mercredi 6 avril 2016

In extremis. Francis Cabrel.

Comme je me mets à douter de mes fondamentaux, je n’ai pas acheté le dernier Souchon avec Voulzy, je suis allé vers Cabrel qui s’était fait attendre, comme on retrouverait un vieux pull, pour emprunter une image usée. Malgré les moqueries répétées de ceux qui parlent pointus, je persiste à aimer Francisse, nourri au folk qui chante encore en français
A écouter plusieurs fois le titre « Azincourt »
« Et leurs chevaux trop lourds
Dans la boue jusqu’aux flancs »
qui m’avait semblé anodin d’emblée, je le trouve bien troussé maintenant, alors qu’« A chaque amour que nous ferons » vire au languide.
Cette livraison est tournée vers la chanson avec «  La voix du crooneur »  en blues grise,  
« Aux fontaines du jazz » et dans « In extremis » :
« Chanter dans une langue éteinte »,
 qui va au delà d’une lamentation quand s’efface la langue occitane.
Est introduit un joli rappel de « se canto, se canto » à bouche fermée, émouvant.
Après un hommage à Jésus : « Dans chaque cœur », il revient sur «  Mandela pendant ce temps » :
« J’étais un presqu’adolescent
Tracassé par le rock naissant »
il monte sur la scène.
Alors que dans ses chansons politiques : « les bandits règnent » dans « Le pays d’à côté »
il campe au pied de la tribune « Dur comme fer »
« Je ne pense qu’à vous
 Je ne pense qu’à vous plumer »
ou dans la plus allusive  « Pas si bêtes » :
dans « ses habits rapiécés », il regarde « celui qui tient les manettes ».
 « Partis pour rester », l’expression méritait quelques couplets :
« Et même sous les pas d’une reine
La grande aiguille se déplace »
Autour du temps qui passe, les manèges et leurs fusées de carton mélancoliques, nous emmènent loin dans  «  Les tours gratuits », bien tournés.

mardi 5 avril 2016

La revue dessinée. Printemps 2016.

La qualité du trimestriel de 228 pages vendu 15 € se vérifie à chaque livraison.
Pédagogique : Il en faut de la clarté et de l’humour pour nous faire comprendre un peu mieux ce qu’est un  PPP (Partenariat Public-Privé), à ne pas confondre avec la DSP (Délégation de Service Public), voire la MOP ( Maîtrise d’Ouvrage Publique) qui ne sont pas des modalités réservées à des techniciens mais formatent nos paysages et induisent fortement des politiques. Illustration avec un reportage à la cité sanitaire de Saint Nazaire. Edifiant édifice.
Dans la rubrique scientifique, nous pouvons comprendre l’utilité et la beauté des équations pour prévoir l’évolution des populations de poisson rouges, d’éléphants et de nos semblables.
Sortant des sentiers battus : A la suite d’une jeune femme d’un milieu aisé en Iran dont le moindre geste volé à la surveillance démente du régime est une victoire.
De jolies rencontres : Au garage associatif, « le garage moderne » à Bordeaux guidés par Dominique une femme passionnée de mécanique. En Bolivie et en France avec des chefs cuisiniers formateurs auprès de jeunes des bidonvilles ou de fourvoyés de la vie qui se remettent ainsi en selle.
Un dévoilement : A 2 km de l’Elysée, les conditions de travail les plus dures pour les coiffeuses sans papiers de la rue de Strasbourg, les belles de jour et de nuit de la rue Saint Denis, les manutentionnaires d’un Sentier en perte de vitesse : que font la police et l’inspection du travail ?
Des rappels : L’actualité des migrants est devenue tellement banale qu’on ne sait plus que l’année dernière 3700 personnes ont péri en mer Méditerranée, et 1760 malheureux dans le Sahara entre 1996 et 2013. 
« Depuis 2000 l’Europe consacre près d’un milliard par an à la surveillance des frontières, les migrants dépensent la même somme pour tenter de les franchir. »
Un retour sur la liberté d’expression après la tuerie de Charlie : le blasphème. Diablement politique.
Les chroniques habituelles, concernent
la sémantique : cette fois autour du mot « barbare »,
un sport rare : « la pétanque nantaise »,
la musique : Sky Saxon icône du Rock garage, dans la rubrique « face B »
… mais ce serait l’autre face, je n’en saurais pas plus.
Il faut bien de la finesse à ces dessinateurs pour m’intéresser aux mathématiques, au rock de garage et aux PPP…

lundi 4 avril 2016

Sleeping giant. Andrew Cividino.


