboré à cette anthologie graphique.  Dans la dernière partie du livre, ils se sont attachés à décrire la biographie de personnages moins fameux que Kerouac, Burroughs, Ginsberg dont on apprend qu’ils ne furent pas toujours glorieux. La femme de Burroughs meurt d’une balle dans la tête, son Guillaume Tell a été maladroit.
Les œuvres respectives de ces géants de la littérature au mitan du siècle d’avant : « Sur la route », « Howl », « Le festin nu »  développent les thèmes des grands espaces, où la description de voyages par les drogues, l’alcool, le sexe, firent scandale et succès dans une Amérique coincée.
Il est des épisodes intenses comme l’histoire de cette toile de Jay Defoe « the rose » qu’elle a mis 8 ans à peindre et sous ces 30 cm d’épaisseur pesait une tonne, il a fallu découper un mur pour la déménager.
Mais les 200 pages ne rendent pas toujours compte de l’effervescence de l’époque.
Pourtant il est frappant de voir l’importance de la poésie dans les années 50 et l’influence de la culture « Hobo », les chemineaux des trains de marchandise, sur les beats et beatniks dont les recherches spirituelles et formelles les menèrent souvent vers le pacifisme, le surréalisme, et pour quelques femmes vers le féminisme.

lundi 30 décembre 2013

Le géant égoïste. Clio Barnard.


« Un Ken Loach sans l’humour » m’a dit une amie qui m’avait précédé au cinéma : pas mieux.
L’amitié est-elle un luxe ?
En tous cas elle est chaotique entre deux jeunes exclus de l’école amenés à récupérer des métaux dans des quartiers à l’abandon du Nord de l’Angleterre.
Des chevaux pâturent sous la lune et courent sur la route.
Qu’il est dur cet enfant hyper actif échappant à toute patience pédagogique qu’il faut tirer de dessous le lit ! C’est sa sauvegarde.
Il ne peut se cacher dans un trou de souris d’une enfance encore si proche, comme il en existe dans les livres qu’il n’a pas lus.
Ce film fort décrit la misère sans détour et aussi la vitalité de certains, l’amour des mères. La tendresse aux ongles noirs y est furtive, cependant les tours de la centrale électrique peuvent paraître belles.
La réaliste réalisatrice est subtile, pénétrante et juste, les acteurs vrais et émouvants.
Même s’il faut aller chercher loin la signification du titre tiré d’un conte d’Oscar Wilde qui éclaire d’une belle lumière cet impitoyable récit contemporain.
Un géant a chassé les enfants qui jouaient dans son jardin, alors l’hiver s’y est installé…

dimanche 29 décembre 2013

Le crocodile trompeur. Samuel Achache Jeanne Candel.



Il parait qu’il ne subsiste qu’un tiers du long livret de « Didon et Enée » de Purcell écrit en 1689 dans ces deux heures de spectacle, le reste étant de la farce (« Le Didon de la farce » n’est pas de moi), sauce Monty Pithon, en tous cas humour anglais, réservé plutôt aux « happy few ».
Je suis de ce public qui essaye d’accéder à des domaines qui ne me sont pas familiers : « opéra- champagne-caviar » quand sur le plateau, les voix disent, dit-on, les passions.
L’opéra est un genre qui ne se laisse pas aborder facilement, mais j’étais content après l’avalanche de propositions loufoques, que les chanteuses mêlées avec bonheur aux musiciens puissent montrer tout leur savoir.
Les dieux contrarient  l’amour de la reine Didon envers Enée qui la quitte, elle en meurt de chagrin.
Devant la faveur critique qui présentait ce mix théâtre/opéra, je m’attendais à apprécier pleinement un spectacle « déjanté » bien que le qualificatif devienne un passage désormais banal dans un monde de « péteur de câbles » et de « grimpeur de tours ».
La mode est au collage si possible hétéroclite. Pourtant si je reconnais volontiers auprès de mes amis qui ont apprécié en majorité cette soirée à la MC2, des séquences sympathiques, des digressions curieuses, l’ensemble baroque m’a paru de bric et de broc destiné à devenir « gravataire », c’est que nous sommes dans les débris.
J’ai aimé quand Enée traine Didon sur un tapis rouge et inversement, quand la reine amplifie les battements de son cœur et que la musique se déchaine, quand elle s’installe à la batterie.
Mais l’esthétique des ruines me lasse quand  m’assaillent des images de Sarajevo ou de Haïti, de préférence à Carthage contrée si proche des dieux dans ces temps où Cupidon fréquentait les demi-dieux et les demi-sels. Un emblématique skieur fournit une prestation spectaculaire et originale mais je n’en ai pas perçu l’utilité dans cette œuvre dont j’ai eu l’impression d’avoir attendu trop longtemps qu’elle démarre enfin.

