lundi 19 février 2024

Le Dernier des Juifs. Noé Debré.

Traiter légèrement un sujet difficile annoncé par un titre explicite aurait pu présenter quelques attraits ; le résultat s'avère insipide. 
Le jeune homme lunaire ment systématiquement comme la voix off le précise, au cas où on ne l’aurait pas compris, mais sa construction d’un monde imaginaire n’est pas intentionnelle ni aussi originale et bienveillante que dans « Good by Lénine » souvent cité dans les commentaires. 
La crédulité de la mère malade semble avoir ses limites et constitue dans ces ambigüités pour moi l’intérêt essentiel de cette heure et demie. Finalement on se demanderait pourquoi il doit partir, l’anti sémitisme étant seulement évoqué par un réparateur qui ne veut pas intervenir à la vue d’une mezouzah installée dans l’encadrement de la porte d’entrée et des inscriptions que le fils cache à sa mère. 
Il entretient de bons rapports avec ses voisins et quand il ne trouve pas de poulet casher, la boucherie hallal fera l’affaire. 
Film dépourvu de rythme, plus mélancolique que drôle, les amateurs d’humour juif souvent plein d’auto dérision et d’impitoyable finesse, risquent d’être déçus. Le droit à la différence, la tolérance deviennent des mots usés et nos sourires se figent quand des citoyens français ne peuvent plus vivre tranquillement là où ils sont nés.

samedi 17 février 2024

Leçons. Ian McEwan.

Comme je n’étais pas allé au bout de « Veiller sur elle », dernier Goncourt, car je trouvais que les personnages manquaient d’intériorité, j’ai été d’autant plus transporté par Ian Mc Evan qui sait, lui, insérer les destins individuels dans l’Histoire.
Une foule de personnages s’abandonnent au déterminisme ou le contestent, depuis la seconde guerre mondiale jusqu’au Covid, avec crise autour du canal de Suez, missiles à Cuba, Tchernobyl, chute du mur, Brexit ... 
Bien des péripéties sont singulières : une femme abuse d’un garçon et une mère abandonne son bébé, cependant nous nous sentons concernés.
Roland Baines et toutes celles qu’il va rencontrer, ses ancêtres et ses descendants nous émeuvent, riches de leurs ambigüités.
Devant le siège en ruine de la Gestapo à Berlin : 
« Sa propre cellule carrelée de blanc - une leçon de piano, une histoire d’amour prématurée, des études ratées, une femme disparue - était une suite luxueuse en comparaison. »
Pour ce roman dense, bien agencé où l’émotion stimule la réflexion, l’auteur a puisé dans sa propre vie des éléments qui en font toute la profondeur.
Il parle du style de celle qui a quitté sa famille pour la littérature : 
« La prose était magnifique, limpide, souple, le ton empreint d’autorité et d’intelligence dès les premières phrases. Le regard semblait à la fois d’une impitoyable exactitude et plein de compassion. Dans certaines scènes les plus crues, il y avait un sens presque comique de l’impuissance et du courage des humains. »  
C’est de lui dont il est question.

vendredi 16 février 2024

Pêcheur de perles. Alain Finkielkraut.

La dernière fois que j'ai rencontré le mot « perle », employé comme métaphore, remonte aux années 60 et « La foire aux cancres » de Jean Charles, qui recueillait de bons mots involontaires d'élèves.
Ici Lévinas, Kundera, Arendt…  dont les chatoyantes citations ouvrant les 15 chapitres, offrent des trésors de réflexions accessibles, nuancées, vibrantes.
Une constante gratitude déborde des mises entre guillemets.  
« La foi des hommes était si vive que, tel ce pope évoqué par Tchekhov dans une de ses nouvelles, lorsqu’ils allaient faire leurs prières à la campagne en temps de sécheresse pour demander de la pluie, ils emportaient leur parapluie afin de n’être pas mouillé au retour. » 
Et le philosophe blessé par des humoristes de la radio publique qui parlaient de lui en « fan de dégénérescence mentale » a bien raison de craindre pour l’humour et la culture.
« … la culture au singulier n’est plus en odeur de sainteté nulle part. Jusque dans les universités, on dénonce son élitisme. Descendue de son piédestal, elle n’est aujourd’hui admise à l’existence que comme pratique sociale sans plus ni moins de légitimité ou d’intérêt que n’importe quel loisir. »
Concernant l’école, un soupir avec Goethe marque la défaite de l’exigence: 
«  En quoi consiste la barbarie sinon précisément en ce qu’elle méconnait ce qui excelle ? » 
Ce livre personnel lorsqu’il parle d’amour, réjouissant dans ses attaques contre la « cancel culture », convaincant quant à l’Europe, la démocratie, la France, les femmes, être juif … ce livre où sont évoquées « les âmes noires » fait du bien. 
« Il y a tant à défendre ! Il faut être fidèle. » Höderlin.
Alors pour clore cette farandole de citations, j’abrège celle-ci dans la liste des « c’était mieux avant », qui tient 5 pages sur 213 : 
« Agréable, gentil, charmant, prévenant, avenant, attirant, distrayant, ravissant, émouvant, troublant, déroutant, bouleversant, renversant, saisissant… c’était mieux que sympa. Sous ses dehors bonhommes, sympa c’est Attila : après son passage, les différences ne repoussent plus. »

jeudi 15 février 2024

Greuze et Vien. Fabrice Conan.

