mercredi 24 mars 2010

J 27. Phnom Penh

Dany se lève assez tôt, va faire un tour, elle revient ébranlée par la misère entrevue des enfants abandonnés.
Nous allons au « marché russe » en tuk-tuk pour 2$(8000Riels). Nous ne tournons pas longtemps autour du bâtiment et passé un magasin extérieur d’antiquités intéressantes nous pénétrons dans le marché couvert, en cambodgien Psaar Tuol Tom Pong. Nous sommes loin de l’activité des marchés vietnamiens. Les marchands attendent sans nous haranguer, certains ont même carrément abandonné leur échoppe. Nous ne tardons pas à nous lancer dans des négociations pour des éléphants et oiseaux sous forme de boîtes en cuivre, une serpe pour couper le riz utilisant de la corne animale, boites à bétel et écharpes multicolores pour ramener des souvenirs aux familles. Nous reprenons le tuk-tuk pour l’hôtel assez tôt pour ne pas manquer notre rendez-vous.
Amreth nous attend, en jean, tongs et polo qui ont remplacé la chemise blanche du service. Pour 15$ le tuk tuk à 4 places s’ébranle et attaque ses quinze kilomètres sous une pluie timide. Il se passe un certain temps avant que nous entrevoyions des champs et la campagne. Tout à coup un bruit inquiétant suivi d’un cahotement anormal : crevaison. Nous sommes à l’embranchement qui conduit à Choeung Ek, le mémorial du génocide que nous gagnons à pied. Un immense stupa khmer contient une vitrine comprenant de nombreuses étagères où sont déposés 8000 crânes. Le bas est réservé aux misérables habits retrouvés sur les corps. Autour quelques stèles émergent encore de cet ancien cimetière chinois où ont été creusés des charniers découverts en 1980. Il y a le charnier des hommes frappés à la tête par un bâton ou un fléau qu’on laissait agoniser et souffrir jusqu’à la mort, le charnier réservé aux femmes et aux enfants découverts entièrement nus, le charnier des corps sans tête, l’arbre où l’on frappait les bébés quand ils n’étaient pas jetés en l’air puis mitraillés comme au tir aux pigeons et qui chutaient sur des haches et des lames. Choeung Ek ne servait pas de prison, mais de lieu d’exécution, l’espérance de vie n’excédait pas 24h. Dans un petit musée nous pouvons voir des informations sur « la clique » à Pol Pot, quelques photos et crânes et les vêtements noirs d’un couple de khmers rouges avec leur écharpe à carreaux rouges. Sous ce régime les enfants de quinze ans étaient éduqués pour tuer : « un enfant, c’est une feuille blanche ».
Amreth s’applique, avec tact et justesse, à nous raconter cet épisode douloureux de son pays « mon grand papa est là, il était policier ». Nous retrouvons notre tuk tuk pour aller jusqu’à la prison S 21.
Dans un ancien lycée, les khmers rouges ont transformé les salles de classe en salles de torture. Des photos individuelles des nombreux prisonniers provenant des dossiers des bourreaux sont exposées, restent aussi des fers collectifs pour immobiliser les jambes avec des anneaux fixés au sol, quelques lits métalliques. Dans un bâtiment enveloppé de barbelés pour empêcher les suicides, l’intérieur a été cloisonné en de nombreuses et minuscules cellules aux cloisons de briques. On peut voir aussi des instruments pour faire souffrir, des photos de morts après leur calvaire et des témoignages d’anciens khmers rouges. A l’extérieur les installations sportives de l’ancien lycée ont été recyclées en instrument de torture, notamment le portique destiné au grimper de corde : les mains attachées dans le dos, le prisonnier était hissé et quand il s’évanouissait, on lui plongeait la tête dans un jarre nauséabonde. Dans la cour les 14 tombes des dernières victimes de Pol Pot. Sur les 20 000 prisonniers, sept personnes ont échappé à la mort. A l’entrée de chaque bâtiment un panneau demande au public de ne pas rire à gorge déployée. Nous sommes dans l’hébétude devant tant de sadisme systématique qui s’est déchaîné pendant trois années entre 1975 et 1978.
Nous discutons encore un peu avec notre gentil étudiant. Nous le quittons à 17h pour assister à la projection du film « histoire d’un génocide » en français, monté et commenté par le patron d’un bar qui recadre les évènements, leurs causes et leurs conséquences, très utile. Ces années noires cambodgiennes ne sont pas si lointaines, nous les avons vécues en paix, social traitre pour les derniers marxistes léninistes les plus acharnés, alors que nous savions. La nuit tombe sur la ville annonçant l’heure du repas vers 18h30. Nous dinons à l’Edelweiss restaurant qui affiche des influences bavaroises. Je teste l’Amok (poisson au curry légumes riz) spécialité cambodgienne.

