L’appréciation d’un livre peut varier au fil des pages
surtout quand il y en a près de 800. J’ai failli abandonner au début après une série de scènes d’une
violence insupportable, si peu attendues sous un titre aux connotations
mystiques inaccessibles.
« Mais les
promesses de liberté que les vagues et le vent s’en allaient répétant, se
brisaient le long du mur des édifices fleuris de roses et de pampres de lave
coupante. Il n’y avait pas de liberté dans ces rues, ces ruelles, ces places ambigües,
débordant des seuls hommes avec des canotiers et des cannes arrogantes, épiés
par des ombres féminines cachées derrière les rideaux des fenêtres ou dans
l’obscurité des pauvres rez-de-chaussée à la porte toujours entre ouverte. »
Nous sommes en Sicile au début du XX° siècle.
« Par le sang de Judas » ponctue les dialogues.
Puis le style, la force de la figure centrale Modesta, la Princesse
dite aussi Mody, m’ont captivé avant d’avoir du mal à retrouver tous les
personnages après avoir délaissé trop longtemps une lecture exigeante, poétique,
politique.
«Comme je suis content
que vous au moins vous ayez compris, Princesse, et que vous ne vous soyez pas laissée influencer par la
tendance répandue à rabaisser l’adversaire, chose qui comme dit Gramsci,
« est par elle-même un témoignage d’infériorité de celui qui en est
possédé… »
On s’étreint beaucoup, on veille, on dort, on cherche, on
change, on meurt, on nait, on aime.
« Durant ce
voyage Modesta fut toujours attentive à épier la plus légère ébauche de sourire
ou de tristesse sur le visage aimé ; et chacune de ses volontés, chacun de
ses gestes, chacune de ses pensées, fut absorbée par le soin de scruter,
prévenir les désirs, repousser la douleur latente qui, toujours aux aguets,
venait ponctuellement troubler ce visage d’amour. » Epuisant.
Bien que fusionnelle avec hommes et femmes, la peu
modeste héroïne venant de si loin des
douleurs et de la misère est devenue tellement admirée qu’elle nous dispense
d’une quelconque empathie à force de traverser la vie sans faillir.
De jolies notations : « les couleurs viennent du cœur, les pensées du souvenir, les
mots de la passion.»
L’amour : «
Il me semble qu’on tombe amoureux parce qu’avec le temps on se lasse de
soi-même et on veut rentrer dans un autre. »
L’homme : « Il
ne peut pas créer charnellement une vie. Et alors il essaie de donner vie à des
idées.»
La mort : « Il
est temps de se remuer, de lutter de tous ses muscles et de toutes ses pensées
dans cette partie d'échecs avec la Certa qui attend. Et chaque année volée,
gagnée, chaque heure arrachée à l'échiquier du temps, devient éternelle dans
cette partie finale. »
Livre d’une vie, un chemin vers la liberté: « Voilà ce que je
devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie les plantes, les
animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations
des siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne
plus m'en servir, ceux que l'usage quotidien emploie avec le plus de fréquence,
les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité,
âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. »
Je ne lirai pas 800 pages. Mais les quelques citations que tu mets sont belles, même si pour ma part, je n'entends pas si souvent que ça maintenant les mots "devoir", "âme", "humilité", "coeur" "sentiment", "piété". "Sacrifice" j'entends encore, mais dans un sens où je ne veux pas l'employer.
RépondreSupprimerCe qui est remarquable, c'est que dans l'ensemble, "on" enfonce des portes ouvertes. Au moment où on est en train de clamer sur les toits pour la libération, SA libération, "on" vise ce qui n'est plus en mesure de nous enchaîner, tellement la prochaine aliénation est DEJA sur la place publique.
Pourquoi est-ce que l'Homme (et la femme) ont toujours une guerre de retard ?...