vendredi 18 mars 2016

« Expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser »

La formule de Vals avait déchaîné quelques tempêtes d’un jour, maintenant c’est au code du travail d’être à l’affiche sur les tablettes et dans la toile désertées par tout débat constructif.
J’aurai pu être choqué par la « punch line » du premier ministre qui nie toute intelligence, ayant été toute ma carrière du côté des pinailleurs, essayant de comprendre ce qui souvent me dépassait dans le débat politique.
Mais dans le contexte actuel où des commentateurs invitent plus volontiers les victimes à s’excuser que les meurtriers, et comprennent plus volontiers ceux qui font peur et surtout pas pas ceux qui ont peur. Je ne suis plus.
Toutefois qui n’approuverait pas :
«  connaître les causes d’une menace est la première condition pour s’en protéger » ?
En s’exprimant d’une façon aussi sommaire, Vals adopte une posture symétrique à ceux qui nient la réalité de l’extension du communautarisme et la virulence des ennemis de nos libertés et participe à l’abaissement du débat politique où les torts sont également partagés.
Gilles Keppel, auteur de « Terreur dans l’hexagone », s’alarme et fait part de sa consternation :
« les instances universitaires sont tétanisées par l’incapacité à penser le jihadisme dans notre pays ».
L’autre soir Hollande face à Pujadas: le  journaliste représentait une opinion oublieuse, le président de la République en rappelant les morts du Bataclan et son discours à Versailles qui fit l’unanimité, sortait de « l’urgence », si je puis me permettre.
Ah certes, ils en ont fait des tonnes au cours de tant de commémorations avant de passer à autre chose. Tout acte étant réduit à une posture tactique en vue de la prochaine présidentielle. Cette échéance pèse sur les institutions, elle est rappelée systématiquement par les médias à la moindre intervention d’une quelconque secrétaire d’état chargé de « l'aide aux victimes », victime de la désinvolture médiatique aux caméras lourdingues et des rigidités des Schneiderman à la baguette corrective.
« Petits tas tombés » disait Souchon de ceux qui dorment dans des cartons, peut valoir aussi pour nos mots de papier de soi, quand les promesses ne valent que pour les imbéciles, les indignations que pour les convaincus.
En différant la parution de cet article, l’obsolescence accélérée de toute opinion me saute davantage aux yeux.
« La "variet" s'acoquine et rime avec obsolète » chantait  le ringard MC Solar,
En mimant l’observateur politique, je me retrouve dans une tribune aux côtés de ceux qui se contentent de siffler l’arbitre, sempiternellement.
Arrivé à l’âge de comprendre ceux qui sont aux responsabilités, je me lasse des postures toujours en réaction, et supporte de plus en plus difficilement les geignards qui ne savent que faire valoir leurs droits en s’affranchissant de tout devoir envers une société qui les nourrit et les chauffe.
………….
Le dessin sous le titre est de Saudron , paru dans « l’Avenir » journal de Namur et repris par Courrier International. Le dessin ci-dessous c’est celui du Canard qui se met à faire des fautes de frappe ; tout fout le camp !
Et l'autre de Télérama:

jeudi 17 mars 2016

Tables & festins. Chez Glénat.

