dimanche 28 avril 2019

First trip. Katia Feirrera.

D' abord vérifier si une telle histoire, suicide de cinq filles d’une même famille, est basée sur de faits réels : oui. En Amérique les tempêtes sont toujours plus fortes, les histoires plus incroyables.
Et il faut bien plus de deux heures, qui ne se comptent pas, pour approcher ce mystère sidérant traité lors de cette création à la MC2, avec efficacité et délicatesse.
Des parents très religieux avaient isolé leurs filles après la mort de la plus jeune, ce qui n’a pas empêché, voire qui a précipité l’issue fatale annoncée pour les quatre survivantes.
Les garçons qui leur tournaient autour, au moment des bals de promo 74, essayent de comprendre, des années après, le mystère de l’autodestruction de ces filles sublimées.
Le « chevauchement des temporalités » est subtilement agencé et le traitement des détresses adolescentes, des incompréhensions adultes, des exploitations médiatiques, des pansements pédagogiques, bien vues. Une musique douce aux accents graves accompagne nos interrogations.
Que Sophia Coppola ait tiré son film  «  Virgin suicide » (1999) du roman de Jefrey Eugenides ne perturbe pas du tout un apport de la vidéo qui ne dévore pas le travail des acteurs. Il s’agit de théâtre et du meilleur.
Le déroulement de la pièce est limpide, toutes les pistes sont explorées sans désigner de coupable unique comme les mœurs superficielles d’aujourd’hui l’appellent si souvent.


samedi 27 avril 2019

L’infinie patience des oiseaux. David Malouf.

La lecture de ces 218 pages est confortable, pourtant je l’ai interrompue à plusieurs reprises pour ne pas finir trop vite, en déguster la poésie et ne pas me laisser envahir par la violence de la guerre de 14.
En effet nous passons d’une réserve d’oiseaux en Australie aux tranchées des Flandres et mesurons une nouvelle fois la dimension mondiale du conflit qui fit dix millions de morts. Nous quittons un ciel limpide pour retourner vers des terres lourdes, regardons prudemment des oiseaux migrateurs et nous nous retrouvons face à des hommes enterrés avant que d’être morts, frôlés par des mains  qui réapparaissent sous les ruissellements boueux pendant de si longues attentes.
«  C’était l’époque des grandes migrations, ces derniers jours d’août et les premiers de septembre, et Jim passait de longues heures à observer et à noter les nouvelles arrivées : les premiers réfugiés, comme les appelait Miss Harcourt »
Je ne me lasserai pas de voir énumérer les noms des oiseaux : « hirondelles des arbres, bécasseaux maubèches, divers chevaliers dont un chevalier aboyeur solitaire… les coulis de Sibérie, les pluviers argentés, les bécassines du Japon, les martinets de Sibérie… »
Cette liste incomplète n’est pas là pour prendre une pose stylistique, elle  s’inscrit dans une densité, une finesse de l’observation qui s’appliquent aux moments les plus anodins comme aux plus graves.
« Voilà, c’était ça, la pensée qu’elle cherchait à capter. Son esprit se rassembla et la retint, le temps d’une respiration, avant que l’attraction terrestre ne la désintègre et l’envoie déferler avec la même énergie dans le flux des choses. »
Sa respiration me suivra comme la musique de Dominique A :
« Si seulement nous avions le courage des oiseaux
Qui chantent dans le vent glacé ! »

vendredi 26 avril 2019

Tas de pierres.

