jeudi 10 octobre 2013

Gauguin chez Van Gogh.



Christian Loubet a tenu  son auditoire des amis du musée pendant une heure et demie autour de deux mois tumultueux que passèrent ensemble Paul et Vincent  à Arles entre octobre et décembre 1888.
Les deux solitaires ont  eu des vies « compliquées » comme on dit aujourd’hui pour éviter le mot « brisées ».
Vincent né un an après son frère dont il reçut le prénom, Vincent mort-né, entamera sa carrière de peintre quand son père disparaitra et Théo son frère appellera son fils, né en 1890, année du suicide du peintre : Vincent.
Le tableau des débuts du pasteur défroqué, « Les mangeurs de pommes de terre » déborde vers l’expressionisme en allant plus loin que l’école de Barbizon qui travaillait d’après nature.
La lumière vient du ciel.
Ses « chaussures » sont bien là et prennent leur relief chromatique avec le contraste des couleurs chaudes et des froides.
Van Gogh s’est exercé à différentes modalités sur fond d’or venu des icônes.
Le portrait du « Père Tanguy » marchand spécialisé dans la peinture orientale  peut souligner l’influence de l’art Japonais chez celui qui place la peinture comme un sacerdoce visant à élever l’esprit.
Dans un de ses premiers « Autoportrait au chapeau », le regard est inquiet, les « Cerisiers » au bord de l’incandescence et son « Pont de Langlois » avec ses couleurs intenses nous transporte déjà dans le post impressionnisme.
Avec l’argent de Théo, Vincent a acheté un fauteuil pour Paul Gauguin venu de son école de Pont Aven qu’il attend impatiemment dans sa maison jaune des faubourgs d’Arles où il a multiplié les tableaux représentant des tournesols.
Gauguin a perdu son père à l’âge de un an, il sera élevé par sa mère, fille de Flora Tristan, au Pérou  puis en France, avant de naviguer sur les océans et d’entamer une carrière de peintre, la même année que Van Gogh. Il  cherchera toujours un bout du monde qui retrouverait l’ingénuité des premiers temps, lui « l’indien du Pérou ».
Il apparait timide dans un autoportrait des débuts, il n’a pas encore vu la latérite des Antilles.  Dans « Les Antillaises à la cueillette » : « la lumière transpose, le trait expose, le cadre renforce ». Les arbres bretons seront bleus et ses toiles d’alors incendient la lande, les personnages enserrés de noir sont présentés solennellement, avec distance, comme dans un vitrail, le « Cloisonnisme » dites-vous ; les nabis (les prophètes) s’en inspireront.
« Les bretonnes après le sermon » voient le combat de Jacob et de l’ange se matérialiser sur un champ rouge où les oppositions entre le bien et le mal  sont tranchées.
Au « Cimetière des Alyscamps », les deux peintres son côte à côte,
"C'est drôle, Vincent voit ici du Daumier à faire, moi au contraire je vois du Puvis coloré à faire, mélangé de Japon."
Leur portrait de « Madame Ginoux », la patronne du café dont la fameuse terrasse lumineuse contrastait tellement avec la nuit, marque à la fois leurs différences et leurs influences croisées.
Pour le Hollandais, elle apparait comme une icône, alors qu’elle a le regard torve sur fond de joueurs chez celui qui finira aux Marquises.
Avec ces personnalités « hautes en couleurs », la communication est difficile et les oppositions exacerbées : s’inspirer de la nature, où la recréer ? Le divin ou les humains ?
Vincent a rencontré Paul par l’intermédiaire de son frère Théo, le marchand de tableaux, qu'il considère comme son frère jumeau.
Celui-ci vient de vendre du Gauguin alors que Vincent  n’aura qu’une seule toile négociée juste avant sa mort.
Une dispute éclate entre eux avant la Noël, Vincent apporte un morceau de son oreille coupée au rasoir à Rachel une prostituée de proximité. L’oreille depuis le moyen âge symbolise la matrice.
« L’homme à l’oreille coupée» revient à la vie sous sa chapka sombre.
Dans « Le christ au jardin des oliviers » c’est Gauguin  qui se représente, abandonné, avec des cheveux roux qui valurent des cailloux à son ami, le réprouvé.
« Le christ jaune » de celui qui se voulait anticlérical sera refusé par le prêtre de la paroisse où il devait s’accrocher mais il figure en arrière plan d’un autre autoportrait à côté d’un vase aux allures primitives.
Le « Semeur » de lumière de l’un, peintre atomique, avec ses cyprès montant comme des flammes de la terre jusqu’au ciel, figurera aussi en faucheur avant que les corbeaux ne s’envolent dans le soleil devant l’ultime champ de blé.
Les chevaliers de diverses civilisations de l’autre, se rencontrent, et toutes les religions se retrouvent, les esprits symbolisant la mort côtoyant des Eve tropicales.
Une vahiné regarde par la fenêtre les « Tournesols sur un fauteuil » dans lesquels un œil se cache. Les graines venaient de France.
Autour d’un autre Noël, Gauguin avale du cyanure mais rate son suicide, après avoir peint « D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »  Œuvre testament  inspirée du symbolisme et du primitivisme, où s’annoncent les fauves et l’art moderne.
Paul  aura réalisé son atelier aux tropiques, lui pour qui Vincent avait rêvé d’un atelier du midi qui aurait fait école.
Signac à Saint Trop et Cézanne, Renoir, Matisse, Bonnard, Picasso, Chagall, De Staël, Klein poseront leurs chevalets au sud.