mardi 23 mars 2010

« Le pays d’où je viens… »

Au pays d’où je viens, le Plat Pays, ses maigres chevaux, les rivières ne coulent pas : elles sont canaux paisibles, porteurs de péniches ou se baladent sous terre, se font marécages et les égouts puent.
Au pays d’où je viens les murs sont de briques usées, rouges et noires parfois blanchies de peinture grasse vite ternie.
Ce pays d’où je viens dressait autrefois de hautes cheminées dominant les crassiers. Aujourd’hui les terrils ont verdi, devenus collines en hiver, modestes pentes pour timides skieurs.
Au pays de mes grands parents, dans les cités processionnaires, au pays de mes grands parents, Pas-de-Calais, il y a encore des corons. Leur maison toujours debout, deux pièces en bas, deux pièces en haut, si exiguës. Les temps nouveaux ont ajouté des vérandas. L’aluminium tient les fenêtres.
Ma mère y a grandi, si vite passant de l’enfance à l’âge adulte. Ma mère, ses onze frères et sœurs. Les filles promises aux « wassingues », les garçons « au fond », aux lampes à éthylène, aux boyaux, à une mort pas facile.
Au pays de mes ancêtres les hommes mouraient jeunes. Les veuves se mettaient en ménage avec un mineur moribond. On ne se mariait pas : ça faisait deux pensions.
Il y a une vingtaine d’années je suis retournée à Auchel (Pas de Calais) dans une de ces petites maisons de briques restaurées. Il y avait sur une couche mauve à volants l’avant-dernier de mes oncles, à son côté des bouteilles d’oxygène, sa future veuve aussi. Le mineur en tenue de momie, visage d’Indien.
Au pays d’où je viens les survivants ont le souffle court. Ils jouent aux boules et à la belote en toussant. Le foot c’était il y a si longtemps.Ils jouent dans les vestiaires de la vie en buvant leur bistouille (du Genièvre dans un fond de café).
Au pays d’où je viens, la pluie est mère fidèle, lavant et délavant, jamais découragée, son enfant meurtri.
En Novembre, il y a la Grande Braderie ; on y mange des tonnes de moules et de frites. La bière autrefois, en un temps moins écologique, coulait des braguettes aux caniveaux. Les femmes se retenaient.
Le soir on brûle toujours des géants de tissu, de papier et de bois sur la grande place de la Bourse, autrefois celle du Général de Gaulle.
Les Lillois font la ronde en chantant sous un ciel blanc et gris.
Misérabilisme ? Passéisme ? Nostalgie ? Que dalle !
Ecoutez ma mère :
« On a eu une enfance si joyeuse, on se faisait des farces, je lavais les longs cheveux de ma mère. Mes parents s’adoraient. On craignait la ceinture du père mais on courait plus vite qu’un mineur essoufflé.
On voisinait, on s’entraidait, on se mettait des branlées ; on était communistes et on baptisait les nouveaux-nés. »

