mercredi 8 octobre 2025

A mots doux. Thomas Guillardet.

Un spectacle autour de Mylène Farmer  me semblait ad hoc pour commencer la saison 2025/26 à la MC2, dans la légèreté et la curiosité puisque j’avais à apprendre de la mystérieuse reine du vidéo clip et des ventes de disques. 
Il y a deux ans, l’approche théâtrale réussie de l’univers de Johnny Halliday m’avait convaincu de revenir aux questionnements concernant les interprètes de chansons populaires. 
Cette version chaleureuse s’intéressait à un groupe d’admirateurs de l’interprète de
« Retiens la nuit » alors que cette fois il s’agit d’un enfant seul fasciné par 
« Je, je suis si fragile Qu'on me tienne la main ». 
Des personnages surgis de son imagination depuis le lit de sa chambre viennent l’aider dans ses interprétations sous le patronage de Baudelaire: 
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, »
 
Les mises en scènes de différents tableaux sont inventives avec des musiques aux moyens modestes restituant l’allégresse des rythmes, malgré la noirceur des paroles :  
« Tout est chaos à côté
Tous mes idéaux, des mots abimés
Je cherche une âme, qui pourra m'aider
Je suis d'une génération désenchantée
Désenchantée » 
Les coulisses se découvrant en conclusion viennent souligner que l’auteur n’est pas dupe des artifices du music-hall, mais le placent dans une position surplombante qui contredit quelque peu ses intentions d’explorer avec empathie les relations passionnelles entre public et artiste, fan et idole.
« Ton Kamasutra
A bien cent ans d'âge
Mon Dieu que c'est démodé
Le nec plus ultra
En ce paysage
C'est d'aimer les deux cotés »

mardi 7 octobre 2025

Le chanteur perdu. Didier Tronchet.

Je ne savais si je devais préciser qu’il s’agissait d’une histoire vraie, bien qu’arrangée, tant la recherche passionnée du dessinateur est incroyable. 
Pourtant bien des récits de l’auteur de Raymond Calbuth partent de situations vécues. 
Rémi B, héros de ces 180 pages, de son vrai nom Jean Claude Rémy, reconnu par Brassens, a produit un album édité par Pierre Perret puis s’est retiré dans une île malgache. 
Parti à sa recherche, le narrateur, bibliothécaire dépressif, offre une occasion de se remémorer Raoul de Godewarsvelde, un autre chanteur : 
« Quand la mer monte
J'ai honte, j'ai honte
Quand elle descend
Je l'attends
A marée basse
Elle est partie hélas
A marée haute
Avec un autre. »
 
Le Belge s’était pendu et le métis Rémi B, né au Vietnam, héros très discret de cette BD, lui avait consacré une chanson : 
« Mais quand le mal est trop profond
Et la débine et l'abandon
Si durs, revient la tentation
De la corde et du tabouret
Que cette idée au début peine
Habituelle et souterraine
Devient relance quotidienne
Et puis un jour, drôle de jour,
Un jour d'hiver, un fait divers
Chien écrasé, au Cap Gris-Nez ».
 
De Paris vers Morlaix, Berck, l’île aux nattes, les paysages sont variés.
Les années ont passé depuis le temps des cassettes, mais même à l’heure des amnésies fatales, « on a tous dans le cœur » quelques chansons inoubliables et quelques secrets à découvrir.

lundi 6 octobre 2025

Sirāt. Óliver Laxe.

 « Sirāt » qui signifie dans la tradition islamique, le pont entre paradis et enfer, 
se situe en enfer.
D’abord curieux de connaître le monde des rave parties avec le désert comme décor, j’ai mis de côté les invraisemblances du scénario, pour voir un road movie tournant à la fable noire : la fin du monde a commencé et nous nous étourdissons de sons.
Effectivement, pendant 115 minutes, la musique tape aux tympans et de belles images de l’Atlas sautent aux yeux, mais que vient faire ce père perdu avec son fils dans un milieu où des blessés de la vie ont l’honnêteté de ne pas l’accepter jusqu’à ce qu’il paye de l’essence pour avancer ?
Sommes-nous devenus si sourds, qu’il nous faut tant de boum boum, façon grand guignol à la sauce techno ? 
Faut-il que tout sens soit perdu pour que tant d’énergie se dévoie en sautillantes transes et breuvages oublieux ?  
Nous survivons depuis Musset et nous sirotons «  Les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». 
Pourtant il avait écrit d’autres choses : 
« Il faut, dans ce bas monde, aimer beaucoup de choses,
Pour savoir, après tout, ce qu’on aime le mieux,
Les bonbons, l’Océan, le jeu, l’azur des cieux,
Les femmes, les chevaux, les lauriers et les roses. »

