vendredi 28 mai 2021

Autonomes.

Le tourniquet des paradoxes offre toujours de savoureuses rencontres, depuis celle un peu datée exprimée par les Gilets Jaunes voulant à la fois : « moins d’impôts et plus de services publics » relayée par des populistes à la remorque. 
Cette offense à la logique se retrouve quand est reproché à l’état son omniprésence et son absence, le chef étant trop distant ou trop familier. Il en est de même de notre vie jalouse de sa souveraineté acquiesçant volontiers aux restrictions de liberté pour nos semblables.
Le mot « autonome » a été remplacé dans le champ politique par « zadiste » et autre « black bloc ». Ailleurs, les degrés de dépendance se mesurent surtout vers la fin de l’existence, mais la faculté d’agir librement est à l’épreuve tout au long de notre histoire. 
Ainsi l’autonomie est recherchée dès la maternelle alors qu’elle se cherche plus tard quand les mamans veulent accompagner leurs enfants dans les classes au collège. Cette ambition précoce est un leurre à l’heure où les personnalités se construisent. Tant d'adultes bien mûrs copient /collent des pensées venues des autres, comment un bambin ne dirait pas ce que maman veut qu’il dise ?
Ça y est, je m’échauffe une fois de plus à propos de la manipulation dont sont victimes les gosses à qui on met un micro sous le nez pour exprimer les revendications des adultes ou le message des journalistes. 
Quant aux aspirants à des études longues pour lesquels il faut des stages de motivation, les qualités pour accéder à l’autogestion s’éloignent. De même, les conditions de l’émancipation sont compromises lorsqu’au concours du Capes en 2015  : « un tiers environ des candidats semble méconnaître les principes fondamentaux pour s'exprimer dans une langue claire et correcte. » Et ça ne s’est pas amélioré depuis avec la crise des… ah ah… vocations
Combien de porteurs de sacs cubiques alimentent des affranchis qui ont renoncé à cuisiner. Nounous pour les gones, auxiliaires de vie pour mémé et coachs en tous genres pour les conseillers tous azimuts; les zélateurs de l’égalitarisme ont aussi leurs serviteurs. Et les petits  pendant ce temps n’auraient pas besoin d’être guidés, soutenus ? Les parents surprotecteurs et ceux qui ne veulent pas savoir ce que l’enfance a d’exigeant, attendent leur progéniture au seuil des écoles en vigilance orange face aux intrusions possibles, à côté des mamans débordées. Les petits pépères-rois, pour lesquels les milléniums disent trembler pour leur avenir, auront appris à se tenir au dessus des contingences. Seront-ils armés lorsque viendront les contrariétés?
« Penser de façon autonome, cela signifie réfléchir sa croyance et son incroyance, sa confiance et sa méfiance.» Edgard Morin
Je viens de lire sur l’étiquette d’une bouteille : le mot « respect » en ce qui concerne le raisin. Après avoir épuisé nos capacité de considération envers toutes les espèces en voie de disparition, le seul à être oublié s'appelle «notre prochain».
Saoulé de recommandations, pourtant sommés d'être clean, nous avons du mal à nettoyer nos bouses. Oh le vilain qui ne serait pas solidaire, pourtant les prescripteurs eux-mêmes ne veulent pas de maison à côté de la leur et nos déchets finissent hors de notre vue. On inspire et on expire, CO2 suit O2, toute existence s’accompagne de la mort, bébé vient après que pépé fut passé. Dans nos vies allégées des corvées, a surgi l’idée des « Bullshit jobs », voisine des « burn out »; les pancartes «on recrute» fleurissent.
Dans le carrousel des idées toutes faites, je retourne la carte : « tout a un prix » avec l’image sépia de la réduction du temps de travail qui a accompagné l’effondrement de la valeur travail, comme le revenu universel trône au sommet de la montagne d’argent magique d'un monde chimérique. 
Par ce texte envoyé sur la toile, je participe à un trafic qui génère plus de CO2 que le trafic aérien. La voiture électrique est bien belle, mais il faut alors assumer déchets nucléaires et éoliennes.

 

jeudi 27 mai 2021

La revue du Crieur. N°15 février 2015.

