mardi 21 juin 2011

Un ciel radieux. Jirô Taniguchi.

J’avais beaucoup aimé « Le journal du père » du même auteur qui m’avait convaincu que les mangas ne sont pas fait que d’éclairs et de zigzags mais témoignent d’une vision originale et fine d’une civilisation. Ce volume, malgré une riche idée de départ, m’a déçu.
Après un accident le jeune motard va sortir de son coma en portant la mémoire de celui qui l’a percuté. Va-t-il réparer cette vie qu’il ne savait plus consacrer à sa femme et à sa fille ?
Car au Japon, savez-vous, les cadences sont infernales.
C’est vraiment trop mélo, mièvre et même les dessins qui sont parfois intéressants,
dans certains plans aux gros yeux, m’ont parus bien conventionnels.

lundi 20 juin 2011

Une séparation. Asghar Farhadj.

Je joue souvent avec certaines personnes de mon entourage à celui qui goûte avant tout les films lusitaniens sous titrés en khmer (vert), mais sur le créneau film en farsi je ne me distinguais pas cette fois à attendre à l’entrée: la rue du Club était pleine d’aficionados.
D’ailleurs quand l’ouvreuse demanda s’il y avait des candidats pour « Le gamin au vélo », il y en eu bien un dans la file d’attente pour faire remarquer qu’il y avait effectivement « un homme à la moto » qui ne pouvait passer.
Une bonne occasion de soulever les voiles, sortir des préjugés sur une société que je connais mal.
Prêter serment sur le Coran est un acte tellement solennel que ça en est troublant voire enviable.
La belle actrice principale Leila Hatami invitée sur un plateau de la télévision française avec son seyant foulard disait que dans son pays, « elle ne vivait pas sous le ciel » : pas de balcons, pas de terrasses aux cafés, tout se passe à l’intérieur des maisons.
Alzheimer est là bas aussi un passager encombrant mais choyé. C’est l’occasion d’une belle séquence, parmi tant d’autres, lors d’une partie de baby foot. Les préceptes religieux commandent les moindres gestes: ainsi le téléphone peut servir à la dame, qui s’occupe d’un pépé incontinent , à savoir si elle peut lui changer le pantalon.
Nous sommes invités par un scénario habile à modifier nos appréciations concernant les protagonistes d’une intrigue en milieu urbain. Dans ce que nous avons vu, une justice sans apparat m’a semblé proche des citoyens. Entre La foi et la mauvaise foi il s’agit toujours de rechercher la vérité. Les rapports entre le papa et sa fille ne sont pas très tactiles et les effusions sont rares, mais les culpabilités, les fiertés, les arrangements avec les mensonges sont universels et les femmes fortes, les hommes dignes, la fin de l’enfance émouvante. La désunion du monde ne passe pas facilement et la tragédie est bien un engrenage. La complexité des sentiments rencontre les susceptibilités de classe. Quand la politique croise ainsi l’intime, le régal est secouant, comme j’aime.

Blue Valentine. Derek Cianfrance.

Libé avait dit que ce film allait « fendre nos petits cœurs d’artichaut par le milieu » bien que ce ne soit pas trop le genre de la maison; eh bien ce fut vrai pour moi.
Comme la révolution française fut « un tout », cette histoire d’un amour qui se défait n’abolit pas les moments de grâce que connurent les deux jeunes.
J’ai aimé le feu d’artifice qui vient après le mot fin où apparaissent des images de la vie qui vient de passer, furtivement. Les acteurs sont investis, leur séduction fonctionne tout du long, pourtant on ne peut pas dire que le sujet soit très nouveau. Quand vieux voyeur de films, je m’amourache encore de ce genre de romance tendre et violente, le plaisir est multiplié.
Pourquoi une passion s’épuise ?
Les ingrédients qui entrèrent dans la composition du coup de foudre se retrouvent dans l’explosif qui éclate le couple.
L’affiche donne une idée très partielle du film qui présente quelques scènes chaudes, mais aussi d’autres émouvantes, drôles, authentiques.
Blue Valentine, c’est le titre d’une chanson de Tom Waits :
« Elle m'envoie des cartes tristes pour la Saint Valentin
De tous les chemins depuis Philadelphia
Pour marquer l'anniversaire
De quelqu'un que j'étais
Et qui se sent le même
Un mandat d'arrêt contre moi
Me contraint à vérifier mon rétroviseur
Et je suis toujours en cavale
C'est pour ça que j'ai changé mon nom
Et je ne pense pas que tu me trouveras ici …»

dimanche 19 juin 2011

Brassens ou la liberté. La cité de la musique.