mercredi 9 octobre 2013

Ethiopie J5. Pays dorze



Nos nouveaux chauffeurs arrivent au petit déjeuner dans deux 4X4 pour affronter les pistes d’un paysage qui change. Nous nous arrêtons  au bord d’un lac où nous dérangeons un homme qui se baignait nu, il nous montre de l’autre côté de la route les restes brulés et putréfiés d’un crocodile dévoreur de troupeaux qui venait s’alimenter dans cette crique : il a fallu 18 hommes pour l’extirper de l’eau.
Sur le parcours nous achetons des bananes et des pommes-cannelles. Au bord de la route, des enfants font montre de leur agilité par des danses expressives, avec des roues, de grands écarts de face et pas seulement de profil.
Nous nous arrêtons dans un village dorze de Chencha à 2500 m d’altitude. Les cases tressées  en forme d’ogive rappellent les éléphants de jadis qui ont fui vers le Kenya. Ces constructions traditionnelles s’élèvent  facilement jusqu’à une dizaine de mètres et leur durée de vie va de 70 à 100 ans. Le tressage en feuilles de faux bananiers est rénové tous les 20 ans. Quant aux bambous qui constituent l’armature, lorsqu’ils sont grignotés par les termites depuis la base, ou abimés par l’humidité, la case diminue peu à peu. Il faut alors réajuster les portes puis elle sera recyclée en annexe. Il existe une petite case pour les jeunes mariés en attendant  la construction de leur case familiale. Un jeune guide rasta, Yoyo, nous fait visiter l’intérieur de l’une de ces cases où les chaises en peau de vache reçoivent les voisins lors des cérémonies du café qui se multiplient dans la journée avec un facteur 3, puisque 3 services sont prévus à chacune des 3 invitations. C’est sur cette proposition de rythme que nous sommes réunis autour d’un verre d’araké provenant du faux bananier(encète) agrémenté d’ail, d’anis et titrant ses 65 °.  Nous nous en tiendrons à deux tournées hilarantes après la galette au piment puis au miel. Quand on boit avec ses amis de la bière il convient de boire au goulot de la calebasse, à deux en même temps, puis on transmet à deux autres.
Nous suivons le processus de fabrication des galettes  cuites entre deux feuilles sur un feu d’eucalyptus : de l’extraction de la pulpe depuis les feuilles qui donnent également des fibres fournissant des cordages voire des cordes pour les instruments de musique.
La pulpe est mise à vieillir passant d’une odeur de concombre à celle du fromage. Le stockage peut aller de 3 mois à 7 ans.
Après dégustation des produits locaux qui ne nous ont pas laissé indifférents, nous négocions de l’artisanat local dont la spécialité est le tissage du coton cultivé près du lac, ramassé par les enfants, filé par les femmes et tissé par les hommes. Les sobres étoles sont appréciées.
Au marché sont vendues des graines de tef, qui entrent dans la fabrication des galettes et du gingembre.
Sur le chemin du retour, au moment où nous nous arrêtons pour observer un beau point de vue un groupe d’enfants entame un chant responsorial très rythmé. Le soliste raconte ce qu’ils veulent en tant qu’écoliers et ce qu’ils n’ont pas en n’allant pas à l’école. Nous les enregistrons y compris les demandes de T-shirts. Lorsque nous poursuivons la route très pentue, les enfants prennent des raccourcis et réapparaissent avec leurs danses. Tout est dans le déhanchement différent au nord avec les épaules qui remuent alors qu’autour de l’Omo c’est plutôt le saut comme chez les Masaï.
A Arba Minch où nous nous dirigeons directement vers l’hôtel Tourism qui a plusieurs restaurants très fréquentés et de nombreux bâtiments aux chambres en rez de chaussée avec petits balcons et salons de jardin. Repas aux chandelles dehors sous une température agréable au chant des grillons.

