vendredi 3 avril 2015

Pipe.

Il ne faut pas dire que les enfants manquent de vocabulaire : après le banal « psychopathe »,  le terme «  pédophile » est devenu courant dans le langage des cours de récré. Cet avènement signe une catastrophe anthropologique, et souille l’image des instituteurs et des prêtres, figures déchues d’anciens régimes.
Il y avait bien le féminin de chat qui prêtait à des sourires, mais ce n’est pas tous les jours qu’on conjugue le verbe savoir au subjonctif, quant à « la pipe de papa » du temps de Rémi et Colette, mieux vaut la bannir : «  Fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage. »
Voilà qu’à Villefontaine un scandale de plus vient éclabousser l’institution éducation nationale depuis la technostructure jusqu’aux petits en passant par les parents et les enseignants.
Le principe de précaution qui  paralyse tant d’initiatives pédagogiques n’a pas prévalu dans l’accession au poste de direction de cette personne déjà condamnée.
Combien de trublions talentueux ont été barrés dans leur carrière car politiquement marqués, intellectuellement libres ? Là, le « référent » avait « les compétences » et de « la ressource » en mettant en place « un dispositif », pour employer les mots d’une administration qui fut désignée prioritairement comme « le mammouth », et plus que jamais prise dans les glaces, hors du temps, hors sol.
Un papa à cette occasion parlait de « syndrome de Stockholm » reproduisant des termes de journalistes pour parler du souci qu’avaient les enfants du sort réservé à leur « maître ». C’est qu’il ne soupçonnait pas la force du rapport qui s’établit dans une classe. Le mot « maître » a beau être proscrit, la réalité de ce prestige rend plus grave encore l’abus envers les enfants. Ce monsieur est peut être de ceux qui apprécient le charisme, valeur cardinale en politique, mais ne sait voir le pouvoir, quand il devrait être destiné à faire grandir les élèves. 
Ah ! Les cellules d’aides psychologiques vont s’installer le temps qu’une catastrophe chasse l’autre, le recrutement des psychologues s’étant amenuisé.  Et ce sera utile pour ces mamans qui pleurent devant les caméras. Des conseillers en com’ mettront en place quelque numéro vert  à délocaliser, une application pour Smartphones, un training  avec coach pour noyer le poison.
Les mots du capitalisme et du sport ont gagné, des mômes sont fracassés.
En faisant appel au judiciaire, on pense panser les plaies : dans cette société libérale, on ne fera qu’ajouter des carcans, des illusions de rigueur. Le bon sens ne saurait suffire, le courage, la simple relation humaine auraient pu prévenir les problèmes, empêcher que de telles affaires soient tues depuis tant de temps. Aucun indice n’avait alerté ? Parents, collègues, personnels, hiérarchie… Nous croyons tout dire, et nous sommes muets, tant de bruit, tant de buzz, et nous n’entendons rien.
Ce silence est à vrai dire celui de tout un système, pourtant bavard, comme en témoigne dans Slate cette jeune  prof  s’exprimant sur le fonctionnement ordinaire: 
« J’ai eu, en tant que professeur de français dans le secondaire, l’impression que tout est fait pour cacher, dissimuler le témoignage de professeurs qui s’éreintent à expliquer qu’on ne peut instruire les élèves sans leur imposer des limites, des règles et le goût de l’effort continu – en vain, puisque tout (le système, les circulaires courtelinesques successives) et tous (la majorité des parents, les autorités qui imposent une mission cachée aux chefs d’établissement, l’absence de bonne volonté face à un système gagné par la gangrène) jouent contre leur mission. »
L’influence des enseignants ne sort pas renforcée, et depuis un moment  beaucoup n’osent plus émettre, quand tel élève en déprise, continue à contaminer une classe sous une violence nourrie de lâchetés.
Au-delà d’un cas exceptionnel, c’est toute l’éducation qui se démet. Justement parce qu’on ne cesse de dire « surtout pas d’amalgame », même hors circuit, cette affaire nous affecte en tant qu’instit’. Chaque enseignante et surtout chaque mâle subsistant dans l’institution, se sent déshonoré après cette affaire qui profane toutes les innocences.
Jaurès avait écrit, en 1888, une lettre aux instituteurs, même si on ne parle plus comme ça, pour la littérature:
« Les enfants qui vous sont confiés n'auront pas seulement à écrire, à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d'une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu'est une démocratie libre, quels droits leur confèrent, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu'ils aient une idée de l'homme, il faut qu'ils sachent quelle est la racine de nos misères : l'égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fermeté unie à la tendresse. Il faut qu'ils puissent se représenter à grands traits l'espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l'instinct, et qu'ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s'appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la    pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l'âme en éveillant en eux le sentiment de l'infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c'est par lui que nous triompherons du mal, de l'obscurité et de la mort. »
.............
 Le dessin de la semaine sur le site de "Slate"