Au pays des émoticônes et des tweets éructants, s’aventurer à aligner quelques paragraphes côtoie l’arrogance. Combien se taisent, faisant tourner la punch line sans y mettre un brin de soi.
Ce ne sont pas seulement les bois des forêts primaires qui ont brûlé à Notre Dame, l’humilité et l’humanité de certains ont disparu dans la fumée noire.
Le mécanisme habituel des détournements, genre on parle d’autre chose, s’est mis en place lors cet évènement avec une virulence qui ne cesse de s’aggraver même si ce sont  les mignons nounours polaires qui sont ressortis à nouveau, alors qu’il est question de cathédrale cramée.
Quand des quidams ne voient qu’un tas de pierres dans le monument où s’est exprimée la grandeur des hommes, ne donnent-ils pas à rétorquer qu’ils ne seraient eux mêmes qu’un tas d’os cimenté par le ressentiment ?
Raphaël, le peintre, a utilisé en premier le terme «  gothique » au sens de barbare et Molière avait jugé :
« ... Le fade goût des monuments gothiques
Ces monstres odieux des siècles ignorants
Que de la barbarie ont vomit les torrents... »
Qu’en est-il à notre époque qui détruit tours et toits, si loin de la Renaissance ?
Faire appel à l’histoire d’où parlent les pierres, voire à la poésie, celle qui donne des intentions aux pâquerettes, demande des précautions, si l’on ne veut pas mériter le fouet pour avoir négligé de mentionner le pouvoir d’achat.
 « La violence, c'est un manque de vocabulaire. » Gilles Vigneault
Mes références viennent de cette institution scolaire honnie par tous ceux qui n’ont pas atteint l’âge adulte, refusant de reconnaître la compétence des autres et la légitimité des élus. Ils sont là, na ! Avec comme projet : se montrer et ne rien lâcher, exister par leur capacité de nuire.
Dans nos contrées, les derniers guerriers en uniforme sont en voie de disparition, et « papys boomers » n’ayant guère connu que la déflagration de « La Boum » avec Sophie Marceau, nous sommes effrayés par la violence présente.
Une « responsable » de l’UNEF, une étudiante :
« Je m’en fiche de Notre-Dame car je m’en fiche de l’histoire de France ». « On s’en balek, objectivement c’est votre délire de petits blancs ». Les commentaires sont inutiles, l’ignominie trop évidente, la contagion des excès trouvera-t-elle son vaccin ?
« Suicidez-vous ! » adressé à des policiers, n’est que la partie émergée d’une barbarie qui prend de plus en plus ses aises.
Les « Gilets Jaunes » et  leurs affidés protestent contre les « violences » policières, les cherchent, espérant qu’un martyr advienne. On ne peut retenir contre eux toutes ces indignités pas plus qu'on ne peut nier leur mérite d’avoir remis la question sociale au centre des débats.
Le paradoxe est patent lorsque des pancartes demandent des référendums dont les porteurs ne respectent en rien les choix des autres : paralysie assurée.  D’ailleurs ce mouvement forçant parfois l’approbation, avait depuis le départ privilégié les blocages.
Leur idéologie démagogique, leurs pratiques brutales se situent dans la ligne de tant de régimes autoritaires à poil noir genre bête Brechtienne au « ventre fécond ».
« L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence.» Averroès

jeudi 25 avril 2019

Gérard Garouste. Christian Loubet.

Dans le « teasing »  auquel s’est livré le président des amis du Musée de Grenoble avant la conférence, cette phrase tirée du livre de Garouste : « L’intranquille », le définissait parfaitement:
« Longtemps je n'ai été qu'une somme de questions. Aujourd'hui, j'ai soixante trois ans, je ne suis pas un sage, je ne suis pas guéri, je suis peintre. »
Pourtant il ajoutait : «Le lien légendaire entre la folie et l’art s’est trop souvent changé en un raccourci romantique. Le délire ne déclenche pas la peinture, et l’inverse n’est pas plus vrai. La création demande de la force. »
Entre des façons à la Dali ou Chagall, il est peintre, « Garouste entre Duchamp et Picasso » : « Un tableau est une croûte opaque qui renferme du sens. L’œuvre est tout ce qui vit et se développe sous la surface. »
Gérard Garouste est né en 1946 dans une famille où le père antisémite venait d’être condamné pour spoliation. « Je suis le fils d’un salaud qui m’aimait ». Il va se marier avec Elisabeth Rochline qui est juive, elle aura à supporter bien des crises bi-polaires qui ont valu à son mari quelques internements.
« Jeu de malin ». Il se met souvent en scène, jouant « du double je » échappant au rationnel.
Avec Jean Michel Ribes, qu’il a connu aux Beaux arts, il a passé « Le pacte », a travaillé avec lui au Palace et présenté un spectacle : « Le classique et l’indien » :
« Le Classique est un homme pétri par la norme, il n’inventera jamais rien, ne fera qu’obéir et suivre le mouvement en rêvant d’ascension sociale[…] L’Indien est un intuitif, un insoumis, un créatif.»
Ces personnages se retrouvent en chasseur aveugle et artiste dans la nuit. Ce tableau  s’intitule : « Adhara » d’après le nom d’une étoile située dans la constellation du Grand Chien. Il passe vite aux couleurs vives et si les corps en volume dans un graphisme précis sont charpentés, ils s’allongent, se déforment.
Ainsi « Balaam » du nom d’un devin converti après qu’un ange eut empêché son ânesse d’avancer.« Les libraires aveugles » «Ils ont le livre et ne savent pas le lire ».
L’âne est souvent représenté dans des associations d’idées et d’images comme tant d’animaux. Il mêle les grands mythes avec sa propre histoire, la kabbale et le surréalisme.
« Dina » est fille de Jacob, violée, elle sera vengée par ses frères.
« Diane et Actéon », la belle, surprise, transforme le voyeur en cerf.
Si les vitraux de « Notre dame de Talant » sont apaisés,
le souvenir de son délire après avoir recherché sa propre tombe à « Chartres » est émouvant.
Rabelais, Dante, Don Quichotte, La Fontaine l’ont inspiré et aussi Hergé. 
« Le sarcophage »  des cigares du Pharaon devient véhicule.
Sa rencontre avec le rabbin psychanalyste Ouaknine va l’emmener loin dans les interprétations et les double-sens : « Le rabbin et le nid » «  En chaque mot, il y a un oiseau aux ailes repliées ». La discussion peut être sans fin à propos de la place du nid dans le Deutéronome : « Si par hasard tu rencontres un nid d’oiseaux, tu chasses la mère, tu prends les enfants, la vie sera meilleure pour toi et tes jours seront prolongés. » Je préfère l'histoire de trois rabbins dans un taxi new-yorkais trouvée sur le site de Babelio :
« Le plus vieux dit son ignorance, son éternelle humilité devant le texte,
le deuxième en âge dit : « Mais non, je suis bien plus ignorant que vous ».
Le plus jeune intervient : « Mais vous êtes mes maîtres, c'est moi l'ignorant ! »
Alors le chauffeur se retourne en rigolant : « Arrêtez le concours, s'il y a un ignorant, ici, c'est moi. »
Les trois rabbins se regardent alors, l'air de dire : « Mais pour qui se prend-il celui-là ? »
Devant « Le puits » dont le mot « bear » signifie « interprétation » en hébreu, un antipodiste se trouve face à des pages blanches, et le clown porte un « San Benito » du temps de l’inquisition. Les figues disent l’importance de l’étude.
Il installe « Ellipse » un ensemble de toiles au Panthéon puis à la fondation Cartier et conçoit pour la manufacture d’Aubusson : « Le murex et l’araignée ».  
Il a créé une institution, « La source », qui accueille des enfants défavorisés dans des ateliers animés par des artistes.
« Autoportrait aux quatorze doigts » (2 X 7) Fasciné par la religion juive, à laquelle il se convertit en 2012, il continue d’enchaîner les toiles recouvertes de peinture, dans un monde où l’iconoclaste Duchamp a joué alors que Picasso avait cassé tant de figures.

