vendredi 20 mars 2015

L’erreur de calcul. Régis Debray.

Ce Debray, n’est certes pas long (54 pages) mais si emballant que j’en ai acheté trois autres à 5 € pièce à distribuer comme du Hessel, en moins gnangnan.
Il s’agit de sa réponse au « j’aime l’entreprise » de Vals, sans insulte, avec sa verve habituelle :
« Un enfant du siècle transi par sa grande illusion, l'erreur de calcul qui nous bouche la vue et s'en prend à nos vies ».
 Loin des caricatures :
« Les entreprises sont évidemment nécessaires à la société. Elles en sont les jambes, mais sûrement pas le cœur, et encore moins l’âme. »
Il replace avec une gravité qui tranche avec les ricanements habituels, des paroles tellement dans l’air du temps, dans une suite historique où l’économie, « une catéchèse quotidienne et cathodique », est  devenue reine après le temps de l’église et de la nation.
Le réquisitoire a du souffle et son style agile toujours m’époustoufle. Il nous rappelle le poids des mots dans la langue de nos maîtres :
« Chacun s’exprime à l’économie : il gère ses enfants, investit un lieu, s’approprie une idée, affronte un challenge, souffre d’un déficit d’image mais jouit d’un capital de relations, qu’il booste pour rester bankable et garder la cote avec les personnalités en hausse. »
Il revient sur ses critiques de la modernité :
« Le mot de passe qui donne aux business schools des allures rimbaldiennes, justifie tous les abandons et paralyse la réflexion. »
Et sur l’injonction  de s’adapter
« Ni la république, ni la résistance n'ont été des faits d'adaptation, et le socialisme encore moins. S'adapter en 1940, c'était collaborer »
J’arrête là, je ne vais pas tout citer, son échange avec Renaud Girard: « Que reste-t-il de l’occident ? » est sur ce blog  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/01/que-reste-t-il-de-loccident-regis.html et demain je cause d’« Un candide à sa fenêtre ».
………….
Cette semaine dans « Le Canard » un clin d’œil à notre pourvoyeur de "Brèves de comptoir" chaque lundi.

jeudi 19 mars 2015

La Tour Perret. Cédric Avenier.

