jeudi 30 mai 2019

Paul V. Serge Legat.

Après les papes de la Renaissance, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble
commence un cycle : « Les fastes de Rome et de la papauté à l’époque baroque » dont Le Bernin, qui a connu huit pontificats, sera le fil d’Ariane.
Camille Borghèse, issu d’une grande famille d’origine siennoise devient pape en 1605 sous le nom de Paul V à la suite de Léon XI de la famille Médicis qui exerça son pouvoir pendant 27 jours. Il applique strictement le droit canonique en héritier du concile de Trente qui avait relancé les grands principes du catholicisme. Il avait fait appel aux nations européennes pour faire cesser les persécutions envers les chrétiens d’extrême Orient.
Le pape conservera sur son bureau son buste par Gian Lorenzo Bernini jusqu’à sa fin, en 1621.
L’art baroque va mettre en scène « la réforme catholique », qu’il convient désormais de nommer ainsi, plutôt que « contre-réforme ». Les jésuites seront efficaces au service de la catholicité, mais l’appellation « art jésuite » n’est plus usitée comme synonyme d’art baroque.
Le vaste palais Borghèse, dit « Le clavecin » pour sa forme inhabituelle est plus remarquable par sa cour entourée de 96 colonnes que pour sa façade portant le souvenir de la Renaissance. 
Maderno après Bramante et Michel Ange achève la construction de la Basilique Saint Pierre commencée plus de 100 ans auparavant. Il a conçu une façade rythmée de colonnes colossales sur 144 m de long et une hauteur de 45 m, celle-ci cache malheureusement la majestueuse coupole.
Pour améliorer la perspective, une commande avait été passée,
dont un dessin du Bernin donne un aperçu, mais il a renoncé : un des campaniles menaçant de s’écrouler avant d’être terminé.
La frise surplombant la loge des bénédictions de la basilique construite à la place de celle de l’empereur Constantin (326) porte l'inscription suivante :
« Paul V Borghese, pontife romain, a fait faire ceci en l'an 1612, la septième année de son pontificat, en l'honneur du premier des apôtres. »
Dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, ornée de jaspe, agate et améthyste, la chapelle Pauline, comme on dit Sixtine pour celle de Sixte IV, accueille le tombeau de Paul V.
Son neveu, le cardinal Scipione Caffarelli-Borghese fut le principal bénéficiaire du népotisme papal : nommé, parmi tant d’autres titres, archevêque de Bologne, il n’y mit jamais les pieds.
Il fit construire à la campagne, la villa, dite galerie ou villa Borghèse qui réunit de nombreuses collections achetées avec une fortune qui confondit l’argent de l’église et celui de la famille.
L'hermaphrodite endormi est une œuvre romaine d’après un original grec, couché sur un matelas du Bernin. Le fils d’Hermès et d’Aphrodite prit cette forme suite au vœu d’une naïade amoureuse qui voulut être unie à lui pour toujours. L’original acheté par Napoléon est au Louvre. Sa sœur, la belle Pauline, avait épousé Camille Borghèse. L'ambassade de France près du Saint-Siège occupe aujourd’hui la villa qui porte son nom, Paolina.
Le Bernin, symbole du baroque romain, connut une carrière exceptionnelle. Devenu très religieux, ses nombreux sujets mythologiques datent de son début de carrière. Ce père de 11 enfants, à l’humour dévastateur, très conscient de son talent, pratiquait des prix élevés.
Le buste de Scipion Borghèse met en pratique ce qu’il cherchait à saisir lorsque son personnage s’apprête à parler ou à se taire.
Son art de la surprise, du mouvement, de la chorégraphie, de la sensualité suscite toujours le même enchantement
Sous la lumière essentielle, le marbre de L’enlèvement de Proserpine semble ductile,
Apollon et Daphnée : lui est amoureux, il a reçu la flèche d’or de Cupidon, elle, la flèche de bronze, elle ne l’aime pas du tout. Sa métamorphose en laurier permet un gracieux mouvement  à la limite de la rupture. Cette création inspirera un motif charmant de Jean-Étienne Liotard.
« Pourtant, le dieu, porté dans sa poursuite sur les ailes de l'amour, est le plus prompt; infatigable, il frôle déjà le dos de la fugitive, sur la nuque de laquelle, les cheveux épars se soulèvent à son souffle ». Ovide
Des trois David celui de Donatello par sa jeunesse est le plus fidèle à la légende (à gauche). A côté de celui de Michel Ange (au centre), le plus décidé  est celui du Bernin (à droite), issu de la  collection du chevalier d’Arpin qui s’était vu confisquer 107 tableaux.
C’était le professeur du Caravage; celui-ci, avec son jeune garçon à la corbeille de fruits, montre sa virtuosité, laissant apparaître la vanité du monde dans une scène de genre où à cause d’une épaule nue, certains voient de l’homo érotisme.
Le portrait du pape Paul V en tête d'article n’est probablement pas du Caravage comme l’aurait souhaité son propriétaire, par contre sa statue fondue par Sebastiano Sebastiani  sur une la place de Rimini, affirme la puissance de l’église au moment où le baroque est en plein essor.
.....
Une lectrice attentive précise: 
"Tu as dit qu’Apollon avait reçu la flèche d’or de l’arc de Cupidon, et Daphné, la flèche de bronze.
Je suis allée consulter mon Ovide, en regardant du côté latin et ai trouvé que la flèche était associée avec le plomb, et pas le bronze, me semble-t-il.
Ovide insiste sur l’opposition or/plomb, et cette opposition convoque l’autre identité d’Apollon/Phoebus, et avec cette autre identité, le soleil, dont l’or a la couleur.
Le plomb, donc, est associé à la lune, dans cette logique. (Ovide dit « pâle »). La lune est associée à Diana, qui est associée à… Artémis, qui est la déesse des chasseresses éternellement vierges, comme Daphné voudrait le rester.
On peut interroger… l’opposition ? qu’il y a entre le soleil et la lune, et comment nous pouvons comprendre cette opposition, en y voyant un des lieux où l’opposition « masculin/féminin » est la plus intense."

