vendredi 16 mars 2018

Gentil / pas gentil.

Je n’ai pas vécu impunément dans les écoles depuis ma plus tendre enfance où l’on m’a protégé des saloperies du monde jusqu’au temps d’être grand-père, pour ne pas aimer voir la vie avec des lunettes joliment colorées. Je persiste en ne voulant pas que le monde des  Barbapapas que mes petits adorent, s’efface trop vite, mais je m’agace quand surjouent les gnangnans qui appellent les féroces. Dans l’univers universitaire et en amont prospèrent quelques autruchons qui ne veulent surtout pas voir ce qui pourrait déranger, la tête dans le sable.
« L’oreille en coin » : A la radio, une comique se moque de TF1 ; je change et tombe sur France Culture dont l’animateur se moque de TF1. Après, ils viendront pleurer sur la fracture culturelle qu’ils ne cessent d’envenimer et dire que « le mépris, c’est pas bien ».
« Arrêt sur image » : Nos photographies, amoncelées dans les nuages s’oublient aussitôt prises, tandis que tout le monde, tout le temps prend tout le monde en photo ; tout se déprend.
«  Jour du soigneur »: Parmi d’autres signes du temps, les cierges endormis des cathédrales se reconvertissent en lumignons pour deuils médiatisés avec ours en peluche et fleurs sous cellophane. Me sautent aussi aux yeux, ces cœurs dessinés à quatre doigts, alors qu’un seul suffit  pour les détestations. Sur les peaux, des arabesques de tribus lointaines comblent le vide des mémoires effacées. Les calligraphies se sophistiquent quand plus grand monde n’écrit à la main, elles  envahissent les murs, les rideaux de fer des magasins et nos coins les plus intimes en nappes hégémoniques.
« Paralympiques » : Au cours d’une conversation, pour montrer que j’avais bien entendu l’information à propos d’une candidate au CAPES de lettres (Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degré) ayant passé l’épreuve avec une AVS (auxiliaire de vie scolaire) pour cause de dyslexie, j’avais dit que c’était comme si on confiait l’entraînement d’une équipe à un paralytique. Outre l’archaïsme du terme «  paralytique » remontant à des lustres, je restais en dessous de l’indignation que pouvait faire naître cette aberration. On a déjà vu des entraîneurs apporter leurs compétences avec succès à des jeunôts  bien plus talentueux qu’eux ; mais confier l’enseignement du français à des dyslexiques multiplie les embarras, même si l’on sait que l’on enseigne avec plus de délicatesse les matières où l’on est moins à l’aise. Ainsi j’aurai pu faire un bon prof d’anglais.
Les AVS sont devenues les sous traitants des professeurs défaits des taches de transmission, n’ayant plus qu’à lier le social, quand c’est possible.
« L’émission politique » :
 « La haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine. » Mélenchon.
Cette brutalité entretenue dans le débat social est délibérée, théorisée, et non l’effet d’une  bouffée caractérielle, elle est le pendant d’attitudes tartignoles, complaisantes ou d’indulgences surjouées.
La bienveillance par exemple à l’égard du handicap est venue après des siècles de relégation, mais il me semble que la compassion s’est étendue au-delà du raisonnable. Dans l’éducation, l’intégration a bien arrangé les comptables. La médicalisation de toute difficulté d’apprentissage devenant massive, la relativisation des exigences en découle. Les cours quand ils ne sont pas inversés s’adressent à des individus à l’identité souffrante mais plus à un collectif. Pourtant « équipe », « travail de groupe » ont envahi les discours : c’est justement parce qu’il n’y a plus guère d’échange ni de rencontre avec « l’autre », chacun étant « différent »  que « l’universel », « le fédératif » sont devenus juste bons à être célébrés parce que disparus, par ceux qui ont mis leurs enfants hors du commun, hors du public. 
Ces jours-ci, l’heure consacrée au handicap qui a bien diverti les collégiens avec les fauteuils mis à leur disposition, a été prise sur une heure de français qui aurait pu leur proposer « Le crapaud » d’Hugo et ainsi faire d’une pierre plusieurs coups.
L’âne  évite d’écraser le crapaud martyrisé par des hommes et des enfants : 
« Cet âne abject, souillé, meurtri sous le bâton,
Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon.»
………….
Le dessin du « Canard » de la semaine :