Au couvent Sainte-Cécile étaient présentées des toiles du XVII° siècle flamandes et hollandaises et des planches d’auteurs de bandes dessinées actuels autour des plaisirs de la table.
Dans ce beau lieu à la voûte éclairée par des vitraux de Joost Swarte, il faut s’acquitter de 6 €, geste devenu inhabituel dans nos contrées subventionnées, pour accéder à l’exposition.
L’espace plutôt grandiose quand on lève les yeux, s’avère un peu encombré au sol quand les propositions des artistes d’aujourd’hui viennent pimenter, commenter, s’adosser à des œuvres de 400 ans d’âge.
Alors que le sous titre de l’exposition met en avant « l’hospitalité », quand les mets sur les tables des siècles passés en sont à une présentation certes chatoyante mais un peu apprêtée, les créateurs contemporains ricanent.
L’humour est attendu du côté de Cestac, Chabouté, Loustal, et l’inventivité, face aux
catholiques flamands et protestants hollandais dont la richesse des symboles est pédagogiquement expliquée :
les citrons nombreux évoquent le temps qui passe et la présence d’un couteau celle de l’homme, la noix représente le christ… le homard le luxe et les huitres d’autres plaisirs humides. Tant de douceur peut s’avérer amère, elle recèle des leçons de morale et rappelle que la vie est brève quand des mouches se posent sur les nappes blanches aux plis signifiants.
La Talemelerie propose un texte qui m’a paru toucher à l’essentiel :
« Tout est lien avec le pain, et tout d’abord celle des matières qui le composent, symboliques s’il en est : la terre et le plus beau de ses fruits, le blé et la farine, l’eau qui mélangée à la farine donnera la pâte, l’air, qui sera intimement mêlé à l’eau lors du pétrissage, puis de la fermentation, art majeur du boulanger, le sel qui apportera force, saveur et parachèvera l’alliance des matières, et enfin le feu et sa chaleur qui transformeront pâtons en pains bien croustillants. Et pour lier ensemble ces nobles matières, ajoutez-y du temps, pour que lève la pâte, la main de l’homme et son intelligence, et vous aurez réuni tous les ingrédients de cette étonnante alchimie de matière et d’esprit… »

mercredi 16 mars 2016

Le réveil de la Force. Star wars. JJ Abrams.

Vivant dans une autre galaxie que les fans de la série, je ne savais même pas qui était ce  Chewbacca, personnage avec tant de poils.
Je craignais alors d’avoir des difficultés pour distinguer les personnages du film mondialement loué, mais pas de risque : les bons sont bien distincts des méchants. La « Résistance » affronte le « Premier Ordre ».
Dans notre univers compliqué, un peu de simplicité nous console pendant deux heures quinze.
Ne me nourrissant pas seulement de films burkinabés sous titrés en danois, je tenais à voir ce qui passionne tant les foules, mais je ne sais si je vais persister à suivre les suivants de la troisième trilogie qui commence avec celui là.
Même si j’ai goûté avec plaisir les effets spéciaux, les paysages, l’inventivité de ces univers, je reste éloigné des passions des amateurs du genre.
Je préfère Mad Max, plus noir,
Bond, plus sexy
Wall E
Même si j’ai apprécié les brocantes, les auberges, les engins spatiaux qui crachent noir au démarrage, quelques clins d’œil, des plans vertigineux où l’on voit à l’écran tout l’argent dépensé.
Les combats au laser me lassent vite et bien que le sol se fende joliment, j’apprécie que la violence évite d’éclabousser de trop de liquides, les familles.
Mais je retournerai volontiers vers mes labyrinthes habituels avec plus de surprises, de complications, de politique, d’aspérités, de fin qui se finissent mal style Télérama …
avec en ce moment plein de filles révoltées :

mardi 15 mars 2016

Le Retour à la terre. Jean-Yves Ferri, Manu Larcenet.

Un dessinateur procrastinateur et sa compagne se retrouvent à la campagne (« La vraie vie » volume 1) avec quelques personnages hauts en couleur et généreux en alcool forts.
2002, c’était le temps déjà de la dépendance à l’ordi et les oppositions pouvaient être rigolotes gentiment délirantes et génératrices de gags qui ne se prennent pas au sérieux.
L’autodérision adoucit les audaces : l’ancien maire du village vit désormais dans les arbres après un redressement fiscal et la boulangère  tellement mythique se devrait d’être belle.  
La confrontation peut sembler douce entre une vision romantique de la nature et l’atavisme citadin. La poésie est là : la mignonne Mariette aurait envie d’un enfant (« Les projets » album 2) mais Larssinet le dessinateur immature rêve d’un potager.
Au téléphone : 
- Allo, Michel? Paris me manque...Ouais ma couille, ne le dis pas à Mariette, mais j'ignore si je vais pouvoir tenir. C'est surtout ce silence...ce silence omniprésent! Ce silence partout! Euh, excuse-moi une seconde.
- (à Mariette) Tu peux arrêter de mixer une seconde, s'il te plait? ...Je fais écouter le silence à Michel...
Quel plaisir de retrouver ce dessinateur prolifique ironique et tendre, cette fois dans l’humour, genre :
plutôt que dans l’étrange :
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/01/pourvu-que-les-bouddhistes-se-trompent.html

lundi 14 mars 2016

Les délices de Tokyo. Naomi Kawase.

