lundi 22 avril 2013

Alceste à bicyclette. Philippe Le Guay.



Comme beaucoup de mes amis m’avaient conseillé ce film, je comptais me régaler, appréciant  en général ces acteurs et le thème, contrairement aux critiques qui faisaient la fine bouche. Mais finalement je  suis tombé d’accord avec la sévérité de Télérama.
Lucchini est retiré loin du monde, sur l’île de Ré,  une des majeures « place to be ».   
Lambert Wilson, lui aussi acteur,  mais en plein succès, genre série TF1, vient proposer au péremptoire bavard un rôle dans « Le misanthrope ».
La vie et le théâtre : le sujet a été beaucoup traité et en dehors des moments d’affrontement entre les deux caractères opposés, cette version est poussive.
« Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J’ai fait jusques ici, profession de l’être ;
Mais après ce qu’en vous, je viens de voir paraître,
Je vous déclare net, que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus. »
Bien des scènes sont ridicules telle que le jacuzzi en folie, le vélo sans frein, et les personnages secondaires sont caricaturaux, ajoutés pour coller artificiellement au propos initial de Molière. 
Quand le parisien débarque chez le dépressif  mal rasé comme il sied aujourd’hui, celui-ci est dehors car il a des problèmes de fosse septique, un puzzle est posé sur la table : il est à l’image de ce film en morceaux non raccordés.
Un moment de sourire quand dans la salle, un téléphone portable a sonné avec insistance, il venait d’en être question dans ce film comme dans beaucoup d’autres : le cinéma et la vie. Bateau.

dimanche 21 avril 2013

Cyrano de Bergerac. Edmond Rostand Dominique Pitoiset.



Qui peut s’intéresser à des histoires de poète à vers de mirliton,  précédé par son grand nez,  jouant  au mousquetaire, roucoulant sous un balcon?
Moi, passionnément et je n’étais pas le seul dans une salle comme rarement debout, enthousiasmé, par une mise en scène novatrice mettant en valeur la modernité  de la pièce de 1897.
Je connaissais le sujet : le pouvoir des mots, le jeu avec les apparences ; mais aussi, pas seulement à cause des défauts de ma mémoire, j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir des dimensions nouvelles.
« …. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? Se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci ! »
Fraternel avec les cadets de Gascogne :
« De gloire leur âme est ivrogne. »
Gourmand :             
« Et fais tourner au feu des strophes de rôtis ! »
Loufoque, arrivant de la lune :
 « J’ai aux éperons, encor, quelque poils de planète ! »
 Emouvant :
« Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
Ganté de plomb ! »
Donnant à réfléchir :
 « Ah je vous reconnais tous mes vieux ennemis !
 Le Mensonge ? Il frappe de son épée le vide. »
 Les alexandrins se dégustent comme un muscat, vin naturel et sucré. Quand ils sont outrés,  l’émotion  passe avec ce qu’il faut d’autodérision, on rit et on se dit : la lutte contre les faux semblants ne date pas d’aujourd’hui.
Avec tout ce  « théâtre » ce disgracieux a donné tant de grâce à la vie, avec panache.
« Pas monté bien haut, peut-être, mais tout seul. ».
Depuis la salle d’hôpital où Torreton en survèt’ est prostré jusqu’au final où il a revêtu la cape et l’épée, la cohérence est complète, les 2h 30 passent comme un Rivesaltes.
Baschung chante :
« Et tous ces petits êtres qui courent »
Ça colle.
Les morceaux de bravoure se succèdent : tirade des nez, les cadets de Gascogne,  la duègne est éloignée avec des pâtisseries servies dans des pages de poèmes. La scène du balcon par Skype arrive vraiment à propos : Roxane intime, en gros plan sur l’écran, réussit  totalement sa prestation.
La pièce où l’humour succède au pathétique épouse les états d’âme changeants de Cyrano à l’énergie communicative, arrogant, touchant (à la fin de l’envoi), seul. Fini d’un coup de bûche.
Pas l’ombre d’une restriction quand l’inventivité sert aussi bien le théâtre populaire avec des acteurs  complètement investis.
Je cours relire encore des passages.

« Oh…Délabyrinthez vos sentiments »

samedi 20 avril 2013

Les pays. Marie Hélène Lafon.



J’ai fermé le livre et je l’ai tenu dans mes mains comme une pierre que j’aurais ramassée dans le dernier  champ labouré par mon père, et l’ai rouvert à la page  de la citation qui précède le récit,
« Nous ne possédons réellement rien ; tout nous traverse » Eugène Delacroix
Il n’y a pas plus juste pour décrire ce roman de 200 pages.
Une fille de paysans qui n’est pas faite pour les travaux des champs va étudier  les lettres à Paris, mais elle ne sera jamais parisienne.
Je partage intimement ce passage d’un monde à l’autre, cette distance entre un monde qui meurt qu’elle comprend au-delà des mots et l’univers affolé de la capitale qui ne l’éblouit pas mais lui procure par son université les moyens de décrire une existence, magnifiquement.
Tout y est : ceux qui sont chez eux au Luxembourg, les librairies impressionnantes, le père qui monte à Paris avec son petit fils dégourdi, la laverie du XIII°, Depardon en DVD, le travail d’été à l’agence bancaire, les chiens dans les hameaux, le tracteur rouge, …  
«Le chemin est comme un boyau, entre les noisetiers ronds et les frênes et d’autres arbres dont personne ne dit le nom, parce que l’occasion manque de nommer les choses, et pour qui, pourquoi, qui voudrait savoir. »
Fille du Massif Central, par ses thématiques j’ai pensé à Bergounioux qui lui travaille le fer, elle plutôt le bois. Ses atmosphères sont évocatrices, chargées d’odeurs, mais si elle a hérité d’une persévérance au travail qui lui a permis de réussir ses études, elle a aussi la pudeur de ses origines : aucun pathos et des ellipses sur des sujets concernant sa vie amoureuse qui auraient fait l’essentiel d’autres autofictions.
La balançoire :
« Elle ne servait plus vraiment maintenant que les trois enfants de cette ferme étaient déjà presque grands, assez grands pour commencer à perdre, à oublier, le goût forcené de la balançoire jetée dans l’air bleu sous l’érable, le corps lancé arraché à la force des jambes, et du buste tendu, bercé le corps dans cette caresse insolente de la balançoire. »

