mercredi 18 octobre 2023

Paris au hasard.

Entre deux rendez-vous pris à l’avance pour d’incontournables expositions, la richesse de Paris se mesure aux rencontres de hasard entre deux adresses prestigieuses.
Inutile de recenser tous les lieux à spritz et les bonnes fortunes à tartare ; 
les terrasses bien garnies se passent  de recommandations 
depuis « Di tutto un po’» pizzéria du Pré Saint Gervais
au souvenir du « Train bleu » de la gare de Lyon fermé en ce moment.
Il fait bon flâner au bord du port de l’Arsenal à côté de Bastille où les bateaux de plaisance ont remplacé les péniches qui déchargeaient là du blé, du bois et du vin.
Ses quais sont moins couru que ceux du canal Saint-Martin avec ses passerelles, 
son « Hôtel du Nord » reconstitué en studio pour le film du même nom, 
à l’accent parigot caractéristique: 
« Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? »
Proche de la TGB « Très Grande Bibliothèque » comme on disait jadis quand  Mitterrand   l’avait commandée,
la péniche bar restaurant du « Quai de la Photo » expose Martin Parr qui est vraiment à sa place sur le thème de la plage : «  Life’s a Beach ».
Il pourrait faire son miel avec « Paris Plage » installé non loin de Notre Dame enserrée dans ses échafaudages. Elle rassemble pourtant les foules bien renseignées sur l’état d’avancement des travaux colossaux de réfection entrepris depuis l’incendie de 2019.
Le Marais est riche de ses terrasses aux couleurs arc en ciel et de ses restaurants à pitas, falafels, keftas, pastrami comme «  Chez Marianne ».
On a ses snobismes et ses goûts people : en allant chercher un glace chez Berthillon sur l’Ile saint Louis espérait-on rencontrer l’inoxydable Brigitte Fontaine qui habite dans le coin ?
Nous avons fait l’impasse cette fois d’un thé aux Tuileries, préférant les parois du passage sous-terrain de 800 m occupées par des fresques qui finissent par ne plus étonner tant nous sommes abreuvés de toutes parts d’images de Street Art.

mardi 17 octobre 2023

Alex, Brigade Verhoeven. Bertho Corboz.

J’évite pourtant les séries de plus en plus nombreuses également dans la BD et je suis tombé sur la troisième enquête de la brigade inspirée par un roman de Pierre Lemaitre,  si bien que des allusions au passé du commissaire n’ont pas éclairci un récit déjà elliptique, tendu, diabolique.
Mais peu importe, et je peux spoiler sans vergogne, puisque c’est l’atmosphère qui compte, glauque à souhait et on ne peut plus perverse avec belle rousse enfermée dans une cage entourée de rats aux yeux rouges.
« Avec les preuves et le journal intime, le jury ne verra que le monstre que vous êtes. Alex sera une pauvre petite qui a beaucoup souffert et s’est vengée de ses tortionnaires avant de se faire tuer par son frère. » 
Vite feuilleté, bien dessiné et colorié, au bout des 70 pages sordides, on peut respirer.

lundi 16 octobre 2023

Les Herbes sèches. Nuri Bilge Ceylan.

G
rand, très grand film, magnifique et profond, fouissant les ambigüités d’une adolescente, de deux hommes et d’une femme en manège à trois.
L’hiver anatolien est photogénique pour le personnage principal auquel le réalisateur n’a pas donné le beau rôle, mais ce prof de dessin au magistère amer nous interroge. Les rapports qu’il entretient avec son colocataire, ses élèves, le mépris qu’il porte au milieu dans lequel il s’estime relégué est racheté par son regard poétique sur une nature qui ne connaît que deux saisons où les herbes à peine délivrées de l’hiver sèchent très vite sous le soleil.
Il se pourrait bien que ce soit une métaphore de la vie examinée à travers de riches dialogues où il est question d’envies d’ailleurs, de conflits entre liberté et fraternité. 
La mélancolie adolescente peut sévir de part et d’autres du bureau du maître, les questions existentielles ont plus de sens dans un village glacé qu’au bord du bobo canal Saint Martin.
Une fulgurance cinématographique nous rappelle que nous sommes au cinéma et dans le même souffle nous offre un miroir pour nos humaines faiblesses. 
Il fait bon retrouver le réalisateur
dans une durée de 3h 20 convenant parfaitement pour compléter les obscurités non révélées sous une couche de neige crissante.

dimanche 15 octobre 2023

Péplum médiéval. Valérian Guillaume Olivier Martin-Salvan.

Dans ce spectacle de deux heures, le monde des enluminures moyenâgeuses veut échapper aux couleurs sombres qui collent à ces temps oubliés. 
La troupe de quinze acteurs part à la recherche d’une nuit perdue avec ses étoiles.
Les costumes inspirés de cartes à jouer ou d' Errol Flynn, Robin des bois en collants verts, sont éclatants, les lumières ravissantes.
Le plateau est bien garni de personnages Play Mobil qui auraient rencontrés Breughel et Jérôme Bosch au pied d’un château fort à l’esthétique Légo.
L’entreprise s'avère originale mais pour que l’ensemble composé de personnes handicapées puisse atteindre tous les publics, les glossolalies aux intentions poétiques devraient moins embrouiller le propos.
Un tempo plus resserré éviterait des attentes un peu longues entre deux tableaux réussis, telle la prolifération de figures macabres aux airs de fête mexicaine.
L’image autour d’un arbre bourgeonnant est riche bien que soit contestable l’idée que l’amour  puisse être menacé par le travail, l’école et l’église, quand à notre époque les remises en question du travail, de l’école, de l’église occupent toute la place d’où l’amour n’est plus guère à l’ordre du jour. 
Les comédiens se positionnent souvent en spectateurs de leurs farces lues sur les fesses d’un roi plus fou du roi que roi ou lors d’un conte déchiffré sur les paupières d’un peintre.
Le travail de deux ans pour présenter ce spectacle parfaitement réglé force le respect.

samedi 14 octobre 2023

Au commencement du septième jour. Luc Lang.

