mardi 9 juin 2009

Elle est à toi

Il m'a dit : Elle est à toi, cette maison.
Puis il a chaussé ses godasses de montagnard, il a enfilé son anorak, enfoncé son bonnet sur sa tignasse qui grisonne. Il a ajusté son sac à dos, vérifié que ses gants étaient bien accrochés à sa ceinture. Il m'a encore regardée. Regard sans faiblesse, au gris pâli mois après mois dans son visage aminci. " N'oublie jamais qu' elle est à toi cette maison, quoi qu'il arrive…"
Devant la porte, il s'est arrêté, il s'est retourné, il a posé sa main gauche sur mon épaule droite qu'il a un peu serrée, comme si cela lui faisait mal cet effort dans ses doigts. J'ai regardé sa bouche demeurée fraîche, une bouche d'enfant. La porte s'est refermée sans bruit sur la brume d'altitude. Ses semelles ont raclé les grosses pierres au delà du perron et le silence est revenu petit à petit gelant l'espace, posant dans ma poitrine des cristaux acides.
J'ai cherché du regard la pendule et les réveils, j'ai froissé le journal de la veille, j'ai serré mes bras contre mon ventre. J'ai allumé un feu dans la cheminée histoire de dégeler la glace qui pressait mes côtes. Quand l'eau bouillante a empli la théière m'envoyant au visage sa vapeur, j'ai entendu le mot " solitude ".
Je ne reverrai plus jamais Jean.
Au matin je l'avais trouvé s'affairant autour de son sac. Il avait très mal dormi : " Ca ne peut plus durer ; je vide mon compte en banque. Je pars voir le monde, les fleurs, les bêtes et les hommes quoi ! Ne dis rien même si tu ne comprends pas. Tu as la maison ; j'ai fait le nécessaire. Tout est en ordre. Moi, il faut que j'arpente la terre avant la fin… " IL s'était appuyé du front et des mains contre le manteau de la cheminée. Ses épaules pointaient sous le pull bleu qu'il ne quittait plus. Ses hanches étroites, des hanches d'ado, avaient encore fondu ; son pantalon faisait des poches sous ses fesses. Ses jambes si longues tremblaient un peu.
Il est parti maintenant.
J'ai bu un bol de thé et j'ai installé un matelas près de la cheminée. J'ai bu de l'eau chaude toute la nuit. Le vent s'est levé vers minuit. La branche du cèdre a frotté contre les lauzes. Jean n'avait pas eu la force de la couper ; je m'y mettrai demain. J'ai écouté France-Culture. La nuit les voix sont proches, elles sont dans la pièce, feutrées, chuchotantes. J'ai écouté les voix des femmes et des hommes, surtout celles des hommes. J'ai peut-être dormi.
Au matin, j'ai remis le matelas dans la chambre d'amis, j'ai pris un petit déjeuner, beaucoup de miel. La brume s'était levée, on apercevait la muraille éclatante du Mont Aiguille. Au printemps je partirai, je vendrai le chalet. Je quitterai ce cul-de-sac. Cette maison est un bateau échoué. Bientôt elle sentira le moisi.
Jean est parti. Il n'a pas voulu partager les derniers mois. Je l'aurais aidé pourtant mais que savait-il de mon amour ? Il a choisi cette marche contre la mort qui me laisse à moitié vivante.
Dans la salle de bain, sur l'étagère de Jean, j'ai trouvé ses boîtes de pilules… la galère de la trithérapie. Aura-t-il le temps d'atteindre les premiers déserts africains?
Le café, c'est vraiment une grande invention. Je vais en boire beaucoup aujourd'hui. Je couperai la branche du cèdre comme on coupe l'avenir. Le temps me portera le temps qu'il voudra.
Philomène

lundi 8 juin 2009

Etreintes brisées

J’aime bien me distinguer parfois en tenant des propos pour le plaisir de contredire des majorités. Mais mon peu d’enthousiasme à la vue du dernier Almodovar me remplit de doute : aurai-je tant émoussé mes capacités à admirer ? Tout le monde applaudit tellement à chaque apparition du grand prêtre de « La Movida » qui commence à faire long feu pourtant, me semble-t-il. Oui, toujours ses couleurs, et Pénélope est bien gironde, les citations de propres films de Pedro sont drôles, mais l’annonce des possibilités de multiples histoires nous détache de l’émotion d’une seule qui nous empoignerait. Comme un peintre que l’on connaît bien et qui nous présenterait sa palette, mais nous n’avons plus la surprise. Le plaisir de se retrouver en territoire familier s’est éventé : l’épicerie « moderne » a pris des années.

