jeudi 20 novembre 2025

Dunkerque # 1

Après avoir pris nos douches, rangé nos affaires  et suivi les exigences du logeur, nous sommes prêts  à décoller à 9h en direction de Dunkerque.
L’autoroute que nous empruntons s’engage dans des paysages de cultures moissonnées, parsemés  d’éoliennes,  et  le chemin des Dames annoncé en cours de route par un panneau n’est pas si loin. 
Nous ne croisons pas beaucoup  d’aires où boire notre café, nous prenons patience en écoutant à  la radio les stations successives de Ici (ex radios bleu)  nous divertissant de jeux et d’infos parfois incongrues, comme celle de deux wallabys échappés d’un enclos en Belgique.
A l’heure du repas, après avoir vu un 1er terril, avoir  contourné Lille par de grands axes extrêmement chargées nous bifurquons vers ARMENTIERES.
Pas de doute, nous voilà bien dans le Nord.
En ville, les maisons de briquettes rouges d’un ou deux étages s’appuient les unes aux autres  jusqu’à la place centrale où le beffroi parait si imposant avec son clocher que  l’église placée derrière lui fait l’effet d’une petite sœur.
Nous entrons manger au « Cristal » installé sur la place, désert à l’exception d’un client, comme l’ensemble de la ville. Puis nous continuons notre route assiégée par les camions désireux de doubler celui de devant mais sans en avoir toujours les capacités tandis que quelques gouttes de pluie apparaissent sur le pare-brise floutant  un paysage désespérément plat.   
Lorsque nous arrivons à DUNKERQUE, nous branchons le GPS pour nous guider vers le centre et nous nous arrêtons rue Maréchal French ; très centrale cette rue dispose encore de places de stationnement libres, ce qui nous permet d’investiguer la ville à pied, à commencer par l’Office du tourisme comme à notre habitude. Il loge dans le beffroi Saint Eloi, avec en face, de l’autre côté de la chaussée une église portant le même  nom et dotée d’un 2ème beffroi.
Renseignements  habituels pris auprès de l’employée de l’ODT, nous achetons deux billets pour monter dans le beffroi.
Un ascenseur nous transporte jusqu’au 5ème étage, au milieu des cloches dont le bourdon s’appelle Jean Bart ; nous pouvons aussi tourner autour d’un écrin en verre dans lequel se tient un carillon en bois,  avec son clavier particulier formé de grandes touches reliées aux cloches et avec son banc destiné au sonneur. 
Une soixantaine de marches raides dans une cage d’escalier particulièrement exiguë  basse de plafond  restent encore  à gravir avant d’atteindre la terrasse :
et là, récompensés de nos efforts, nous dominons la ville, les bassins du port, la mer, éclairés par quelques rayons du soleil de nouveau parmi nous. 
Le panorama mérite l’ascension !Avant de descendre et de se rapprocher de l’église Saint Eloi, nous la découvrons d’en haut discernant parfaitement son architecture en fonction des toits.
Ils se découpent en trois parties, dont la centrale à 2 pans  recouvre la nef. Quant aux 2 parties latérales, elles présentent une succession de toits à 4 pans.
L’église autrefois nommée  "cathédrale des sables", adopte une forme allongée avec une façade néogothique. L’intérieur se divise en 5 vaisseaux,  la nef étant plus élevée et plus large que les 4 autres. Il abrite dans le chœur le tombeau du célèbre corsaire Jean Bart.
Fortement endommagé durant la  guerre de 14 par des bombes de Zeppelin puis durant  la deuxième guerre mondiale comme dans beaucoup d’autres villes, l’édifice nécessita des travaux de restauration jusqu’en 1985,
et reçut de nouveaux vitraux de style moderne mais discrets révélant la pierre claire des piliers. En témoignage de l’Histoire, subsistent  encore sur la façade des impacts de balles.

mercredi 19 novembre 2025

Goya de Carlos Saura. Jean Serroy.

