mercredi 16 octobre 2019

Entre Landes et pays basque.

Pins et bruyères, maïs et asperges. Nous prenons notre petit déjeuner à Saint-Jean-de-Marsacq où Guy se fait repérer comme touriste en demandant dans une de ces boulangeries qui ont prospéré au détriment des cafés, un pain au chocolat : une chocolatine, malheureux !
Nous nous amusons du GPS qui signale « Saint-Geours de Monsieur » car c’est écrit Saint-Geours de M. , abréviation de Maremne, comme l’imprononçable Saint Martin de Hx de chez Hinx.
Changement de paysage au passage de l’Adour : du terrain plat cultivé nous passons aux élevages des collines.
Les maisons basques d’un blanc frais ont leurs volets rouges ou verts sans exception ; l’identité et la tradition sont respectées.
Nous nous rendons à la villa Arnaga (Arraga, le nom de la rivière, « lieu de pierre » en Basque), vaste et magnifique maison d’Edmond Rostand à Cambo-les-bains.
Nous commençons par la basse-cour nommée « Chanteclerc » dans laquelle un coq parade et lance son cri opportunément.
"Je t'adore, Soleil ! ô toi dont la lumière,
Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel,
Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,
Se divise et demeure entière
Ainsi que l'amour maternel !
Je te chante, et tu peux m'accepter pour ton prêtre,
Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu
Et qui choisis, souvent, quand tu veux disparaître,
L'humble vitre d'une fenêtre
Pour lancer ton dernier adieu !
Tu fais tourner les tournesols du presbytère,
Luire le frère d'or que j'ai sur le clocher,
Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,
Tu fais bouger des ronds par terre
Si beaux qu'on n'ose plus marcher !"
La serre abritant des plantes grasses est charmante et le jardin à la française grandiose.
De l’immense pergola à la maison typiquement basque, un bassin souligne la symétrie des vastes pelouses délimitées par des haies de charmille ou bordées de fleurs.
Dans l’orangerie sont exposées temporairement des photos de la région Nive Nivelle dont un des photographes nous présente des images de pottoks (prononcer pottiok), petits chevaux vivant dans les Pyrénées, et des travaux d’amateurs ayant travaillé dans les ateliers animés par lui et des collègues.
« Toi qui viens partager notre lumière blonde
Et t'asseoir au festin des horizons changeants,
N'entre qu'avec ton cœur, n'apporte rien du monde
Et ne raconte pas ce que disent les gens. »
L’habitation, « poème de pierre et de verdure » imaginée par Edmond Rostand est décorée comme au théâtre : vitraux, et toiles au mur.
Un espace est dédié à Cyrano dont le succès a permis la construction de cette villa aux quarante pièces. 
Succès inattendu : Edmond Rostand avait dit à Coquelin son interprète qu’il regrettait de l’avoir embarqué dans cette aventure, juste avant la première applaudie pendant deux heures, le temps de 40 rappels.
Les artistes les plus en vue à l’époque ont travaillé à Cambo-les-Bains s’accordant aux différents styles: anglais, chinois, Louis XVI et Empire. Jean Veber, « le peintre des fées », dans ses caricatures avait critiqué par ailleurs la guerre avec férocité.
Au premier étage le sol de la salle de bains est recouvert de plomb sur lequel sont posés des caillebotis, un sèche-cheveux se remarque.
L’eau chaude coulait dans la douche. L’électricité et le téléphone ont été installés, ainsi qu’un calorifère. 
Un lecteur de disques cylindriques permet d’entendre la voix de Sarah Bernard. 
Le dressing de Rosemonde Gérard, sa femme : « Je t’aime plus qu’hier mais moins que demain » est installé dans des placards cachés dans les murs.
La salle à manger comporte une fontaine rafraichissante alors qu’une cuisine intermédiaire où est installé un impressionnant tableau électrique destiné à appeler les domestiques, fait la liaison avec la cuisine, en restauration(sic) actuellement.
Une pendule sonnant midi à 14h permettait de se débarrasser des pique-assiettes. Le concepteur était le père de Boris Vian.
Nous avons perçu des échos de visites théâtralisées quand nous nous trouvions au niveau de Roxane à son balcon mais ne nous attardons pas dans le jardin à l’anglaise, plus sauvage.

mardi 15 octobre 2019

Paroles d’honneur. Leila Slimani. Laeticia Coryn.

