samedi 3 octobre 2020

Histoires de la nuit. Laurent Mauvignier.

Le livre que lit une maman à sa fille avant qu’elle s’endorme est intitulé « Histoires de la nuit ».
En une nuit, les histoires des personnages attentivement exposées tout au long des 635 pages vont se révéler, exploser. 
Même dans le hameau le plus reculé, derrière un panneau que personne ne lit, « L’Ecart des trois filles », nul n’échappe au passé. 
«  Et tout ça pour faire quoi dans un bled pourri du centre de la France, au milieu de rien, de champ suintant le pesticide et le cancer, l’ennui, la désertification et le ressentiment ? »
Commencé comme une chronique campagnarde dans la veine de la bienfaisante Marie Hélène Laffon http://blog-de-guy.blogspot.com/2014/11/joseph-marie-helene-lafon.html , le roman se poursuit en un huis clos palpitant mené par une écriture enveloppante dont les ralentis approchent de la vérité tout en mettant en jeu les violences.  
« … pour ne pas l’effrayer, est ce que ce sont des choses qu’on peut dire devant une fillette ? Est ce qu’on peut parler de ces menaces, de cette méchanceté, est ce qu’on ne doit pas la préserver et lui faire croire la plus longtemps possible que le monde qui nous entoure n’est pas peuplé de fous furieux, ni d’aigris, de jaloux, de mesquins ? » 
La distance entre les paroles rares et les intentions est marquée lors des dialogues intérieurs de chaque protagoniste, dans leur singularité, leur sincérité, leur quête, leurs contradictions.
La petite fille: 
« Ida comprend comment les choses se logent comme des bêtes dans les planches qui pourrissent dans la grange, des insectes qui grignotent le bois sans qu’on s’en aperçoive. » 
Sa maman : 
« Si elle ne le formule pas, la vérité c’est qu’elle rit d’avoir enjambé sa peur et d’avoir pu la tenir en bride et la faire plier. » 
La voisine artiste a noté dans ses carnets :  
« La culture, c’est ce qu’on nous fait, l’art c’est ce que nous faisons » 
Et celui qui tombe sur cette phrase : 
« Lui, ça l’étonne, ce genre de phrases ; Il ne comprend pas. Ce genre de citations. Yves Klein. Ne pas savoir qui c’est ce nom. Ne pas comprendre le blesse. »
Il est beaucoup question de la peur, des distances sociales, de peinture  et  d’écriture, et c’est tout à fait ça : 
« … recouvrir et faire jouer la transparence, recouvrir jusqu’à ce qu’une forme apparaisse qui n’a rien à voir avec celles qui, du dessous, ont rendu possible celle qui apparaît par superpositions, glacis, enregistrant des strates et faisant mémoire des couches qui ne se laissent pas dissoudre tout à fait et remontent, vibrent en s’effaçant… » 
Fort comme d’habitude et en même temps renouvelé; très fort.

1 commentaire:

  1. Oui, pour enjamber sa peur, de pouvoir la tenir en laisse et la faire plier. C'est une sensation grisante, et un vrai.. pouvoir.
    Je résiste à la tentation de nous diviser en contraires qui s'excluent. La culture, c'est aussi ce que nous faisons, et l'art.. on le reçoit d'un ailleurs.
    On peut se sentir puissant tout en recevant nos origines d'un ailleurs qui nous dépasse.
    De toute façon... la TOUTE puissance n'est pas pour nous...

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