Marie Treize

lundi 22 mars 2010

Ghost writer

Décidément, après le « nègre » de Dumas, voilà l’histoire d’un autre écrivain qui va être un révélateur de vérité très efficace dans un milieu des plus inhumains. Le dernier film de Polanski baigné de couleurs océanes, décrit avec de brillants dialogues, et des acteurs excellents, une mécanique du pouvoir terrible. Le marchand de livres, commanditaire de la biographie demande une écriture « qui parle au cœur » mais uniquement pour des raisons marketing, il est un maillon de cet univers impitoyable comme le métal et les vitres teintées. Le film est élégant et bien ficelé.

dimanche 21 mars 2010

Cannibales

J’ai apprécié les derniers spectacles de la MC2 qui réveillent notre regard sur l’époque. Cette pièce de théâtre de David Bobée sur un texte de Ronan Chéneau est attrayant avec une esthétique art contemporain, mêlant le cirque, à la vidéo, avec des déclamations en slam brillantes, de la musique, de la danse, des chants. Mais les interventions d’une comédienne surlignant les intentions de l’auteur semblent faire croire que celui-ci ne croit pas à son dispositif. Pourtant les acteurs sont convaincants, le décor clean, en accord avec le propos.
Le lit est un élément central où les convictions s’exercent à sauter sur le matelas, et la tendresse à se cacher sous la couette. Ces trentenaires cherchent une vie qui ait un sens, échappant à l’ensevelissement sous le confort.
Ils se mettent le feu au moment où ils sont heureux.
Le bidon d’essence restera sur la scène tout au long de la pièce.
Ma part adolescente se retrouve dans cette complaisance dans la noirceur, le bi trentenaire à bouffées moralisantes ne peut accepter que la jeunesse s’immole ainsi paresseusement. L’abus d’un jeu mortel avec le mot « flamboyant » n’est qu’une défaite face au monde des faux semblants, le résultat d’un avachissement de gavés, de revenus de tout sans être allés nulle part.

samedi 20 mars 2010

Dénis

« Que la mandale est belle »( Le Canard Enchaîné)
Je les aime, la droite, quand ils sont pathétiques comme ça avec leurs « éléments de langage » à ressasser sur les plateaux télé, au soir des élections régionales. Nous pourrions leur donner des tuyaux, nous à gauche, qui sommes rodés aux défaites. C’est d’ailleurs assez énigmatique la rapidité de cette chute du système Sarko vue par le filtre des médias qui ne sont pas loin de lâcher celui qui les fascinait, il y a encore peu. Ils n’ont rien vu venir, les sondeurs, concernant aussi la persistance du FN, et il ne voit toujours pas où est le problème, Fillon, et l’à peine président entouré de courtisans qui zigzague après s'être préservé de toute contestation lors des voyages en province. Il avait disait-il le culte de l'évaluation, eh bien voilà un sondage gratuit et il dit qu'il n'y a pas de problème. Continuez comme ça!
L’autruche à langue de bois n’est pas une espèce en voie de disparition, elle se multiplie sous tous les cieux.
Nous au village aussi l’on a des voitures qui crament jusque dans les sous sols de l’hôtel de ville. Eh bien la majorité municipale et la gendarmerie minimisent. Et ce sont les élus de gauche, les yeux ouverts,sur ce coup, qui s’indignent de ces attaques au bien commun et proposent un juste équilibre entre sanction et prévention, en reconnaissant la difficulté des affaires concernant la sécurité.
Les vents favorables des élections ont tendance à griser un peu mes camarades sevrés depuis longtemps de bonnes nouvelles. Sur notre canton en 2004, J.J. Queyranne faisait 40% maintenant il est à 30% avec le front de gauche à 8%, les verts eux sont passés de 13 à 23%. Et il y a eu quelques abstentions.
Et voilà que Dany le vert parle de déni de démocratie… ça va énerver, mais les accords électoraux ne se résolvent pas en une nuit, bien sûr. Souvent, il y avait eu du travail en commun auparavant. D’où la nécessité localement…
Pour aller au-delà des petites phrases, Ronsanvallon :
« Résister. Résister à l’insécurité sociale galopante, au naufrage de l’éthos public, au court-termisme, à l’ivresse marchande, à la société du mépris, à la corruption des institutions. Résister à « la droitisation » du monde. »
« Pour aimer la démocratie, il faut la compliquer, et s’attacher à lui donner consistance contre tout ce qui prétend la réduire à la légitimation électorale »