L’été de toutes les découvertes s’ouvre pour un gentil garçon de bonne famille acoquiné à deux cousins dans le défi permanent.
Le jeu de la vérité peut s’avérer meurtrier : la nature n’est pas qu’un décor pour saines activités estivales en milieu occidental. Ce n’est pas elle la plus sauvage, nous sommes pourtant au Canada. L’adolescence découvrant les failles des adultes et les distances sociales est touchante et douloureuse. Le bruit des feux d’artifices résonne dans le vide des espérances mortes avant même d’avoir pu germer.

dimanche 3 avril 2016

Sainte Jeanne des abattoirs. Brecht. Lamachère.

Berthold Brecht, le maître des plateaux post soixante-huitards, en ses leçons magistrales, n’est finalement pas si dépassé
et les 3h 15 de spectacle mis en scène par Marie Lamachère nous en persuadent.
La fameuse distanciation est déjouée, surjouée par des acteurs excellents, en une série de tableaux efficaces ponctués de chœurs à cœur et à cris.
L’introduction qui voit des acteurs commenter différemment une séquence filmée des années 30 nous met dans le bain de ces années, sans nous noyer, ce qui était le but de l’exigeant dramaturge qui voulait des spectateurs critiques : nous ne nous sommes pas assoupis.
Chicago et ses monstrueux abattoirs  avec spéculateurs dont les calculs auraient pu être plus concis où travaillent des dizaines de milliers d’ouvriers aux vies de peu de prix : la maltraitance ne fut pas qu’animale.
Et Jeanne Dark, la soucieuse héroïne, sous son chapeau noir de l’armée du salut, parmi ce chaos organisé, passa de la soupe claire des chanteurs pas toujours nunuches, à la harangue communiste. Aujourd’hui, elle parcourrait  le chemin inverse de la révolution sociale à la génuflexion religieuse.
Spangherro, Doux, éleveurs étranglés, ouvriers exploités, animaux martyrisés, les  rapprochements avec notre situation et le siècle précédent ne manquent pas, en évitant de revenir sur le parallèle trop souvent invoqué de la montée des fascismes en regard de nos démons qui ne sont passés ni à dache* ni à chaille*.
Si la remarque ci dessous parait depuis tant de temps d’une ingénuité coupable :
« Il est pour nous mystérieux,
Ce phénomène du chômage.
En outre, il cause des dommages.
Il serait temps d’intervenir ! »
Le dernier cri de Jeanne qui a jeté son chapeau par-dessus les moulins à paroles est d’une actualité audacieuse :
 « C’est pourquoi celui qui dit en bas
 Qu’il y a un Dieu
Toujours lisible
Mais qui peut malgré tout vous aider
Il faut lui fracasser la tête contre le pavé
Jusqu’à ce qu’il en en crève ».
……….
* « Les sous que tu lui as prêtés, tu les reverras peut-être à dache » Dache : Loin (dans le temps ou dans l'espace). Autrement dit : « à St-Profond des Creux »
* « J'ai été obligé d'aller à chaille pour trouver cette pièce. » Chaille : très loin. A ne pas confondre avec « avoir mal aux chailles », aux dents.

samedi 2 avril 2016

Georges, si tu savais… Maryse Wolinski.

