jeudi 16 mai 2019

Vettriano. Gilbert Croué.

Depuis « Le majordome chantant » le peintre, « passager nostalgique »  comme le nomme le conférencier devant les amis du musée de Grenoble, est célèbre dans tout le monde anglo-saxon. Ce tableau acheté 4400 € vaut plus d’un million aujourd’hui. Les protagonistes de ce « dansons sous la pluie » ne montrent pas leur visage permettant à chacun de se projeter, d’inventer une histoire.
Détourné, cité, parodié, décliné en produits dérivés ; mugs et posters, assurent aujourd’hui à l’artiste, des revenus confortables. Banksy a joué avec lui, comme tant d’amateurs en photographie, une compagnie de ballet l’a mis en scène.
Jack Hoggan, né en en Ecosse 1951, prendra le nom de sa mère quand le succès tardif mais fulgurant  arrive en 1988. Il avait travaillé à la mine comme son père et après avoir beaucoup copié les impressionnistes, l’autodidacte a trouvé une voie originale reconnaissable au premier coup d’œil. "Autoportrait". Il vend à sa première exposition, sa première toile au bout d’un quart d’heure : « Le glissé blanc » ( pas retrouvé sur internet) où un chapeau, attribut masculin des années 30, apparaît dans le miroir. Atmosphère de films noirs et jupes fendues. Souvent à la façon des Hollandais au XVIII°, les cadres sont noirs et les formats adaptés à la taille d’un appartement.
La composition de l’ « Hôtel du chagrin » est orthogonale, cinématographique.
Sa femme qui pose dans «  Après midi à Edinbourg » va le quitter, mais elle restera présente dans de nombreuses toiles.
Ses titres comportent parfois des points de suspension :
le climat est lourd dans « Quelquefois les hommes… »
« The purple cat » est le nom d’une boite de nuit que fréquentait son père.
Souvent des personnages guettent, surveillent « Les innocents ».
Comme dans la «  Chambre d’hôtel » de Hopper où la lectrice au milieu de ses valises pense peut-être à autre chose, les éclairages travaillés, la banalité, l’attente se retrouvent chez Vettriano, en plus érotique.
Les références cinématographiques abondent : « Angel » rappelle l’attirance, et  le renoncement qui hésitent dans « Brève rencontre » de David Lean.
La musique de « Laura » film d’Otto Preminger fut inspirée à David Raskin en une nuit par une lettre de rupture de son épouse, «  La partie est finie ».
« Les danseurs »  aux couleurs rythmées vivent avec des musiques de fox trot, tournant le dos aux critiques qui reprocheraient une peinture trop plate, aux concepts trop accessibles au populaire.
« Un passé imparfait ». En littérature Modiano a le droit d’évoquer les temps anciens, dans le domaine des arts plastiques cela semble moins évident, du moins pour les censeurs, ordonnateurs du goût du jour.
Sous la lune, la plage est nacrée, «  Dance for the end of love » est aussi une chanson.
Des plages froides de la Grande Bretagne aux lumières de la Côte d’Azur, les retrouvailles sont plus rares que les départs. « Blue Blue »
Et toujours la solitude : « A Kind of Loving II »
« The letter »
 « Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir, retenir »
Brassens

mercredi 15 mai 2019

Place de Sienne, côté ombre. Frutterro & Lucentini.

Pour continuer une promenade en Italie commencée en décembre 2018
rien de tel qu'un bon livre avec lequel nous passons trois jours dans les environs de Sienne au moment du Palio.
Un roman malin aux allures de polar, où le narrateur joue et en dévoile toutes les couches, fantastiques, historiques, romantiques, existentielles...  Comme un zapping coloré, vivant, instructif, passionnant.
L’écriture des deux compères dont l’un s’était suicidé laissant l’autre silencieux pendant quatre ans, ne se prend pas au sérieux mais respecte son lecteur.
« Elle s’expliquait en partie, à 20%, disons par l’erreur initiale sur la route, provoquée à son tour par la chute de la grêle ; à 15%, au moins, par le dépaysement social, Valéria et lui ne fréquentant pas habituellement des gens de ce milieu là ; à 20%, encore, par le plongeon au milieu des passions brûlantes, des règles compliquées, de l’atmosphère exotique du Palio… »
Le titre original : « Il palio delle contrade morte » laissait deviner le mystère de cet évènement où tous les quartiers rivaux (contrade) ne peuvent aligner chacun leurs chevaux au départ des trois tours de place. Les jockeys courent pour les quartiers vivants et les morts.
182 pages délicieuses.

mardi 14 mai 2019

Le premier homme. Jacques Ferrandez.