dimanche 5 octobre 2025

Enzo. Laurent Cantet Robin Campillo.

Un jeune garçon de 16 ans, fils de professeur et d’ingénieure, entame un apprentissage de maçon. 
L'aperçu de distance de classe en période d’adolescence est finement traité avec des personnages forts sans être caricaturaux, servis par d’excellents acteurs amateurs comme Maksym Slivinskyi, un vrai maçon, ou professionnels chevronnés comme Pierfrancesco Favino. 
Enzo dans cette étape pleine de vibrations et d’incertitudes, va apprendre à mettre des gants et bien plus, quand la guerre en Ukraine s’invite au bord des piscines et que les corps sont magnifiques.
Cette heure trois quart, « A fleur de peau », ne masque pas les violences, mais en ne délivrant ni recette ni leçon, séduit et interroge aussi à propos des mensonges, de la peur, de l’identité…

samedi 4 octobre 2025

Ascendant beauf. Rose Lamy.

Le bob rose, très second degré, offert en produit dérivé à l’achat du livre m’a ouvert l’appétit sur un sujet qui m’interroge depuis longtemps. 
Mais la question « Pourquoi le RN séduit plus facilement les pauvres que la gauche » reste en suspens et les critiques concernant les médiatiques transfuges de classe ne sont pas assez développées.
Même si je suis passé facilement par-dessus l’excluante écriture inclusive de l’auteure, j’ai apprécié davantage ses récits autobiographiques et ses incertitudes qui lui font oublier le point médiant quand elle se définit comme « beaufe » plutôt que ses plates amorces d’analyses, paresseusement bourdieusiennes.
Rien de bien neuf depuis l’opposition première entre Duduche et son beauf créé par Cabu : 
« misogyne, machiste, homophobe, raciste, xénophobe, anti-intellectuel, partisan de l’ordre, conservateur, conformiste, grossier, obtus, belliqueux, chasseur, militaire, fan de centrale nucléaire, ignorant, bête, inculte. » 
La barque répétitive est quelque peu chargée.
La notoriété de Rose Lamy, née sur Instagram, lui a valu d’être publiée dans un processus déjà en place pour les chanteurs de la génération d’après les Goldman, Aznavour et Dassin qu’elle cite abondamment avec tendresse.
Dans ces 176 pages faciles à lire, sa critique du film « Vingt dieux » est pertinente 
comme son rappel utile du juste combat bannissant l’excuse «  meurtre passionnel » pour qualifier les féminicides. 
Mais quand elle ironise: 
« quand j’aurai besoin de désigner un homme méprisable, bête et de moralité douteuse, je dirai qu’il est un macroniste »
son arrogance est du même ordre que celle de la bourgeoisie à l’égard des classes populaires décrites par... Gramsci qu'elle cite: 
«  Un ensemble de pauvres hères moralement et intellectuellement inférieurs, un ramassis de brutes qui se préoccupent seulement de se remplir le ventre, de faire l’amour et de cuver leur soûlerie dans un profond sommeil. » 
ou pour s’en tenir à des dates plus récentes (2012), dans la même veine que Technikart qu’elle épingle, décrivant Guéret sous le titre «  La bouse ou la vie » : 
« Un parking où zonent quelques bouseux en casquette-survêt- banane tchachant probablement de la mobylette à Greg. »    

vendredi 3 octobre 2025

Quatre pieds.