On peut souhaiter que cette centaine de pages dessinées après la parution du livre « Dans le jardin de l’ogre » de la lauréate du Goncourt 2016 avec « Une chanson douce » puissent faire avancer la cause. Mais la libération des femmes au Maroc en particulier n’est pas pour aujourd’hui.
Le constat d’une situation inhumaine est accablant, toute une société complice trouve dans les préceptes religieux de quoi  en opprimer la moitié et faire perdurer pour les mâles une situation également malsaine pour eux.
Ceux-ci veulent des femmes vierges et courent après d’autres femmes avec qui coucher avant et après le mariage. Certaines en sont à souhaiter la polygamie pour n’avoir pas à accomplir le devoir conjugal.
Les témoignages nombreux prennent l’allure d’un exposé décourageant ; l’aliénation qui s’y déploie rend accessoires les remarques esthétiques. Les couleurs ont beau être douces, la réalité est désespérante tant les mentalités qu’on aurait tendance à qualifier de moyenâgeuses - c’est pire nous sommes en 2019 - marquent les comportements. Les calendriers ne sont décidément pas accordés. Les débats sur l’écriture inclusive et autres billevesées paraissent encore plus dérisoires, le combat féministe est encore nécessaire dans le monde.
La « hchouma » (la honte) est le maître mot là bas, il appelle la peur, l’écrasement, l’hypocrisie, la mort sociale, la mort. Et le Maroc n’est pas le pire pays dit-on !

lundi 14 octobre 2019

Alice et le maire. Nicolas Pariser.

Qui n’a pas dit : « Lucchini n’en fait pas trop » ?
C'est effectivement le cas, même si je l’aime quand il en fait trop et en toutes circonstances, comme dans ce film qui évite d’être caricatural au moment où les politiques en prennent injustement plein les dents.
Nous les voyons ici, lucides, énergiques, sans une minute à eux avec une Anaïs Demoustier  qui apporte sa fraîcheur, sa sincérité.
Quand après d’édifiants discours et tant de paroles, des silences surviennent, les solitudes se dissipent un peu dans de furtifs moments de grâce telle la scène où le maire téléphone à point d’heure à sa conseillère, la sort de son sommeil et de son coup de blues.
Tout va vite. Pour qui est familier des débats sur la distance entre parole et action, le recours à la « common decency »  d’Orwell va de soi, de même que tant d’autres écrivains qui se voient cités au générique comme il est fait plus habituellement pour les musiques.
Film littéraire : les cadeaux sont des livres :
« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m’attachaient à eux. J’aurais aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes.» Rousseau
et Bartleby de Melville, celui de « je préférerais ne pas » dégageant en touche, en guise de conclusion.
Les préoccupations écologiques sont évoquées et si la présence de la ville de Lyon est plaisante pour qui reconnaît les lieux, elle est également puissante, si bien que le vrai maire n’a pas de souci à se faire pour son image : le dynamisme, le dévouement des équipes autour du personnage de Lucchini présentent positivement, à mes yeux, ceux qui travaillent au bien commun. Les staffs de communicants sont égratignés mais sans démagogie, comme sont évoqués sans s’y attarder les frottements d’égo, les embardées quand se cherchent des idées.

dimanche 13 octobre 2019

Dom Juan. Molière. Malis.