Livre lu avec voracité d’autant plus que la découverte d’un auteur est excitante, tant  le style  est puissant, précis, faisant confiance au lecteur. 
« Il s’assoit, commence à manger, taraudé par son éternelle gourmandise, les goûts sont enivrants, les consistances délicates, soyeuses. Mais les ondes gustatives sont sans force, sans persistance ni métamorphose, elles sont courtes et sèches,  elles claquent et s’éteignent comme les couleurs avortées d’un feu d’artifices sous une pluie d’orage »  
Trois livres en un de 622 pages. 
Trois univers l’un proche est impitoyable, l’autre grandiose, le plus éloigné désespérant, sont décrits magnifiquement : papa travaille dans l’informatique, son frère ainé élève des moutons dans les Pyrénées, au Cameroun, la sœur essaye de soigner. 
« Les vitres étaient baissées et, malgré la vitesse, l'atmosphère croupissait, liquoreuse. » 
Maman a eu un accident très grave, les enfants, les « tigrichons », vont la voir.  
«  Bonjour mesdames, voici Elsa et Anton, nos enfants. 
Elles abandonnent leur travail viennent saluer « la demoiselle et le grand garçon en visite »
Dans ce roman dense, haletant, des souffrances, des chutes, des repères qui fuient, GPS et voiture moribonde, les autoroutes, les pistes défoncées, des questions sans réponse, des rêves, des cauchemars, et  des moments de grâce, de poésie, des occasions de réfléchir :   « Mais chez vous, en Europe, l'obsession de s'accroître, de s'étendre, de grossir, accapare tout votre être. Vous en oubliez le passé qui pourtant vous irrigue, vous courez au-dessus de l'abîme et découvrez le présent à l'instant de votre mort, comme la remontée soudaine d'une mélancolie du futur... »

jeudi 12 octobre 2023

Art contemporain # 3. Gilbert Croué.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble continue à nous faire partager ses découvertes sous la forme de l’an dernier: 
5 artistes venant de cinq pays exerçant avec 5 techniques différentes. 
L’américaine vivant à Zurich, Clio Newton (34 ans) dessine avec la plus archaïque technique:
la racine calcinée du fusain. « Sarah ».
La représentation d’« Anabella » est encore plus impressionnante 
quand on sait qu’elle aussi mesure  plus de 2 m de haut.
Les modelés nés du noir, s’estompent pour nuancer la lumière magnifiant les peaux. « Aman »
Des gommes « mie de pain » font ressortir les brillances : « Venus ».
Le noir creuse, le blanc met en avant. « Jaran »
Le brésilien Vik Muniz (62 ans) partageant sa vie entre Rio et New-York recherche les matériaux les plus inhabituels pour les photographier en 10 exemplaires
« The Floor Scrapers after Gustave Caillebotte» se référant à l'histoire de l'art, à agrandir.
Dans l’« Autoportrait en oriental » une roue de vélo donne une idée de la taille de l’éphémère œuvre originale née des ordures.
Il sculpte la poussière, « Fossile »
dessine avec du sucre, « Valicia en habit du dimanche »
avec du chocolat : « Sigmund »
ou du caviar pour « Marx ».
Pour le prix Nobel de littérature « José Saramago »
il choisit de la terre de son pays natal, le Portugal.
Le portugais autodidacte, Sergio Odeith (47 ans) est devenu une star du street art, 
«  Bloc de béton, autobus »
virtuose de l'anamorphose comme Holbein
Ses insectes sont saisissants, « Mante religieuse »
ou son « Léopard » au Qatar. 
Il est sollicité par Coca Cola, Benfica ou l’aéroport d’Heathrow …
L’artiste basé à Athènes Adam Martinakis (46 ans) crée des sculptures numériques.
Dans «  Golden boy »
ou « Dernier baiser » les corps d’albâtre anonymes deviennent universels, arachnéens.
Dans ses chorégraphies, les corps sortent de leur enveloppe.
« The Inevitability Of Time /pieta »
revient à l’histoire et
 
dans « With the unknown »  les pixels circulent.
Shadafarin Ghadirian
(39 ans) photographe iranienne rend plus présente la condition indigne des femmes de chez elle en masquant leur visage derrière des objets qui lui ont été offerts à l’occasion de son mariage,
dans sa série « Comme tous les jours » 
ou « Qajar » : 
des femmes du XIXe siècle se retrouvent avec des objets anachroniques proscrits (Pepsi, VTT…)
« Nil, Nil » à dire sur le ton : « non, rien… rien » quand c’est trop grave pour en parler. 
Bien regarder la tache de sang sur les chaussures.
« Be Colourful »
met des couleurs aux voiles. 
(600 morts depuis l’assassinat par la police de Mahsa Amini pour « port du voile non conforme à la loi »)
« Miss Butterfly » s’inspire d'un conte iranien : 
Une araignée, ayant pris un papillon dans sa toile, impressionné par sa beauté, lui propose de le libérer s’il lui rabat quelques insectes. Mais celui-ci refuse et l’araignée le libère, touchée par son courage. Les insectes restés dans la cave n’ont pas voulu suivre le beau lépidoptère vers la lumière.
L’humour, la délicatesse peuvent être efficaces.