Paraissant trois fois par an, cette publication répond à un des intitulés : « plongée dans la fabrique des idées ».  Mais il convient de prendre son souffle, sans croire qu’il s’agit comme une autre publicité le proclame « sans chapelles » : c’est une publication de Médiapart, intéressante et quelque peu orientée.
La date de parution a son importance. La question posée dans un article «  Doit-on protéger les enfants ? » laissant entendre que la notion de protection est un signe de la domination adulte serait sûrement à revoir. « La vulnérabilité supposée » des enfants parait scandaleuse aujourd'hui.
Le constat sur le long terme concernant l’éducation nationale de Nathalie Quintane ne laisse aucune illusion : il est titré « R.I.P. ». Ses descriptions où une trousse, les toilettes bouchées , prennent toute la place et traduisent avec verve l’ennui de collégiens, comme une visite à la médiathèque voisine provoque rire amer et désespoir. Les photographies d’une sinistre école Robespierre ou Babeuf un jour d’hiver, voire la fière inscription Rosa Parks sur un collège de Gentilly ponctuent 40 pages sur 160. L’écrivaine est plus convaincante que la politique : bien qu’encore jeune, elle a la nostalgie de professeurs rebelles des années 70 et sa radicalité qui la conduit à mettre tous les ministres dans le même sac d’Haby à Blanquer ne la rend pas très crédible.*
L’enquête sur l'Organisation Internationale pour les Migrations offrant des subventions à des artistes africains pour dissuader leurs compatriotes de mettre leur vie en péril en traversant la Méditerranée m’a paru une démarche intéressante, plutôt qu’un scandale quand le rédacteur parle de messages « sédentaristes ».
A la rubrique « Monde des idées », les mots nouveaux, pour un étranger au monde universitaire, ne manquent pas: à vocation intersectionnelle l’ « écologie queer » se cherche, comme les « undercommons », alors que les « maintenance studies » iraient à l’encontre des innovations bien que «  l’accélérationnisme de gauche » comporte des angles morts. C’est qu’il ne convient pas de s’appesantir sur le « cognitariat ». 
Si la critique d’Uber essentiellement sous l’angle spéculatif ne rend pas compte des motifs du succès éclair de cette entreprise, 
l’approche des évolutions du marché de l’art négligeant les caractéristiques de la matière même des objets de ces transactions est également partielle.
Le portrait de Renaud Camus, l’obsédé du « grand remplacement » est documenté, mais que penser de la critique de cette idole des suprémacistes blancs et de son esthétique vénérant la violence, le chaos, 
alors que la bombe aérosol, dont l’histoire est contée par ailleurs, va
 se heurter avec ses graffs « aux stratégies de maintien de l’ordre social et esthétique des villes »?
Voir dans la panne d'électricité à New York de l'été 1977, « une fenêtre sur l’émancipation » est tout aussi excessif que le terme « nuit des animaux » qui avait alors été retenu par la presse américaine.
Il est aussi question de « StripTease », la défunte émission de télévision, politiquement incorrecte, 
et de sex-toys qui bien qu’évoqués en écriture inclusive concernent essentiellement les femmes.
Le reproche adressé aux créateurs qui se sont exprimés sur l’Europe, recourant à des « oppositions faciles et usées » pourrait s’appliquer à bien des rédacteurs de cette revue.
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 * Le livre de Nathalie Quintane « Un hamster à l’école » dont sont extraits plusieurs chapitres, développe sur 198 pages une vision désespérante de l’école où les enseignants et les élèves  s’ennuient. Mais ce parti pris ironique, vachard, est fascinant, porté par une écriture peut-on dire poétique ? Oui. Les ouvrages à propos de l’école sont souvent le fait de profs remarquables, elle, est en retrait, en surplomb, tout en ne se donnant pas forcément le beau rôle. Son tranchant, revigorant, à la lucidité vaine, s’il change des propos nostalgiques et des vœux pieux, est le reflet amer d’une époque qui a abandonné ses ambitions éducatives.