Georges aurait eu 90 ans, s’il n’avait disparu il y a trente ans déjà, en 1981.
La force tranquille c’était bien ce gars là.
Les derniers temps, il souffrait beaucoup, une ambulance l’attendait entre deux prises de son.
Le timide était discret. Le sportif, fort. L’amant de Puppchen, universel. Le poète immortel.
Le sympathique Panthéon qui lui est dressé à La Villette nous en apprend sur sa façon de vivre en accord avec ses idées quand pour lui, la fidélité, l’anarchie n’étaient pas des postures.
Pendant le parcours où se presse la foule, il n’est pas aisé d’écouter les chansons, lire les BD, voir les objets, les photos, tout en ayant pour certains un audio guide aux oreilles.
En ce qui me concerne, c’est surtout le magnifique catalogue rétrospectif de 300 pages qui m’a permis d’apprécier pleinement les bandes dessinées de Joann Sfar, un des commissaires de l’expo, et prolongé le plaisir avec des fac-similés de ses carnets, un recueil de photos, de photos de notre famille.
Alors peinard, je déguste les pages, après la satisfaction d’avoir accompli un pèlerinage, en ayant applaudi une vidéo au milieu de mes compatriotes en communion, dans un Bobino reconstitué avec même le poteau au milieu de la salle.
Les portraits tels « L’auvergnat », « la Jeanne », « Corne d’Auroch » … qu’il a élevés à la dignité de personnages de légende étaient bien réels, et « Les stances à un cambrioleur » tirées d’un vécu où l’argent venu à la fin de sa carrière lui était aussi indifférent que lorsqu’il n’avait pas un radis.
Une autre époque ! C’est aussi pour cela qu’il nous est si précieux avec le legs d’une poésie travaillée, cent fois remise sur l’établi, qui a donné une saveur de plus à nos amitiés, à nos vies.
La façon de Joann Sfar de rendre hommage est vraiment en accord avec l’esprit de Brassens, tendre et ne se prenant pas au sérieux. De faire s’interroger des enfants d’aujourd’hui sur la pensée libertaire, les faire retrouver le grand homme au Japon où il se serait caché, rapproche les époques, éloigne les révérences, et nous surprend, nous les familiers qui avons vieilli avec lui et sans doute mieux grâce à lui.
« La Camarde qui ne m'a jamais pardonné,
D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez,
Me poursuit d'un zèle imbécile.
Alors cerné de près par les enterrements,
J'ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille.

Pauvres rois pharaons, pauvre Napoléon,
Pauvres grands disparus gisant au Panthéon,
Pauvres cendres de conséquence,
Vous envierez un peu l'éternel estivant,
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant,
Qui passe sa mort en vacances. »

samedi 18 juin 2011

Ils se croyaient illustres et immortels. Michel Ragon

Ragon, le critique d’art, le romancier vendéen libertaire m’avait marqué avec son pavé, « La mémoire des vaincus » : la beauté de l’histoire gagne en profondeur quand elle est tragique.
Cette fois dans un format court, les derniers moments de personnages qui furent considérables ne nous consolent pas de nos destins anodins.
Si Hamsun m’est inconnu, je reste sans regret, comme à l’égard de Pound qu’Hemingway avait bien défendu.
La roue qui tourne est moins cruelle à mes yeux pour les politiques puisque le rapport de force fait partie du jeu et la fin de Clémenceau ne me semble pas indigne. Kropotkine ne comprend plus son époque dans les bouleversements de la révolution russe, il n’est pas le seul. Juste le temps d’enterrer le vieux leader, Lénine libère quelques anarchistes et souligne le cynisme d’un pouvoir qui se mettait en place.
Courbet est ruiné, comme Sagan démodée, Fréhel méconnaissable, Descartes berné, Le Corbusier avait disparu depuis longtemps, et Lamartine n’était plus présentable.
Alexandre Dumas est pathétique :
« En novembre la tempête se lève et la pluie frappe violemment les vitres du pavillon. Impossible de pousser le fauteuil roulant sur la terrasse balayée par le vent.
Le vieil Alexandre reste enfermé dans le salon et joue interminablement aux dominos avec ses petites-filles qui se lassent de ce perpétuel recommencement.
Elles s’ennuient de la fanfaronnade de ce grand-père qui s’accroche à son glorieux passé et veut leur en faire goûter les miettes. »

Socialistes, tous ensemble pour un avenir pire par franceinter

vendredi 17 juin 2011

La contre démocratie. Pierre Rosanvallon.

