Une riche bourgeoise de Bogota a l’intention de recueillir
un jeune garçon pauvre, mais le fossé social ne peut être effacé par la bonne
volonté. Le père de l’enfant dans la difficulté économique, va réussir à
construire une relation qui s’annonçait difficile avec ce petit débarqué depuis
peu dans son réduit. Une vision originale, dont la violence n’est pas absente,
mais où l’amour circule sans mièvrerie, ni verdict édifiant. Un contre point
utile en milieu féroce.
lundi 6 avril 2015
dimanche 5 avril 2015
Celui qui tombe. Yoann Bourgeois.
Le noir. Un trait de lumière révèle des corps allongés sur
un immense plateau qui descend des cintres. Et nous pensons à d’autres corps là
haut.
Trois hommes, trois femmes en équilibre toujours provisoire,
créent eux même le danger, se préservent, se tiennent, s’accrochent, glissent.
Plus rien ne sera comme avant. L’expression magnifique,
poignante, contenue dans un tel spectacle est un remède à tous les
schématismes, à toutes les barbaries. A la suite de la pièce jouée à la MC 2 à propos de Galilée quand
la terre n’apparaissait plus au centre du monde, cette fois ce sont hommes et
femmes qui sont menacés sans répits par
la chute.
Eprouvant des émotions inédites, j’ai cru lire pendant une
bonne heure tant d’expressions de notre langue autour de la précarité de la
vie, illustrées magnifiquement avec une force qui nous tient en haleine.
Je suis revenu à l’enfance et son cirque, quand
s’élançait un acrobate au trapèze sous le chapiteau de nos angoisses primales.
Les techniciens qui viennent accrocher des filins
participent au spectacle, mettant en évidence les mécanismes qui commandent nos
vies de marionnettes dont la liberté est illusoire.
Le plateau qui balance peut être un refuge, mais fuyant,
contrôlable le temps d’un balancement avant de menacer d’écrasement la belle
troupe soumise à la folie d’une plaque qui se dérobe sans cesse, implacable ou
folle quand elle se met à tourner trop vite, alors plus personne n’est debout.
samedi 4 avril 2015
Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre. Martin Amis.
Une fois passé le moment de la découverte du « bad boy
des lettres anglaises », j’ai trouvé que les 390 pages ne tenaient pas
tout le long la verve initiale.
C’est du brutal, injuste, outrancier, scandaleux, féroce :
les pitbulls sont nourris à la bière et au Tabasco. Pas vraiment politiquement
correct.
« Qui a fait
entrer les chiens ? »
Asbo, le méchant absolu, s’est rebaptisé d’un acronyme qui
lui est familier Anti-Social Behaviour
Order. S’il avait commencé sa carrière criminelle à l’âge de deux ans, il a
aidé son neveu Desmond, le gentil, encombré d’un secret: il a couché avec sa
grand-mère (39 ans) qui à dix-neuf ans, avait donné naissance à sept enfants :
Georges, Paul , Ringo… de pères différents.
Le décor est situé à Diston, un quartier de Londres qui
« sur une courbe
planétaire de l'espérance de vie aurait figuré entre le Bénin et Djibouti (54
ans pour les hommes et 57 pour les femmes) et, sur une courbe planétaire des
taux de fertilité, entre le Malawi et le Yémen (6 enfants par couple ou mère
célibataire) ».
«Tout détestait tout le reste, et tout le
reste, en retour détestait tout. »
« Le lycée
Squeers Free, sous un ciel tout blanc : le directeur gringalet, les
toubabs démoralisés en survêts en rayonne, le petit gymnase délabré avec ses
fils de détente, ses pièges, ses conseillers en HV, Hygiène de Vie
(« Chaque enfant compte ») et ses coordinateurs du SEBS, (« Soutien
aux enfants à besoins spéciaux »), qui emboitaient le pas à tous les ATL ,
(« atteints de trouble de la lecture »)
Le gain d’une somme faramineuse au Loto ne changera pas le
caractère des personnages, même si le
homard est au menu pour le tonton et s’il essaye de changer son image sous les
conseils d’une bimbo poétesse. Les tabloïds ne lâchent pas « L'Idiot du Loto, le Taré du Tirage,
le Nigaud des Nombres, le Détraqué du Quarté, le Psychopathe du Carton, le Bozo
du Bingo, le gaga de la
Tombola»
vendredi 3 avril 2015
Pipe.
