dimanche 27 septembre 2020

Juliette Gréco.

Les mots de Mauriac, exhumés au moment de la disparition de celle qui mis en valeur tant de grands auteurs, rendent bien fade toute autre appréciation :
« Gréco, ce beau poisson maigre et noir, n’a pas besoin de sauce pour passer. Gréco fournit elle-même les câpres ! Noire et blanche, c’est la reine de la nuit. Son personnage est composé avec une science qui ne doit rien au hasard. Qu’elle est belle ! Et peut-être était-elle laide au départ. C’est une statue d’ivoire et de jais. Même les pommettes, on dirait qu’elle les a elle-même modelées. Beaucoup de chanteuses sont interchangeables. Gréco est le chef-d’œuvre unique de Gréco. Elle ne sera jamais prise pour une autre et aucune ne pourra jamais l’imiter. »
Et moi qui croyais qu’on ne voyait que Sartre dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, je goûte l’ironie de la conclusion de l’article du « Monde » extrait du Bloc Notes de celui qui fut un pilier du « Figaro ».
Dans notre mémoire, le Saint-Germain-des-Prés d’antan est plus présent que l’actuel et si j’ai connu davantage de prés à vaches que La Rhumerie et autre Magot, j’ai plus de tendresses pour le pont des Arts que pour celui de Catane. La réalité virtuelle avec ses apprêts a bien des attraits, même si comme disait Béart: « Il n’y a plus d’après… ».
Ce quartier chic du 6° arrondissement nous appartient comme Versailles ou « la grande route de Marchiennes à Montsou » * mais je ne sais dire à la manière d’une jeune chroniqueuse télé: « La » Gréco, comme si  elle était une familière de l’artiste et de cette époque. J’avais trouvé ce bref hommage entre deux brèves enjouées aussi prévisible que les RIP (Requiescat In Pace) expéditifs des réseaux sociaux.
La « dame en noir » - il y en avait d’autres- Piaf et Barbara, était suffisamment appliquée, jusqu’à en apparaître mécanique à la manière d’un Montand toujours très professionnel.
Mais l’insistance sur le trac qui l’accompagnait à tout coup parle plus de notre époque burnoutée que de l’angoisse qui accompagne naturellement ceux qui veulent satisfaire leur public, soucieux simplement de bien faire leur boulot.  
Sa liaison avec Miles Davis a été plus commentée que la pérennité d’autres relations, entrant dans les thématiques à la mode, alors qu’elle avait, elle, dérogé courageusement aux usages d’alors. 
On a moins parlé de l’hôtel Lutécia où l'interprète de "Sous le ciel de Paris" donnait ses rendez-vous depuis qu'elle avait retrouvé, là, sa mère et sa sœur après leur libération du camp de Ravensbrück.
Les retours vers le passé n’échappent pas aux effets de l’actualité, aux manières actuelles, aux évolutions de nos sensibilités. 
Si dans ma jeunesse, «  J’arrive »  de Brel ne me plaisait guère, alors que j’adulais le fort en gueule, le rappel que Gréco la chanta, rendent ces paroles adaptées aux circonstances. 
« De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Nos amitiés sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les autres fleurs font ce qu'elles peuvent
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les hommes pleurent, les femmes pleuvent
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois traîner mes os
Jusqu'au soleil jusqu'à l'été
Jusqu'au printemps, jusqu'à demain
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois voir si le fleuve
Est encore fleuve, voir si le port
Est encore port, m'y voir encore
J'arrive, j'arrive
Mais pourquoi moi, pourquoi maintenant
Pourquoi déjà et où aller?
J'arrive bien sûr, j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver?
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois plus solitaire
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois surnuméraire
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs pour être bien
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour le cœur en cendres
J'arrive, j'arrive
C'est même pas toi qui es en avance
C'est déjà moi qui suis en retard
J'arrive, bien sûr j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver? »
………………..
 * au début de Germinal : « Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres. »

 

1 commentaire:

  1. Très belle chanson... Je vais la rechercher pour l'écouter. Et... de saison, qui plus est. ;-)
    Ça fait déjà un certain temps que je me suis rendu compte que l'enjeu de la vieillesse était d'arriver aux chrysanthèmes sans avoir un coeur dur.
    Suspens... il faut beaucoup de doigté pour résister à la tentation pour... réussir sa mort, je trouve.
    On verra.

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