dimanche 7 juin 2009

Renan Luce

Sautillant, le jeune homme est parfait pour accompagner une matinée de printemps.
Il nous conte des histoires de tendresse, même s’il n’est pas très crédible avec sa voix juvénile en « Repenti ». Par contre il est charmant dans les « Voisines » et dans « La lettre », s’inscrivant dans la tradition d’un Renaud décoléré, sans parigotisme, il renouvelle le stock des trousseurs de rimes, boucleurs de courts métrages à la patte fraîche.
« Cherche regard neuf sur les choses
Cherche iris qui n'a pas vu la rose
Je veux brûler encore une fois
Au brasier des premières fois
Mais j'ai croisé sur mon chemin
Deux grands yeux bleus, deux blanches mains
Ses menottes ont pris mes poignets
Et ce sont ses yeux qui m'ont soigné »

samedi 6 juin 2009

Coupe - coupe

En football, la coupe de France en mettant en compétition toutes les équipes du territoire laisse espérer à chaque joueur de pouvoir fouler un soir la pelouse du stade « deuf » après avoir écarté une série d’adversaires de tous niveaux par élimination directe. Tout le monde de Valencogne à Paris, sur la même ligne de départ.
Il y avait des surprises jadis et mythologie éternelle et mobilisatrice : Goliath pouvait chuter.
Cette année l’équipe de Guingamp (8000 habitants ; stade de 15 000 places) a gagné contre l’équipe de Rennes, la métropole régionale. Et les éditorialistes paresseux de reprendre la même image : « le foot des champs a gagné contre le foot des villes ». Hypocrites ! La multiplication des compétitions, conduit les entraîneurs à faire des impasses. Maintenant la coupe est devenue accessoire. D’ailleurs quelle coupe ? Celle là, l’historique qui convoque les souvenirs, ou les autres, celle de la ligue ou celle à Toto ? Le spectateur se lasse- d’ailleurs dit-on encore spectateur ? On parle de supporters. Allant à Gerland pour un match de rugby, j’avais refusé à la charmante hôtesse, un maquillage aux couleurs de Clermont, je crois.
L’équipe de France, elle, est devenue un produit TF1 et les campagnes publicitaires ne peuvent rien pour convaincre que des individualités surpayées se bougent pour une étoile de plus sur la poitrine. C’est Domenech qui ramasse pour ce qu’est devenu le foot : une arène pour la com’ où les convictions se sont enfuies. On ne joue pas impunément avec l’innocence éternellement.
J’ai applaudi, encouragé, le GF 38 promis à redescendre en ligue 2, nous restons en une : bien fait! Mais pour une fois qu’ils passaient à la télé, en demi-finale de la coupe, les « grenoblois » nous ont gratifié d’une prestation insipide, sans conviction. Derrière la même vitre passent des matchs anglais à 100 à l’heure, sans jérémiades, et là le désinvestissement des deux équipes sautait aux yeux. Difficile de faire plus banal que l’injonction de « mouiller le maillot », mais le pauvre môme qui dort avec l’écharpe de club est bien peu respecté. Grenoble reste en ligue 1, Guingamp vainqueur de la coupe, la ligue des champions au Barça : parfait. L’OM de la ville des passions et des réprouvés, que j’aime aussi parce son destin est capricieux, a finalement réussi sa saison. Si j’aime poser en amoureux des faits, des fois ce sont les fées qui me font môme. De surcroit l’équipe d’Aulas, l’OL, a perdu de sa superbe. Il voulait un championnat genre NBA (basket américain) avec des équipes immuables jouant entre elles au niveau européen : une élite sous cloche à donner en spectacle aux pauvres. Cette mise en retrait laissera un sursis au rêve pour toutes les équipes même celle où votre boulanger garde les buts.