« Toutes……………. les belles…………….. ont………. droitdenouscharmeret l’avantage d’être rencontrée………………………. la première, nedoitpoint…………………………………………….. dérober………. aux autres lesjustes prétenTions qu’elles ont TOUTES sur nos cœurs. »
Des amis m’avaient averti, ils n’avaient tenu qu’une demi-heure. J’ai résisté 3 h et demie sur les quatre heures 45 promises, m’appliquant à peser les mots criés ou avalés avec une lenteur tellement excessive que le sens, au lieu d’être exhausté, se perd souvent.
La démonteuse en scène (inoccupée) arrive à dépeupler aussi la salle : ceux qui partent dérangeant ceux qui se sont endormis.
Dom Juan tape de temps en temps du pied, impuissant. Sganarelle soupire.
Les insertions de multiples «  voilà » ou d’adresses au public dignes d’un stand up n’arrivent pas à nous dérider. « Grenoble » est cité(e) et le valet a dégoté un rouleau de PQ pour signifier la farce, mais ajoute de la lourdeur à la longueur en nous l’expliquant comme il enfilera des banalités concernant l’art figuratif face à la statue du commandeur.
Il y avait de quoi faire avec cette pièce, à l’heure de #Me too, et pas seulement, l’affrontement de l’homme et du ciel étant plus que jamais d’actualité.
Molière n’en parait que plus grand, après cette trissotine purge, les trucs plaqués pour plaire aux Inrocks vieilliront plus vite que le texte de 1665 dont je n’avais pas perçu auparavant la distance de classe qui séparait le courtisan des paysans et paysannes.
Les pantomimes du serviteur du XXI° siècle ont effacé l’audace du XVII°.
J’aurai dû me relire, même si j’avais été moins sévère avec Marie-José Malis http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/11/la-volupte-de-lhonneur-luigi-pirandello.html et passer cette fois mon samedi soir devant la télé jusqu’à point d’heure.

samedi 12 octobre 2019

Réussir sa vie. Yves Cusset.

Si je n’avais pas été appâté par un rédacteur d’un journal vespéral, je ne serais pas allé chercher ce livre qui s’attaque aux gourous rebaptisés coachs et autres marchands de pensée positive.
Sous sa couverture lisse aux angles arrondis avec la silhouette d’un Milon de Crotone montrant ses muscles au dessus d’un sticker doré : « the ultimate guide », ces 240 pages, dont deux pour écrire ses propres notes « inspirées et inspirantes », auraient pu figurer parmi ces ouvrages de développement personnel qui attirent en masse des lecteurs qui s’obstinent encore à fréquenter les librairies.
La quatrième de couverture met la puce à l’oreille:
« … écraser votre voisin en pleine conscience, être résilient sans souffrir, trouver en vous la volonté de vouloir, méditer, inspirer et, surtout expirer. »
L’auteur agrégé de philosophie s’est mis au stand-up mais ne se contente pas de démonter les mots à la mode, il fait la preuve que le meilleur des remèdes au mal de vivre est l’humour.
Il peut se permettre des jeux de mots calamiteux tels que «  Valenciennes ne vaudra jamais Sienne » pour aérer un texte ou chaque phrase pourrait se poser en vérité absolue sur le même ton que les apôtres du développement personnel dont il se moque avec finesse.
«  Tout s’est bien passé, j’ai bien trépassé ». Bref la mort ne se vit pas… »
Les fausses citations abondent et la mauvaise foi ne manque pas.
Aristote est sollicité comme Ronald mcDonald, le Mahatma Marishnaki Haranesh Vahitmati Jivan Babaji, dit Baba ou Caton le vieux :
«  Il faut devenir vieux de bonne heure pour rester vieux longtemps ».

vendredi 11 octobre 2019

Nos papiers.

