jeudi 25 septembre 2014

Le noir. Damien Capelazzi.

Après le rouge http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/05/le-rouge-damien-capelazzi.html : le noir.
Dans la ville de Stendhal, le conférencier récidive dans cette dernière conférence de l’année 2014 aux amis du musée.
Il se réfère à Pastoureau, l’historien, pape de la symbolique des couleurs tout en apportant un regard original quand la nuit  va se « lever » alors que dans l’expression courante, elle a tendance à « tomber ».
« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour. »  
Au plafond de la Sixtine, vu de dessous, le Dieu de Michel Ange, à la barbe nuageuse sépare le bien du mal. La lumière permet de percevoir le monde et d’entrevoir le Tout Puissant par l’intermédiaire d’un philosophe de la renaissance Marsile Ficin qui concilia Platonisme et Christianisme. Pic de la Mirandole fut son élève.
En Egypte, le maître des cérémonies des morts, Anubis, le Dieu chacal est noir, en référence au sombre limon régénérateur du Nil. En Grèce, Charon le passeur des âmes était fils de Nyx (la nuit).
Perséphone, la belle enlevée par Adès avec ses chevaux noirs aux reflets bleutés chez Rembrandt va vers les enfers. Elle sera assignée en garde alternée six mois (automne / hiver) plus bas que terre aux côtés de son époux et six mois sur terre (printemps / été) avec sa mère Déméter. Par ailleurs, lors de ce rapt, jamais le marbre n’a été plus chaud que dans la statue du Bernin où la pierre se fait chair.
Dans toute cette mythologie pleine de passions, Zeus punit les titans qui avaient dévoré un de ses enfants, première incarnation de Dionysos, en les réduisant en cendres d’où naquit l’humanité partagée désormais entre l’amour et le mal.
La vierge noire de Montserrat est plus extatique mais Marie qui a été comme le premier manteau couvrant « le fruit de ses entrailles », tient son fils promis à la dernière couverture que sera la terre. Cette clairvoyance permet de se « dégraisser » du merveilleux antique.
Mais les mythes nourrissent  notre humanité : Rodin sculpte Eurydice dans l’ombre, derrière Orphée aveuglé par la lumière à la sortie des enfers, et nous sommes éblouis.
Le noir corbeau depuis Apollon qui le teinta ainsi à cause de son manque de vigilance, se retrouve auprès de Noé, s’attaquant à la charogne, et dans l’ultime champ de blé de Van Gogh.
« Nul autre peintre n'aura su trouver comme lui, pour peindre ses corbeaux, ce noir de truffes, ce noir de gueuleton riche, et en même temps comme excrémentiel. » Artaud
Dans la querelle de la couleur et du noir le bénédictin Suger pense que le Créateur est lui-même à l’intérieur d’un monde chatoyant alors que pour le cistercien Bernard de Clairvaux il n’y a place que pour la contrition et la mort.
Les premiers portraits tels que celui d’un condottière balafré mais raffiné par Antonello da Messine tiennent du « selfie », tant sa situation précaire devait s’affirmer face aux établis.
La beauté du monde se révèle avec ses contrastes : La « jeune fille » de Petrus Christus au front épilé, au teint diaphane porte une ravissante coiffe noire, et « La belle Ferronnière » en réalité Lucrezia Crivelli maîtresse de Ludovic Sforza le maure ainsi que Cecilia Gallerani, « la dame à l’hermine (patibulaire)» peintes par Léonard de Vinci sont si belles sur fond sombre.
Le magicien de l’éclairage, Le Caravage, peint Béatrice Cenci  qui avait été condamnée injustement à mort en  « Sainte Catherine d'Alexandrie », un enfant des rues représente l’amour et lui-même est à la fois David et Goliath : le sang coule sur le noir.
La lune d’Aristote est tachée, elle n’est plus la frontière entre un monde cristallin et un monde putride: Galilée est dans le mouv’.
Le noir est élégant : la dame au voile d’Alexandre Roslin est coquine, celle à la mantille de Goya est inquiète derrière sa pose assurée.
Van Gogh dessinait : « On dirait qu'il y a de l'âme et de la vie dans cette craie de montagne, qu'elle comprend ce qu'on attend d'elle, qu'elle y met du sien. Je voudrais la baptiser craie tsigane. »
« De l’humilité des sols aux lumières de Soulages » tel était l’intitulé de la conférence : nous avons fait le tour du pot au noir, en concluant avec notre contemporain reconnu en premier par le musée de Grenoble. Le nonagénaire marqué par l’art pariétal, laissa les images derrière lui. A Conques ses vitraux doivent se voir le soir quand ils restituent les ors du jour. Celui-ci, brûle tant de ses œuvres qu’il possède un incinérateur. Mais notre syntaxe a pu se régénérer pour « aller au-delà du voile de l’image » quand la lumière accroche sur la matité des matières rythmées.
« Le noir est subtil et sait surprendre en rugissant derrière son apparent silence »

1 commentaire:

  1. Noblesse du noir qui ne supporte aucune médiocrité, et exige les matières les plus somptueuses, les plus raffinés pour ne pas.. sombrer.
    Merci pour ce voyage. L'image du Bernin me coupe le souffle, tant la virtuosité est au service de l'art.

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