mercredi 29 mai 2019

L’amant sans domicile fixe. Fruttero & Lucentini.

Cette version de l'histoire du « Juif errant », nous tient en haleine pendant 300 pages.
A Venise une femme fatale tombe follement amoureuse d’un mystérieux accompagnateur de voyage. 
« Il n’y a pas de lune, il n’y a pas d’étoiles, mais la nuit vénitienne peut se passer de ces parures cosmiques ; elle a ses propres réserves romantiques, bien plus élaborées, elle dispose de si langoureux mécanismes, de si caressants apparats… »
Cette passion pourrait être convenue comme le désir de chaque touriste de sortir des sentiers battus, mais l’humour, l’habileté des écrivains que je viens de découvrir avec gourmandise, convient parfaitement à l’ambiance de la « Sérénissime », brouillant les temporalités, tout en restant limpides.
Nous effectuons une promenade érudite, sans en avoir l’air, dans l’espace et le temps, avec une écriture aux «  langueurs de fleurs coupées ». 
Dans ce livre qui m'a été prêté, avait été souligné :
« ont été anéantis les papillons du silence, au moyen d’un pesticide rock qui agit en fond sonore. »
Au détour d’un dîner mondain, où il y a du paon au menu, quelques notations psychologiques, fines:
« C’est une femme qui se croit pratique, réaliste, astucieuse, dure, et qui vit au contraire dans une fable perpétuelle, dans un monde peuplé de figures allégoriques, la Faim, l’Espoir, la Fraternité, l’Epidémie, le Capital, le Développement. Une femme simple, secrètement timide, démunie, qui, à l’aide de ces abstractions, se protège du choc avec les Réalités de la Vie. »

mardi 28 mai 2019

Catharsis. Luz.

Le temps n’emporte pas que les Mistrals gagnants et que ce soit bien ou pas bien, nos mémoires se purgent.
J’ai eu besoin de revenir encore auprès d’un ancien dessinateur de Charlie hebdo qui avait échappé à l’attentat de janvier 2015.
Comme nombre de lecteurs de la génération Wolinski et Cabu, je confonds l’auteur d’une fameuse caricature de Mahomet avec Charb. Il joue d’ailleurs de cette confusion fréquente pour prendre sa place dans sa tombe : des pages formidables où l’humour noir rejoint la poésie, un sourire sous les larmes.
Ces 125 pages dessinées dans des styles différents, parmi des versions parfois hallucinées, intimes, colériques, épuisées, sont fortes. Vitales.
Il quitte sa table de dessin où il est passé de personnages hagards et statiques à des petits bonhommes toujours sidérés, mais qui marchent  et entraine sa femme qui lui est d’un précieux secours :
- Et si on faisait nous un petit bonhomme qui marche ?
- Ou une petite bonne femme…
- Ça coûte rien de commencer à gribouiller un peu en tous cas.

lundi 27 mai 2019

Cómprame un revólver. Julio Hernández Cordón.