vendredi 5 juin 2009

Celui qui n’est jamais venu

Alain Rémond a quitté Télérama, je me suis détaché de Sa Sainteté bien pensante.
Mais je me suis lassé plus tard de ses chroniques dans Marianne où il a usé beaucoup du cintre et de l’anodin. Dans ce dernier livre lu avec jubilation, je retrouve la veine autobiographique qui m’avait fait acheter de nombreux exemplaires pour offrir de « Chaque jour est un adieu ». Il excelle dans le genre en racontant une fois encore ses vingt ans, sans jamais renier ses exaltations poétiques d’alors. Il ne poursuivra pas sa vocation de prêtre, et évoque sa solitude, ses amitiés, son amour. Il reprend les conseils que lui a adressés Jean Cayrol « L’inspiration lâchée sans bride peut paraître neuve à celui qui écrit soumis à ses pulsions, mais en réalité elle traine tout l’héritage d’une culture et le tout venant des images et des paroles dans lesquelles nous baignons… »
Il est question du destin, de cœurs brulants comme avec les pèlerins d’Emmaüs, dans la simplicité, la limpidité, l’évidence d’une vie honnête. Merci.

jeudi 4 juin 2009

Richter Gerhard

Dimanche premier juin, c’était le dernier jour, pour l’exposition au musée de Grenoble du peintre allemand aux productions très variées. Le professeur reconnu est en recherche constante avec des couleurs aux nuanciers semblables à ceux du commerce, jusqu’au gris qui recouvre des séries de toiles.
Des couches recouvrent et se découvrent sous les coups de spatules, elles produisent des repentirs qui n’en finissent pas et entretiennent l’éternelle interrogation du moindre barbouilleur : quand arrêter son geste ?
Il réinvente « les vanités » qui ont jalonné l’histoire de la peinture. Je préfère ses flous, sa marque de fabrique, à ses tableaux abstraits. Ses dialogues avec la photographie contredisent ceux qui annoncent la mort de la peinture.

