samedi 13 juin 2020

Anthologie de la poésie française. Suzanne Julliard.


En ces jours virulents (confinement), je ne pouvais lire que des poésies, et comme je venais d’acquérir ce volume de plus de mille pages, je m’y suis mis de la première à la dernière page sans attendre les directeurs de conscience à la queue leu leu qui redécouvraient la poésie comme emplâtre à nos vacuités.
Au cours de ma carrière j’ai donné une place centrale à cet art qui était, dans les temps très anciens, le plus noble pour accéder à l’académie
Qu’il est bon de découvrir les trouvères qui chantèrent avant même Rutebeuf:
« Au temps où l’arbre s’effeuille
Qu’il ne reste sur branche feuille
Qui n’aille à terre »
Et arriver idéalement à Seghers, éditeur aux recueils d’un format qui nous emmena au cœur des émotions subtiles par l’intermédiaire des passeurs adulés Ferré ou Brassens et aussi tourneur de mots.
« Ainsi passe la vie à surprendre un langage
Inaudible et pourtant comme l’herbe vivant
De l’éternel azur qui n’est fait que de vents
De silence, d’attente, et d’autres paysages »
Si Saint John Perse m’a paru toujours aussi hermétique ainsi que René Char, la force de Rimbaud m’embarque plus que jamais et Baudelaire !
C’est une sorte de Lagarde et Michard consacré uniquement à la poésie avec des commentaires instructifs. Et même si je regrette l’absence de Charpentreau qui enchanta mes années auprès des écoliers et au-delà, le classement chronologique permet de comprendre que nombre de génies de la langue se sont nourris des productions de leurs prédécesseurs et de mesurer ainsi leur apport. A petite dose il est bon de revenir vers Nerval, sortir de clichés autour de Pierre Louÿs, et se régaler de Francis Ponge dont personne n’a pu mieux définir son œuvre que lui-même lorsqu’il a titré « le parti pris de choses ».
«  Où donc sont allés mes jours évanouis ?
Est-il quelqu’un qui me connaisse ?
Ai-je encore quelque chose en mes yeux éblouis,
De la clarté de ma jeunesse ? »  Hugo, à la vie à la mort.

vendredi 12 juin 2020

Acrobatique politique.

