mardi 29 mai 2018

Paysage après la bataille. Eric Lambé Philippe De Pierpont.

Excellent titre pour ce gros livre, un livre fluide dont on parcourt les 400 pages, curieux de découvrir le mystère d’une femme s’installant hors saison dans un camping.
Les dessins, touchent à l’abstraction à force de dépouillement et leurs attraits graphiques approchent subtilement une réalité où un drame passé se révèle et se surmonte.
Des citations ne seraient pas significatives, tant les mots sont rares, mais chers, dans cet univers silencieux. 
Les paysages sobres se peuplent d’images d’un passé à recomposer.
Le gardien reconstitue des puzzles, un bûcheron  ancien boxeur nous apprend ce qu’est un « shadow partner », un couple de gentils retraités se montre parfois indiscret.   
Le Fauve d'Or du  festival d'Angoulême 2017 a récompensé cette œuvre poétique, variante bienvenue dans la bande dessinée où humour, reportages, séries fantastiques, occupent plus volontiers les rayonnages.

lundi 28 mai 2018

Le ciel étoilé au dessus de ma tête. Ilan Klipper.

Les états d’âme d’un écrivain quinqua hystérique ne constituent pas qu’un film - comme on ne dit plus - germano pratin de plus. La famille juive caricaturale à souhait donne un caractère comique au film. Mais il  a d’autres ambitions : telles que d’emprunter la ligne de crête qui passe entre folie et raison, créativité et conformisme, solitude et perte de personnalité. Les relations transitant par les réseaux sociaux sont vivement traitées, ainsi que la précarité des situations, la volatilité des accointances, la lucidité dissolvante et les dénis les plus butés.
Les acteurs sont excellents. Le film empruntant les pistes les plus inattendues, nous assourdit et nous secoue, nous renseigne sur l’époque, tout en nous fournissant un moment agréable de distraction.
La formule complète de Kant parle après « le ciel étoilé » de « raison morale au fond de mon coeur » ; celle-ci morale ou non a déserté la chambre encombrée de l’éternel étudiant.

dimanche 27 mai 2018

Achterland. Anna Teresa De Keersmaeker.

Je ne savais rien avant cette représentation sauf le plaisir de spectacles précédents
que j’avais quittés en état de lévitation.
Alors plus dure a été la chute, même pas amortie par le fait d’apprendre qu’il s’agissait de la reprise d’une création de 90. C’est qu’en particulier concernant l’image de la femme, les temps ont changé, depuis que les porcs se sont fait charcuter. Le jeu avec les stéréotypes, petites culottes, talons aiguilles, a pris un coup de vieux. Et ce n’est pas en ridiculisant un incongru bonhomme sans pantalon aux mouvements de bassin pathétiques que les coups se rattrapent.
La chorégraphe nous a toujours enchantés par sa précision encore présente et aussi par la concordance des gestes avec la musique. Et là, les compositeurs György Ligeti peu délié et Eugène Ysaÿe aux sonorités très expressives pour elles-mêmes, ne facilitent pas la tâche, malgré d’excellents interprètes au violon et au piano.
Quand la musique s’arrête, les tapotements discrets ou les courses ténues parfaitement coordonnées nous font retrouver notre chorégraphe bien aimée.
J’ai tenté de prendre ma revanche sur mes camarades de MC2, lassés de Galotta qui présente aujourd’hui moins de danseurs courant sans cesse sur le plateau que ce soir.
Mais passer la moitié de l’heure et demie en installation de plateau avec danseurs couchés par terre m’a lassé tout en me rappelant des élèves friands de glissades dès qu’ils voyaient une surface lisse.
Les huit hommes et femmes se rejoignent parfaitement avec pour chaque tableau, l’un d’eux « à la bourre », mais ils paraissent solitaires et ne produisent guère d’émotions.
L’harmonie ne tient pas, le temps est long dans cette arrière pays daté.

samedi 26 mai 2018

Le mec de la tombe d’à côté. Katarina Mazetti.