jeudi 15 mars 2018

Paysages grandioses et phénomènes naturels. Alexis Drahos.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a souligné la curiosité des artistes à l’égard des sciences et l’intérêt des glaciologues, géologues pour les paysages peints, alors que la photographie n’existait pas.
La fresque de la grotte Chauvet baptisée « Le sacré coeur », représente-t-elle une éruption? La datation de 33 000 avant que Jésus ne soit mis en croix correspond à une période d’activité volcanique dans le bas Vivarais.
Sur Le site de Çatalhöyük  en Turquie et son village sédentaire datant de 8 000 ans, avait été retrouvée la plus ancienne représentation d’un volcan,
dans les mêmes temps que les pétroglyphes près du Porak en Arménie.
Bacchus et le Vésuve dont le sommet n’a pas encore explosé a été peint sur un autel de la villa du centenaire de la ville balnéaire de Pompéi qui ne s’attendait pas en 79 à un cataclysme,
bien qu’un bas relief de 64 ait représenté un séisme.
Au siècle de Buffon, les sciences naturelles arrivent au premier plan, Naples est en fond dans cette estampe d’Hoefnagel.
A l’époque baroque, un esprit aussi encyclopédique que l’aventurier Athanasius Kircher annonce les lumières du XVIII°. Son Mundus subterraneus  dément Aristote qui pensait que les vents s’engouffrant dans les grottes étaient à l’origine des éruptions.
Quand Salvator Rosa représente La mort d’Empedocle dont l’Etna recrachera une sandale du présocratique recherchant la vérité de trop près, il est le précurseur d’une esthétique du sublime.
Le Chevalier Volaire  s’était spécialisé dans la représentation de L’éruption du Vésuve sur les flancs duquel se sont succédé Goethe, Chateaubriand, madame de Staël…
Dans le cratere degli Astroni de Jacob Philipp Hackert, le temps n’est pas effacé, la terre a une histoire.
Et Houël aux Lipari le dit aussi.
Au siècle du feu et de la vapeur, Turner, curieux de sciences, peignit l’éruption de la Soufrière.
Le soleil couchant de Didon construisant Carthage, inspiré du Lorrain est teinté sans doute par les scories persistantes après l’éruption du Tambora en Indonésie qui refroidirent la terre.
Comme Le cri de Munch qui serait coloré par le Krakatoa apportant son obscurité jusqu’en Norvège.
Pour Thomas Cole, un des fondateurs de la Hudson River School, peintres des grands espaces sauvages, Adam et Eve sont tellement petits lors de leur Expulsion du jardin d’Eden.
Humboldt arrivé presque au sommet du Chimborazo, et c’était un record, a établi un recensement des plantes lié à l’altitude, avec son compère Aime Bonpland  parmi Des Vues des Cordillières et Monuments des Peuples Indigènes de L'Amérique.
Church a marché sur ses traces : Le Cœur des Andes.
La Pêche Miraculeuse (1444), scène biblique, est installée par Konrad  Witz sur le lac Léman devant quelques monts des Alpes voisines, en un relevé topographique.
En 1777, Caspar Wolf, alors que des processions se réunissaient pour faire reculer les glaciers, peint La Lütschine noire à la sortie du glacier inférieur de Grindelwald. Il est le premier à mettre en relief la beauté et la majesté des Alpes.
Turner a attendu la provisoire paix d’Amiens en 1802 pour venir au pied de La mer de glace.
John Brett, préraphaélite, est d’une précision toute scientifique dans son approche de la nature. Le Glacier de Rosenlaui a déplacé des blocs hiératiques dont on sait dorénavant qu’ils ne viennent pas du « Déluge ».
Les strates du cirque de Gordale de James Ward s’inscrivent dans une esthétique du sublime
alors dans la Baie de Pegwell de William Dyce sa famille ramasse plus sûrement des fossiles que des coquillages ; les temps  géologiques les contemplent du haut des falaises.
Lord Rosse dessina des galaxies depuis son gigantesque télescope appelé Léviathan
quand venant du fond du temps et de l’espace était photographiée la comète Donati en 1858. 
Elle passa près de chez nous après la Comète de Napoléon en 1811, année de vendanges exceptionnelles.

mercredi 14 mars 2018

Annecy. Festival international du film d’animation 2017.