Il est commun de dire que la crise actuelle a exacerbé les caractères d’antan. Ainsi je n’ai pas arrangé mon penchant pour l’incertitude. Me hérissent plus que jamais les péremptoires et les si sûrs d’eux.
Je prends ainsi quelques précautions pour enrober mon changement de pied en matière de choix de vote aux élections municipales à Saint Egrève. 
Je vais au second tour choisir « Ensemble » marquant une distanciation sociale avec «  Proximité ». Mes circonvolutions politiques me ramèneront du côté du manche (des effets de manche ?) participant à une vague écologiste tellement annoncée. Je me rends aux arguments de mon camarade Eric A. , mettant ainsi un terme à mon conflit de loyauté amicale.
J’avais participé jadis à une liste où le terme «  ensemble » figurait également et bien que sa multiplication ait affadi son sens, il annonce une intention de diversité aux ambitions consensuelles, préférable à une contiguïté condescendante exprimée par le mot « proximité ».
En exerçant leur responsabilité, les soucieux de la planète et du social pourraient mettre fin à une absence de propositions mise en évidence par des années d’opposition. Ils seront en cohérence avec la majorité de la Métro, seront-ils en mesure de contrarier la propension du maire de Grenoble à désigner toujours les « autres », l’état, comme cause de tous les problèmes, en particulier en matière de sécurité? Les ambitions de Piolle pour accéder, parait-il, à la tête de La France seront davantage déterminantes.
En exposant les fluctuations de mes préférences, je reste dans l’air du temps, où certains verraient trahison et opportunisme, je préfère  me considérer comme un fidèle du « en même temps ». 
Les fils La Rigueur ont ouvert l’open bar ; Buzyn et autre Ndiaye ont écorné pour l’une le sens de l’état et pour l’autre a déçu le plaisir de voir émerger de nouvelles personnalités dont on aurait pu attendre des paroles plus pertinentes. Je reste fier de mon pays pour son action internationale et de son chef pour son intelligence, son courage, son goût de la disruption… et puis il est tellement attaqué.  
Sur le plan local, le logement pourtant plus déterminant en matière sociale et écologique que toutes les mesures réparatrices, ne me semble la priorité de quiconque. L’ancienne majorité sortante, dont l'allant pour construire s'en est allé, n’est pas contredite par ceux qui visent à la remplacer, masquant tous leur irrésolution sous le terme de démocratie directe. RIP pour le RIC à toutes les sauces lorsqu'il paralyse la démocratie directe et garantit l’immobilisme.
Si des progrès spectaculaires en matière de déplacements en vélocipèdes sont une preuve de détermination des amateurs de produits locaux, les moyens mis en œuvre concernant le réchauffement de la planète seront-ils fatalement plus rhétoriques qu’efficients ?
Une pastille verte de plus sur la carte de France témoignera de nos préoccupations globales.
Le regard amusé que je porterai au moment de l’inauguration de la piscine ne sera qu’anecdotique, l’ironie de l’histoire n’apparaitra sans doute pas à une opinion qui aura oublié  qui étaient les opposants monomaniaques à son creusement. J’avais souri également lorsque j’avais vu que pour crédibiliser leur tête de liste, un tract de campagne faisait valoir son passé d’employé de banque alors que cette profession à un autre niveau était semble-t-il une tare indélébile aux yeux des héritiers de l’abolition du salariat. Nous voilà sauvés sur ce plan d’un excès de pureté qui pourrait ressurgir dans l’euphorie d’une victoire qui ne manquera pas de redonner des couleurs et quelque verve à tous les donneurs de leçons.
En matière scolaire, j’ai confiance aux gens du métier qui ne manqueront pas d’être préoccupés par un phénomène révélé par la crise : le décrochage d’élèves dès le CP ! Mais leur champ d'action est limité.
Même si une présentation sur Facebook par une militante de la liste de Laurent Amadieu en "gentils" face aux "méchants" ne me convient guère, espérons que ce type de réflexe où le concurrent sert en priorité à sa propre définition sera le dernier soubresaut d’une culture d’opposant et fera place à des réalisations, des propositions probantes au-delà du manichéisme et des plans com’.
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l'admettre. L'humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. » Jacques Chirac 2002

jeudi 11 juin 2020

La vie ne danse qu’un instant. Theresa Révay.

L’état de délabrement de ce livre de poche dont je viens d’hériter témoigne qu’il avait été lu par bien d’autres lecteurs dont je m’apprête à  contredire l’enthousiasme.
Il y avait matière à écrire entre 1930 et 1945 pour Alice Clifford, correspondante de guerre pour le « New York Herald Tribune » aux premières loges de la montée du fascisme à Rome,  si belle ville, à Berlin et sa nuit de cristal, si tragique, en passant par Madrid, si cruelle… Heureusement, l’américaine se ressource à Alexandrie, si parfumée.
«  Elle avait d’emblée perçu que cette terre archaïque aux senteurs d’épices méconnues, celle de la Bible et des prophètes, portait la mémoire du monde et la promesse d’engouements tant spirituels que charnels.»
« Le Tour de France par deux enfants » avait édifié les enfants de la III° république ; ce tour d’Europe en temps de guerre est bien documenté, avec aventuriers, éminences vaticanes, princes romains, diplomates, artistes, résistants, repentis, bons et courageux, discrets. J’ai été intéressé par la découverte de Pascalina Lehnert secrétaire de Pie XII et  par la complexité de Edda Mussolini, épouse de Ciano.
« Les doigts fébriles, Béatrice retira de son annulaire l’anneau en fer noirci que le régime du Duce lui avait offert sept ans auparavant, lorsqu’elle avait sacrifié son alliance en or pour aider à financer la guerre d’Ethiopie. »
La jolie américaine « intrépide, valeureuse et fidèle à ses convictions, sa plume rigoureuse et sincère, son regard lucide. »    
écrit à gauche mais couche à droite, très à droite, c’est une femme libre.
«  C’était elle qui lui avait appris que l’amour véritable consistait à laisser l’autre s’accomplir pleinement de manière absolue »

mercredi 10 juin 2020

Tenochtitlán. Daniel Soulié.