Lu d’un trait comme on s’envoie un verre d’aquavit, avec des rires quand ça arrache.
Un agriculteur vient fleurir la tombe de sa mère et rencontre une jeune veuve bibliothécaire.
Sur la trame classique d’un amour entre deux êtres que tout oppose, l’humour et le romantisme de ce livre en ont fait un best seller en Suède (500 000 exemplaires pour 9 millions d’habitants).
Tous les stéréotypes sont revisités: chacun donne son point de vue en chapitres alternés, surjouant son personnage.
L’humour permet les explorations les plus intimes: horloge biologique, identité et concessions,  les amis, les maisons... Jamais le style ne méprise:
« Impossible de décrire ce sourire là sans plonger dans le monde merveilleux des vieux standards de bal musette. »
La fracture culturelle est explorée, labourée avec une vigueur en aucun cas vulgaire :
« J'étais tombé amoureux d'elle. Ce n'était pas exactement un déclic. Plutôt comme quand je touche la clôture électrique sans faire gaffe. »
Sentimental et expérimental, quand il s’agit de « réparer une bulle de savon éclatée » :
«  Je veux bien utiliser les moyens du bord et faire flèche de tous bois. Mais tout ce que j’ai sous la main, c’est une poignée de brindilles toutes tordues. »
Très d’actualité :
«  Ce n'est pas parce que je suis un homme que je vais endosser ce que font les autres hommes ! Est-ce que toi tu endosses la culpabilité de toutes les saloperies que les blancs ont faites aux autres races ? Et toi, tu es une vraie blanche ! » Beige, même.
Ces 250 pages se concluent d’une façon ouverte et inattendue avec ce qu’il convient de gravité.
A votre santé !

vendredi 25 mai 2018

Un arbre en mai. Jean Christophe Bailly.

« Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles  à certaines heures pâles de la nuit » chantait Ferré, alors que dire pour les auteurs qui m’ont déçu comme Djian ou Despentes, méprisant leur public à Bron où j’étais venu les écouter, ou Bailly contredisant sa volonté d’accueillir des paroles singulières et s’énervant bien vite quand un intervenant cite un auteur qui ne lui convient pas ou minimisant le rôle des cathos de gauche ?
J’ai pourtant aimé ce dernier livre fin, sensible, nuancé, chaleureux, honnête, plus poétique que politique, du magistral auteur du "Dépaysement" http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/09/le-depaysement-voyages-en-france-jean.html
Il a su retranscrire la fièvre d’alors et le souffle qui nous emmena au dessus de nos conditions.
Il mesure le temps qui a passé, depuis ces jours entre Nanterre et le quartier Latin qui ont nourri son travail  d’écrivain au-delà de la thématique de 72 pages écrites en 2004, édités pour le cinquantenaire. 
«  Plus l’action politique devenait astreignante et répétitive, plus la part de poème se chargeait d’illusion, de nostalgie, elle protestait en face d’une efficacité d’ailleurs de moins en moins probante, elle protestait contre le fait même d’être une part, un contre-chant, une évasion. »
Après une nuit d’émeute, le chant des religieuses qui l’ont caché avec quelques comparses, affirme la beauté des matins.
« Peut être pourrait-on dire que de mai la mort fut absente » écrit-il alors que la belle métaphore de l’arbre de mai enraciné dans l’histoire et porteur d’avenir lui semble mort aujourd’hui.

jeudi 24 mai 2018

L’art du retable peint en Allemagne. Daniel Soulié.