mardi 8 octobre 2013

Palmer en Bretagne. Pétillon.



Surpris par la marée, isolé sur un rocher, c’est bien parce qu’il est à l’écart que le détective avec son imperméable plus utile dans ces contrées atlantiques qu’en Corse où il était précédemment en mission, va tout voir, mais sera-t-il entendu ?
Et il s’en passe des vertes et des pas mûres chez une espèce de Christine Lagarde qui reçoit en son manoir quelques spéculateurs d’art moderne se détestant cordialement (François Pinault et Bernard Arnault) parmi des communicants, l’un les yeux rivés sur son Smartphone ou une autre lorgnant sur quelque braguette débarquant en hélico : ça pue et pas seulement à cause des algues vertes.
« Nous avons eu douze cas d'intoxication alimentaire au Pardon de Saint-Hagut ... un kig-a-farz tandoori »
BD politique, je l’attendais ainsi de la part du dessinateur du Canard Enchainé, mais plus imprévues dans ce type de dessins comiques, les couleurs aquarellées rendent bien l’atmosphère de ce pays attachant et les traits vigoureux croquent les immuables et les modernes. Des oisifs suffisants exploitent le personnel mais le mareyeur porté sur la picole amène une tonique verdeur populaire comme le marin placide, et d’autres personnages bien campés.
Un agréable moment.

lundi 7 octobre 2013

Mon âme par toi guérie. François Dupeyron.



Le titre du livre écrit par le réalisateur lui-même, au départ de ce film original claquait davantage : "Chacun pour soi, Dieu s'en fout", mais  celui-ci ne correspond pas exactement au propos qui ne manque ni de tendresse, ni d’humanité, ni d’humour.
C’est Marie qui dit à Joseph : « je suis enceinte » et Joseph lui dit : « Quoi ? ».
Tout le monde a souligné la prestation du massif nounours Grégory Gadebois, et tous les acteurs sont excellents, comme est bienvenu le choix du sujet et intéressante la façon de filmer qui nous font douter que nous ayons à faire avec un film bien de chez nous.
L’économie de moyens lui va bien et nous en prenons plein les yeux du soleil et des douleurs.
Nous sommes dans l’arrière pays cannois, mais nous allons au delà d’un documentaire qui mettrait dans la lumière les invisibles des tapis rouges, bien que ces citoyens vivant dans des caravanes soient rares sur les écrans.
Freddy, le personnage principal étant lui-même réticent à faire valoir ses dons de guérisseur, nous pouvons entrer dans cette histoire dont quelques notations surréalistes nous interrogent sur ce qu’est la vraie vie. 
Portés par une bande son  dynamique, nous sommes entrainés sur le siège arrière de la moto, à partager des bières avec des potes marrants des fois ou pas du tout, à tenter d’apaiser des brûlures, à vaincre la peur, à conseiller d’avoir confiance en soi quand on est si peu sûr de soi …
Ce rythme aurait peut être mieux tenu sur une heure et demie que sur les deux heures, ce qui n’enlève cependant rien au plaisir de la découverte.

dimanche 6 octobre 2013

J’ai l’honneur d’être. Brigitte Fontaine.