mercredi 24 avril 2019

Lacs italiens # 18. Milan 3.

J. déclare forfait aujourd’hui pour une nouvelle expédition à MILAN.
http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/03/lacs-italiens-13-milano.html 
Il reste le trio insatiable pour une 2ème approche de la ville du design et du modernisme italiens. Le GPS annonce   qu’exceptionnellement, il y a moins de ralentissement  sur l’itinéraire, notamment vers Monza, nous arrivons assez tôt à Milan, mais nous sommes coincés dans les bouchons après une tentative pour rentrer dans un parking couvert que nous dédaignons à cause du prix affiché et de son éloignement du centre.
Nous progressons  lentement dans le quartier des affaires de la gare Garibaldi en pleine construction d’immeubles élégants et contemporains au son des klaxons et malgré des queues de poisson. Dans un tunnel, une bifurcation  vers des parkings souterrains  nous parait être une bonne solution. Mais lequel choisir dans ce dédale ? Ils se jouxtent tous. Le mot "publico" nous inspire plus que les autres. Nous repérons bien l’emplacement de l’auto puis un ascenseur nous dépose Piazza Aulenti, près de l’auditorium,  au cœur  de l’innovation architecturale  de la ville.
C’est un joli espace où il fait bon prendre un café et un croissant en admirant les formes harmonieuses et les  matériaux variés des bâtiments (verre, bois, végétation…).
Nous prenons le métro Gare Garibaldi puis suivons les indications de Google Maps piétons jusqu’à la Casa Museo Boschi Di Stefano, via G Jan 15. L’entrée est gratuite, discrète comme beaucoup de monuments et il faut être vraiment devant, voire dedans pour la repérer.
Au rez-de-chaussée, un staff de petites dames nous accueille dans des pièces dans leur jus.
On peut y voir le travail de la propriétaire, artiste et femme d’ingénieur des années 20-30 ;   moulages, sculptures, ou  photos ont été placés jusque dans l’’ancienne cuisine au milieu d’objets du quotidien désuets ou publicitaires.
La cage d’escalier  dissimule un ascenseur d’époque, nous montons à pied en nous appuyant sur la rampe de métal art déco jusqu’au 2ème étage. Là aussi, des gardiens bénévoles se mettent au service des visiteurs pour fournir des explications sur l’appartement.
Après un monsieur d’un âge nous donnant le mode d’emploi et quelques renseignements, une petite bonne femme au français chantant et fluide nous prend en charge tout du long. Bavarde, elle nous raconte un peu sa vie de fille de diplomate au Moyen orient où elle a appris la langue française, en usage  dans la fonction de son père, elle parle aussi l’ouzbek et le turc, a beaucoup voyagé et fait voyager.
Elle évoque aussi  l’importance du bénévolat, indispensable en Italie pour ouvrir au public des monuments artistiques et historiques trop nombreux pour être tous pris en charge par l’état.
Elle nous guide dans les pièces de la maison où les murs sont tapissés de toiles  de peintres italiens contemporains à la famille collectionneuse, de la salle de bain au salon de musique.
Les portes de séparation vitrées sont  typiques, avec des encadrements de forme originale, les lustres proviennent de Murano, les meubles sont aussi  de conception et d’ébénistes italiens. 
Nous nous intéressons aux œuvres de Fontana dont nous connaissions les toiles fendues ou lacérées, mais ce sont surtout sa Déposition et sa Crucifixion en bas-relief ou statuaire qui nous étonnent.
 