L’Allemagne n’a pas connu de crise iconoclaste comme la Suisse ou l’Angleterre, si bien que de 10 000 à 15 000 œuvres de la période médiévale ont pu être conservées.
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/11/retables-sculptes-en-allemagne-daniel.html
Le conférencier a présenté devant les amis du musée de Grenoble la diversité des traditions picturales en Allemagne concernant essentiellement des antependiums (qui pend devant l’autel) en bois, des retables.
Le Christ en majesté (1170) dans sa mandorle tricolore, dont le blanc sépare le bleu du ciel du rouge de la terre, entouré des symboles des quatre évangélistes Matthieu (l’ange), Marc (le lion), Luc (le taureau),Jean (l’aigle) est présenté à Münster en Westphalie.
Dans cette région, à Soest, ville de la ligue hanséatique, au croisement des routes allant de Cracovie à Cologne, cette Trinité de 1230, avait été recouverte de peintures nouvelles au XVI° siècle; restaurée elle n’en a que plus d’éclat. Les influences du style byzantin, avec les icônes ramenées dans les bagages des princesses installées dans le Saint Empire Romain Germanique, sont visibles dans les figures longilignes et les plis cassés.
Vingt-quatre scènes peintes (≈7 m X 3 m) par Maître Bertram à Hambourg forment le plus ancien polyptique d’Allemagne du Nord, il se rattache au style en vogue alors à la cour de Prague.
Le Maître de la Sainte Parenté l'Ancien a peint Marie et l'Enfant en conversation dans un jardin avec sa mère Anne et Elisabeth en compagnie de son petit Jean Baptiste. Les êtres célestes sont aimables, les conversation charmantes. Le fond doré, qui plaçait le fidèle hors du temps et de l’espace, caractéristique de l’art médiéval, disparaîtra avec les paysages venus des Pays Bas.
A Cologne, les rois mages sont souvent représentés, c’est que la châsse contenant leurs reliques est là depuis 1164.
Le retable qui les représente dit aussi Retable des patrons de Cologne par Stefan Lochner, met en valeur les brocards à la façon de l’école flamande.
La Passion à Aix la chapelle juxtapose les scènes avec le bon larron à la droite du Christ et le porteur de lance qui se convertira, alors que le porteur d’éponge est toujours à gauche comme le mauvais larron.
Les retables étaient ouverts seulement pour les fêtes, d’où la luminosité intacte des couleurs. Quelle précision des anatomies du maître de Vyšší Brod ou maître de Hohenfurth dans  cette Scène de la Nativité !
Quelle finesse chez La Madone au buisson de roses, au Wallraf-Richartz-Museum à Cologne qui abrite la plus importante collection au monde de peintures médiévales !
Quelle puissance chez Grünewald, attaché au service de archevêque de Mayence, dont La crucifixion est exposée à Karlsruhe,
alors que Le lavement des pieds du Maître du Livre de Raison est si serein.
Parmi une impressionnante diversité de styles, entre « influences néerlandaises et premiers apports italiens », Holbein l’ancien permit le passage du gothique tardif vers le style renaissance, sa Passion grise en 12 panneaux est passionnante.
Le retable Miroir du Salut  du Souabe Konrad Witz qui met en correspondance des épisodes du nouveau et de l’ancien testament, est incomplet et ses toiles sont dispersées.
La perspective est soulignée par l’architecture quand Dürer réalise une Nativité entre Saint Georges et Saint Eustache pour le Retable Paumgärtner au début du XVI°à l'Alte Pinakothek de Munich.
« On a dressé des cathédrales,
Des flèches à toucher les étoiles,
Dit des prières monumentales,
Qu'est- ce qu'on pouvait faire de mieux ? »
Francis Cabrel

mercredi 23 mai 2018

1917. Jean Christophe Buisson.

Non ce n’est pas le fils de Patrick Buisson qui a relevé au jour le jour les évènements de cette année là, mais sans être d’une originalité transcendante, ces 320 pages nous donnent un aperçu agréable à lire de « L’année qui a changé le monde ».
Le premier janvier, le cadavre de Raspoutine est retrouvé dans la Neva, le 10 Buffalo Bill disparaît. Le 27 décembre, Lénine rédige un projet de décret dans lequel il propose que « les saboteurs, les fonctionnaires en grève et les spéculateurs » voient leurs biens confisqués et soient condamnés à « un emprisonnement, l’envoi au front ou [aux] travaux forcés. »
La vierge apparaît plusieurs fois à Fatima, le premier disque de jazz est gravé, pendant que le « Baron rouge » et Lawrence d’Arabie faisaient l’actualité.  
Nous suivons le fil des actualités d’alors, de Vallotton à Verdun, depuis les fronts de l’Est, ou d’Orient, de Petrograd (Saint-Pétersbourg) jusqu’à Halifax:
« Dans le port canadien de Halifax plongé dans la brume, un bateau norvégien entre en collision avec un bateau français chargé d’explosifs, le «Mont blanc », déclenchant la plus grande explosion de l’histoire provoquée par l’homme (elle est entendue à 400 km). Le bilan est épouvantable : deux mille morts, neuf mille blessés. »
La modernité s’installe dans l’art, la « fontaine » de Duchamp nous étonne encore.
Se mêlant aux péripéties politiciennes, les anecdotes alternent avec les drames :
«  Le croiseur Aurora, qui a quitté sa base de Cronstadt pour mouiller à proximité, ouvre le feu sur le palais d’hiver (une salve à blanc)[…] au théâtre Mariinsky, on donne Boris Godounov ; au Narodni Dom, le célèbre ténor Chaliapine chante Don Carlos. »
De nombreux documents photographiques agrémentent l’ouvrage et des focus sont proposés concernant des personnalités qui vont faire parler d’elles : Mussolini, Proust, Freud…