samedi 28 décembre 2013

Freedom. Jonathan Franzen.


le début de cette histoire familiale de 700 pages m’a paru déplaisant tant l’auteur semble mépriser ses personnages, et en avançant j’ai été pris par la finesse des approches alliée à une franchise revigorante, directe.
Dans sa jeunesse, Madame Bovary aurait joué au basket avec ce romancier américain dont l’efficacité cerne les personnages au plus près par un dispositif qui multiplie les plans tout en restant limpide. Fin et attentif. Dense et plaisant à lire, allant loin dans la psychologie des personnages sans les enfermer, les inscrivant dans le siècle, en étant de tous les temps.
« La forêt septentrionale de feuillus, au sud de Charleston, était maintenant d’une seule teinte, à la veille de l’équinoxe, comme une austère tapisserie de gris et de noirs. Dans une semaine ou deux, l’air chaud du sud arriverait pour verdir ces bois, et un mois plus tard les oiseaux chanteurs assez robustes pour migrer des tropiques les empliraient de leurs chants, mais le gris de l’hiver semblait à Walter être le véritable état d’origine de la forêt septentrionale. L’été n’étant qu’une grâce accidentelle  annuelle»
Tout est précaire dans l’Amérique de Bush et les destins incertains de chaque personnage s’exposent dans une histoire qui nous concerne tous: les tentatives pour faire coïncider nos idées et nos actes, nos contradictions, nos faiblesses, nos aveuglements, nos bonheurs furtifs…
Quelle liberté ?
«  Si tu n’as pas d’argent, tu t’accroches à tes libertés avec encore plus de rage. Même si fumer te tue, même si tu n’as pas les moyens de nourrir tes gosses, même si tes gosses se font descendre par des malades armés de fusils d’assaut. Tu peux être pauvre mais la seule chose que personne ne peut te prendre, c’est la liberté de foutre ta vie en l’air comme tu veux. »
Les Berglund ne sont pas des héros, quoique démocrates.  
« Les Berglund étaient ce genre de progressistes qui se sentaient excessivement coupables et qui avaient besoin de pardonner à tout le monde pour que leur bonne fortune personnelle puisse leur être pardonnée ; des gens qui n'avaient pas le courage d'assumer leurs privilèges »
Dans un entretien au nouvel Obs,  l’auteur dit :
 « L'écriture est désormais la hache qui brise le vernis totalement artificiel de notre monde où le relationnel est subordonné à la technologie. L'écriture permet de reprendre contact avec l'humanité qui existe sous cette surface policée. »
Mission accomplie

vendredi 27 décembre 2013

Le fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels. Olivier Forlin.



La banalisation du terme « fascisme », les références aux années 30, qui se multiplient en ce moment, m’ont  entrainé à la librairie du Square pour écouter le maître de conférences à l'Université Pierre Mendès France à Grenoble qui présentait son livre dont le sous-titre est essentiel.
Il s’agit d’une histoire des interprétations par les politiques, les intellectuels, qui alimentent nos mémoires sélectives ou envahissantes, pour un phénomène né après la première guerre mondiale.
L’auteur distingue trois périodes.
- De 1919 à 45, où la lecture politique domine,
- puis jusqu’aux années 60 quand les historiens déterminés encore par une grille politique entrent en jeu. Mussolini est présenté à la tête d’une clique parvenue au pouvoir par la violence et la propagande. La population italienne est disculpée.
« Rome ville ouverte » le film de Rossellini peut être cité comme illustration de cette vision.
- Les historiens s’imposent désormais, l’anamnèse est en route, qui reconstitue l’histoire d’un sujet malade.
Bertolucci en  témoigne dans « 1900 », de même que Scola réalisant « Une journée particulière ».
Les phrases remontant des bavardages de nos contemporains Bertrand ou Estrosi, osant  des références lourdes au totalitarisme au moment où Woerth faisait dans les affaires et que des journalistes faisaient leur travail, paraissent dérisoires, mais l’autre : Berlusconi, n’est pas rigolo quand il a dit que « Mussolini n’a tué personne ».
Le nazisme et le fascisme furent des phénomènes internationaux articulant un parti légal à des groupes paramilitaires, vouant un culte aux chefs ; « l’homme nouveau » en Italie est tourné vers le futur alors que la pureté raciale s’inspirait du passé chez les Allemands.
Il fut question dans les discussions qui ont suivi l’exposé qui mettait en appétit, de Sternhell  qui fait remonter les racines du fascisme au XIX° siècle, en France, au moment du boulangisme et de l’anti parlementarisme avec cette « troisième voie » de toujours rejetant marxisme et libéralisme.
Le contexte a changé, le label infamant ne rend pas compte de toute la réalité de l’extrême droite qui par contre est vraiment l’extrême droite : celle du repli sur l’hexagone, polarisée par l’étranger bouc émissaire, populiste, essayant de gommer les traits d’une « Aube dorée », mais  dans le panier bien des fruits portent des taches brunes. 
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Dans Le Canard de cette semaine:

jeudi 26 décembre 2013

Frida Kahlo : Narcisse blessé.



Bien des auditeurs de la conférence de Christian Loubet aux amis du musée avaient en tête des images du beau film avec Salma Hayek dont il a été dit le plus grand bien, mais comme tous les films concernant les peintres, celui-ci ne pouvait présenter beaucoup de peintures pour des questions de droits.
Il fut beaucoup question de peinture, elle se revendique d’une culture populaire indigène et d’un engagement politique révolutionnaire total, mais impossible d’échapper à la biographie : 150 autoportraits qu’elle a réalisés attestent du lien évident entre son œuvre intense et sa vie de douleurs.
La peinture comme thérapie, comme résilience : depuis l’arbre généalogique où son père photographe juif allemand anti fasciste figure à côté de sa mère sur fond de paysage mexicain jusqu’au tableau total « Le marxisme redonnera la santé à la malade » avec Karl qui étrangle Sam et elle qui jette ses béquilles.
La petite polio voulait devenir médecin, mais après un accident d’autobus, elle a commencé à peindre, allongée sur son lit où un miroir est au ciel. Elle ne voudra pas être couchée dans son cercueil, en 1954, au bout de 47 ans de vie ; son dernier mot fut « Viva la vida ».
L’abdomen traversé par une barre de fer, le bassin brisé, elle a subi 15 opérations et 3 avortements.

Mariée à Diégo Rivera de 21 ans son ainé, séparée puis remariée, il fut l’homme inconstant de sa vie, même si elle entretint des relations amoureuses avec des femmes ou Léon Trotsky :
« On m’a amputé la jambe il y a six mois qui me paraissent une torture séculaire et quelques fois, j’ai presque perdu la tête. J’ai toujours envie de me suicider. Seul Diego m’en empêche, car je m’imagine que je pourrais lui manquer»
Sa peinture naïve, simple, d’un réalisme souvent brutal, projette un onirisme qui aurait pu convenir aux surréalistes. Elle, dont Breton qui l’a accueillie à Paris disait :
«  C’est une bombe avec un ruban autour »
a méprisé les parisiens Picasso ou Kandinsky qu’elle a rencontrés :
« J'aimerais mieux m'asseoir par terre dans le marché de Toluca pour vendre des tortillas que d'avoir quoi que ce soit à voir avec ces connards artistiques de Paris »
Elle ne fut pas fascinée non plus par l’Amérique du Nord où Diégo rayonnait.  De cette période elle avait laissé seulement « Ma robe suspendue là bas ». Un  drapeau mexicain à la main dans « Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis » elle a choisi entre le monde où règne le machinisme et celui de la régénération, de la fécondité tropicale.
Les couleurs vives peuvent convenir aux rêves et depuis le pays où les squelettes sourient, quand un oiseau tient dans son bec un ruban, c’est au dessus  d’une scène de crime dont le meurtrier a dit que les coups mortels qui ensanglantent même le cadre n’étaient  que « quelques petites piqûres ». Diégo à ce moment là commençait une relation amoureuse, cette fois, avec sa  belle sœur Christina.
Au dessus de ses sourcils en ailes d’oiseaux, Diégo est parfois représenté, lui qui possède le troisième œil, celui du génie. Ses tableaux sont souvent foisonnants de références exhaustives alors que la solitude éclate dans tant d’auto portraits à la troublante beauté.
Même sous les couronnes de fleurs un regard  grave persiste.