mercredi 26 mai 2021

Amiens # 3

Une fois seuls et dehors, nous ne résistons pas à la devanture des macarons de Jean  Trogneux (parents de Brigitte Macron).
La dégustation prometteuse nous incite à la dépense.
Nous passons rapidement à la maison
avant de gagner le quartier saint Leu où nous nous posons pour casse crouter dans une petite gargote maghrébine familiale. Sans perte de temps, il nous y est servi un menu reconstituant : sandwich libanais, frites et  bouteille de Vittel.
Nous nous dirigeons donc tranquillement de bonne heure vers les célèbres hortillonnages fermés au public le matin et accessible au public à partir de 13h30,
malheureusement sans réservation possible.
A l’heure d’ouverture, pour accéder au guichet, nous ne nous attendions pas à trouver une telle file d'attente sagement rangée sur le trottoir du  pont  qui surmonte le départ en bateau.
Car c’est la 1ère fois que nous voilà confrontés à la foule touristique depuis le début de notre voyage. 
Nous avons le temps de regarder le va et vient incessant des embarcations pleines de clients.
A 14h30, nous montons enfin dans une barque à moteur électrique d’une capacité de 12 plaisanciers appelés au micro.
Pris en main par un guide /conducteur, nous écopons d’un bavard très content de pouvoir servir ses blagues plutôt lourdes.
Mais il nous favorise en voyant l’appareil photo de Guy pendu à son cou, et il nous installe d’office à l’avant. 
Tout ce dédale de canaux est très ancien
et autrefois, ces hortillonnages appartenant aux  hortillons (maraîchers) et hortillonnes couraient jusqu’à la cathédrale. 
Le bateau glisse en douceur sur l’eau entre les berges consolidées par des madriers en acacia et des planches de chênes  indispensables pour contenir la terre des parcelles plus en hauteur. 
Cet écosystème convient  à une faune aquatique composée de poissons bien sûr, de grenouilles, de rats musqués friands de moustiques, de couleuvres, mais  les ragondins qui détruiraient  les bords ne sont pas les bienvenus. 
A notre grande déception, nous n’apercevons que peu de jardins maraichers, ils sont  remplacés par des cabanons  sans eau courante ni électricité entourés d’un jardin  servant de résidence secondaire aux citadins. 
L’association de protection des canaux est à l’initiative d’un concours des rives les mieux fleuries incitant les propriétaires à bien entretenir leur domaine. La promenade passe par des canaux  de profondeurs variables et  certains plus petits prennent le nom de fossés. Par endroits  ils s’élargissent en lacs miniatures, une vraie invitation à se baigner. Nous débarquons au bout de 45 minutes. 
Nous enchainons alors avec  le circuit de l’Office du tourisme à la découverte du quartier Saint Leu parfois surnommé la petite Venise du Nord.
Nous laissons le pont du Cange lieu de l’embarcadère pour longer le quai Belu, puis déviés vers la rue Dame Jeanne à cause d’une passerelle fermée pour dangerosité, nous apercevons un parc de détente avec jeux d’eau et aires de pique-nique.
Nous passons par la rue Queue de vaches car les animaux venaient s’y abreuver, par la rue Motte avec ses vieilles maisons basses colorées.
La statue de Lafleur, le guignol local caractérise la place Aristide Briand 
  tout comme les maisons recouvertes de clins de bois peints au rez-de-chaussée
Plus loin,  les moulins  « passe avant passe arrière » bénéficient d’une restauration partielle. Mais l’ancienne vinaigrerie et deux grandes roues placées de chaque côté du canal menacent ruine.
Le quartier ne s’endort pas dans son passé comme en témoigne l’Université  Jules Verne qui contraste avec son architecture contemporaine
Puis nous arrivons devant le théâtre de marionnettes et bien qu’il n’y ait pas de représentation à cette heure, 
la personne à l’intérieur nous autorise à jeter un œil sur les Lafleur garde-champêtres et autres poupées croquignolesques exposées.
La boucle est bouclée, 
nos pas nous ramènent à la place du Don, bondée de monde aux terrasses des bars.
Nous empruntons l’escalier qui conduit au parc de l’évêché, à la cathédrale, et au troquet d’hier où nous consommons les mêmes boissons.
Avant de rentrer nous flânons dans le quartier commerçant près de l’hôtel de ville et de la poste.
Nous  traversons  la place Marie-sans-chemise et son horloge/statue Dewailly.
Et nous renonçons à nous rapprocher de la Tour Perret  que nous voyons bien de notre logement au 7ème puisque de toutes façons elle ne se visite pas, occupée par des habitations privées et des bureaux.
Nous ressortons à la nuit tombée pour assister à  Chroma, le spectacle de projection sur la cathédrale. 
Il évoque tout d’abord le bleu unique d’Amiens, rappelle les drapiers à travers de lourdes étoffes de lumière glissant sur la cathédrale, souligne les figures géométriques et les lignes directrices de la construction.
Le plus intéressant à mon goût, reste la coloration des statues, les ornements, l’architecture,  tel que cela devait exister à l’origine, et je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec les délirants temples hindous.
Le cri des mouettes dans le ciel de la ville omniprésent  a momentanément disparu sous la puissance de la bande son.

mardi 25 mai 2021

L’homme le plus flippé du monde. Théo Grosjean.