Comme les deux artistes avaient été déjà présentés devant les amis du musée
,
je m’attacherai à compléter ce premier compte-rendu.
Après la période rococo (Fragonard) et la peinture de charme (Boucher), à la fin du règne de Louis XV, le temps est à la morale, à l’exaltation des vertus. 
Les enfants occupent une place importante dans « Le gâteau des rois » de Greuze.  
«  Je sacrifierais volontiers le plaisir de voir de belles nudités, si je pouvais hâter le moment où la peinture et la sculpture plus décentes et plus morales songeront à concourir avec les autres beaux-arts à inspirer la vertu et à épurer les mœurs » Diderot
En cette fin du XVIII° siècle, Greuze est le plus connu du public, emblématique de la volonté de créer un art français distinct de l’école italienne ou hollandaise.
Né à Tournus, il est formé à Lyon par Charles Grandon :  
« Inauguration de la statue de Louis XIV » dont le tableau a échappé 
à l’épuration militante opérée récemment au musée Gadagne de Lyon.
« Un père de famille qui lit la Bible à ses enfants »
 
où chaque personnage réagit différemment, est au Louvre.
L’artiste met les sentiments en valeur, 
et le graveur  « Louis de Sylvestre » est bien vivant dans sa distraction.
«
 
Le Guitariste » est peint avec  la lumière du Sud et la précision du Nord, 
l’oiseleur porte un pantalon bigarré qui marquerait sa marginalité.
« Silence »
 : deux enfants dorment, 
la mère allaite comme la mode l’a recommandé un moment en cette époque Rousseauiste.
« La femme en colère »
témoigne d’une vie familiale difficile.
Il a connu 
en 1803,   
« Napoléon Bonaparte, Premier Consul, devant une vue de la ville d'Anvers »
et « Talleyrand »
Il meurt en 1805 à 80 ans.
Joseph-Marie Vien
fut l’artiste préféré de l’empereur. 
Son séjour en Italie l’influencera au point d’apparaître comme l’initiateur du néo classicisme marquant l’imaginaire de son élève David, peintre de la Révolution et de l’Empire, qui le fait figurer dans la cérémonie du sacre de Napoléon. 
Dans « Le Centurion à genoux aux pieds du Christ »
Diderot trouve à celui-ci « l'air benêt comme de coutume».
« Dédale attachant dans le labyrinthe des ailes à Icare » est son œuvre d’admission à l’Académie. De professeur reconnu, il deviendra directeur de la Villa Médicis. 
La reconnaissance ne vint pas tout de suite, avant de cumuler tous les honneurs et de supplanter Fragonard auprès de  Madame du Barry pour la décoration de son pavillon de Louveciennes.
« Amant couronnant sa maîtresse ».
Il avait peint l’
« Inauguration de la statue de Louis XV sur la place du même nom, par le corps de la Ville de Paris » alors que la chanson disait:
« Ah ! La belle statue, ah ! le beau piédestal,
Les vertus sont à pied et le vice à cheval. »
La commande de « Saint Denis prêchant la foi en France » devait redresser l’art en France.
Sur proposition de Diderot d’un tableau pour la paix, Vien a réalisé « Mars et Vénus » où les pigeons ont fait leur nid dans son casque. « Make love not war »
« Deux femmes au bain »
seraient « Callisto, nymphe de Diane, sortant du bain, accompagnée de sa suivante ».
L’encyclopédiste dira : « Les tableaux que Vien a exposés cette année sont tous du même genre, et comme ils ont presque tous le même mérite, il n'y a qu'un seul éloge à en faire : c'est l'élégance des formes, la grâce, l'ingénuité, l'innocence, la délicatesse, la simplicité, et tout cela joint à la pureté du dessin, à la belle couleur, à la mollesse et à la vérité des chairs. »
Sortant du style rocaille,  « les deux maîtres ont préparé le chemin de nouvelles générations »
« L’Enlèvement de Proserpine» Joseph-Marie Vien, 1767, musée de Grenoble.
Jean-Baptiste Greuze: « La simplicité»
Sur sa tombe, on peut lire : « Rival de la nature, orgueil de notre France, il garda toujours pur l’honneur de ses pinceaux. Il peignit la vertu, l’amitié, l’innocence, et son âme respire à travers ses tableaux. »
Vien est mort à 93 ans, il est le seul peintre à avoir été admis au Panthéon.

mercredi 14 février 2024

Autour d’Higelin.

