J’admire Finkielkraut et son art de citer en régénérant les auteurs, ses dons de pédagogue, sa langue qui m’embobine ; ses colères, ses passions, ses impatiences me le rendent plus accessible, émouvant, je peux simplement l’aimer. Avec son dernier livre salué de toutes parts, où il présente neuf de ses livres préférés, il parle bien sûr de lui-même et par là à chacun. J’étais aux anges, ravi de revenir sur un livre que j’avais adoré, le redécouvrir, « Le premier homme », et être impatient d’aller à la découverte de « Lord Jim » qui semble si fort, si poignant, quand la poésie des rêves rencontre la prose du réel.
La librairie « Le Square » a réservé un coin aux livres recommandés par Finkielkraut, et à droite de ce blog vous pouvez cliquer sur le lien avec un autre blog de haute tenue : « Un autre monde » où Séjan nous donne sa lecture méthodique et aiguisée de certains des livres en question.
Un hymne de plus à la littérature, avec la sublime beauté des chants désespérés certes, mais au-delà de l’attention aux mots, la vie gagne des nuances, des couleurs. Oui, c’est lui « le sage qui ne rit qu’en tremblant » titre qu’il donne à son étude de « La Plaisanterie » de Kundera, et cette « Tache » de Roth dont les éclaboussures nous touchent, il la connait.
L’espace d’un billet relever une pincée de titres : « Le scandale de l’art » pour le festin de Babeth de Karen Blixen, et « La muflerie du vrai » pour un livre d’Henry James et juste pour mettre en appétit, un petit morceau:
« Cette civilisation de l'image qui naissait en 1957 est aujourd'hui arrivée à maturité et, en délaissant les chemins, elle a mis M. Germain (l’instituteur de Camus) hors du coup. De truchement, il est devenu obstacle. Il montrait la voie ; voici qu'il bouche la vue. Il devait son aura au pouvoir qui était le sien de déverrouiller les portes, d'ouvrir les fenêtres, d'arracher les enfants à l'exiguïté et à la monotonie de leur chez-soi. La télé-présence remplit désormais cette fonction. Il n'y a plus de place pour le médiateur ou l'intercesseur de l'universel dans le nouveau dispositif de l'information et de la communication planétaire. Le maître qui nourrissait jadis « une faim plus essentielle encore à l'enfant qu'à l'homme qui est la faim de découvertes » se heurte désormais à l'indifférence railleuse ou à la somnolente digestion du télé-regard. Ses élèves ne sont plus affamés ; ils sont repus d'images-chocs, gavés de succédanés et de fantômes. La misère elle-même a cessé d'être la « forteresse sans pont-levis » évoquée dans le Premier Homme. Les démunis contemporains ne sont pas débranchés : ils ont un portable et une télécommande. L'indigence est logée à la même enseigne visuelle et virtuelle que l'opulence. »
C'est un plaisir de lire ce commentaire d'un livre que j'ai lu, pour une fois, et beaucoup aimé. Je note la dernière citation, d'ailleurs, car elle résume très bien là où nous en sommes maintenant. L'idolâtrie de l'image nous a achevé la civilisation maintenant. C'est triste et rageant.
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