Impossible d’éviter le mot « violence » dans un film qui pendant une heure et demie pose une question lancinante : est-ce possible à ce point ?
Un père drogué dont une des filles et la femme sont prises en otage, vit avec sa  petite dernière enchaînée pour que les bandes de voyous fous déboulant régulièrement sur le terrain de baseball qu’il entretient ne l’emmènent pas. Les enfants fracassés qui survivent alentour ne pourront que reproduire monstruosités et meurtres dont ils sont témoins. Les eaux du canal qui leur permettent de s’échapper, les mèneront en enfer. Là où l’humanité a perdu son innocence et tout espoir. La familiarité des Mexicains avec les trépassés n’alimente plus seulement une mise en scène folklorique qui ne fait même pas peur.  Alors qui nous sortira de nos effrois, de nos aveuglements face à la mort ? Si les artistes sont les révélateurs de l’époque, les productions de là bas sont dans les couleurs les plus sombres.

dimanche 26 mai 2019

Tous des oiseaux. Wajdi Mouawad.

Eitan et Wahida en Roméo et Juliette, joué en anglais, allemand, arabe, hébreu, sur-titré pour une durée de 4 heures : vers quelle présomptueuse aventure nous allions ce soir à la MC 2 ?
Il faut quand même dire que l’auteur n’est pas un inconnu 
Il  a répondu au-delà de nos attentes : la durée est indispensable pour entrer dans la complexité, la diversité des langues constitue un élément essentiel de la dramaturgie, et le mythe shakespearien revisité brillamment demeure primordial.
La fable oxygénée par une tension constante est mise en scène d’une façon limpide permettant de se consacrer à la complexité des choix : la vérité peut-elle advenir ? Les identités se réinventer ?
« Tout conflit fratricide cache un labyrinthe où va, effroyable, le monstre aveugle des héritages oubliés »
Les acteurs époustouflants au service de dialogues puissants dégagent des pistes qui fouillent au cœur d’un conflit éternel, tout en nous rappelant que ces murs et ces massacres ne sont pas si lointains.
Les dispositifs sobres sont bien éclairés, la sonorisation est efficace : la pièce est juste.
Histoire, géo, psycho et boite à chaussure, humour et humanité, violence des sentiments et de l’intelligence : le public n’a pas profité de la pause pour se sauver, il est debout pour les applaudissements, comme rarement à Grenoble.
 

samedi 25 mai 2019

Pour l’amour des livres. Michel Le Bris.

Mes petits enfants qui passent du déchiffrage à la maîtrise de la lecture se préparent de belles heures et pas besoin de leur mettre de côté quelques mots ramassés ici qui disent bien le bonheur, le pouvoir des livres, ils vont le vivre :
«… dans l’enfance tous les livres sont des livres de divination.» Graham Greene.
Les citations sont bien entendu nombreuses dans ces 260 pages de l'écrivain dont j’ai voulu prendre des nouvelles, lui qui est passé de « La cause du peuple » à « Etonnants voyageurs ».
On pourrait craindre un livre corporatiste trouvant facilement son public parmi des lecteurs de la secte à laquelle je cotise régulièrement, passionnément, désespérément : pas du tout.  
Il en va bien sûr de ses admirations, depuis mère et grand-mère, son maître d’école et ses auteurs révélés avec « La Guerre du feu », Stevenson et toujours Hugo qu’il déclamait face à l’océan depuis ses rochers bretons.
Lorsqu’il fait part de ses dilemmes : comment prendre connaissance de tous les livres et comment les ranger, on voit bien le colosse fabriquer les étagères, comme il nous a fait partager son enfance misérable :
« Sans électricité, bien sûr - nous avions failli l’avoir en 1954, si je m’en souviens bien, mais alerté par un voisin bienveillant, la châtelaine accourue de Paris pour nous l’interdire - pour qui nous prenions nous ? »
Il fait de beaux éloges des libraires chez qui l’ « on peut trouver ce que l’on ne cherche pas », des éditeurs, des poètes :
«  Assiettes de faïence usées
Dont s’en va le blanc,
Vous êtes venues neuves
Chez nous.
Nous avons beaucoup appris,
Pendant ce temps. » Guillevic
Il nous rappelle que La Sorbonne fut créée par les Dominicains inquisiteurs, réhabilite les romantiques, redonne souffle à 68, tout en s’acharnant contre les structuralistes et les « idéologies lourdes, si promptes à nous fournir des réponses sur tout, à la condition de ne plus se poser de question sur rien »
ébranlé par ces écrivains de l’Est de l’Europe qui nous interrogeaient :
«  Comment est-il possible que notre cauchemar soit encore vos rêves ? »
Qu’il fait bon se frotter à ces gais savoirs, partager ces émotions bien enrobées, s’extirper des petites querelles, retrouver quelques rêves et à l’heure des souffrances sur lesquelles s’ouvrent ce livre se sentir plus sage :
« Ne reste plus qu'à en finir avec ce que l'on nous a donné comme "modernité", refermer la parenthèse du siècle des totalitarismes, pour retrouver le chant profond qui a traversé l'histoire de l'humanité, a créé, porté des civilisations, fait que des hommes, il y a des millénaires, dressaient leurs poèmes de pierre, ornaient les grottes de dessins. »