A l’approche des 90 ans de la construction de la Tour emblématique de la ville de Grenoble, la conférence du docteur en histoire de l’art et architecture devant les amis du musée dépassait le simple exposé, en appelant la nécessité de restaurer le bâtiment fermé au public depuis les années 60.
Le montant de la facture évalué à 7 à 8 millions risque de s’élever encore, suivant la vitesse exponentielle des dégradations. Elle qui ne coûta à l’époque que l’équivalent de 130 000 € ; ce fut  d’ailleurs un des arguments pour qu’Auguste Perret emporte le concours d’architectes par ailleurs bien aménagé en sa faveur.
Marie Dormoy critique littéraire l’introduisit  dans les milieux de l’art, et  leur liaison amoureuse n’est pas anecdotique:
« Tu ne peux pas savoir très cher à quel point je suis touchée d’avoir la Tour comme filleule.
Je l’accepte avec joie et qu’elle soit l’image de notre amour. »
L’influence du maire Paul Mistral conjuguée à celle du conservateur du musée Pierre-André Farcy fut déterminante. Franc maçon, l’architecte travaillait aussi avec son frère qui dirigeait une entreprise de construction.
« La tour pour regarder les montagnes » de section octogonale, mesure 95 m de haut avec la flèche au dessus de fondations allant à 15 m de profondeur. Ses huit piliers réunis par des anneaux forment une colonne de style ionique dont l’érection ne suscita pas de polémique, seulement des jalousies d’autres architectes.
Lors de l’inauguration, par Paul Painlevé président du conseil, deux députés sont restés coincés dans l’ascenseur et enfermés dans la tour. Herriot était un de ceux là, ce fut peut être la seule fois où il sauta un repas.
Fils d’un tailleur de pierres, le « seul architecte du vingtième siècle, aimait-il à dire, avec Le Corbusier », il est l’héritier d’une démarche rationaliste et classique.
Il mit en valeur le béton, fleuron à l’époque du « style français », et va innover avec cette structure légère et continue qui  a nécessité un chantier complexe mené en seulement sept mois. Les coffrages sont modulaires et les moules  pour pré-fabriquer des éléments de remplissage sont réemployés à partir d’une église qu’il avait construite au Raincy.
Le ciment ne provient pas des dizaines d’entreprises qui rivalisent alors sur Grenoble, mais de Marseille.
Redonner une seconde jeunesse à la première tour en béton armé du monde, peut être un projet excitant pour les labos de recherche sur le ciment de L’Isle d’Abeau, l’école d’architecture, les artisans, les chercheurs en sismologie de  l’Université Joseph Fourier, les artistes et les techniciens. Retrouver la vocation première de la tour, seul vestige de l’Exposition internationale de la Houille Blanche et du tourisme est un beau défi. Au pays de la recherche et des sciences, quelque lumière devrait apparaître ; tous les partis politiques s’étant prononcé pour cette restauration. Les hautes technologies au service du patrimoine : quoi de plus consensuel ?
Le défi technique complexe est passionnant car il s’agit de traiter fer et béton, de trouver des formules de matériaux de réparation qui accrochent par-dessus des ciments « Le Flambeau » qui ne se font plus. La porosité des substances nouvelles doit être identique et ne pas se décolorer différemment des supports qui doivent rester primordiaux par rapport aux restaurations.  
L’architecture loin d’être immuable connait les contraintes du temps qui passe, des aménagements, des ajouts, des transformations, dans ce cas la tour qui connut une belle table d’orientation à 60 m du sol , est « dans son jus » initial contrairement aux bâtiments qu’Auguste Perret construisit à Amiens, ou au Havre « un exemple exceptionnel de l'architecture et de l'urbanisme de l'après-guerre ».
« L’architecture, c’est ce qui fait les belles ruines » disait-il.
Une association "Ensemble pour la Tour Perret de Grenoble" s'est montée, 

mercredi 18 mars 2015

Images d'Iran 2014, suppléments.

Depuis septembre http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/quest-ce-que-vous-allez-faire-en-iran.html  chaque mercredi  nous avons raconté notre voyage en Iran . Accessible grâce au moteur de recherche du blog en tapant "Iran" dans la fenêtre.
Pour prolonger le récit, parmi 3000 photographies  en voici quelques unes  par un compagnon de route.
Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir.









mardi 17 mars 2015

Petite terrienne. Aisha Franz.

Une mère et ses deux filles : une adolescente et une enfant, le papa n’est pas là.
Leurs rêves à toutes les trois ne sont guère fantastiques sous ce titre ambitieux et dérisoire qui  nous élève bien peu au dessus d’un terre à terre assez déprimant.
La mère a des regrets qui s’expriment par l’intermédiaire d’un poste de télévision qui lui rappelle les occasions manquées du passé. 
L’adolescente essaie de retrouver une amitié d’enfance et ce n’est pas l’amour espéré qui l’attend. Les garçons en voiture sont volages et les verres éclatés sur le carrelage nous accablent. 
La « petite » que les autres appellent ainsi, convoque un extra terrestre convenu entre deux petits déjeuners, où personne ne s’éveille aux autres, dans un pavillon triste de banlieue morne de notre zone européenne neurasthénique.
Les dessins maladroits au crayon accentuent la tristesse de ces vies solitaires. Ce n’est  vraiment pas joyeux, mais bien vu : le gris peut aller à la poésie, même si les ballons rouges ne portent pas toujours des messages sympathiques.

lundi 16 mars 2015

Pas son genre. Lucas Belvaux.