vendredi 19 mars 2010

Le quai de Ouistreham

Florence Aubenas, de la télé, a écrit sur son livre dédicacé rien que pour moi : « une vie devant le tableau noir, chapeau », alors que j’ai tant aimé ce travail, mais dans la chaîne des signatures à la librairie du Square, comment dire autrement ?
Elle vient de vivre, elle, le métier de femme de ménage, et témoigne de toute la difficulté à l’exercer. Dans l’entretien, suivi par de nombreux lecteurs qui ont apprécié ce témoignage fort, elle s’est montrée comme son livre, drôle et sincère, en empathie avec ses compagnons de galère. C’est une autre époque que celle décrite par Orwell, « Le quai de Wigan », avec ses prophéties politiques ou d’un Linhart « Etabli » dans les années 70.
Elle en savait pourtant des statistiques, la journaliste. Et puis c’est elle qui va apprendre, elle qui voulait décrire la vie des « précaires », ceux ci se sont défendus de l’expression, en disant qu’ils étaient « des français normaux ». Et c’est eux qui ont raison ! Pôle emploi n’est pas un service social, il a des clients et doit faire du chiffre, ses agents dépriment. A Caen où les emplois industriels ont fondu, la reporter du Nouvel Obs n’est pas partie à l’autre bout du monde, mais elle a du être dépaysée à se distraire le dimanche à la jardinerie du centre commercial entrainée par un Philippe émouvant. Au bout de son aspirateur, elle disparaît aux yeux des autres, debout à des heures impossibles, vivant par ses courbatures, où le fonctionnement d’une voiture est essentiel. Le livre est d’ailleurs adressé « Au tracteur ». Un monde où chaque piécette compte, où celle qui revendique le paiement des heures sup se retrouve seule à la réunion, où l’entraide côtoie la méchanceté.
« Blandine s’apprête à enchainer sur les aventures tragiques de la vésicule de sa sœur, dont nous connaissons toutes déjà les multiples versions, mais Fabienne la coupe :
« ça t’intéresse, la chirurgie esthétique, ma chérie ? »
Elle tend la main vers Blandine pour lui palper le décolleté, l’autre rit à pleine gorge, en lui balançant des jets de détergent WC au visage. […]
Là-dessus, un chef arrive. Fabienne fait : « On parlait politique ».
ça assomme le chef.
« Vous êtes malades ou quoi les filles ? »

J’avais mis d’autres citations de ce livre, le mois dernier sous le titre
« Parachutes dorés »

jeudi 18 mars 2010

Les modernes s’exposent.

Le très classique musée des beaux arts de Lyon avait organisé une exposition consacrée aux modernes en réorganisant ses ressources et en présentant quelques prêts. La foule se pressait devant les toiles de Matisse, Dubuffet, Dufy, Debré, Vuillard, Monory… Plaisir de retrouver des familiers : cette scène de cirque de Fernand léger maintenant que j’ai appris à l’apprécier en l’ayant mieux connu à Biot dans un musée qui lui est entièrement consacré, cette lumière au Grand Lemps de Bonnard qui nous éclaire sur des lieux familiers que nous n’avons jamais vus si beaux. Découvrir Gleizes et Maria Helena Vieira da Silva, un Picasso tout en rondeur. Constater que l’abstraction n’est pas arrivée après l’extinction de la figuration, mais ces périodes ont alterné. Une exposition aux commentaires utiles, pour se conforter. Mes amis auraient emporté la cathédrale de De Staël ou un Foujita, je me serais contenté d’un Bacon ou de Rebeyrolle.