vendredi 8 avril 2016

Bisounours.

Avec une jeune amie libanaise qui nous en remontre quant à son amour de la France, nous regoûtons la saveur de certains mots si vite dits.
Ainsi « Bisounours » aux couleurs pastels de l’enfance, que j’employais à son égard venait d’être prononcé par une représentante de l’extrême droite française lors d’un voyage calamiteux au Canada. Ça m’apprendra à regarder de haut le pays des naïfs que j’ai arpenté quelque temps quand nous faisions prendre l’air à nos calicots coquelicots.
A tourner autour des mots, je viens de réviser également l’expression «  Fichtre »  qui a pu sembler obscure à des adolescents confrontés à la chanson « La guerre de 14-18 » de Brassens. C’est que l’interjection relativise tous les battements de génitoires contemporains, en s’acoquinant avec « j’en ai rien à foutre ».
Délice de la vie des mots, de leur usure, de leur mutation et permanence de la mise en valeur des mêmes zones corporelles.
« Nom de Gu » bipait le nom de Dieu, à présent, celui-ci ne se sent même plus convoqué dans tous les «  grâce à Dieu » et les ponctuations «  putain » ou « con » sont en passe de perdre de leur vigueur originelle, à force d’usage.
Quand déboule dans l’obscurité, la poétique expression «  Nuit debout », « les journaleux », se prosternent devant ces nouvelles formes sans cesse nouvelles de faire de la politique,  ayant  épuisé la fraîcheur de tout magasin « moderne » vendant des «  nouveautés » ; voir le sort du mot « changement ».
L’ « horizontalité » cultivée dans ces rassemblements, réinventée, en petits comités formateurs, fonctionne volontiers dans  l’entre-soi. Même en prenant de l’ampleur ces assemblées risquent d’être aussi étriquées que d’autres où ne pointent même plus les membres de cette classe politique, acteurs en principe d’une démocratie représentative se comportant comme une caste.  Ceux-ci donnent chaque jour des arguments à ceux qui veulent mettre à bas les institutions héritées de notre société  pas si mauvaise fille pourtant si on envisage son histoire et la géographie. Ainsi la piteuse révision constitutionnelle qui fut selon un mot de Macé-Scaron dans Marianne, un « couac 40 ».
Je ne sais pas grand-chose de la « Loi travail » qui serait vidée de sa substance, contestée par les visibles de la RATP ou de la SNCF aux emplois stables et une partie de la jeunesse qui a un rapport au travail aux antipodes de nos zèles retraités. « Burn out » des inclus, Uber, et quelques « out ».
J’engraisse mes désillusions à la lecture des papers de Panama qui fuient : « encore ! ».
Mais, j’ai de quoi  franchement m’indigner localement en voyant s’étaler contre des grilles derrière lesquelles bave une paire de chiens hargneux, des banderoles contre la construction d’immeubles  nouveaux dans notre banlieue proprette: « non à la bétonisation dans nos petits quartiers ». Petits.
Version opposition du XVI° arrondissement contre un centre d’accueil de SDF,  alors je me sens de gauche, c’est pas tous les jours : merci ! J’ai arraché quelques uns de leurs autocollants envahissants. Il parait que les propriétaires de villas ont manifesté en chantant « La Carmagnole » : ils ont dû changer les paroles.
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Dessin paru dans Neues Deutchland et repris dans Courrier International.