Il s’agit en réalité de "pas sa classe"… au sens marxiste.
Quand le prof de philosophie nommé à Arras dédicace un livre  pour « ma coiffeuse kantienne » à Jennifer la coiffeuse, son amoureuse, c’est mal parti pour réduire la fracture culturelle entre le parisien - et la fausse blonde.
Mais en dépit de quelques traits un peu appuyés pour contraster des conditions sociales différentes, leur histoire d’amour est émouvante pulsée par l’actrice Emilie Dequenne épatante de joie de vivre et de sensibilité.
C’est toujours bien quand un réalisateur arrive à faire du neuf avec une situation déjà traitée.
« Caressez moin » au karaoké avec les copines pêchues joue contre le sombre « Idiot » de Dostoïevski, avec en bouquet final « I will survive »  qui emballe toujours.
Le prof ne méprise pas la jeune mère moins empêtrée que lui, mais au moment où les masques de Carnaval sont de sortie, leur liaison vient dans la lumière, et arrive alors l’épreuve de vérité.
En écrivant quelques mots à propos d’un film, on se met à distance, mais les poèmes, les chansons, et les histoires d’amants qui se croisent peuvent arriver à accélérer le rythme de nos petits cœurs.

dimanche 15 mars 2015

Cyrano de Bergerac. Edmond Rostand Georges Lavaudan

Est-ce que mon enthousiasme d’il y a deux ans http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/04/cyrano-de-bergerac-edmond-rostand.html pouvait se renouveler ? Oui !
Avivé par la conviction que ce sont les mots qui sauveront notre humanité, après les déflagrations de janvier, j’ai apprécié ces deux heures et demie où l’humour, le panache, emportent l’émotion.
Au plus profond des palpitations de la vie, le théâtre amène les siècles révolus et leur romantisme dans les mœurs les plus contemporaines : tchatcheurs en battle.
La mise en scène met en évidence le texte initial.
Les sentiments sont absolus, les fêlures se regardent en face, l’héroïsme ce n’est pas vaincre cent épées mais mourir debout.
La délicatesse :
« Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer;
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d'un peu se respirer le coeur,
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme! »
Dans une autre version j’avais aimé la tirade des "non merci"
« Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?
Non, merci ! »
Cette fois j’ai apprécié un des sept moyens de monter dans la lune :
«Sur une sauterelle aux détentes d'acier, 
Me faire, par des feux successifs de salpêtre,
Lancer dans les prés bleus où les astres vont paître ! »
Il s’agit d’une scène secondaire où Cyrano doit faire attendre De Guiche, je l’ai choisie pour retenir le plaisir de chaque instant, la saveur de chaque vers, la verve de chaque mot, les couleurs de chaque personnage avec une Roxane peu précieuse dont tous sont amoureux.
Sur cette lune où il va retourner au moment de mourir, sans engin mécanique, ni espoir de cent vierges ; il a aimé pour cent amoureux sur la terre et s’est élevé cent fois au dessus des contingences.
« - Les feuilles !
Elles sont d'un blond vénitien.
Regardez-les tomber.
-Comme elles tombent bien !
Dans ce trajet si court de la branche à la terre,
comme elles savent mettre une beauté dernière,
et malgré leur terreur de pourrir sur le sol,
veulent que cette chute ait la grâce d'un vol !
- Mélancolique, vous ?
- Mais, pas du tout, Roxane !
- Allons, laissez tomber les feuilles de platane...
et racontez un peu ce qu'il y a de neuf.
Ma gazette ? »
Cette Roxane peut être un absolu, une « inaccessible étoile », une  figure comme Marianne de la République à qui on voue de grands mots et qui échappe, les prétendants étant trop sots. Mais point besoin d’extrapoler : les rouages de la pièce s’enclenchent parfaitement. Les excès les plus fous sont au service d’une quête toujours lucide. Les détails savoureux se révèlent, comme se goûtent  les retrouvailles avec les morceaux de bravoure pas escamotés : des brioches sont emballées dans des cornets en papier où sont écrit des poèmes, la nonne qui ne cherche pas à convertir le vieux Cyrano  peut prier pour lui, elle n’avait pas attendu son autorisation.

samedi 14 mars 2015

Fête du livre de Bron 2015. Qu’est-ce qu’on a en commun ?