Sur 300 pages charpentées l’acteur majeur de « La république des idées » développe un sous titre plus alléchant que le titre : « la politique à l’âge de la défiance ».
Il sait de quoi il parle puisqu’il fut un des théoriciens de l’autogestion en revisitant les racines historiques et philosophiques de l’idéal démocratique alors que c’est plutôt la géographie qui vient à son secours en ce moment.
Le directeur de l’Ecole des hautes études reconnaît le déclin de la participation en politique et approfondit la notion de populisme en allant bien au-delà d’éditos paresseux. En étudiant les formes contre démocratiques tels les mécanismes de surveillance ; d’empêchement, de jugement qui conduisent à une judiciarisation, au rejet plutôt qu’au projet, son intention est pourtant de « formuler une théorie de la démocratie qui ne soit plus séparée de l’action pour la faire vivre ».
Il peut être lyrique :
« Du sein même des prudences les plus lucides sur les gouffres qui bordent la voie des impatiences et des utopies, le désir des hommes et des femmes de continuer à chercher la voie d’un autogouvernement plus effectif et d’un régime représentatif plus attentif à la société a toujours ressurgi. »
Il rappelle Louis XIV :
« quand je crée un emploi je fais cent mécontents et un ingrat »
ou le cardinal de Retz :
« on ne sort qu’à son détriment de l’ambigüité »
alors les proclamations de « parler vrai » paraissent hors d’atteinte.
Il y a bien longtemps que sur nos écrans d’information en continu s’inscrivent les cours de la bourse, mais ce que je prenais pour un élément - agaçant - dans le décor occupe toute la place : les notes en trois signes des agences de notation sont devenues l’expression ultime de la politique.
Les souhaits qui me viennent concernant une citoyenneté à reconquérir dès l’école ne sont que des invocations magiques pour aller à l’encontre d’une désaffiliation de trop d’individus devenus étrangers à la sphère publique.
J’ai épuisé un revival d’enthousiasme vis-à-vis de la « démocratie participative » pour tomber dans l’accablement de voir des politiques se placer dans le sillage des expressions les plus simplistes, les plus étriquées. Désenchanté par l’abstentionnisme.
Crise de foi : reste l’ironie pour bouée dans une mer désabusée.

« Charlie hebdo » fournit le dessin percutant de la semaine.

jeudi 16 juin 2011

Retable à Champagny.

Sur les chemins du baroque, l’église de Champagny en Savoie reconstruite en 1635, comporte un retable(derrière la table) d’autant plus remarquable que le guide de la fondation FACIM nous en a bien fait remarquer les richesses. Entre les colonnes torses symbolisant l’élévation vers le ciel, 160 angelots tous différents animent les panneaux. Les statues les plus remarquables sont taillées dans le pin cembro dont la résine a éloigné les insectes xylophages qui auraient pu être tentés par les volutes, les drapés, les pompons, les balustres et autres caractéristiques d’un art théâtral.
D’ailleurs la limite de mille mètres d’altitude qui restreignait l’apparition des termites est en train de reculer avec le réchauffement climatique.
Si un Dieu bonhomme est au plus haut, c’est la vierge qui est en majesté ainsi que les évêques et les saints qui réaffirment la doctrine catholique mise à mal par les succès du protestantisme. Le tabernacle renfermant le corps du christ sous forme d’hosties revient en bonne place. Sur un côté, une statue de Saint Michel au curieux regard, de l’autre un tableau représentant Saint Dominique (Domi canis) accompagné de son chien. Il était chargé des âmes du purgatoire, rappelant ainsi les paroissiens à leurs indulgences. Saint Sigismond qui donne son nom à cette église est saisi dans son extase expressive à l’apparition de Marie.
Le bâtiment à l’extérieur aussi sobre que l’intérieur est flamboyant est flanqué d’un clocher à l’air penché. C’est que le lieu de culte est construit sur une élévation en schiste qui ne reste pas imperturbable à l’eau, il n’avait pas d’emprise sur les champs alors cultivés et se situait en terrain neutre pour les habitants des différents hameaux qui ont du céder un alpage pour financer les réfections et les riches panneaux dorés terminés en 1710.
« Le culte s’est construit sur l’inculte »