dimanche 3 avril 2016

Sainte Jeanne des abattoirs. Brecht. Lamachère.

Berthold Brecht, le maître des plateaux post soixante-huitards, en ses leçons magistrales, n’est finalement pas si dépassé
et les 3h 15 de spectacle mis en scène par Marie Lamachère nous en persuadent.
La fameuse distanciation est déjouée, surjouée par des acteurs excellents, en une série de tableaux efficaces ponctués de chœurs à cœur et à cris.
L’introduction qui voit des acteurs commenter différemment une séquence filmée des années 30 nous met dans le bain de ces années, sans nous noyer, ce qui était le but de l’exigeant dramaturge qui voulait des spectateurs critiques : nous ne nous sommes pas assoupis.
Chicago et ses monstrueux abattoirs  avec spéculateurs dont les calculs auraient pu être plus concis où travaillent des dizaines de milliers d’ouvriers aux vies de peu de prix : la maltraitance ne fut pas qu’animale.
Et Jeanne Dark, la soucieuse héroïne, sous son chapeau noir de l’armée du salut, parmi ce chaos organisé, passa de la soupe claire des chanteurs pas toujours nunuches, à la harangue communiste. Aujourd’hui, elle parcourrait  le chemin inverse de la révolution sociale à la génuflexion religieuse.
Spangherro, Doux, éleveurs étranglés, ouvriers exploités, animaux martyrisés, les  rapprochements avec notre situation et le siècle précédent ne manquent pas, en évitant de revenir sur le parallèle trop souvent invoqué de la montée des fascismes en regard de nos démons qui ne sont passés ni à dache* ni à chaille*.
Si la remarque ci dessous parait depuis tant de temps d’une ingénuité coupable :
« Il est pour nous mystérieux,
Ce phénomène du chômage.
En outre, il cause des dommages.
Il serait temps d’intervenir ! »
Le dernier cri de Jeanne qui a jeté son chapeau par-dessus les moulins à paroles est d’une actualité audacieuse :
 « C’est pourquoi celui qui dit en bas
 Qu’il y a un Dieu
Toujours lisible
Mais qui peut malgré tout vous aider
Il faut lui fracasser la tête contre le pavé
Jusqu’à ce qu’il en en crève ».
……….
* « Les sous que tu lui as prêtés, tu les reverras peut-être à dache » Dache : Loin (dans le temps ou dans l'espace). Autrement dit : « à St-Profond des Creux »
* « J'ai été obligé d'aller à chaille pour trouver cette pièce. » Chaille : très loin. A ne pas confondre avec « avoir mal aux chailles », aux dents.

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