J’aime le foot pour les facilités qu’il offre dans la lecture des mouvements de la société.
Je connais de nombreux amateurs qui se désintéressent d’un championnat déséquilibré depuis que les finances ont aboli la glorieuse incertitude du sport. Mais le plaisir d’un gône avec ses nouvelles chaussures à crampons ne s’abolira pas dans les touffeurs quataries.
Nos conversations à propos de la politique se sont raréfiées, les rangs des lecteurs de journaux se sont clairsemés. L’hystérie des réseaux sociaux, les outrances de certains commentateurs, fatiguent les citoyens les plus attentifs.
Si je fais coïncider la date de mes vacances de jadis avec la suspension de mes abonnements papier, c’est pour retrouver avec plaisir un rituel qui réactive une attention plus approfondie aux évènements du monde, bien que j’ai continué quelque peu à céder aux séductions des magazines.
Ainsi ces réflexions de Kamel Daoud dans Le Point voyant un jeune parmi la foule dansant après la victoire de l’Algérie sur le Nigéria en coupe d’Afrique des nations :
« Ce corps me fascine, il est l’expression d’une contradiction insoutenable : ce même jeune ira prêcher Dieu, ou la « femmophobie », ou la pureté, mais son corps, à la première victoire de football, le trahira, dansera. Je me dis que la religion, c’est quand l’âme enveloppe le corps et que cette âme est déjà morte depuis de siècles et qu’il n’en subsiste que les pierres des temples et des interdictions de jouir. Cette joie là, nue et désordonnée, fait aussi peur, car elle suppose un saccage et un désordre nécessaires. Ces millions de jeunes sans corps et dont la vie est sans issue sont la grande misère de ces géographies, sa force dilapidée. On les verra aller mourir ou se radicaliser. On les verra choisir le paradis et pas la tendresse, le ciel et pas une histoire d’amour, une chaloupe et pas une maison. »
Déplier les pages d’un journal qui ont coûté des arbres, permet de distinguer information et interprétation, caricatures et avis contradictoires. A nous de choisir, d’exercer notre liberté.
Nos machines où se poussent nos pouces, font de la mousse, tout en nous impressionnant  tout autant que des bébés de moins de deux ans.
Ainsi imbibés nous sommes devenus inattentifs et impatients, glissant vers l’imbécillité.
On avait cru révérer quelque déesse de la sagesse et c’est Morphée qui a ouvert un œil  et l’a refermé, fatiguée des métaphores à la chaîne, elle s’avoue vaincue par les tweets des maîtres du réel.
Me défendant de cultiver comme une distinction celle de lecteur persistant, je me garderai aussi de rabâcher « c’était mieux avant ». Où va l’avant ?
J’essayerai seulement de garder comme un talisman le pouvoir de m’émerveiller en captant chez ce petit garçon qui entame son premier match, un peu de sa hardiesse, de son énergie, de son envie de bien faire.
.......
Mais il faut de la patience: en ce moment, les journaux sont livrés avec retard.
Alors je poste après coup, ce dessin pris dans "Le Soleil" qui parait au Québec repris dans Courrier International.

jeudi 10 octobre 2019

Photojournalisme. Nick Yap and Amanda Hopkinson.

J’inscris à la rubrique Beaux arts, ce livre de photographies qui fait le pont entre cadrages originaux et réalité plus évidemment que quelques mots pourtant précieux face au quotidien.
Il s’agit d’un dictionnaire pour le format, 800 pages, et l’impression d’exhaustivité et d’universalisme. Chaque page trilingue Anglais Allemand et Français nous rappelle cette ambition d’autant plus que bien des photographies qui reviennent sur 150 ans de  notre histoire universelle apparaissent nouvelles à mes yeux de frenchie.
Ce ne sont pas que des  images de guerre qui lestent ce volume de trois kilos, mais aussi les inventions, les constructions, les évènements culturels, sportifs, sociaux voire mondains : la galerie des glaces à Versailles transformée en hôpital, la grosse Berta qui avait une portée de 122 km, taille de guêpe et derviches tourneurs, Rudolf Valentino le cambrioleur et Mohamed Atta qui pilotait un des avions qui percuta une des deux tours à Manhattan ...
La reine d’Angleterre, en 1908, avait fait rallonger le marathon des jeux olympiques d’un kilomètre et demie pour qu’il parte sous les fenêtres de la princesse Mary. L’italien, vainqueur de l’épreuve soutenu par Conan Doyle (père de Sherlock Holmes) sur la ligne d’arrivée, fut disqualifié.
Autour du destin du bateau gigantesque le « Great Eastern » alliant roue à aube, hélice et voile se prouvait l’audace, l’inventivité des hommes. Mais tant d'accidents retardèrent son lancement qu'ont persisté des légendes avec la découverte du squelette de deux ouvriers enfermés parait-il dans la double coque, leurs fantômes continuant à frapper contre les parois du bateau maudit.
Les anecdotes se mêlent aux évènements qui prennent toute leur profondeur avec le recul des ans. 
Les visages de Darwin, Raspoutine, précèdent ceux de Thatcher, de la princesse Grace, ou  celui de Florence Thomson et ses deux filles qui se cachent, prise lors de la grande dépression des années 30 par Dorothéa Lange.