vendredi 24 mai 2019

Tube de dentifrice.

« Passé de René Dumont (1974) à Emmanuel Macron », la formule rabâchée en perdrait ses couleurs dans l’album de mes options politiques changeantes. La rencontre avec des cathos de gauche m’a épargné des rigidités staliniennes, tandis que le verbe de Régis Debray m’a évité de sombrer inconditionnellement dans la startup addiction.
Les pratiques de certains de mes ex compagnons de lutte m’ont amené à les quitter, ne dérogeant pas à la règle qui voit les anciens du PS par exemple être parmi ses plus féroces critiques.
Me voilà radicalisé aussi à cause des radicaux :
légitimiste à fond face à ceux qui méprisent le suffrage populaire,
et européiste intégriste quand je suis confronté aux souverainistes des deux fronts, joue contre joue. Il faut bien se défendre, quand d’autres cognent comme des sourds ! 
La remarque de bon sens « évitons de généraliser » se décline chez quelques commentateurs en refus de la caractérisation et en pusillanimes positions. Les racoleurs de news qui leur collent aux basques, ne voient pas la violence dans les quartiers, bandant dès que passe un burkini, pleurant aux lacrymos qu’ils sont allés renifler, mais esthétisant la férocité masquée de noir, méprisant les Gilets Jaunes en n’osant exprimer le moindre désaccord.
Les hémiplégiques qui refusent de voir une part de vérité parmi les arguments de l’adversaire mettent à jour leur fragilité didactique. Une pincée de « en même temps » ferait du bien à la conversation démocratique ; par exemple reconnaître les problèmes d’insécurité sociale ou culturelle constituerait un progrès pour les progressistes.
Lorsqu’il est question de la violence à Mistral, vont être évoqués esclavage et colonisation mais pas la loi du silence dans les quartiers. Un reportage a mis récemment l’accent sur les insuffisances des bailleurs sociaux, sans que la responsabilité des usagers ne soit évoquée alors que les ascenseurs sont dégradés systématiquement et que l’intervention des réparateurs est entravée.
La culpabilité a été jetée avec l’eau du baptême. Et on ne voit plus guère de poutres dans nos yeux à force de rechercher des pailles chez les autres. Une meilleure compréhension entre les citoyens de ce pays parait bien improbable, les murs n’ont pas poussé qu’à Gaza ou au Mexique.
A tous les niveaux, de prétendus acteurs se font dicter leurs rôles et ne se procurent pas toutes les cartes pour s’orienter dans la vie. Les moyens pour accéder à de vagues désirs ne sont pas toujours mobilisés et les inconvénients de leurs choix pas assumés. Installés à la campagne pour fuir la ville et ses problèmes, certains ne cessent d’en regretter les avantages.
« Les éleveurs se ruineront en dentifrice quand les poules auront des dents. » J.M. Gourio
La métaphore du dentifrice, qu’il est plus aisé à faire sortir du tube que de l’y faire rentrer, a été utilisée pour parler de l’inflation, de la divulgation de scandales, voire des grévistes en général, je ne l’avais pas lue cette fois concernant les gilets jaunes qui trainent encore le samedi, quitte à parler de mayonnaise.
Tant de mauvaises manières ont marqué la société française quand certains se félicitent de la dégradation de l’image de leur pays, banalisant la violence : « c’est pas moi m’sieur ! ». Cette mentalité d’éternels innocents ne vient pas de nulle part.
Que produiront les enfants élevés avec la perspective d’une planète en feu où apprendre leur semble superflu ?
Et c’est un peu court de clamer à tous propos : « C’est de la faute à Macron ! », sauf lorsqu’il s’agit de l’amélioration de l’emploi, alors que certains se félicitent des entraves apportées à son action, fustigeant son impuissance, tout en moquant son volontarisme : Gribouille.
Au secours, Victor ! « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. » Hugo