« D’après l’œuvre d’Albert Camus » : le personnage principal de la B.D. appelé Jacques Cormery représente l’auteur de « L’étranger » évitant une mise en image anecdotique dans un récit qui réussit la gageure d’adapter un roman majeur du prix Nobel de littérature.
« Au lieu de la joie du succès, une immense peine d'enfant me tordait le cœur... Comme si je savais d'avance que je venais par ce succès d'être arraché au monde innocent et chaleureux des pauvres, où la misère tient lieu de famille et de solidarité, pour être jeté dans un monde inconnu... Et désormais apprendre, comprendre sans aide, à devenir un homme. »
L’inachèvement des écrits originaux publiés bien après la mort du natif de Solférino permet une liberté au dessinateur particulièrement heureux au bord de la Méditerranée.
« La Méditerranée sépare en moi deux univers, l'un où dans des espaces mesurés les souvenirs et les noms sont conservés, l'autre où le vent de sable efface les traces des hommes. »
183 pages de souvenirs d’enfance entre une grand-mère forte, une mère analphabète, à la recherche d’un père très tôt disparu, l’âpreté de l’Algérie et la violence, la modestie de ces petites gens, leur dignité, leur force : « un homme ça s’empêche », l’école, la plage et les parties de foot avec les copains, sont restitués dans toute leur tendresse originelle.
Des bonheurs d’écriture sur fond d’aquarelles ne figent pas, mais suggèrent, ensoleillant une prose humaniste d’une honnêteté  bien sûr lumineuse.
« Comment prêcher la justice, moi qui ne suis même pas arrivé à la faire régner dans ma vie. »


lundi 13 mai 2019

Stan & Ollie. Jon S. Baird.

En lisant quelques commentaires, j’ai appris un mot qui convient parfaitement au sujet : bromance » : amitié forte entre deux hommes, sans composante sexuelle.
Ce qui tient  les deux acteurs comiques Stan Laurel et Oliver Hardi dont certains ne savent plus qui est qui, c’est avant tout leur couple. 
Alors si cela fait cinéma, je ne sais, le succès ne semble pas au rendez-vous et lors de la seule séance, dans la seule salle à Grenoble, au bout d’une pincée de semaines, nous n’étions que quatre spectateurs.
J’ai été ému sans que les facilités style « La fin du jour » avec acteurs passés de mode qui ne savent  pas décrocher ne submergent l’histoire. 
Je n’appréciais pas particulièrement leur humour  et même si les rires ont changé, les extraits de sketchs que l’on peut réviser font ressortir leur originalité avec leur concurrence sans cesse mise en scène, des disputes amicales, leur sens du rythme.
Actrices interprétant leurs femmes et acteurs sont excellents. 
Ce retour vers les années 50, nous fait passer un  moment agréable.   

dimanche 12 mai 2019

Tout va s’arranger. Grégory Faive.

Une troupe de théâtre doit monter La Mouette de Tchekhov en comédie musicale.
L’ambition peut être louable et les soucis qui s’accumulent lors des répétitions une bonne source comique, mais les deux heures à l’Heure bleue m’ont semblé longues.
L'entame est laborieuse dans le genre très fréquenté du one man show avec adjonction d'un  Kévin vissé au téléphone, d'une actrice obsédée par son âge,  et d'une régisseuse qui n’a pas le sens de l’orientation… L’option théâtre dans le théâtre peut être amusante parfois, comme est  bien ficelée la scène finale qui rachète de quelques errements.
Enfiler des vestes à paillettes et chanter en agitant les mains peut permettre d’évoquer Broadway, mais Tchekhov s’éloigne quand la sonnerie du téléphone du metteur en scène est un cri de mouette, l’ingénieur du son ayant par ailleurs confondu seagull (mouette) avec cigale. A un moment une actrice en fin de carrière qui ne veut pas décrocher apparaît dans la lumière, cette séquence aurait pu être touchante, mais s’avère trop insistante.
Et on peut se demander parfois si le manque de talent de certains acteurs partie inégrante des complications qui s’additionnent autour du drolatique collectif est vraiment joué ou si c’est naturel. 
L'enjeu ne m’a pas paru vraiment traité alors que la désespérance russe aurait pu s’affronter à la superficialité du music-hall.
Pour apprécier aussi bien Balotelli que Pirandello, j’ai toujours cultivé le mélange des genres, mais de cette pièce partant dans tous les sens, dont on peut aimer la modestie, il ne reste plus grand-chose.   

samedi 11 mai 2019

Un cirque passe. Patrick Modiano.