Bien sûr quand une vieille dame est embauchée par le tenancier d’une échoppe qui vend des macarons au coin de la rue et que celle-ci va  être appréciée d’une clientèle grandissante, la situation ne peut pas durer.
C’était trop beau, trop tendre, mais cela reste délicieux : sous les masques souvent imperturbables, les résiliences se mettent en route.
Les cerisiers en fleurs sont magnifiques, même dans un environnement banal. Au rythme des saisons sans flonflons, nous partageons volontiers  ces tranches de vies. Bien plus que la recette des dorayakis fourrés aux haricots confits se transmettent des façons d’apprécier le temps, et gagner en liberté quand on a apprivoisé ses faiblesses.  

dimanche 13 mars 2016

Ellis Island. Eric Lareine.

Sur fond de blues, réveillé par des accents rock a été évoqué le thème de l'immigration en Amérique, à l’auditorium de la MC 2.
Accompagné de Pascal Maupeux à la guitare, le créateur de la troupe « Leurs enfants »   basée à Toulouse, nous a emmené sur l’ile qui recevait les migrants au pied de la statue de la liberté. Les artistes sont efficaces bien que la formule racontages et chants, allant de soi, ne soit pas si fréquente.
Jusqu’en 1924, seize millions de réfugiés sont entrés aux Etats Unis par « L'île des Larmes », nommée « l’ile aux mouettes » du temps des indiens.
L’émigré devenait l’immigré après examen médical et formalité administratives.
Rien n’est appuyé, bien que passionné, avec une présence qui s’affirme tout au long d’une heure et quart de spectacle.
Mélancolie et espoirs se mêlent, des textes sont de Pérec et d’autres de Joe Brainard qui inspira le français avec ses « I remember ».
Dans l’énumération :
« Cinq millions d’émigrants en provenance d’Italie,
quatre millions d’émigrants en provenance  d’Irlande,
six millions d’émigrants en provenance d’Allemagne,
trois millions d’émigrants en provenance d’Autriche Hongrie,
six cent mille émigrants en provenance de France… »
difficile de ne pas penser à ceux qui débarquent aujourd’hui en Hongrie, Grèce ; j’allais dire en Europe, mais les réponses sont si peu européennes. 


samedi 12 mars 2016

Que peut la littérature ?