En 1521, les Espagnols découvrent, la cité aztèque qui deviendra une des plus grandes agglomérations du monde : Mexico -Tenochtitlán, 20 millions d’habitants. La population de « la capitale disparue », dépassait celles de toutes les villes européennes avec 250 000 habitants environ.
Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble insiste sur la relativité des informations qu’il fournit car les sources proviennent essentiellement des « conquistadors » qui d’abord admiratifs se sont attachés à détruire rapidement toute trace de culture ancienne.
J’éviterai de reprendre des éléments déjà mentionnés lors de ce cycle concernant les civilisations précolombiennes, hormis ce plan envoyé à Charles Quint.
L’éphémère empire aztèque a duré un peu plus que la guerre de 100 ans qui se déroulait  alors chez nous.
Ceux qui s’appelaient eux-mêmes Mexicas s’installent sur des ilots marécageux du lac de Texcoco, asséché aujourd’hui, situé au centre d’un plateau à 1000 m d’altitude, cerné par des volcans encore actifs. Ils développent rapidement une ville divisée en quatre sections (campan) avec au centre les édifices religieux. Ils maîtrisent parfaitement l’alimentation en eau potable, l’évacuation des eaux usées, la propreté urbaine.
Un marché rassemblant jusqu’à 40 000 marchands les jours de fête se situe sur l’île de Tlatelolco, un temps cité rivale.
Aujourd’hui La place des trois cultures est au centre de ce quartier.
Des chaussées sont construites en direction des quatre points cardinaux, des canaux sont creusés et des marais comblés.
La structure de la ville est inspirée de celle de Teotihuacan dont l’origine remonte à 200 av J-C.
Ce site gigantesque n’a été fouillé que sur 5% de sa superficie mais laisse penser que la destruction des parties occupées par la classe dirigeante aurait été causée par des émeutes internes  autour du VIII° siècle.
Les allées de 40 à 90 mètres de large permettant à 10 chevaux d’avancer côte à côte, loin des ruelles étroites du moyen-âge, sont bien plus vastes que les avenues prestigieuses d’Alexandrie, de Constantinople ou d’Antioche. Des pyramides impressionnantes bordent la dite allée des morts bien qu’il s’agisse de temples et non de tombeaux. 
La reconstitution de monuments appelée « anastylose » permet de se faire une idée du travail phénoménal déployé pour amener les matériaux et édifier dans une grande rigueur géométrique tant de structures depuis les calpullis (groupes de maisons) jusqu’aux temples dédiés à la lune ou au soleil. 
Et tant de sanctuaires comme celui consacré à la divinité la plus dangereuse, Tezcatlipoca (Miroir fumant), à qui on sacrifie une fois l’an un prisonnier et quatre femmes.
Le culte du serpent à plumes (Quetzalcóatl) était très répandu en Mésoamérique parmi une longue liste de divinités qui réclamaient du sang afin de les remercier de faire se lever le soleil. D’après une ancienne chronique, entre 3000 et 84 000 personnes auraient été sacrifiées en 5 jours, pour l’inauguration du grand temple.
La pyramide principale constituée de sept enveloppes était consacrée à Huitzilopochtli qui sortit casqué et armé du ventre de sa mère avant de massacrer ses 400 frères.
Après un siège de 4 mois, Cortès rase la ville : « Je résolus de prendre alors pour notre sûreté une mesure radicale et ce fut de détruire, quelque temps que cela pût nous coûter, les maisons de la ville, chaque fois que nous y pénétrerions; de manière que nous ne ferions plus un pas en avant sans tout raser devant nous, tout aplanir et transformer les canaux et les tranchées en terre ferme. »
La ville coloniale a été construite littéralement sur les ruines de l’ancienne capitale, les pierres réutilisées pour la construction de plus grande cathédrale d’Amérique latine. Et alors que la nappe phréatique n’est pas loin, les recherches archéologiques ne sont pas aisées.
Un Chac-mool  polychrome (« statue de guerrier mexicain à demi allongé sur le dos[…] on posait sur son ventre un cœur sacrifié.») témoigne des vives couleurs qui recouvraient les bâtiments.
Des figurines en terre cuite réalisées 600 ans avant J-C font de la plus ancienne civilisation olmèque, celle de la « culture-mère ».

mardi 9 juin 2020

50 nuances de grecs. 2. Jul & Charles Pépin.