jeudi 7 avril 2016

Zurbaran et le ténébrisme européen. Jean Serroy

Le troisième volet du cycle consacré aux « maîtres de l’ombre et de la lumière » devant les amis du musée de Grenoble nous conduit en Espagne et aux Pays Bas, si proches en ce XVII° siècle, siècle d’or.
A l’époque de la contre réforme, les commandes affluent de la part des ordres monastiques : Zurbarán le peintre de la solitude et du mysticisme connait une carrière prestigieuse. 
Basé à Séville, il fait parfois le voyage à Madrid où il retrouve son ami Vélasquez.
Si son style évolue sous l’influence du maniérisme, il n’abandonne pas le ténébrisme, bien qu’il n’ait pas entrepris de voyage en Italie.
Ses « natures mortes » dont la dénomination dans d’autres pays : « vie silencieuse», lui conviendrait parfaitement, sont rares mais puissantes.
« Plat avec citrons, panier avec oranges et tasse avec rose » est minimaliste, la nature stylisée.
Comme dans  ses « Tasses et vases», les objets sont sélectionnés en fonction de leur volume. Le soin apporté aux ustensiles du quotidien se retrouve dans d’autres œuvres, bien au delà des natures mortes espagnoles, dites « bodegón », de bodega : lieu de rangement alimentaire.
Posé également sur une planche, « L’agneau de Dieu » est à la fois réaliste dans le traitement minutieux de sa toison et résigné comme animal sacrifié.
Peint pour les dominicains, « Le Christ en croix », habillé de blanc lumineux aux plis baroques, sur fond noir, va à l’essentiel ; sa souffrance est contenue.
« Saint Luc en peintre devant la Crucifixion » est considéré comme l’auto portrait du « pintor de imagineria », là encore le bois de la croix est mal équarri et les pieds, cette fois croisés, sont cloués séparément.
Le jeune Jésus dans « La maison de Nazareth » vient de se piquer au doigt en confectionnant une couronne d’épines, sa mère jette un regard évocateur.
Dans l’ « Apparition de saint Pierre à saint Pierre de Nolasque », la lumière coule à flots pour accompagner les paroles du premier pape :
« Je viens à toi puisque tu ne peux venir à moi. »
« Saint Sérapion » qui devait racheter les esclaves chrétiens pris par les Sarrazins, avait subi un martyr affreux : démembré, crucifié, éviscéré, décapité. Il apparait consentant, déjà bienheureux.
Toute une série de « Saint François » en méditation ou en extase, à la sortie de sa crypte funéraire, le visage souvent caché, environné de ténèbres, jusque dans ses plis, caractérise le style du peintre acétique. La composition en triangles dans la version du musée de Lyon, accentue la grandeur de l’immortel.
Si Ribalta, le catalan, a lui aussi peint « Saint François réconforté par un ange », je retiens plutôt  « Le Christ embrassant saint Bernard de Clairvaux ». Le maître de Ribera avait copié Le Caravage.
José de Ribera  qui vécut à Naples, un des foyers du ténébrisme, reçut là bas le sobriquet de « Lo Spagnoletto », son « Prométhée »  puni pour avoir défié les Dieux servira ici de contrepoint.
Le Flamand Honthorst, surnommé  « Gherardo delle notti », fondateur de l’École caravagesque d'Utrecht, fait surgir la lumière du corps même du christ. « L’adoration des bergers » est adorable de douceur, d’humanité.
La « Vieille femme examinant une pièce de monnaie à la lumière d’une lanterne », tellement expressive, cherchant à discerner le vrai du faux, se repère parmi des scènes de « Joyeuse compagnie », « Concert », avec « Entremetteuse », « Joyeux violoniste au verre de vin » et autres « Tricheurs »…
Chez Pieter Claesz, l’approche des rayons qui se difractent dans un verre ajoute la virtuosité à la leçon de morale  dans « Nature morte à la bougie se consumant »
Le « Reniement de saint Pierre » a été souvent traité, il fut un sujet de prédilection pour Gérard Seghers.
« La servante:
- Toi aussi, n'es-tu pas des disciples de cet homme?
Il dit:
- Je n'en suis point. »
Rembrandt, c’est son prénom, remplit ses toiles aux tonalités dorées, dans « Aristote contemplant le buste d’Homère », le philosophe en habits renaissance retrouve le poète.
« Cette lumière devenue or est aussi celle du soleil couchant. Avec Homère, le soleil se levait sur la Grèce, il se couche avec Aristote, le dernier témoin de la gloire d'Athènes, l'auteur de la synthèse ultime et, par là, le précepteur de la postérité occidentale » Jacques Dufresne
……………
La photographie sous le  titre provient du site « flickriver »

mercredi 6 avril 2016

In extremis. Francis Cabrel.