La jeune fille blonde qui tomba amoureuse de Wolinski décrit, sans abuser de son nom, sa vie de femme avec un des acteurs qui a mis un sourire aux lèvres de tant de gars.
« J’ai eu mille raisons de le quitter, mais comme je vis toujours auprès de lui, il y en a une mille et unième qui me fait continuer et réussir cette aventure sentimentale au long cours »
 L’histoire d’un amour pas toujours aussi léger que le disent les dessins mais dont l’humour a favorisé la construction d’un attachement auquel n’ont pas mis fin les balles du 7 janvier.
« - Mais que peut craindre un humoriste comme toi ?
- La vérité, parce qu’elle est terrible. C’est la mort, la maladie. Les gens en général arrivent à s’en sortir parce qu’ils vivent dans le mensonge. Je préfère plaisanter avec et rester dans la vérité. »
Les sourires de tous les degrés qui ont accompagné nos vies persistantes d’adolescents venaient d’un homme à l’existence dramatique : Georges, veuf à 25 ans, était orphelin d’un père tué par un de ses employés.
Maryse dont on comprend bien l’engagement expose avec vigueur ses contradictions de féministe. Sa sincérité va au cœur des trajectoires, dont l’exhibitionnisme est exclu.
175 pages sans prétention disent bien des vérités.
« Nous n’étions pas faits l’un pour l’autre, mais nous nous sommes faits l’un à l’autre »

vendredi 1 avril 2016

Clients-rois.

Depuis le temps que le gouvernement s’inscrit dans une politique de « l’offre » qui vise à favoriser l’entreprise, l’expression «  client roi » serait-elle juste bonne à être glissée dans la pile de nos cartes de fidélité en voie de péremption ?
Ecole:
Dès la conception, l’unique enfant est « king » : parents pressés, grands-parents empressés, le gâtent. L’école qui n’émeut plus, n’émet plus, attend que le jeune qui ne s’attable plus, lève le nez de ses tablettes. Il n’a pas l’intention de devenir charpentier au bout d’un parcours paresseux balisé de bienveillance. Tant qu’il y aura des culpabilités, Tanguy plantera sa tente chez ses vieux où son autonomie louée dès la maternelle s’assoupit.
Etable:
Tout s’achète et nos campagnes s’achèvent, les gestionnaires de la ruralité mettent la clef sous la porte, la corde sur la poutre. Les vaches n’ont plus de nom et les prix du lait sont plus bas que terre, Leclerc est le roi des caddies. Folles bardèles*.
Elus:
Le clientélisme est devenu le moyen assurant les réélections, mais ça c’était avant.
Ce n’est plus le militant qui choisit mais le supporter au guichet, aguiché primaire.
Les plans de carrière s’ossifient devant l’électeur en majesté, à coiffer d’un bonnet civique pour sa contribution à ne pas vouloir de nouveaux immeubles s’installer devant le sien :
vous ai-je bien consulté pour ne rien changer ?
Et ceux qui prétendaient incarner plus de vertus en politique m’agacent bien plus que les vieux cyniques à qui on n’apprend plus à faire la grimace : Placé & Cosse cumulent, Piolle pipeaute.
L’électeur souverain ne s‘intéresse plus guère à ces comédies. Politique ment.
Europe:
Turquie et Liban reçoivent leurs voisins, la Méditerranée engloutit quelques surnuméraires, Banksy ramène sa fresque à Calais. La France isolée essaye de contenir le mal au Mali et se dispense de penser le problème des réfugiés. L’Europe a-t-elle existé ?
…………
Quand il y a de l'orage, la bardèle devient mauvaise. Une vache en patois dauphinois.
« Taaa bardèles »: pour les rassembler.
…………
Dessin de Pessin sur le site de « Slate »

jeudi 31 mars 2016

Georges de La Tour et les caravagesques français. Jean Serroy.