Plutôt qu’un biopic à propos du géant espagnol après lequel « commence la peinture moderne » (Malraux), il s’agissait de la présentation devant les Amis du musée de Grenoble du film éminemment personnel de Carlos Saura sorti en 1999 sous un premier titre « Goya à Bordeaux ». 
Sa vision propre rejoint l’univers de l’octogénaire devenu sourd qui avait documenté avec vigueur les atrocités napoléoniennes, se situant du côté des « lumières » bien de chez nous.
« J'ai essayé de donner ma propre vision de Goya, réfugié à Bordeaux dans ses dernières années quand il vivait avec son amie et maîtresse, Leocadia Zorilla - qui était beaucoup plus jeune que lui - et avec sa fille Rosarito âgée de 12 ans. J'essaie de raconter ce qu'il était et ce qu'il pensait, ce qu'il faisait à 80 ans dans son exil bordelais : ses passions, ses affections, ses haines, ses hallucinations, ses rêves, ses monstres... » 
Le réalisateur d’une cinquantaine de films a gagné quelques « Césars » et des « Goyas », équivalent des « Oscars »,
il avait déjà approché la vie et l’œuvre de l’auteur du « Très de mayo »
La ressemblance de l’interprète aux 200 films, Francisco Rabal avec Francisco Goya, est frappante et ajoute de la vraisemblance à un film plein d’imagination.
Une naissance clôt en spirale les 100 minutes commencées sous le signe de la mort.
Le peintre de cour sans complaisance,
a aimé la belle et riche duchesse d’Albe
et fait passer l’ordre terrestre au dessus du divin lors du 
«Miracle de Saint-Antoine de Padoue ».
Dans le déroulement chronologique des souvenirs sont évoquées ses sombres estampes, 
ses  gravures crépusculaires, et ses maîtres : « Vélasquez, Rembrandt... et la nature ».
Pour évoquer la riche carrière du natif de Saragosse où se mêlent l’intime avec la grande Histoire, des procédés habiles sont mis en œuvre,  
comme l’appareil du cabinet secret qui permet 
la superposition de La Maja vêtue et de La Maja nue.
Le passé se heurte au présent tandis que la mémoire tourmentée du vieillard réveille une imagination où les couleurs s’assombrissent.
Le cinéma réalise les rêves romantiques en voyant l’au-delà du monde, la réalité intérieure donnant du sens à la réalité extérieure, sans que le bon goût y mette les doigts.

mardi 18 novembre 2025

Astérix en Lusitanie. Fabcaro Didier Conrad.

Ce 41° album réserve peu de surprises, à part la vigie du bateau pirate inévitablement coulé qui  maintenant prononce les « r » lorsqu’une galère phénicienne apparaît à l’horizon. 
«  Ô tempora ô mores ». 
Le pays des pêcheurs de morue sympathiques échappe aux caricatures appuyées.
Les chevelus à la moustache noire dont aucun poil ne dépasse sont nostalgiques et fatalistes : 
« Maintenant tout a disparu, mon cœur est fatiguééé
Mon bonheur à jamais perdu dans la douleur du passééé
Je ne vis qu’avec mon chagriiin Il ne me reste qu’à pleurer » 
Le plus festif des fado souhaite ainsi le bienvenue au « petit anxieux et au gros nonchalant » venus aider à la libération d’un  producteur artisanal de garum ( condiment à base de poissons) victime d’un Pirespès, traitre au service de Pluvalus le gouverneur, prédateur invitant tous les hommes d’affaires implantés en Lusitanie : 
« Paruvendus qui détient tous les papyrus d’information,
Elonmus bien sûr et Meïdinazix, le grand industriel de la caliga de sport… » 
L’évocation de la mondialisation capitaliste naissante s’agrémente d’allusions au milieu de la communication avec un certain Nioubiznes. Nous pouvons reconnaître nos démêlés avec des mots de passe toujours plus complexes, et retrouver la réforme des retraites :
«  Passé 75 ans, on a bien mérité notre repos, pas vrai ? » 
disent deux retraités bien de chez nous en vacances avec leur charavane au Portugal.

lundi 17 novembre 2025

Deux pianos. Arnaud Desplechin.

Il se trouve qu’en ce moment la musique devient un sujet privilégié du cinéma,
 
alors qu’elle en fut souvent un ornement.
Souvent ces films ont été des réussites, alors allons voir « Deux pianos » qui traite parfaitement  de l’exigence de cet art pour moi entouré de mystère. 
Charlotte Rampling à la veille de  ses adieux est bouleversante.
Par contre je me montrerai plus piano piano dans mes éloges concernant l’histoire d’amour plus proche de Zanini dans « tu veux ou tu veux pas » que de Marivaux.
On n’en fait plus des beaux garçons qui s’évanouissent en revoyant une ex, par contre nous avons connu des veuves plus éplorées.
Je resterai donc avec le réalisateur natif de Roubaix, cette fois en terre lyonnaise, avec un avis contrasté comme lors de quelques propositions précédentes. 

dimanche 16 novembre 2025

Imminentes. Jann Gallois.

La douceur initiale, le calme, surprennent quand est annoncé du hip hop dont quelques  performances spectaculaires attendent que la tension monte aux rythmes d’une musique envoutante.
Six danseuses, sans qu’il soit utile de les qualifier de guerrières pour vanter leur énergie, nous tiennent par la main pendant près d’une heure.
Loin des défis virils, leurs intentions apaisantes sont célébrées avec grâce et intensité.
Si des passages s’approchent des rondes enfantines, «  Passez pompon les carillons », les liens entre les individus et le groupe sont exprimés avec simplicité et fantaisie.
Peut-on profiter de belles propositions artistiques à la beauté abstraite détachée des malheurs du monde ? Ecartant l’image de l’orchestre du Titanic, nous pouvons éviter aussi d’être abusé par des intentions vaines prétendant lutter contre les destructions. 
Les bras enlacent, les corps se délient joliment, nous avons passé une bonne soirée.  

samedi 15 novembre 2025

Les rivières pourpres. Jean-Christophe Grangé.

