samedi 12 septembre 2020

L’art de la joie. Goliarda Sapienza.

L’appréciation d’un livre peut varier au fil des pages surtout quand il y en a près de 800. J’ai failli abandonner au début après une série de scènes d’une violence insupportable, si peu attendues sous un titre aux connotations mystiques inaccessibles. 
« Mais les promesses de liberté que les vagues et le vent s’en allaient répétant, se brisaient le long du mur des édifices fleuris de roses et de pampres de lave coupante. Il n’y avait pas de liberté dans ces rues, ces ruelles, ces places ambigües, débordant des seuls hommes avec des canotiers et des cannes arrogantes, épiés par des ombres féminines cachées derrière les rideaux des fenêtres ou dans l’obscurité des pauvres rez-de-chaussée à la porte toujours entre ouverte. » 
Nous sommes en Sicile au début du XX° siècle. 
« Par le sang de Judas » ponctue les dialogues.
Puis le style, la force de la figure centrale Modesta, la Princesse dite aussi Mody, m’ont captivé avant d’avoir du mal à retrouver tous les personnages après avoir délaissé trop longtemps une lecture exigeante, poétique, politique.  
«Comme je suis content que vous au moins vous ayez compris, Princesse, et que vous ne  vous soyez pas laissée influencer par la tendance répandue à rabaisser l’adversaire, chose qui comme dit Gramsci, « est par elle-même un témoignage d’infériorité de celui qui en est possédé… » 
On s’étreint beaucoup, on veille, on dort, on cherche, on change, on meurt, on nait, on aime.  
« Durant ce voyage Modesta fut toujours attentive à épier la plus légère ébauche de sourire ou de tristesse sur le visage aimé ; et chacune de ses volontés, chacun de ses gestes, chacune de ses pensées, fut absorbée par le soin de scruter, prévenir les désirs, repousser la douleur latente qui, toujours aux aguets, venait ponctuellement troubler ce visage d’amour. » Epuisant. 
Bien que fusionnelle avec hommes et femmes, la peu modeste héroïne venant  de si loin des douleurs et de la misère est devenue tellement admirée qu’elle nous dispense d’une quelconque empathie à force de traverser la vie sans faillir.
De jolies notations : «  les couleurs viennent du cœur, les pensées du souvenir, les mots de la passion.» 
L’amour : «  Il me semble qu’on tombe amoureux parce qu’avec le temps on se lasse de soi-même et on veut rentrer dans un autre. » 
L’homme : «  Il ne peut pas créer charnellement une vie. Et alors il essaie de donner vie à des idées.»
La mort : «  Il est temps de se remuer, de lutter de tous ses muscles et de toutes ses pensées dans cette partie d'échecs avec la Certa qui attend. Et chaque année volée, gagnée, chaque heure arrachée à l'échiquier du temps, devient éternelle dans cette partie finale. » 
Livre d’une vie, un chemin vers la liberté:  « Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie les plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations des siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m'en servir, ceux que l'usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. »

1 commentaire:

  1. Je ne lirai pas 800 pages. Mais les quelques citations que tu mets sont belles, même si pour ma part, je n'entends pas si souvent que ça maintenant les mots "devoir", "âme", "humilité", "coeur" "sentiment", "piété". "Sacrifice" j'entends encore, mais dans un sens où je ne veux pas l'employer.
    Ce qui est remarquable, c'est que dans l'ensemble, "on" enfonce des portes ouvertes. Au moment où on est en train de clamer sur les toits pour la libération, SA libération, "on" vise ce qui n'est plus en mesure de nous enchaîner, tellement la prochaine aliénation est DEJA sur la place publique.
    Pourquoi est-ce que l'Homme (et la femme) ont toujours une guerre de retard ?...

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