Comme je me mets à douter de mes fondamentaux, je n’ai pas acheté le dernier Souchon avec Voulzy, je suis allé vers Cabrel qui s’était fait attendre, comme on retrouverait un vieux pull, pour emprunter une image usée. Malgré les moqueries répétées de ceux qui parlent pointus, je persiste à aimer Francisse, nourri au folk qui chante encore en français
A écouter plusieurs fois le titre « Azincourt »
« Et leurs chevaux trop lourds
Dans la boue jusqu’aux flancs »
qui m’avait semblé anodin d’emblée, je le trouve bien troussé maintenant, alors qu’« A chaque amour que nous ferons » vire au languide.
Cette livraison est tournée vers la chanson avec «  La voix du crooneur »  en blues grise,  
« Aux fontaines du jazz » et dans « In extremis » :
« Chanter dans une langue éteinte »,
 qui va au delà d’une lamentation quand s’efface la langue occitane.
Est introduit un joli rappel de « se canto, se canto » à bouche fermée, émouvant.
Après un hommage à Jésus : « Dans chaque cœur », il revient sur «  Mandela pendant ce temps » :
« J’étais un presqu’adolescent
Tracassé par le rock naissant »
il monte sur la scène.
Alors que dans ses chansons politiques : « les bandits règnent » dans « Le pays d’à côté »
il campe au pied de la tribune « Dur comme fer »
« Je ne pense qu’à vous
 Je ne pense qu’à vous plumer »
ou dans la plus allusive  « Pas si bêtes » :
dans « ses habits rapiécés », il regarde « celui qui tient les manettes ».
 « Partis pour rester », l’expression méritait quelques couplets :
« Et même sous les pas d’une reine
La grande aiguille se déplace »
Autour du temps qui passe, les manèges et leurs fusées de carton mélancoliques, nous emmènent loin dans  «  Les tours gratuits », bien tournés.

mardi 5 avril 2016

La revue dessinée. Printemps 2016.

La qualité du trimestriel de 228 pages vendu 15 € se vérifie à chaque livraison.
Pédagogique : Il en faut de la clarté et de l’humour pour nous faire comprendre un peu mieux ce qu’est un  PPP (Partenariat Public-Privé), à ne pas confondre avec la DSP (Délégation de Service Public), voire la MOP ( Maîtrise d’Ouvrage Publique) qui ne sont pas des modalités réservées à des techniciens mais formatent nos paysages et induisent fortement des politiques. Illustration avec un reportage à la cité sanitaire de Saint Nazaire. Edifiant édifice.
Dans la rubrique scientifique, nous pouvons comprendre l’utilité et la beauté des équations pour prévoir l’évolution des populations de poisson rouges, d’éléphants et de nos semblables.
Sortant des sentiers battus : A la suite d’une jeune femme d’un milieu aisé en Iran dont le moindre geste volé à la surveillance démente du régime est une victoire.
De jolies rencontres : Au garage associatif, « le garage moderne » à Bordeaux guidés par Dominique une femme passionnée de mécanique. En Bolivie et en France avec des chefs cuisiniers formateurs auprès de jeunes des bidonvilles ou de fourvoyés de la vie qui se remettent ainsi en selle.
Un dévoilement : A 2 km de l’Elysée, les conditions de travail les plus dures pour les coiffeuses sans papiers de la rue de Strasbourg, les belles de jour et de nuit de la rue Saint Denis, les manutentionnaires d’un Sentier en perte de vitesse : que font la police et l’inspection du travail ?
Des rappels : L’actualité des migrants est devenue tellement banale qu’on ne sait plus que l’année dernière 3700 personnes ont péri en mer Méditerranée, et 1760 malheureux dans le Sahara entre 1996 et 2013. 
« Depuis 2000 l’Europe consacre près d’un milliard par an à la surveillance des frontières, les migrants dépensent la même somme pour tenter de les franchir. »
Un retour sur la liberté d’expression après la tuerie de Charlie : le blasphème. Diablement politique.
Les chroniques habituelles, concernent
la sémantique : cette fois autour du mot « barbare »,
un sport rare : « la pétanque nantaise »,
la musique : Sky Saxon icône du Rock garage, dans la rubrique « face B »
… mais ce serait l’autre face, je n’en saurais pas plus.
Il faut bien de la finesse à ces dessinateurs pour m’intéresser aux mathématiques, au rock de garage et aux PPP…

lundi 4 avril 2016

Sleeping giant. Andrew Cividino.