« Les nuages voyageaient lentement dans le ciel,comme un convoi funéraire parti enterrer le soleil. »
 
Le livre policier installe une ambiance surréaliste angoissante bien que des références puissent être familières à ceux qui connaissent le massif de Belledonne dans les Alpes.
« Le jeune Beur observait les réverbères qui clouaient encore les ailes brunâtres de la nuit. »  
Deux policiers violents exercent leurs talents dans des lieux éloignés, mais se retrouvent pour retrouver les coupables d’une histoire horrifique.  
« Nous avons un meurtre stupéfiant, un cadavre pâle, lisse, recroquevillé, exhibant les signes d’une souffrance sans limite. »
 L’angoisse monte et nous avons hâte d’arriver au terme des 400 pages aux dévoilements quelque peu tarabiscotés. 
« Le crime se reflète toujours sur les esprits des témoins et des proches. Il faut les considérer comme des miroirs ; le meurtrier se cache dans un des angles morts. »
 Lecteur complice, nous aimons être manipulés : 
«Chaque crime est un noyau atomique et les éléments récurrents ses électrons,oscillant autour de lui et dessinant une vérité subliminale. » 
Et il peut nous arriver de chérir les stéréotypes même incroyablement increvables. 
« … il serait un combattant des villes, fébrile, obstiné,qui noierait ses propres peurs dans la violence et la rage de l’asphalte. » 
Le goût épicé de la mise en bouche perdure jusqu’à ce que l’accumulation des invraisemblances altère un plaisir qui fut si vif pour tant de lecteurs des années 1998 et des admirateurs du film de Kassovitz avec Jean Reno et Vincent Cassel en 2000 ou de la série par Olivier Marchal en 2018. 

vendredi 14 novembre 2025

I. A.

J’
envoie, vers quelque entrepôt où se réchauffe le Cloud, ces quelques mots destinés à se perdre dans « le silence éternel des espaces infinis » qui persistent depuis Pascal.
Je vacille, ivre de clics, de problèmes démographiques en crise climatique et autres conflits géopolitiques, sur fond d’interrogations éthiques, face aux défis technologiques… Hic !
Le valétudinaire minus remercie l’informatique qui lui permet d’oser s’exprimer.
Chaque jour, dans nos corps, dans nos déplacements, la science fait ses preuves et il serait bien ingrat de dénoncer toutes les avancées artificielles dues à l’agent humain.
Qui peut croire qu’on pourrait interdire l’IA comme on se priverait de penser ?
Mais grâce à la puissance des computeurs, il y aura bien des acteurs pour utiliser comme au judo leur force pour maîtriser la bête, se ménager du temps de cerveau disponible pour travailler et inverser le cours de la facilité, de la coolitude.
Pourrons-nous trouver une voix authentique dans un appareillage appelant au compromis contre les clivages populistes bardés de lignes rouges ? Il conviendrait de laisser à leur illusion de pouvoir nos éminents boucs émissaires et voir en face la puissance des algorithmes et nos paresses numériques, nos tocs et nos éthiques retoquées.
Les lénifiantes ambiances visant à apaiser les cris risquent pourtant de se substituer, dans le domaine des apprentissages, à toute improvisation, à toute fantaisie.
Reliés aux IA, dans les écoles, les bousculés des travaux en îlots tournant le dos aux  paroles magistrales, pourraient à leur rythme, faire valoir leur singularité, reprendre ce qui leur a échappé en toute discrétion face à des machines infiniment patientes. 
Dans bien des entreprises, les bureaux individuels furent bannis, comme fut promulgué le travail de groupes pour les élèves, dans un monde devenu de plus en plus individualiste. Les égos ont explosé oubliant les idéaux entre égaux.
Sur les écrans, une fois contournées haine et bêtise, les pensées pertinentes ne manquent pas. Dans leurs emballages de papier, je saisis plus volontiers les mots qui me conviennent, comme ceux de Julia De Funès qui aime « penser sans bannière » : 
« Refuser la moralisation facile, la soumission technocratique, l’individualisme forcené, l’absurdité normative et le clanisme de la pensée… »
Même pour proclamer notre liberté, faire valoir notre indépendance, nous suivons les autres par machines interposées ou main sur l’épaule (de géants).
Combien s’accordent à déplorer la destruction du monde alors que tant d’autres s’appliquent à le dévaster ? L’acharnement de nos parlementaires à ne pas voir les déficits est un signe d’une déliquescence de nos civilisations proclamée depuis des millénaires. 
Submergé de grands mots tambourinant dans le vide, bien difficile de percevoir des pensées optimistes,  d'avoir connaissance  d'actes responsables.  
Les organisations politiques en phase de putréfaction, telles Gribouille, poussent à une dissolution qui les diluerait. Ces péripéties ne gagnent pas en dignité à s’accumuler dans notre sac à dos qu’on prendrait pour un parachute avant de sauter de la falaise.  
« La terre pressée de se jeter à l’eau trébucha et ce fut la falaise. » 
Sylvain Tesson