Difficile de ne pas s’improviser psychologue lorsque le diagnostic de la folie se confirme chaque jour avec
 le président américain et ses grossières paroles pour nier le réchauffement climatique, alors que la planète suffoque. Son nez clignotant nous aveugle, la déraison a gagné le monde entier.
Plus près de chez nous, même si la tonalité crépusculaire persiste, Jean Louis Bourlanges offre un raccourci pertinent sur l’évolution du paysage politique : 
« Jadis la droite incarnait la fidélité, la gauche la justice, le centre la concorde et la modération. Aujourd’hui, la gauche incarne le ressentiment, la droite la crainte et l’exclusion, et le centre est devenu l’arbitre récusé des divisions nationales et des passions inconciliables. » 
Le contexte concernant les affaires publiques à défaut de faire battre les cœurs, nous tape sur les nerfs. 
L’Europe pas plus que la France n’est un monolithe mais elle se trouve minée de l’intérieur.
La Hongrie illibérale, l’Italie gouvernée par l’extrême droite nous accoutument à l’idée d’une victoire de leurs amis cheminant à couvert sous les braillements d'en face vers qui tous les micros clonés se tendent. Farage gagne des parts de marché, l’AFD progresse et tous les sondages donnent le RN en tête. Grande-Bretagne, Allemagne, France : l’Occident n’est pas menacé seulement par la Russie revancharde, la Chine vigoureuse, ni par les duperies de Trump.
Les institutions se paralysent, les réformes pour une meilleure efficacité de l’Etat réclamée par ceux qui l’entravent sont ajournées.
Chaque camp, en mode intermittent, souhaite une justice indépendante au gré des condamnations jugées trop clémentes ou trop sévères alors qu'il est sain de confirmer que la loi s’applique à chacun sans distinction. Ce qui n'empêche pas de regretter par ailleurs une judiciarisation à l'américaine où l'empilement des recours entrave l'action publique.  
Depuis le temps que les tables sont à « renverser », d’après des commentateurs paresseux, elles doivent se retrouver remises sur leurs quatre pieds.
Tout le monde appelle au dialogue, au compromis, mais les mêmes chérissent ultimatums et lignes rouges. Il ne reste qu’à prier quelques dieux républicains, auxquels on ne croit guère, pour non plus « changer la vie » mais boucler un budget.
Nous chérissons nos ennemis quand ils sont caricaturaux et certains écologistes n’ont pas besoin des falsifications de l’intelligence artificielle pour être ridicules. Mais la colère à l’encontre des lanceurs d’alerte et des porteurs de solutions est folle : nous avons besoin d’éoliennes et de panneaux solaires pour compléter les centrales nucléaires.
Après l'assassinat d'un influenceur conservateur sur un campus américain, un sondage auprès des étudiants indique qu'un tiers d'entre eux estime légitime d'employer le violence afin de faire taire un orateur: y a-t-il un démocrate dans la salle? 
L'intolérance croit à mesure que l'incertitude apparait à l'horizon.  
Je préfère m’extraire de ces méli-mélodramatiques en savourant une victoire de l’OM contre le PSG et oublier pendant deux heures le tourbillon des algorithmes menant à une terre plate. 
 « Mon exigence pour la vérité m'a elle-même enseigné la beauté du compromis. » Gandhi 