L’été de toutes les découvertes s’ouvre pour un gentil garçon de bonne famille acoquiné à deux cousins dans le défi permanent.
Le jeu de la vérité peut s’avérer meurtrier : la nature n’est pas qu’un décor pour saines activités estivales en milieu occidental. Ce n’est pas elle la plus sauvage, nous sommes pourtant au Canada. L’adolescence découvrant les failles des adultes et les distances sociales est touchante et douloureuse. Le bruit des feux d’artifices résonne dans le vide des espérances mortes avant même d’avoir pu germer.

dimanche 3 avril 2016

Sainte Jeanne des abattoirs. Brecht. Lamachère.

Berthold Brecht, le maître des plateaux post soixante-huitards, en ses leçons magistrales, n’est finalement pas si dépassé
et les 3h 15 de spectacle mis en scène par Marie Lamachère nous en persuadent.
La fameuse distanciation est déjouée, surjouée par des acteurs excellents, en une série de tableaux efficaces ponctués de chœurs à cœur et à cris.
L’introduction qui voit des acteurs commenter différemment une séquence filmée des années 30 nous met dans le bain de ces années, sans nous noyer, ce qui était le but de l’exigeant dramaturge qui voulait des spectateurs critiques : nous ne nous sommes pas assoupis.
Chicago et ses monstrueux abattoirs  avec spéculateurs dont les calculs auraient pu être plus concis où travaillent des dizaines de milliers d’ouvriers aux vies de peu de prix : la maltraitance ne fut pas qu’animale.
Et Jeanne Dark, la soucieuse héroïne, sous son chapeau noir de l’armée du salut, parmi ce chaos organisé, passa de la soupe claire des chanteurs pas toujours nunuches, à la harangue communiste. Aujourd’hui, elle parcourrait  le chemin inverse de la révolution sociale à la génuflexion religieuse.
Spangherro, Doux, éleveurs étranglés, ouvriers exploités, animaux martyrisés, les  rapprochements avec notre situation et le siècle précédent ne manquent pas, en évitant de revenir sur le parallèle trop souvent invoqué de la montée des fascismes en regard de nos démons qui ne sont passés ni à dache* ni à chaille*.
Si la remarque ci dessous parait depuis tant de temps d’une ingénuité coupable :
« Il est pour nous mystérieux,
Ce phénomène du chômage.
En outre, il cause des dommages.
Il serait temps d’intervenir ! »
Le dernier cri de Jeanne qui a jeté son chapeau par-dessus les moulins à paroles est d’une actualité audacieuse :
 « C’est pourquoi celui qui dit en bas
 Qu’il y a un Dieu
Toujours lisible
Mais qui peut malgré tout vous aider
Il faut lui fracasser la tête contre le pavé
Jusqu’à ce qu’il en en crève ».
……….
* « Les sous que tu lui as prêtés, tu les reverras peut-être à dache » Dache : Loin (dans le temps ou dans l'espace). Autrement dit : « à St-Profond des Creux »
* « J'ai été obligé d'aller à chaille pour trouver cette pièce. » Chaille : très loin. A ne pas confondre avec « avoir mal aux chailles », aux dents.

samedi 2 avril 2016

Georges, si tu savais… Maryse Wolinski.

La jeune fille blonde qui tomba amoureuse de Wolinski décrit, sans abuser de son nom, sa vie de femme avec un des acteurs qui a mis un sourire aux lèvres de tant de gars.
« J’ai eu mille raisons de le quitter, mais comme je vis toujours auprès de lui, il y en a une mille et unième qui me fait continuer et réussir cette aventure sentimentale au long cours »
 L’histoire d’un amour pas toujours aussi léger que le disent les dessins mais dont l’humour a favorisé la construction d’un attachement auquel n’ont pas mis fin les balles du 7 janvier.
« - Mais que peut craindre un humoriste comme toi ?
- La vérité, parce qu’elle est terrible. C’est la mort, la maladie. Les gens en général arrivent à s’en sortir parce qu’ils vivent dans le mensonge. Je préfère plaisanter avec et rester dans la vérité. »
Les sourires de tous les degrés qui ont accompagné nos vies persistantes d’adolescents venaient d’un homme à l’existence dramatique : Georges, veuf à 25 ans, était orphelin d’un père tué par un de ses employés.
Maryse dont on comprend bien l’engagement expose avec vigueur ses contradictions de féministe. Sa sincérité va au cœur des trajectoires, dont l’exhibitionnisme est exclu.
175 pages sans prétention disent bien des vérités.
« Nous n’étions pas faits l’un pour l’autre, mais nous nous sommes faits l’un à l’autre »