Il ne faut pas dire que les enfants manquent de
vocabulaire : après le banal « psychopathe », le terme « pédophile » est devenu
courant dans le langage des cours de récré. Cet avènement signe une catastrophe
anthropologique, et souille l’image des instituteurs et des prêtres, figures
déchues d’anciens régimes.
Il y avait bien le féminin de chat qui prêtait à des
sourires, mais ce n’est pas tous les jours qu’on conjugue le verbe savoir au
subjonctif, quant à « la pipe de papa » du temps de Rémi et Colette,
mieux vaut la bannir : « Fumer
nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage. »
Voilà qu’à Villefontaine un scandale de plus vient
éclabousser l’institution éducation nationale depuis la technostructure
jusqu’aux petits en passant par les parents et les enseignants.
Le principe de précaution qui paralyse tant d’initiatives pédagogiques n’a
pas prévalu dans l’accession au poste de direction de cette personne déjà
condamnée.
Combien de trublions talentueux ont été barrés dans leur
carrière car politiquement marqués, intellectuellement libres ? Là, le « référent » avait « les compétences » et de « la ressource » en mettant en
place « un dispositif »,
pour employer les mots d’une administration qui fut désignée prioritairement
comme « le mammouth », et plus que jamais prise dans les glaces, hors
du temps, hors sol.
Un papa à cette occasion parlait de « syndrome de
Stockholm » reproduisant des termes de journalistes pour parler du souci
qu’avaient les enfants du sort réservé à leur « maître ». C’est qu’il
ne soupçonnait pas la force du rapport qui s’établit dans une classe. Le mot
« maître » a beau être proscrit, la réalité de ce prestige rend plus
grave encore l’abus envers les enfants. Ce monsieur est peut être de ceux qui
apprécient le charisme, valeur cardinale en politique, mais ne sait voir le
pouvoir, quand il devrait être destiné à faire grandir les élèves.
Ah ! Les cellules d’aides psychologiques vont
s’installer le temps qu’une catastrophe chasse l’autre, le recrutement des
psychologues s’étant amenuisé. Et ce
sera utile pour ces mamans qui pleurent devant les caméras. Des conseillers en com’
mettront en place quelque numéro vert à délocaliser,
une application pour Smartphones, un training
avec coach pour noyer le poison.
Les mots du capitalisme et du sport ont gagné, des mômes
sont fracassés.
En faisant appel au judiciaire, on pense panser les
plaies : dans cette société libérale, on ne fera qu’ajouter des carcans,
des illusions de rigueur. Le bon sens ne saurait suffire, le courage, la simple
relation humaine auraient pu prévenir les problèmes, empêcher que de telles
affaires soient tues depuis tant de temps. Aucun indice n’avait alerté ?
Parents, collègues, personnels, hiérarchie… Nous croyons tout dire, et nous
sommes muets, tant de bruit, tant de buzz, et nous n’entendons rien.
Ce silence est à vrai dire celui de tout un système, pourtant
bavard, comme en témoigne dans Slate cette jeune prof s’exprimant sur le fonctionnement
ordinaire:
« J’ai eu, en
tant que professeur de français dans le secondaire, l’impression que tout est
fait pour cacher, dissimuler le témoignage de professeurs qui s’éreintent à
expliquer qu’on ne peut instruire les élèves sans leur imposer des limites, des
règles et le goût de l’effort continu – en vain, puisque tout (le système, les circulaires
courtelinesques successives) et tous (la majorité des parents, les autorités qui
imposent une mission cachée aux chefs d’établissement, l’absence de bonne
volonté face à un système gagné par la gangrène) jouent contre leur
mission. »
L’influence des enseignants ne sort pas renforcée, et depuis
un moment beaucoup n’osent plus émettre,
quand tel élève en déprise, continue à contaminer une classe sous une violence
nourrie de lâchetés.