mercredi 3 juin 2009

Profession des parents et métier de parents . Faire classe # 32

La « transparence » est l’un des maîtres mots de la communication et pourtant des enfants méconnaissent le métier de leurs parents. Cette ignorance me semblait un signe de déficit de maturité.
Il faut constater que les lieux d’activités se sont éloignés des lieux de vie et l’éclatement des statuts participe aux difficultés à se connaître d’une société tout entière. De plus en plus de jobs apparaissent difficilement compréhensibles par les enfants (et par les adultes aussi d'ailleurs). Les salariés soumis aux fonds de pension à l’appétit sans fond, ne connaissent plus leur patron ; les cadres auront besoin de stages pour cultiver le patriotisme d’entreprise, mais où sont les fiertés dans le travail ?
Au moment des choix d’orientation, les représentations des débouchés sont floues et il est de mise désormais de viser un Bac +3 sans préciser la destination. Les filières tournées vers la production sont souvent inadaptées, le temps est à la tertiarisation et là les qualités de réactivité, d’adaptation requises ne sont pas toujours bien cultivées à l’école.
La grande arnaque qui confond démographie scolaire et démocratie scolaire quand les facs ajoutent des zéros à leurs effectifs, va-t-elle se révéler ?
Qui produit en France ? Les métiers aux créations tangibles rejoignent les imagiers obsolètes avec la cocote minute qui sifflait au rebord de la fenêtre. Le chant du coq dérange comme la cloche du village. Cet éloignement de la diversité et des rythmes humains, accompagne le silence des pères - en particulier- à la table familiale. Ceux-ci se sont effacés surtout dans les milieux déjà les plus fragiles : quand on dit famille mono parentale, c’est maman parentale qu’il faut entendre.
« Plus rien ne me semblait dangereux parce que j’étais à vingt pieds du sol, dans les bras de mon père qui, par la seule force de sa volonté, faisait en sorte que rien ne m’arrive ! Rien ne pouvait m’arriver ! » Michel Tremblay.
Gardons nous de généralisations hâtives; en ces années que Ségo traversa, beaucoup d’enfants ont gagné des pères attentifs, présents, ils grandissent du bon côté de la fracture, la sociale facture. Mais souvent la table familiale a disparu, remplacée par un zapping dans le réfrigérateur. Concernant le mobilier, de dévorantes machines ordinatrices gardent trop bien les enfants. Livrés à eux même, ils tombent plus facilement sur le petit prince « taillant une pipe » que sur des sites incontestablement enrichissants. Les relations se tendent, tournent parfois à l’hystérie ; la cellule familiale pèse sur les libertés des enfants d’avantage par amour dévorant que par manque d’investissement. Papa parti, petit perd sous les tonnes de sentiments de maman.
Il faut cesser de croire que l’école fournit toutes les solutions à tous les problèmes en déresponsabilisant les familles. Mais nous avons à aider ces chères têtes (les blondes et les brunes) à s’échafauder une identité dans le monde des grands en complétant les références parentales parfois défaillantes. L'école doit maintenir un lien avec son environnement social et humain.
Le temps d’une scolarité dure trois ou quatre quinquennats. 50% des emplois futurs n’existent pas pour les enfants qui entrent au C.P. , mais ce n’est pas plus mal que l’école s’épargne les urgences de la conjoncture.
De toutes façons le long terme sied mieux à ses rythmes pachydermiques, elle a la possibilité de regarder plus loin que la réalité du moment.
Les défauts d’orientation des jeunes tiennent aussi à cette difficulté à se représenter des professions autres que bateleur télé. Faudra-t-il travailler pour atteindre mon objectif ?
Travail : gros mot à éloigner des oreilles enfantines comme s’il s’agissait de la honte remontant au XIXième siècle des corvées pour enfants !
Il est tentant de considérer l’école comme un sanctuaire; mais les murs sont en carton, les familles et les enseignants débattent avec difficulté. « L’école c’est l’affaire de tous » s’inscrivait en gros sur nos affiches fraternelles quand nous voulions nous mêler aussi de médecine et d’agriculture et d’énergie et de justice… et que tout était politique. Nous souhaitions mieux impliquer les parents dans la vie de l’école pour assurer une meilleure cohérence éducative. Aujourd’hui le consommateur, l’usager demandent des comptes. Le « tout à l’égo » gouverne ; et la politique n’offre plus les moyens pour investir à long terme au moment où le mot « durable » ponctue tous les discours. Que les professeurs des écoles continuent avant tout à être des instituteurs qui instituent, donnent sens à leur travail, et réaffirment que ce sont eux les mieux placés pour choisir leur méthode ! La confiance, en face, est décisive pour laisser s’approcher le monde. Il ne s’agit pas d’aimer tout ce qui est proposé mais en prendre connaissance. Si en maternelle : « la maîtresse a dit » annonce un impératif catégorique, plus tard trop de parents affichent une défiance aux enseignants qui coïncide avec une aversion envers les savoirs.
- L’efficacité se gagne avec des rapports francs et cordiaux. Combien l’hostilité naît des craintes, des manques d’assurance ?
- Dans ma classe, une fiche navette devait être signée toutes les deux semaines par les parents pour attester qu’ils avaient pris connaissance du travail du petit. Cela évitait la vérification laborieuse des signatures sur les cahiers, et permettait de relancer les parents oublieux.
- Recevoir papa, maman en présence du petit non pas entre deux portes mais sereinement après rendez-vous, permet de ne pas perdre de temps. Le respect se conquiert aussi dans la réciprocité.
Même s’il y a des attitudes inédites qui vous scient. Une mère défendait ainsi son fils qui avait traité une surveillante de naine : « Si elle n’arrive pas à assumer son complexe, ce n’est pas mon problème ». Les gens sont petits parfois et les temps sulfuriques.
Le redoublement par exemple ne sera profitable que s’il y a accord de toutes les parties ou au moins une compréhension (pourquoi? et dans quel but?)
L’enfant nous étonne de plus en plus avec des réflexions adultes et les parents Casimir aiment régresser. Mais gardons l’humour, la distance, ne brûlons pas les étapes. Que d’enfants de maternelle invités à être autonomes, une fois devenus étudiants n’ont pas accédé à la maturité !