Juste un petit tour dans la belle ville: 9000 accrédités quand même, parmi un public jeune et enthousiaste. Ambiance potache avec avions en papier qui volent avant que les écrans s'allument.
Pour se mettre en appétit rien de tel qu'une série de courts métrages aux univers très variés : 
Allemand : les souvenirs de guerre d’un irakien : traits blancs élégants sur fond noir. 
Canadien : images mécaniques pour évoquer Victor Tesla ingénieur en électricité : daté.
Français : souvenirs poétiques de pépé « le morse », brouillés par la grossièreté des dialogues.
Autrichien : les carmina burana en flash mob : vain.
Danemark : Adam : les robots m’ennuient.
Anglais : souvenirs de famille au graphisme original.
Danois et français : dans le froid, l’attente : superbe, étrange.
Polonais : Sprawa Moczarskiego : hommage à l’auteur d’ « entretiens avec le bourreau ».
Slovène et Croate : ambiance nocturne et alcoolisée.
La Passion Van Gogh de Dorota Kobiela et Hugh Welchman.
La performance technique du premier long métrage avec 65 000 images à la peinture à l’huile par 115 peintres est tellement éblouissante que l’on ne prête guère d’intérêt à la remise en cause de la thèse du suicide de l’artiste. 

mardi 13 mars 2018

La revue dessinée. Printemps 2018.

Ces 228 pages saisonnières revenant sur les affaires qui apparurent un moment à la une de l’actualité sont un excellent remède contre « l’infobésité » qui nous guette avec ses sucres rapides.
Thèmes privilégiés : le travail et le contenu de nos assiettes… le Moyen Orient.
- Que sont devenus ceux qui se sont fait arracher la chemise par des salariés d’Air France ?
L’un d’eux s’appelait Plissonnier, fils d’un ancien dirigeant du PC.
- Comment les communes se débrouillent pour attirer des médecins généralistes ?
- Dans notre flexible univers, un petit tour dans un « open space » : pas forcément cool.
- Visite dans un gigantesque abattoir breton avec un reporter en immersion, où il n’est pas question que de souffrance animale mais aussi des employés soumis à des cadences inhumaines.
- Précisions et nuances sur le bio.
- D’où vient Erdogan ?
Il avait émergé en politique en faisant de l’adhésion de la Turquie à l’Europe un objectif majeur.
- A travers un trajet en taxi collectif le long de l’ancienne ligne de démarcation à Beyrouth, des nouvelles du Liban.
Dans les rubriques habituelles :
-        La biographie d’un chimiste allemand : engrais et armes chimiques, Fritz Haber.
-        En musique : la poétesse Brigitte Fontaine, elle s’était produit en première partie de Brassens.
-        En vocabulaire : expat’, migrant ou réfugié ?
-        En sport : le hula hoop.
-        En cinéma : « La forteresse cachée » de Kurozawa.
-        En photo : les combattants de Maïdan.


lundi 12 mars 2018

La caméra de Claire. Hong Sang Soo.

Ce film vu au festival de Cannes sort en salles alors que d’autres plus originaux, plus émouvants, ne seront pas distribués.  
Une vendeuse de film est licenciée pour une cause qu’elle ne comprend pas tout de suite. 
Elle a couché avec le réalisateur dont elle est la compagne dans la vraie vie.
Elle rencontre Isabelle Huppert, espèce de fée clochette au sourire permanent, dans les ruelles de Cannes, mais peu nous chaut.
L'omniprésente actrice française prend beaucoup de photographies avec son polaroid, elle prétend que la photographie modifie celui qui est photographié ; ce presque rien rohmérien, n’a rien fait bouger chez moi.
Ce film entre amis, est tellement léger qu’il s’oublie, à peine sommes-nous revenus dans la rue à Cannes la Bocca où il fait bien chaud.

dimanche 11 mars 2018

Artefact. Joris Mathieu.