« Saint Jérôme pénitent dit aussi Saint Jérôme à l'auréole » peint par De La Tour aurait pu servir d’écran d’attente au conférencier, dans son exposé devant les amis du musée.  Appartenant au musée de Grenoble, il est actuellement à Madrid, échangé contre un Le Gréco.
Le maître des ombres et des lumières a été cité déjà dans ce blog :
Au moment où Le Caravage meurt, Rome, religieuse et diplomatique, est très influente ; pour ses relations avec l’Espagne, Paris passe par la ville éternelle. La cité de 100 000 habitants est pourtant moins peuplée que Venise, Milan ou Naples. Mais la contre réforme dans ces années 1620 y bat son plein, les architectes rendent les façades des églises séduisantes et les peintres ont des commandes au-delà des religieux. 
Les visiteurs emportent des souvenirs, souvent des « bambochades » : scènes de la vie quotidienne, des rues et des auberges, au format des sacoches des chevaux.
Les artistes Caravagesques sont allés plus loin que leur maître : après les dieux antiques détrônés et détournés, le naturalisme s’impose, les sujets les plus humbles prennent la lumière, le spirituel doit toucher les sensibilités. Les jésuites s’engagent à donner les clefs d’une rhétorique propre à exciter les cœurs, alors que les jansénistes voient la spiritualité dans l’ascèse.
Jacques Callot, fera le voyage à Rome comme de nombreux collègues. Le graveur évoque ici avec vigueur les « Grandes misères de la guerre » de 30 ans.
Lorrain comme lui, De La Tour, Le ténébriste français le plus fameux, resté à Lunéville n’aura pu prendre connaissance des travaux du Caravage que par des peintres flamands ou hollandais de passage.
«  Les mangeurs de pois », éclairés par la gauche, cadrés à mi-corps, loin des bergers d’Arcadie, ne sont pas idéalisés, l’une est méfiante, l’autre absorbé, leurs gestes dans la continuité, essentiels.

Le « Vieillard » et la  «  Vieille Femme », endimanchés dans leurs  habits colorés, tranchent sur un fond éclairé encore par le jour. Ils viennent du musée De Young à San Francisco, et si bien des musées français exposent De La Tour, sa renommée, importante déjà de son vivant, a repris vigueur dans la deuxième partie du XX° siècle. Sorti de l’ombre.
L’œil ne se perd plus dans le fond devenu noir. Autour du  « Tricheur à l'as de trèfle » éclairé violemment, les regards et les mains jouent.
Il existe plusieurs versions de « Madeleine » réfléchie, dont l’éclairage venu de l’intérieur, fait franchir les portes de la nuit. Celle-ci, « La Madeleine au miroir »,  est intitulée aussi La Madeleine pénitente ou Madeleine Fabius. Le père de Laurent F. l'a vendue à la National Gallery of Art de Washington.
Des enfants paraissent : « le souffleur à la lampe » est éclairé par la lumière qu’il vient de faire naître. 
Le seul petit qui avait été représenté jusque là, Jésus, éclaire magnifiquement « Saint Joseph charpentier », aux manches retroussées, le pied sur une poutre pour qu’elle ne bouge pas ; est-ce la croix ?
« Le nouveau né » est le « Chef-d'œuvre d'entre les chefs-d'œuvre » d’après le critique Thuillier.
La flamme cachée par la main d'une femme découpe la scène en traits simples et aplats quasiment cubistes. Les courbes enveloppant l’évènement célèbrent le mystère universel de la venue au monde d’un bébé, encore dans son cocon.
Alors qu’il aurait été possible de juxtaposer plusieurs « David et Goliath », interprétés par des caravagesques français, je choisirai plutôt  quelque « Diseuse de bonne aventure » de Valentin de Boulogne mort à Rome,
celle de Nicolas Régnier, appelé aussi Niccolò Renieri,
ou  l’égyptienne de Simon Vouet qui  fait les poches, en faisant l’impasse sur celle de De La Tour, 
mais pas sur « La Femme à la puce » moderne de forme,  massive de corps, dans un calme propice à la méditation : de l’intimité la plus prosaïque à la profondeur de l’âme humaine.
« Loth et ses filles » évoquera le baroque Claude Vignon, l'un des peintres français les plus célèbres de l'époque de Louis XIII, contemporain de Poussin qui lui refusa l’héritage du Caravage. 
Quant à Trophime Bigot, son « homme criant » ouvrant sa bouche d’ombre, nous saisit.    
 « On peint ce qui est en nous, ce qui n’a pas de bords, ce qui est noir à l’intérieur » Walter.