Le premier tome était tellement délicieux
que celui-ci m’a semblé un peu plus fade, comme lorsque Pénélope propose à nouveau son tzatziki et qu’Achille croyant reconnaître un bon goût d’aubergine est condamné avec Ulysse à «  se taper toute la semaine des plats de chez Icare surgelés ».
Les dessins de Jul  semblant être expédiés depuis un coin de table sont alertes avec ses jeux de mots réjouissants et ses rapprochements toujours ingénieux avec l’actualité : des « toisons d’or » qui veulent le rétablissement de l’ISF (« Impôt Sur la Foudre ») aux réfugiés entre Charybde, Scylla et l’OFPRA. Le cheval du « plan à Troie » est siglé Uber, Hermaphrodite illustre le fameux « en même temps » et la boite de Pandore est une box.
«…  chacun des maux apporté par pandore s’accompagne d’un bienfait. Les hommes meurent maintenant ? Ils en éprouvent une puissance d’exister d’autant plus intense. […] Ils sont obligés de travailler ? Ils découvrent ainsi la joie d’être reconnus pour ce qu’ils ont fait. »
Chaque planche au titre prometteur: « Protée : le changement c’est maintenant » est située en regard d’une réflexion originale du philosophe Charles Pépin qui apporte des précisions : Morphée apparaît comme un mauvais coup au lit avec ses recommandations interminables pour dormir alors que c’est Hypnos son père qui est le dieu du sommeil :
« Tomber dans les bras de Morphée ce serait plutôt s’éveiller à sa vérité enfouie, à cette complexité aux mille visages».
Nous pouvons découvrir des êtres mythologiques tels les Hécatonchires ou les Erinyes, Hestia et envisager des dimensions nouvelles :
«  l’espoir est la marque du faible - c’est d’ailleurs pourquoi il est l’un des maux présents dans la boîte de Pandore. Seul espère celui qui n’a pas la force de dire oui à ce qui est ».
Nous sommes en terrain plus familier avec l’Oracle de Delphes qui n’a pas prévu le Brexit, tout comme nos instituts de sondage, et # Myth too qui avait de quoi dénoncer avec les dieux agresseurs, harceleurs, violeurs, de tant de nymphes, et d’Europe, Nikaïa, Perséphone…

lundi 8 juin 2020

Belle du seigneur. Albert Cohen.