La fête du livre à Bron devient un  de nos rendez-vous annuel 
Pour sa 30° édition, nous avons été ravis bien que le choix soit toujours difficile entre tant d’écrivains majeurs présents à l’hippodrome de Parilly.
Alexis Jenni, l’écrivain prof de sciences et l’historien Benjamin Stora ont écrit ensemble « Les mémoires dangereuses »; le prix Goncourt avait lu le livre du président du conseil d’orientation de la cité de l’histoire de l’immigration, « Le transfert de mémoire ».
Le thème de leur dialogue s’intitulait : « Qu’est ce qu’on a en commun ? » l’Algérie et nous.
Un FN aussi intégriste que le FIS a nourri un «  Sudisme à la française » dans son rapport brutal ou paternaliste aux autres et aux institutions.
L’Algérie n’était pas une colonie mais un département français ; un sentiment de revanche a perduré parmi certains «  pieds noirs » depuis le sentiment d’avoir été cerné là bas par les arabes colonisant à leur tour la métropole d’un empire rétracté. Le souvenir d’une grandeur perdue masqué un moment par la figure du général De Gaulle, dont Alger fut capitale de la France Libre, tourne dans les années 80 à une envie de retour en arrière, autrement dit l’option réactionnaire.
L’histoire des mots est éclairante et paradoxale : « intégration » fut inventé par Soustelle alors que dans les années 30, l’ « assimilation » était la revendication d’un Ferhat Abbas.
Entre le million et demi d’appelés, le million d’Européens d’Algérie, les immigrés algériens dont le nombre a doublé en France pendant la guerre, les « pieds rouges », les harkis, les algériens d’Algérie pour qui se fut aussi une guerre civile, les mémoires sont cloisonnées. 
La France a été modifiée par cette guerre reconnue seulement comme telle depuis peu.
Et le 19 mars en tant que date de fin du conflit ne fait toujours pas l’unanimité : c’est sans fin, d’autant plus que tout débat commence par la fin en 1962 et non le début en 1830.
Les deux complices sont en désaccord sur le film auréolé de ses interdictions de jadis : « La bataille d’Alger » de Pontecorvo ; seraient-ils d’accord sur celui qui reste à faire autour d’Abd el-Kader, franc-maçon et mystique, héros  de l’indépendance, dont le destin exceptionnel pourrait nourrir un grand récit qui n’a été entrepris ni d’un côté de la Méditerranée ni de l’autre ?
Nous avions été attirés à La table ronde suivante par la présence de Maylis de Kérangal mais Alexandre Bergamini et Hélène Gaudy furent à la hauteur par la grâce d’une animatrice qui fit magnifiquement partager les émotions, les finesses des paroles développant le thème de « L’esprit des lieux ».
Si aucun ne fait apparaître le nom d’un lieu dans le titre de son ouvrage, Hélène Gaudy dans « Une île, une forteresse », se consacre à la ville de garnison en forme d’étoile, Terezin, présentée dans des films de propagande nazis comme un conservatoire de la culture juive où 140 000 personnes furent déportées.
 « Le travail des derniers témoins des derniers témoins » à propos de la Shoah est aussi celui d’Alexandre Bergamini qui traite du camp de transit de Westerbork destiné aux juifs Hollandais dans son livre « Quelques roses sauvages ». Aujourd’hui une station scientifique s’élève à proximité comme dans le désert d’Atacama où un observatoire des étoiles a été construit parmi les pierres et les os des suppliciés de Pinochet. Le poète qui a commencé son récit à partir d’une photographie de survivants se voit comme un écrivain et non comme un romancier, au terme d’une écriture au long cours où il estime s’être perdu, happé au bord d’un trou noir. Il ne veut parler pour personne d’autre que lui-même : «  à ma place ». Il nous livre en passant l’information que des tonnes d’or volées aux juifs auraient transité de la Suisse vers l’Espagne.
Dans « A ce stade de la nuit », Maylis de Kerangal, à front renversé avec les deux autres auteurs pour lesquels les photographies ou les dessins sont fondateurs, fait venir les images à partir des sonorités du mot Lampedusa : nom de l’auteur du « Guépard » et de l’île où depuis 25 ans des migrants essaient d’accoster.
Autant de chambres d’échos pour des mémoires qui ne se traitent pas comme un devoir.
«Sacraliser la mémoire est une autre manière de la rendre stérile» Tzvetan Todorov
Ayant fait le tour du dicible, ces jeunes écrivains savent aussi les limites du lisible, et dans le carroyage (= quadrillage, mais j’aimais bien la consonance de ce mot que je viens d’apprendre) des espaces, la métaphore d’un point aveugle au centre de nos vies, évoquée par le monsieur minoritaire sur l’estrade, éveille nos curiosités.
Séduits par toutes ces intelligences, nous avons envie de nous nourrir de leurs ouvrages, c’est alors qu’ils se mettent d’accord pour nous inciter de surcroit à découvrir encore un autre écrivain Allemand mort en Angleterre, Sebalt :
« Les souvenirs sont comme les ombres de la réalité »
Tout a tourné autour de la mémoire soudée à un présent qui contiendrait tous les temps, se difractant et s’incarnant magnifiquement avec ces auteurs dont la quête personnelle dit bien un moment de nos incertaines recherches.