La vieille nous réveille :
anti cléricale basique envers « Dieu ce mafieux »,
faisant rimer « les hommes qui préfèrent les hommes » avec Sodome et sacrum,
nous amenant à réviser ce qu’est une pythonisse quand s’allie la cruauté avec l’innocence d’un tigre doré.
J’aime ces alliances des contraires avec cette ode à une réprouvée :
« Ogresse seule et folle
Serpillère espagnole
Camisole de force
Relookée Crazy Horse »
Et ses goûts, très île Saint Louis :
« J’aime les noirs velours
Les cuirs au parfum lourd
Les soies arachnéennes
Les fourrures païennes »
La rencontre du feu et de la glace est plus banale, mais en tant que « lascard un peu vieux » je peux rêver de « jolis deltas », sans finir sur « un lit de berlues ».
J’apprécie également « les avis les moins partagés »,  et sa voix voilée qui peut faire « tilter les matous » plutôt que s’alanguissant à la surface « du fleuve d’amour » en péniche trop lente.

samedi 5 octobre 2013

Manifestation de notre désintérêt. Jean Rouaud.


On ne peut s’empêcher de voir dans ce livret aux éditions « Climats » la reprise de la recette d’« Indignez-vous » de Hessel dont le format bref contribua au succès.
Cette fois les 50 pages ne risquent pas de soulever les foules, comme si le désintérêt pouvait se proclamer, même à l’égard d’une société où les intérêts financiers qui nous gouvernent ne sont guère excitants.
Comme le capitaine Haddock écartant un fâcheux :
« votre appareil ne nous intéresse pas ». Séraphin Lampion était sourd .
Me reviennent les paroles de Ferré :
 « Les préfectures sont des monuments en airain, un coup d'aile d'oiseau ne les entame même pas... » quand une fois encore des mots bien choisis s’élèvent contre la marchandisation du monde, celui-ci  ne bronche pas.
L’écrivain qui voit les océans bouillonner sous le réchauffement climatique reconnait que certains de ses articles déjà publiés dans « Le Monde » n’ont guère suscité d’intérêt.
Il protestait contre « Notre Monarque Maximum » qui avait utilisé son livre pour un débat sur l’identité nationale aux délétères ambiances, et par ailleurs proposait Carmen comme Hymne national :
«  L’amour est enfant de Bohème
Il n’a jamais jamais connu de loi »
Un peu court.

vendredi 4 octobre 2013

Remboursez !


Moucheron englué dans la toile, je n’ajouterai aucun bruit autour des indécisions de Hollande, thème de la semaine des éditorialistes à la queue leu leu.
Je retiens seulement un  petit fait qui signe cependant une indécence contemporaine et une façon détestable d’envisager la vie publique :
la demande de remboursement par Jérôme Cahuzac de ses frais de déplacements occasionnés par son audition à l’assemblée nationale concernant ses fraudes fiscales.
Au moment où des débats portent sur quel mort porter au Panthéon, l’ancien ministre du budget jette une pelletée de plus sur quelques dépouilles respectables de Jaurès à Mendès.
Depuis que le chirurgien esthétique m’a ouvert les yeux, je ne ferme plus l’œil.
De surcroit : à défaut de réformer la fiscalité, que nos éminences au moins n’embouchent pas la trompette du « ras le bol fiscal ».
 « Solidarité » a fait son temps dans les boites à outils communicationnelles ?
Sommes-nous tombés si bas que nos élites n’osent rappeler que l’impôt est un pilier de notre vie en société ?
Et je n’avale toujours pas les tergiversations autour du non cumul des mandats.
Qui pleurera quand ils vont se ramasser une bonne pelle ?
…………
 Dans le Canard de cette semaine :