« Trois pages pour tailler un crayon ! » m’avait-on dit, mais justement ces descriptions virtuoses  sont indispensables pour nous plonger dans la vacuité des occupations d’Adrien le mari qu’on aimera tellement voir trompé, employé à la société des nations à Genève.
L’amour absolu est impossible mais tout le monde s’y essaye :
« …et elle m’aimera, m’aimera, m’aimera, la non-pareille m’aimera, et chaque soir j’attendrai tellement l’heure de la revoir… »
Solal et Ariane, si beaux, vivent cet amour fou, sublime, tragique, passant leur temps à attendre, hors du temps et des contingences.
« Leur prétentieux cérémonial de ne se voir qu'en amants prodigieux, prêtres et officiants de leur amour, un amour censément tel qu'aux premiers jours, leur farce de ne se voir que beaux et nobles à vomir et impeccables et sans cesse sortis d'un bain et toujours en prétendu désir. Jour après jour, cette lugubre avitaminose de beauté, ce solennel scorbut de passion sublime et sans trêve. Cette vie fausse qu'elle avait voulue et organisée, pour préserver les valeurs hautes, comme elle disait, cette pitoyable farce dont elle était l'auteur et le metteur en scène, courageuse farce de la passion immuable, la pauvrette y croyait gravement, la jouait de toute son âme, et il en avait mal de pitié, l'en admirait. Chérie, jusqu'à ma mort, je la jouerai avec toi cette farce de notre amour, notre pauvre amour dans la solitude, amour mangé des mites, jusqu'à la fin de mes jours, et jamais tu ne sauras la vérité, je te le promets. » 
Si je dis : ce monument de la littérature parle d’amour sur 850 pages, je me mets dans les pas de Woody Allen « J’ai pris un cours de lecture rapide et j’ai pu lire “Guerre et Paix” en vingt minutes. Ça parle de la Russie. » Nous prenons notre temps.
L’écriture dans sa diversité permet de mesurer l’ennui, de sonder notre condition, elle passe du nouveau roman à Arlequin, Alice au pays des apprêts, du côté du lac Léman et de la côte d’azur, baroque, poétique, bourdieusien.
Le monde entre les deux guerres suintant d’un antisémitisme que cet ouvrage rappelle avec force est vigoureusement croqué :
« Oh dites moi, que fais je au milieu de ses mannequins politiques, ministres et ambassadeurs, tous sans âme, tous imbéciles et rusés, tous dynamiques et stériles, bouchons de liège au fil du fleuve et s’en croyant suivis… »
Toutes se contradictions, où s’ose « la gaieté du malheur », ces richesses, quand la plus suave des attentions suit la méchanceté la plus brutale, vibrent autour de personnages très intimement campés, de la bonne Mariette au bon sens populaire qui repose de toutes ces recherches épuisantes d’absolu jusqu’aux amours de jeunesse et autres parentèles improbables.
« En deçà d’une rivière dont j’ai oublié le nom s’étend mon superbe parc personnel et privé dont le nom anglais est le Gentelman’s Agreement and Lavatory, en abrégé le Lavatory, célèbre pour son château dressant avec orgueil ses quarante beffrois… »
J’ai habité ce livre comme les amants logent dans des hôtels face à la mer, hors des simplifications grimaçantes où femmes et hommes s’affronteraient alors que : « Marche triomphale de la haute nymphe allant à larges enjambées, sûre de ce soir, orgueilleuse de sa servitude. »
Le seul inconvénient de ce chef d’œuvre parfaitement construit est de risquer de faire paraître bien fades d'autres livres. Sa profondeur ne plombe pas le récit qui nous met en empathie avec les personnages sans nous ensevelir ; la recherche de la pureté va bien aux grossièretés et inversement.  
« Jeunes gens, vous aux crinières échevelées et aux dents parfaites, divertissez-vous sur la rive où toujours l'on s'aime à jamais, où jamais l'on ne s'aime toujours, rive où les amants rient et sont immortels, élus sur un enthousiaste quadrige, enivrez-vous pendant qu'il est temps et soyez heureux comme furent Ariane et son Solal, mais ayez pitié des vieux, des vieux que vous serez bientôt, goutte au nez et mains tremblantes, mains aux grosses veines durcies, mains tachées de roux, triste rousseur des feuilles mortes. »

samedi 6 juin 2020

La femme du dimanche. Fruttero & Lucentini.

Parfois la justesse d’un titre épuise le talent des auteurs. Avec ce duo d’écrivains, les mots en devanture disent bien la richesse et les mystères des 537 pages qui suivent.
Venise et Sienne avaient été le lieu essentiel d’autres prouesses littéraires quoique policières   http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/05/lamant-sans-domicile-fixe-fruttero.html .
Cette fois c’est la ville de Turin qui est explorée, pas celle des cartes postales :
 «Une laideur mise au point par un perfectionniste qui n’avait oublié ni l’acacia solitaire et mourant, ni la boite de sardines rouillée dans les orties du sentier. » 
Quelques personnages de la « haute » sont révélés avec finesse et originalité, lors d’une intrigue policière qui prend son temps.
Avec ce roman nous remontons à 1972 et leur premier best seller qui avait inspiré un film de  Luigi Comencini, avec Mastroianni. 
Sur une trame futée, l’écriture luxuriante est attentive:
«  Ce mardi de juin où il fut assassiné, l’architecte Lamberto Garrone regarda plus d’une fois l’heure. »
Le premier à disparaître d’un coup de phallus en pierre avait :
« … les défauts et les qualités d’une Turin en voie de décomposition accélérée : la parcimonie mais gangrénée jusqu’à la gueuserie ; la réserve mais dégradée en louche sournoiserie ; le conformisme, mais atteint de fermentations modernistes ; la « vieille école », mais mangée par les vers de coquetteries et de vices ignobles »
Il n’y a pas que les professionnels de l’enquête à vouloir connaître les coupables, approcher la vérité comme la voyait Oscar Wilde :
«  A la seule mention de ce nom décadent, efféminé et démodé, en plus, Anna Carla se retourna comme si elle avait entendu un serpent à sonnettes dans les cactus. «  Si tu t’entêtes à dire la vérité, cita Massimo, tu finiras tôt ou tard par te trahir. »