Depuis trente ans que cette fête existe, je ne l’ai découverte que l’an dernier et ce fut un régal : http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/03/fete-du-livre-bron-2014.html
Cette fois j’ai manqué Marie-Hélène Lafon et Emmanuelle Pagano que je tenais à entendre sur le thème « de l'influence du paysage » en littérature, et ma vexation de m’être trompé d’heure a été avivée par une amie croisée dans la salle des parieurs de l’hippodrome de Parilly, qui en sortait, enchantée par les deux romancières.
Alors nous nous sommes consolés ma comparse et moi avec deux auteurs qui m’étaient totalement inconnus, bien qu’ « auteurs majeurs de la littérature contemporaine internationale » : John Burnside et José Carlos Somoza réunis pour leur tendance à mélanger les genres : polars, fables, réalité et imaginaire, ombre et lumière.
L’écossais jovial est un poète qui ne manque pas d’humour. Son roman « L’été des noyés » se pare de mystères : dans une île près du cercle polaire, les légendes rapportent qu’une femme à la beauté fascinante entraine les jeunes gens vers la mort … 
Dans « Le Tétraméron », l’espagnol né à la Havane, livre un roman gothique où les fables cruelles contées à une jeune fille au sortir de l’enfance s’emboitent comme poupées gigognes.
Cocteau fut évoqué opportunément : « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité », puisque cette dualité est au cœur de la création littéraire.
Pour illustrer la part subjective qu’apporte celui qui a un livre devant ses yeux, l’ancien psychiatre auteur de « La caverne des idées » a évoqué un lecteur qui avait trouvé la description de la Havane ancienne particulièrement fidèle, alors que l’écrivain n’y avait vécu que les premiers mois de sa vie.
L’imagination nous fait grandir et quand « la folle du logis », l’imagination, se déchaine dans des pages, une fois le livre refermé, nous entrons dans d’autres formes de folie.
Ce sont, en ce moment, des marteaux bien réels qui s’attaquent aux statues.
En attendant la rencontre avec la star rock Djian et la punk Despente, je consentais à assister à la prestation d’une actrice qui écrit : Anne Wiazemsky.
Et nous fûmes emballés par la sincérité, la force, de l’ancienne femme de Godard, digne de son grand père François Mauriac.
Ce n’est pas le côté : j’ai connu  Deleuze, Bertolucci, Bresson… qui m’a séduit, mais la vérité de l’écrivaine se démarquant de l’autofiction, tout en s‘autorisant quelques reconstructions de la mémoire. L’écriture lui vient quand les personnages (re)vivent. Par modestie, elle n’a pas mis en exergue Colette:
«Imagine-t-on à me lire que je fais mon portrait ? Patience, c'est seulement mon modèle. »
Pourtant, je pressens que c’est tout à fait ainsi qu’elle a écrit. Sa façon de nous parler de l’histoire de sa mère donne vraiment envie de lire son livre : « Un enfant de Berlin » antérieur à sa trilogie : « Jeune Fille », «  Une année studieuse »,  « Un an après ».
A la sortie de la découverte de cette belle personne, au regard passionné, quelle ne fut pas notre déception avec l’auteure de « Baise-moi » et celui de « 37° 2 le matin » dans l’entre-soi avec Sylvain Bourmeau qui ignorait même le titre de l’entretien ( par la barbichette) qu’il était sensé diriger : « les illusions perdues » !
Si Despentes garde encore quelque fraicheur, le parolier de Stephan Escher fut pathétique et sa suffisance n’entraine pas à lui voter des circonstances atténuantes. Leur connivence se dispensant de respecter le public, nous ignorerons sans doute leur dernière production : « Vernon Subutex » disquaire nostalgique de l’une et « Chéri-chéri », un écrivain le jour, travesti la nuit, venu de l’autre. Nous avons appris que celui qui prétend écrire pour l’agriculteur de Corrèze sur son tracteur, et pas seulement pour les habitants du VI°, vient de déménager, dans le VI°. Mon Massey Ferguson est tout ému de la confidence.
La rock attitude d’un membre éminent de l’élite de la littérature française tient dans un look, d’avantage que dans un serment Clearasil qui consiste à « ne  pas trahir ses rêves de jeunesse ».
« Waouh ! » n’a- t-il cessé de s'exclamer à propos de la langue de sa jeune collègue.
« C’est un peu court, jeune homme ! » aurait dit Cyrano.