jeudi 2 octobre 2025

Bordeaux # 3

De là, nous empruntons la fameuse rue Sainte Catherine qui s’étire de la place de la Comédie jusqu’à la place de la Victoire. 
Cette longue artère rectiligne, existant depuis les Romains, détient le record de la plus longue rue commerçante et piétonne d’Europe.
Très vivante, souvent noire de monde, elle propose en plus d’une promenade de 1km 250 des restaurants et toutes sortes de boutiques
dont celles du passage Saget
et le bel immeuble des galeries Lafayette.
Nous bifurquons vers l’ancienne place Royale, ex place de la liberté puis à nouveau place royale et aujourd’hui place du parlement. Rendue aux piétons alors que les voitures en stationnement l’encombraient, elle a bénéficié d’un nettoyage efficace de ses façades très noircies au fil du temps.
En longeant la rue du parlement saint Pierre, nous arrivons devant l’église Saint Pierre, la plus ancienne puisqu’elle date du XIV-XVème siècle mais elle fut reconstruite au XIXème. 
Elle se trouve sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle.
Nous continuons jusqu’à la porte Caihlau ou porte du palais
Cet autre  monument emblématique de Bordeaux concentre plus de touristes. Son nom en gascon « porta deu Calhau »  signifie porte du  caillou, Cailhau devint aussi le patronyme d’une riche famille bordelaise médiévale. 
Entrée principale de la ville en venant des quais, bâtie au XVème  en face de l’ancien château d’Aliénor, et de style gothique/renaissance, elle montre des caractéristiques défensives : mâchicoulis, herse, meurtrières. Pourtant apparaissent déjà des éléments plus décoratifs comme les accolades au dessus de fenêtres à meneaux, des tourelles… l’intérieur se visite, mais n’est pas prévu dans notre tour de ville.
Alors nous nous acheminons vers la célèbre Place de la Bourse, quittons le Moyen-âge pour le siècle de Louis XV. Les architectes Gabriel père et fils, les mêmes qui réalisèrent la place Vendôme se chargent de son élaboration. 
Au centre, la fontaine des trois grâces remplace  la statue équestre du roi de France, prévue à l’origine. Deux pavillons en arc de cercle abritent  à droite le palais de la bourse et à gauche  l’hôtel des douanes ( hôtel des Fermes).
Des mascarons figurent au dessus de fenêtres ou ouvertures, ils se réfèrent à la mythologie (Neptune) mais aussi  évoquent le commerce colonial de la ville avec des têtes d’esclaves et de femmes africaines.
De l’autre côté de la rue, le miroir d’eau et les jardins occupent l’ancien emplacement du port et d’entrepôts. Ils sont dans la prolongation de la place, et participent  à sa grandeur en dégageant l’espace jusqu’à la Garonne.
Si le miroir d’eau constitue une source infinie d’images qui se reflètent, nuages, bâtiments, personnes, et peut offrir une distraction faisant oublier la notion du temps, les quais promettent une agréable promenade le long du fleuve.
Avant de nous quitter, notre guide nous fournit pêle-mêle encore quelques infos :
sur le port, dit port de la lune à cause de sa forme,
sur l’envasement de l’estuaire
sur la ville des 3 M : Montaigne, Montesquieu et Mauriac et rappelle l’aide apportée par Malraux  pour que les particuliers puissent rénover leurs biens avec une participation fondamentale de l’état.
Nous nous séparons du guide et du groupe, nous  projetons de déjeuner quartier Saint Michel  au restau « Le passage » aujourd’hui ouvert.
Au menu : pâté atatxi, poulet macéré et frites, un dessert et un verre de Bordeaux vieille vigne  pour un prix  très raisonnable.
Puis nous chinons dans la brocante adjacente avant de chercher un barbier près du marché des Capucins, investi par les « gens de couleurs » et des barbiers maghrébins : 10 € pour une barbe bien taillée sans attente et en 10 minutes alors que plus au centre dans les quartiers bobos pas moyen d’obtenir un RDV avant plusieurs jours. Sans hâte, nous rebroussons chemin en direction du parking.
Nous  remontons le cours Victor Hugo, vers la grosse cloche.
Nous poussons la promenade jusqu’à la rue Vital près de la place du parlement où loge la librairie Mollat qui se revendique comme étant la grande librairie indépendante d’Europe. Impressionnante indubitablement ! 
Et nous continuons à flâner vers le centre commercial  de forme circulaire et tout en verre Place des Grands Hommes, sur le terrain d’un ancien marché.
Nous retrouvons la voiture pour rentrer à Pessac que nous souhaitons gagner avant la fermeture du garage Renault voisin de notre Airbnb : en effet  le voyant orange concernant l’antipollution apparu sur l’écran nous inquiète. Après une petite attente, un employé s’occupe de nous, il  ne peut réparer l’incident dans l’immédiat mais il nous rassure en nous disant que  tant que le voyant ne passe pas au rouge, nous pouvons circuler, sinon, il nous faudra nous arrêter immédiatement. Après cette journée bien remplie, les pattes fatiguées, nous nous installons dans la casa, mangeons légèrement, et allons  nous coucher tôt.