Au-delà d’un cas exceptionnel, c’est toute l’éducation qui
se démet. Justement parce qu’on ne cesse de dire « surtout pas d’amalgame »,
même hors circuit, cette affaire nous affecte en tant qu’instit’. Chaque
enseignante et surtout chaque mâle subsistant dans l’institution, se sent
déshonoré après cette affaire qui profane toutes les innocences.
Jaurès avait écrit, en 1888, une lettre aux
instituteurs, même si on ne parle plus comme ça, pour la littérature:
« Les enfants qui
vous sont confiés n'auront pas seulement à écrire, à déchiffrer une lettre, à
lire une enseigne au coin d'une rue, à faire une addition et une
multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et
son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir
ce qu'est une démocratie libre, quels droits leur confèrent, quels devoirs leur
impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu'ils
aient une idée de l'homme, il faut qu'ils sachent quelle est la racine de nos misères
: l'égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la
fermeté unie à la tendresse. Il faut qu'ils puissent se représenter à grands
traits l'espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les
brutalités de l'instinct, et qu'ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre
extraordinaire qui s'appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur
de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de
l'âme en éveillant en eux le sentiment de l'infini qui est notre joie, et aussi
notre force, car c'est par lui que nous triompherons du mal, de l'obscurité et
de la mort. »
.............
Le dessin de la semaine sur le site de "Slate"
jeudi 2 avril 2015
Erró au MAC Lyon
Jusqu'à fin février 2015 le Musée d'Art Contemporain présentait les
travaux d’Erró, né il y a 82 ans Guðmundur
Guðmundsson en Islande et travaillant en France depuis 1958.
Sous l’appellation « figuration narrative », ses
collages, sculptures, et toiles monumentales occupent trois étages.
Il a connu Breton, Miró et Duchamp et passé par les expériences
expressionnistes, surréalistes, pop, mais sa spécificité est de brasser les
genres.
Ses images sucrées aux couleurs flashies très années 70 annoncent
dans leur profusion le déluge présent des clips et clichés sur nos écrans hégémoniques.
Là où clignotent les pubs filant à la
vitesse de la lumière vers l’oubli, où photoshop fait fondre toute les graisses de la réalité. Dans ce Royaume hygiénique aux grimaces
exacerbées, on n’entend pas les cris. Les filtres ont retenu tous les parfums, les
sentiments restent dehors.
Sous des contours en ligne claire, celui dont le premier nom
d’artiste était Ferro ( « la tranquillité qui part »), rend hommage aux
maîtres : Görtz, Van Gogh, Picasso… représente aussi bien les dieux grecs que des
personnages de Walt Disney, Hitler, Saddam
Hussein, Mao Tsé-toung.
J’étais avec ma petite fille de bientôt quatre ans et
cette génération était la plus présente ce matin là.
Je me suis appliqué à lui répéter : « ce ne sont que des images » quand je craignais qu’elle ne s’effraie surtout devant des œuvres de jeunesse aux carcasses cauchemardesques en sarabandes.
Je me suis appliqué à lui répéter : « ce ne sont que des images » quand je craignais qu’elle ne s’effraie surtout devant des œuvres de jeunesse aux carcasses cauchemardesques en sarabandes.
Mais je crois que cette précaution était inutile, car ce ne
sont justement que des images refroidies. La profusion y noie le poison, la
conviction militante se perd dans la graphie.
Ce que j’ai gagné en bonne conscience de grand père qui n’a
pas perturbé de rêves de princesse, je l’ai perdu en émotions de coureur de
musées.
Nous avons goûté des références, reconnu Tintin et Astérix
et quelques loups rigolos, des pirates gentiment affreux, dans une fusion des
formes et des couleurs vives qui font le succès des livres jeux « Où est
Charlie ? » et son petit garçon au bonnet rouge à retrouver dans les
foules.