Les spectateurs, casque sur les oreilles, divisés en trois groupes sont invités à s’asseoir à tour de rôle face à des prismes vitrés dans lesquels oeuvrent deux imprimantes en relief pendant que se projettent des images et des dialogues avec des ordinateurs programmés en« agent conversationnel », lors de « chatbot ».
Le dernier pôle où nous devons nous diriger se situe devant un bras articulé qui pose différentes pièces sur une table dont les silhouettes ont été rencontrées sur les deux stands précédents : chien qui hurle à la lune, un arbre, homme et femme figurants d’un monologue shakespearien. Le bras robotique secoue un Tupperware rempli de sucre mimant de la neige après avoir été programmé à hésiter et à agir lentement pour accentuer une allure plus proche de l’humain.
« Que devient le blanc quand la neige a fondu ? »
L’esthétique rétro futuriste fait penser aux années soixante qui portaient alors des rêves optimistes. La musique accentue une atmosphère mystérieuse.
Ces dispositifs inhabituels se closent par une discussion avec le metteur en scène et c’est alors que le public revenu dans ses gradins habituels applaudit. Il faut dire que la voix séraphique qui nous avait accompagnés pendant 50 minutes nous avait, gentiment, malmenés, ne serait ce qu’en nous laissant décider de nous lever. Cette conclusion, où les humains se retrouvent avait une saveur différente des discussions habituelles à l’issue d’un spectacle, elle m’a semblé partie intégrante d’une interrogation sur notre place face aux machines et notre disparition, la place du théâtre. Le mot « robot »  est apparu pour la première fois dans une pièce de science fiction tchèque. L’« artefact » est un objet fabriqué par l’homme, pas naturel. Tout se redéfini.
D’avoir navigué sur un plateau de théâtre de la MC2 sous les voyants rouges clignotants et les lumières bleues chirurgicales, frôlé les cornières d’aluminium et les rotules de fonte, dans l’intimité d’un casque qui arrivera bientôt pour notre confort dans des salles de spectacles où nous réglerons le son à notre guise comme déjà des guides en usent dans les musées, j’ai retrouvé avec plaisir mes frères humains bavards, contents d’eux, si pathétiquement imparfaits et découvert la compagnie  «Haut et court » novatrice et stimulante.

samedi 10 mars 2018

Le Bestial Serviteur du pasteur Huuskonen.

Avec les ingrédients habituels chez Arto Paasalinna : personnages typés, nature, loufoquerie, voyage… nous est servie une histoire agréable où des questionnements sur le sens de la vie ne se prennent pas au sérieux.
« Dans l’allégresse générale, on présenta l’offrande au pasteur Huuskonen. Celui-ci n’avait aucune idée de se que contenait le panier, mais quand il eut défait les rubans de soie, le mystère fut levé. De la petite fenêtre surgit un bout de truffe humide. La pastoresse gémit : « Par les cornes de Belzéb… » 
Ainsi sera nommé « Belzèb » l’ourson qui vient d’être offert au pasteur dès le début d’aventures au parfum d’enfance qui n’interdisent aucune interprétation mythologique voire spirituelle.
En guise de résumé au trois quart du livre qui comporte 307 pages :
« L’opératrice radio songea qu’elle s’était vraiment trouvé un drôle d’amant, un homme comme on en fait peu : un prêtre finlandais défroqué, arrivé dans l’île avec un ours qui dansait et faisait des signes de croix dans la boîte de nuit d’un paquebot- et voilà qu’en plus il avait trouvé moyen de s’installer chez elle et tentait de prendre contact avec des extraterrestres. »
En toute candeur, douce excentricité, la bestialité s’apprivoise.