 
Une visite vraiment digne d’intérêt  qui se termine au 3ème étage, destiné à des expos temporaires : photos et installation d’une œuvre musicale reliant un clavier posé sur un soufflet d’accordéon et relié à des statuettes en poterie posées sur des poteaux en bois. 
Mais le concert n’est prévu que ce soir, nous n’y assisterons pas. Nous quittons la Casa non sans que D. essaye l’imposant fauteuil en marbre de l’entrée.
A pied, nous nous dirigeons vers la Pinacota di Brera, découvrant ainsi un quartier différent. Nous remontons (ou descendons ?) le Corso Buenos Aires qui devient le Corso Venezia que nous quittons pour traverser un grand parc ombragé. Nous nous arrêtons dans un self, manger pour un prix plus que raisonnable  face à un choix appétissant de plats que nous pouvons désigner du doigt (16 € pour Guy et moi : plats boissons et cafés compris). C’est extrêmement vivant, bruyant et le monde se renouvelle en continu.
Les photographies prises au grand angle proviennent d'Internet (1-3-4-5-6-8-10-11-12), quand elles sont le nez sur le motif, elles sont personnelles.

mardi 23 avril 2019

Rat & les animaux moches. Sybilline Capucine Jérôme Daviau.

Classé au rayon BD adulte, ce livre de 200 pages peut convenir aux grands enfants, il traverse les époques avec un dessin proche des gravures du XIX° siècle, une calligraphie années 50 et un propos très contemporain : tolérant, compassionnel, tout en se gardant de toute mièvrerie.
Un rat indésirable dans une maison se retrouve dans une décharge avec d’autres réprouvés :
araignée, lombric, requin, bousier, lamproie… dans le « Village des animaux moches qui font un petit peu peur ».
Il va leur trouver des emplois en sublimant leurs défauts, l’idée est excellente.
Rendant hommage à la Hulotte, « le journal le plus lu dans les terriers », dont il emprunte la précision du trait et une part de l’humour, le dessinateur moralise sans moraline en offrant un destin positif aux bannis de la société.
Un « Caniche Royal de la Grande Lignée Bien Coiffée » parangon de la beauté apprêtée, apporte la contradiction parmi cette assemblée malheureuse, mais son arrogance destructrice accroitra sa solitude. Trouvera-t-il un scénariste  bienveillant pour le sortir de son marasme ?

lundi 22 avril 2019

Le parc des merveilles. Dylan Brown David Feiss.

Est-ce un effet de la sénescence, mais il m’arrive de trouver plus d’attraits dans certains films réservés aux enfants que dans des productions pour mon âge. 
Cette ode à l’imagination et à la positive attitude est vivifiante, elle porte un regard critique sur la marchandisation à l’œuvre dans les parcs d’attractions tout en rappelant leur pouvoir de séduction.
La langue de bois dorée qui abuse d’adjectifs hyperboliques est gentiment moquée en remontant aux sources d’une poésie qui résiderait dans la nature ou dans les épreuves surmontées. C’est que les constructions nées de l’imagination d’une petite fille et sa maman sont mises à mal lorsque celle-ci doit être hospitalisée. 
Si l’introduction d’une nuée noire dans un univers excité et tonitruant où tous les caprices sont exhaussés ne convient pas à tous les spectateurs, je trouve qu’elle ne génère aucun traumatisme puisque tout se résoudra fort bien.
Les animaux sont attachants, la fillette très moderne en prescriptrice face à un papa immature et une maman quelque peu gnangnan, les  textures sont magnifiquement rendues et les passages entre réalité et imaginaire complètement adaptés aux enfants à qui seraient donnés les moyens de cultiver leur créativité.