Avant son arrivée sur terre le petit Théo n’avait pas reçu le livre sacré de « La méthode d’intégration d’un groupe en soirée » ; sa vie ne sera qu’angoisse. 
En devenant auteur de bande dessinée, avec une bonne aptitude à l’auto dérision, il va faire du bien à ses lecteurs stressés, et à lui-même si bien que lorsque dans de rares moments où il trouve la paix, il s’angoisse de ne plus trouver d’idées pour son album.
La pandémie est une aubaine mais la concurrence est vive pour le titre de « plus flippé du monde ». En tous cas dans la catégorie de la plus drôle des autobiographies, il tient la corde. 
La mort vient s’asseoir à côté de lui et les petits personnages logeant dans son cerveau se disputent. Ses projections dans le futur ou ses retours vers l’enfance, sa procrastination, nous font sourire. 
Souvent bavard, romantique avec son amie qui aime bien se dévaluer aussi, il peut livrer deux pages sans paroles : après avoir symbolisé son manque d’énergie tout au long de la journée en dessinant une batterie de téléphone à son plus bas niveau, ce n’est que lorsqu’il éteint la lumière que sa vitalité revient et l’empêche de dormir.
Un critique lui a dit : 
« Tu n’es pas le flippé que tu prétends être, juste un peu anxieux comme monsieur tout le monde » 
Il va se mettre dans tous ses états devant son miroir :  
«  C’EST A MOI QUE TU PARLES ! » 
Si ce tome 2 s’intitule  « Tentatives d’adaptation » nous comptons bien qu’il ne guérisse pas trop vite de sa tendresse, de son humour et qu’il nous livre de son trait aussi clair que son honnêteté, des pages toujours aussi réjouissantes : on a tellement envie de le consoler à notre tour, de le rassurer.

lundi 24 mai 2021

Garçon chiffon. Nicolas Maury.

Parfait pour retourner dans les salles, ce premier film parle de cinéma, des difficultés à se trouver, quand les regards se croisent ou fuient.
L’acteur principal est le réalisateur, froissé, « chiffon » : mot de tendresse devenu insupportable à force d’être répété par Nathalie Baye, sa mère pas si caricaturale qu’une comédie l’appellerait.
Après le suicide du père, une vie de comédien aléatoire, un retour vers la mère aimante et agaçante, la conclusion en chanson est ouverte. 
« A nos visages de velours,
Je prends ce que tu me donnes et j’en fais mon amour. »  
Quelques séquences hystériques, surréalistes, à la Demy, sont émouvantes. Il est question de l’histoire d’une « étoile et d’un lion » de Vanessa Paradis, et d’Anne Sylvestre en duo pour bien dire les rapports de filiation : 
« Moi, je t'ai lissé les ailes
Ma chérie
- Mais je peux lisser les tiennes
Moi aussi
- Ça ne se fait pas si vite
Déjà tu ne comprends plus
Tu as l'âge de la fuite
Moi, celui du déjà-vu »
 Ce film musical retrouve les affres parisiennes habituelles dans les métiers du cinéma, et la dualité entre province et capitale. 
Est-ce que nous avons mûri ou parce qu’ils sont traités avec finesse sous des dehors extravertis, l’autisme et l’homosexualité ne sont pas sujets de controverse ? 
Jouées avec sincérité, intensité, ces deux heures fraîches prennent leur temps, mêlant le rigolo des « jaloux anonymes » et le pathétique de l’amoureux apeuré peu aimable car trop aimant, perdu dans un amour éperdu, adolescent qui n’a pas fini d’apprendre à s’aimer. 
Il répète «  L’Éveil du printemps » où un enfant se mue en adulte, une pièce de théâtre de Wedekind dont l’aperçu donne envie de mieux la connaître.

dimanche 23 mai 2021

Indocile heureux. Bénabar.