« En Islande,
quand j'étais gosse, des bateaux faisaient naufrage à chaque tempête. On
sauvait les marins et ensuite on s'occupait de la cargaison à récupérer. Il y
avait des tonnes de marchandises éparpillées sur des kilomètres de plage de
sable noir volcanique. J'avais douze ans. Avant l'arrivée des autorités, on
enterrait les marchandises dans le sable. Plus tard, on ressortait tout, on
tirait au sort pour se partager les "trésors" - de la nourriture et
de l'alcool surtout - et on faisait du troc. »
C’est bien cela qui est mis en scène : il remet au jour
les images pour chacun, de quatre à quatre-vingts ans, les rehaussant de
couleurs, les agrandissant, les multipliant : le monde en icônes semble
déconner moins.
mercredi 1 avril 2015
Touriste. Julien Blanc-Gras, mademoiselle Caroline.
Délicat, mignon, subtil, sans prétention. Agréable comme une
citronnade en terrasse.
Un humour léger appréciable en ces temps où le monde explose
dans tous les coins.
Alors que j’ai pu entretenir l’illusion de jouer à
l’explorateur en chambre, quand je vais à l’étranger, l’écrivain lui
assume naturellement sa position de touriste. Une fraicheur bien contemporaine où sont dépassés les longs sanglots de l’homme
blanc : le jeune homme est partout chez lui à la surface du globe dont on
perçoit plus souvent le bruit des fermetures alors qu’il est de plus en plus facile
d’aller de ci de là.
De l’épisode colombien où il « se demande s’il faut
avoir peur », en passant par un club de vacances en Tunisie, il se montre disponible,
en restant lui-même, dans un environnement
peint aux couleurs les plus agréables.
Il dîne chez la mère du Bouddha au Népal, passe du désert
marocain aux visites organisées dans les favelas de Rio, avec candeur, alors à
Madagascar quand il relève l’hypocrisie d’une mission scientifique parmi les
pêcheurs en détresse, sa dénonciation est
tranchante. Le retour à Paris n’est vécu que comme un interlude, et
quand il repart dans la jungle au Mozambique, couché sur le sol, en regardant
les étoiles, il retrouve ses rêves d’enfants.
mardi 31 mars 2015
L’eau et la terre. Sera.
Il y a quarante ans les Khmers rouges prenaient le pouvoir
pas seulement sur un état, le Cambodge, devenu le Kampuchéa
« démocratique », mais sur
sept millions et demi d'habitants, au plus intime de leur vie ; deux
millions en sont morts.
Je suis frappé en 2015, de ne pas avoir lu une allusion à
cette période au moment où l’Etat Islamique installe sa dictature absolue.
C’est qu’à l’époque les moyens d’information ne nous rendaient pas aussi
proches des évènements, mais l’impunité de tant de responsables de ces années
de folie meurtrière est quand même énigmatique, comme on disait du sourire
Khmer. Le silence nous poursuit.
La bande dessinée de 2005 est d’une grande beauté. Les tons sépia,
délavés, s’accordent au beau titre qui va à l’essentiel. Malgré la précision
des dessins, leur force, la présence de cartes, des séquences juxtaposées
restent parfois mystérieuses, pourtant le récit est documenté.
Rithy Panh, incontournable lorsqu’il est question du Cambodge,
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/02/limage-manquante-rithy-panh.html
, dont l’histoire du père, instituteur qui s’est laissé mourir de faim, a
inspiré une séquence, a écrit la préface du livre :
« Les visages des
morts étaient tous presque sereins. Exprimaient-ils le soulagement d’une âme
échappant aux tourments d’une vie devenue cauchemar ? Même leur teint
semblait se confondre avec la poussière. Était-ce la reddition devant la terreur
impitoyable, ou était-ce l’extrême lassitude d’espérer encore et encore, malgré
tout, de la vie ? Nous ne le saurons jamais.»
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