A partir du livre de Valérie Lehoux  titré « Je vis pas ma vie, je la rêve », « L’envol du trio sexagénaire » rend un hommage, forcément vibrant, à l’auteur de « Tombé du ciel à travers les nuages » disparu en 2018 à 78 ans.
Dans l’esprit de GB Swing respectueux et original  avec Georges Brassens 
Didier Quillard a adapté à la guitare les musiques rock, venues du jazz  du « baladin fantasque » et dans une salle intime, interprète sans plagiat avec conviction et énergie, les morceaux de bravoure que le modèle des trois artistes incarnait pendant des heures pour des foules  immenses.  
En plus de son éclectisme musical, l’animateur de chanteries révèle ses talents de comédien dans son duo avec Rémi Goube le narrateur dans une version de «  C’est Normal » , créée par Areski et Fontaine, traité de façon comique, de peur de désespérer : 
« Donc on est en train de tomber
Or, tout corps tombe à une vitesse définie
Et en arrivant au sol
Il subit une décélération violente
Qui amène la rupture de ses différents composants »
Michel Marchand le percussionniste joue « Alertez les bébés » 
« Les gens épouvantés
Fuient le mal qui est en eux
Quand vous en croisez un dans le désert
Il trouve encore moyen de détourner les yeux
Car son frère lui fait peur
Il a honte de son frère
Alors il se précipite en pleurant
Dans les bras du premier Colonel Papa venu
Qui lui jure la guerre »
Nous apprenons bien des détails biographiques émouvants, mais nous sommes transportés au-delà de l’exubérance de maître Jacques, avec la puissance parfaitement restituée de sa poésie lumineuse hantée par la peur. 
En deux heures habilement organisées avec Trenet l’autre « Fou chantant » en introduction, nous croisons Henri Crolla qui lui offrit sa première guitare, ses trois femmes, et toujours une liberté que ses enfants disent lui devoir.
Je trouvais maladroite ce que je pris pour une  conclusion mais c’était pour mieux mettre en valeur «  Champagne » pour finir dans les bulles : 
« Cauchemars, fantômes et squelettes
Laissez flotter vos idées noires
Près de la mare aux oubliettes
Tenue de suaire obligatoire »

mardi 13 février 2024

Loire. Etienne Davodeau.

Mon fils m’a offert le dernier Davodeau et je lui avais prévu le même : nous faisons confiance au chroniqueur de l’Ouest (de la France).
Cette fois, j’ai été déçu par l’histoire d’un rassemblement des anciens amants d’une certaine Agathe qui habitait en bord de Loire, mais ne se montre pas à la hauteur des mots de Bruno Latour mis en évidence au début des 100 pages de cet album aux douces couleurs. 
« Nous avons vécu dans la fiction d’un roman moderne de la séparation qui a mis la culture d’un côté et la nature de l’autre. Mais les choses - et la Loire parmi elles - n’ont jamais cessé de parler, n’ont jamais cessé d’être des causes, des âmes si vous voulez, des principes agissants, animés, qui font que le système Terre dans son ensemble vit, que la Loire parle et agit. » 
Les cases panoramiques de paysages aquarellés sont agréables sans être exceptionnelles, et lorsqu’en format gaufrier les personnages se juxtaposent nous n’arrivons pas à les suivre tant ce moment de rencontre apparaît surtout comme celui de la dispersion, des solitudes. Quelques péripéties violentes nous laissent indifférents, tant l’absente reste mystérieuse, sa fille bien peu sympathique et les vieillards plutôt pathétiques.  

lundi 12 février 2024

La Ferme des Bertrand. Gilles Perret.

Ce documentaire de 2023 avec son été de canicule, est enrichi d’un premier film tourné en 1997, quand la pluie retardait la récolte du foin, avec des images télévisées de 1972 par Marcel Trillat saisissant trois frères célibataires qui ont fondé l’exploitation haut savoyarde vouée au Reblochon, « faisant tout avec rien ».
Histoire de transmission, depuis ces « tontons » fiers de ce qu’ils ont accompli bien qu’ils auraient pu choisir une autre voie, jusqu’à la génération qui ne « touche plus un manche » dont les enfants familiers du fonctionnement de la ferme semblent prêt à prendre une relève qui ne leur sera pas imposée. 
Au-delà du travail bien fait quand le roto fil remplace la faux pour toujours faire propre autour des arbres, nous voyons des visages disparaître, des dos se plier, en 50 ans de vie dans un site magnifique. Le réalisateur respecte l’intelligence, la drôlerie, l’honnêteté de ses voisins et nous livre de belles séquences sans appuyer : la naissance et le nourrissage des veaux, la  première sortie de l’étable au printemps, la montée à l’alpage, les vaches appelées par leur nom dont le collier magnétique relié à l’ordinateur leur livre une dose personnalisée de tourteaux, le ramassage du foin en terrain pentu et le soin pris pour ne pas laisser les feuilles de trèfle trop sécher, de quoi bien mériter son AOP.
Ce film d’une heure et demie est fidèle à ses personnages tournés vers l’avenir,et s’il n’est pas aussi bouleversant que Depardon dont la nostalgie est mienne, 
nous voyons pendant une heure et demie un beau travail.