1 commentaire:

  1. bonjour Guy
    évidemment en tant que "mâle" archi minoritaire dans nos écoles, cette affaire très proche géographiquement m'a secoué et troublé.
    Il n'est pas rare que certains de nos élèves, à la recherche du "père" absent (ce qui est de plus en plus courant aujourd'hui) nous collent et quasi "fusionnent" avec leur maître.
    Actuellement je me "bats" avec deux d'entre eux (une fille et un garçon) qui m'appellent papa à toutes les occasions, qui veulent que je me marie avec leurs mères, qui me mettent des cœurs partout(y compris sur leurs fiches d'évaluations...) et qui me collent physiquement au ventre, oui vous lisez bien, au ventre.
    Malaise!!!
    Que faire? les rejeter? Les écarter doucement? Leur expliquer avec leurs mots?
    Comment ne pas pauser notre main sur une tête,une épaule, les réconforter...Leur donner une petite part de l'affection attendue?
    Difficile de se positionner, de bien faire la part des choses (je suis un professionnel de l'enseignement, la tendresse fait-elle partie de mes outils?) et difficile aussi de ne pas faire "attention" aux réflexions à venir, aux regards inquisiteurs, aux incompréhensions, aux interprétations...
    La frontière est...ténue!
    Nous sommes les témoins vivant de l'énorme mal-être affectif et sentimental de notre société.
    En parler avec mes collègues femmes est une bonne solution.Toujours!!!
    L'institution peut-elle permettre le risque zéro en la matière?
    Là, en l’occurrence la justice a fauté.
    Il est injuste de jeter la pierre sur notre maison "EN" si mal menée par les temps qui courent et très souvent "tête de Turc" de notre société.
    Les secrets de ceci,les secrets de cela.Souvent un prétexte des administrations, véritables ogresses.
    Par contre l'instit, lui, doit tout voir et tout dire sinon il est coupable!
    Si l'on cache les choses par des "dysfonctionnements" l'obstacle est redoutable. Il peut s'avérer très difficile de s'apercevoir d'un comportement déviant. On tombe très souvent et de très haut lors de la découverte des collègues concernés.
    Quand on mesure l'extraordinaire dimension de la tâche énoncée par cet "énorme" penseur de Jaurès, on se dit qu'on est bien petits, bien seuls dans nos classes pour tout ça.
    la société doit aider son école à relever ce défi magnifique. Le mythe de l'école libératrice est tombée (notamment avec le numérique). Il est temps de réinventer l'école qui nous est nécessaire pour faire... société. Surement pas un bocal étanche à tous ses mouvements.
    Mais, peut-on faire confiance dans cette noble tâche à notre société qui se délite sous nos yeux? Tant dans ses valeurs morales, sociales, éthiques, qu'économiques?
    La problématique du serpent qui se mord la queue est complexe.
    Longue réflexion....
    éric Ayrault

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