« … L’ampoule sur le pied de lampe, est trop petite et trop faible. Si je remontais le cours du temps et revenais dans cette même pièce, je pourrais changer l’ampoule. Mais sous une lumière franche, tout cela risquerait de se dissiper. »
Les mots « brumeux » ou « fantomatiques » arrivent d’emblée, lorsqu’on aborde ce livre où l’éclairage est pourtant vif, les phrases claires. Un sentiment d’étrangeté baigne ces 165 pages aux allures policières dont il ne faut attendre aucun dévoilement. 
On a tellement parlé du prix Nobel de littérature que nous n’avons plus qu’à retrouver ses pièces désertées, entrevoir des personnages insaisissables, absents, à identité variable, qui apparaissent ou disparaissent mystérieusement, les rues de Paris, un passé qui sourd, les points de suspension… Délicieux et singulier. Le titre ne dit rien.

vendredi 10 mai 2019

Zadig. N°1.

J’ai beau affirmer me défendre d’un flot d’informations débilitantes, je me suis laissé aller une nouvelle fois à mon goût des premiers numéros de journaux et magazines, d’autant plus facilement qu’il est édité par le « 1 » de Fottorino. http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/03/jai-vu-la-fin-des-paysans-eric-fottorino.html .
Le trimestriel de 200 pages coûte 19 €, sans pub ; un succès de librairie.
Son thème « Réparer la France » est bienvenu  sous une couverture positive, des signatures familières : Ozouf, Kerangal, Slimani, Boucheron, Rosanvallon… des angles variés, un confort de lecture assuré.
Le reportage à bord d’un chalutier au large du Guilvinec est intéressant
une infirmière qui exerce entre Dunkerque et Calais attachante,
la petite pensionnaire de Marie Desplechin interroge,
un prof à Cagnes-sur- Mer offre des possibilités à des élèves en difficulté...
Même si des témoignages d’entrepreneurs travaillant dans la réinsertion sont sympathiques,
je retiens surtout du côté de Vesoul, la description désespérante d’une campagne où la drogue est familière chez les jeunes,
et à Vierzon ces charcutiers  qui n’ont pas de successeur.
Les faits divers rassemblés par Régis Jauffret sont criants,
les cavaliers intervenants aux Baumettes avec leurs chevaux sont magnifiques,
les femmes qui ont eu le cancer et se retrouvent à coudre dans un local à Créteil
« ravaudent la beauté déchirée du monde ».
William Boyd est un peu décevant même si c’est encore par les étrangers que nous pouvons retrouver une meilleure image de nous même.
Le Havre de Maylis de Kérangal est plus accessible
que le pays de Marie Darrieussecq
et s’il faut bien être Christian Bobin pour voir tant de poésie au Creusot,  c’est bien bon,
je ne pensais pas suivre avec autant d’attention Orelsan à Caen, d’autant plus qu’il est commenté avec pertinence par Bertrand Dicale :
« Oreslan est évidemment français, c'est-à-dire tout endolori de soupirs qu’il chérit, détestant l’enfer du présent, en attendant qu’il se mue en paradis perdu. »
Les cartes de Le Bras mettant en évidence la « diagonale du vide »allant des Ardennes aux Pyrénées, n’apportent pas tellement de nouveauté,
alors que les infographies sur les inégalités nous rappellent utilement que « le système d’impositions et de prestations sociales a permis de réduire de moitié les inégalités de niveau de vie entre les ménages les plus aisés et les foyers les plus modestes. ».
L’épicier que décrivait Balzac ne manque pas de sel,
un « homme aux cinquante métiers » a du savoir-faire et exprime un rapport au travail très contemporain,
l’esthéticienne d’Ivan Jablonka qui a « plaisir à faire plaisir » est vraiment aimable.
Mona Ozouf interrogée sur le parallèle entre 1789 et le mouvement des Gilets jaunes dit son inquiétude et sa mélancolie :
« Inquiétude, parce que ce que l’affaire met en évidence, c’est l’extrême fragilité de notre tissu culturel, une pellicule sous laquelle perce toujours la menace d’un dérèglement inhumain. Mélancolie aussi : ma génération a cru à des lois de l’histoire, possibles à déchiffrer et à utiliser. Et nous voici un peu vexés, le nez sur l’indéchiffrable et l’immaîtrisable. »