Oui Bruno Nicolini est un anticonformiste: positif, tendre, drôle, il ne se prend pas au sérieux, mais nous ravit depuis - je n’arrive pas à m’y faire - vingt ans, le prenant toujours pour le petit dernier des chanteurs qui ont des textes et une personnalité. 
Au delà des formules heureuses, des points de vue nouveaux, pour des scénettes vives où il sublime la banalité, accompagnées de musiques sautillantes, notre quotidien en est tout éclairé. Il se permet d'être cérémonieux pour traiter avec distance des sujets pas si anodins que ça. Son romantisme le plus vibrant nous touche grâce à un humour très contemporain qui met de la légèreté à la gravité.
Le temps passe : « Oui et alors » : 
« … Il ne faut pas douter
Qu’on se passera de nous
Comme nous de nos ainés ». 
Toujours garder « Un lego dans la poche ». 
«  L’enfance est si courte
Et dure si longtemps. »
 L’amour en fuite :  
« Tous les divorcés »
 Se sont aimés tendrement
Un weekend sur deux,
Ils le répètent à leurs enfants
Quel est le plus important, l’premier amour ou l’plus récent ? »
 Toujours croire « Les belles histoires » où subsiste : 
«… le piment doux
Des premières querelles d’amoureux ». 
Il renouvelle la vieille histoire: « On ne choisit pas d’aimer » : 
« Tu peux faire le blasé
Arguer que tu t’en moques
T’as pas fini de pleurer
Si ce n’est pas réciproque. »
A un enterrement, il a jeté sa rancune à la rivière : 
« Au nom du temps perdu », il trouve  belle la veuve qui a été sa femme.
Le refrain d’« Une âme de poète » a beau contenir:  
«  Ça me troue l’fion bordel à cul »:  
« On connaît des gens très classes
Distingués, bien comme il faut
Qui disent des trucs dégueulasses
Sans employer de gros mots » 
Pour évoquer les classes moyennes « William et Jack » Dalton sont parfaits. 
Et le slogan « Exigeons l’impossible » risque de se résoudre 
 «  quand les poules auront des caries ».
 Plaisir de vacances avec « Le bain de 23h 30 » 
et celui de chaque jour :
« Les filles de plus de 40 ans » 
« N’aiment pas qu’on leur mente
Sauf quand on fait semblant
De leur en donner 30 ».
« Les indociles heureux » fait la distinction entre les vrais et les faux rebelles de cour d’école ou des open space, les anarchistes de ministère, les insoumis à la fashion week: 
« Y'a les rebelles d'Internet,
Révolutionnaires de Twitter
Et qui vont sauver la planète
En postant partout des petits cœurs
De faux rebelles sous toutes les formes,
L’époque est à la vaine querelle
Anticonformiste, c'est la norme,
Rebelle c'est consensuel » 
Je biche.

 

samedi 22 mai 2021

Nœuds de vie. Julien Gracq.

Je ne comprenais pas le titre au moment où j'ai abordé la première partie de ses
«notules», dont la suite est à venir en 2027, 20 ans après sa mort, et puis j’ai plongé dans les paysages décrits par le géographe.
« Presque tous les paysages des contrées faites d’alluvions récentes sont ingrats : aussi bien le Bourbonnais que la Crau, le plateau suisse que le Bas Dauphiné : mouvements de terrain inharmonieux, incohérents, sont ceux de la boite à sable des Kriesgspiele ou des chantiers en proie aux bulldozers, végétation coriace et branchue, qui tend partout vers le groupement abâtardi du fourré, yeux d‘eau louche qui font penser non à des étangs, mais à des creux de marnières et de ballastières noyées. »
Finalement, par petites touches, je m’aperçois qu’il s’agit bien d’enlacements, de détours lorsque l’auteur, cité dans de nombreux articles, entre finement, poétiquement, dans les détours des fonctions « lire » et « écrire »,la complexité rencontre l’originalité. 
Ses portraits sont ciselés : 
« Le pharmacien, ami de jeunesse de mon père, violoniste et boute-en train comme lui, avait la laideur avenante et mobile, la turbulence et le lorgnon bas perché d’Offenbach, qu’il adorait ; sa femme, dans une des deux ou trois familles de la haute dévotion florentaise, raccourcissait avec pondération la bride à son mari bohème… » 
Ses appréciations sur le milieu littéraire sont âpres, et on aime ça.
Il parle de l’œuvre d’un collègue :
« … prend aujourd’hui pour moi je ne sais quelle apparence parcheminée et cuite, comme le visage de certaines vedettes, précocement rôti par les sunlights. » 
Comme l’usage du dictionnaire n’est plus guère usité, il vaut mieux garder son téléphone à portée de main : ainsi j’ai découvert le mot « gemmail » (panneau constitué de morceaux de verre translucides colorés juxtaposés et superposés, sans sertissage), il convient parfaitement à une appréciation de la poésie.
L’acte d’écrire nous révèle à nous mêmes : 
« Ecrire sans discontinuer, ce n’est pas tant céder à la préférence abusive qu’on a pour son moi, qu’aliéner ce moi dans son fort le plus reculé, en le soumettant tout entier aux mécanismes extérieurs du langage.»
 Et ses réflexions de solitaire vont bien au-delà de sa fenêtre : 
« La Terre a perdu sa solidité et son assise, cette colline, aujourd’hui, on peut la raser à volonté, ce fleuve l’assécher, ces nuages les dissoudre. Le moment approche où l’homme n’aura plus sérieusement en face de lui que lui-même, et plus qu’un monde entièrement refait de sa main à son idée – et je doute qu’à ce moment il puisse se reposer pour jouir de son œuvre, et juger que cette œuvre était bonne. »