vendredi 19 avril 2013

« Les verres d’eau ont les mêmes passions que les océans ».



La citation est d e Victor Hugo, maître en tempête.
Me trouvant, dans la période,  bien sec, dans l’océan des bons mots, j’ai recopié le suisse Maurice Chappaz cité également dans Libé : « l’encre est la partie imaginaire du sang ».
Je vais chercher des phrases qui poétisent pour apaiser les blessures que nous infligea un chirurgien esthétique  et le tourbillon de journaux pris d'un zèle soudain, jusqu'à en perdre la tête.
Cahuzac, Nucci, Besson, Kouchner, Guérini, Kucheida, Pelat, Bousquet, Dumas…
Je recopie quelques mots : « Cloud » apparu récemment, il s’agit de  « Cloud computing », j’y vois un nuage de plus : celui de tant de mots devenus particules (élémentaires), ayant perdu leur sens, indistincts dans une multitude informe.
De plus j’attrape le plus anodin des signes de nos temps grognons : les équipes de foot mais aussi de rugby ne créent plus guère de passions positives.
Nous, français, nous ne nous aimons guère. Hollande est en train de rejoindre Michalak et Benzéma sur le banc des boucs émissaires où la raison est hors jeu.
Des groupes humains sont plus gravement désignés comme coupables par de noires passions où une part d’envie étouffe toute fraternité: nous n’avons pas la force de la foi des musulmans, ni l’énergie au travail des Chinois.
Quand je lisais que les défections se multipliaient dans les cabinets ministériels, il en est de querelles de pouvoirs, de personnalités, mais aussi d’un amoindrissement du sentiment de l’intérêt public. Alors que la pédagogie est appelée en recours de toutes les causes, quelle est la responsabilité de l’école dans ce délitement  de notre moral, de notre morale ?
Quand des parents relaient en conseil de classe une demande d’élèves pour avoir moins de contrôles sur les connaissances, cela frappe moins que le poignard qui sort  habituellement des cartables, mais nous pouvons nous interroger.
Les anecdotes nous submergent, elles insistent sur la distance entre des expériences les plus banales et les discours de plus en plus lointains et peu fiables des experts.
Lorsque nous prenons connaissance de compte rendus de faits que nous avons vécus de près par de paresseux journalistes, nous apprenons la prudence.
Les prescriptions des savants autoproclamés tombent dans le vide : toute « refondation » au nom des principes les plus nobles nous laissent de glace.
…………..
Dessin du Canard de la semaine dernière :

jeudi 18 avril 2013

Giacometti au Musée de Grenoble.


L’exposition qui se tient jusqu’au 9 juin 2013 s’intitule : « Espace, Tête, Figure ».
Ces trois mots sont tellement vastes qu’ils ne laissent pas entrevoir  l’approche passionnante d’une recherche artistique qui va au-delà des 70 œuvres présentées.
« La sculpture n’est pas, pour moi, un bel objet, mais un moyen de tacher de comprendre mieux ce que je vois »
Les sculptures de toutes tailles qui sont exposées sobrement, défient les écrans virtuels; plus encore que pour les peintures, la confrontation au réel en 3D sans lunettes est la démarche la plus évidente.
 Leur présentation est organisée autour de « La cage », sculpture acquise très tôt par le musée de Grenoble et qui vient d’être restaurée.
A l’intérieur d’un cube aux arêtes de bronze peint, un buste masculin est posé à côté d’un nu féminin de même taille. La relation est énigmatique dans un champ défini au-dessus d’un socle, partie intégrante de cette œuvre pivot. La sculpture génère ici son propre espace.
Le suisse italien installé à Montparnasse n’en est pas à sa première cage.
Il était entré dans le cercle des surréalistes avec « la boule suspendue » frôlant une forme oblongue pouvant évoquer un croissant de lune aussi bien qu’un objet érotique, d’autant plus que l’installation était mobile.
Venant après un père artiste, il fit son voyage en Italie où le baroque Tintoret l’illumina ainsi que Giotto dans son rapport des formes à l’espace, voire Cimabue le primitif.
 « Le nez » grotesque et tragique au bout d’un crane excède l’espace, il évoque Pinocchio, il déborde, et témoigne du traumatisme du jeune Alberto confronté à la mort d’un ami.
Depuis ce moment  il en gardera une angoisse tenace de l’obscurité.
Une étude avec cage thoracique et squelette concerne  son ami Crevel tuberculeux dont  il a illustré le livre «  Les Pieds dans le plat ».
Il vit dans des lieux de passage, son atelier est son refuge, sa cage.
La cage renvoie au corps, au décor,  par ailleurs, c’est le lieu de l’incommunicabilité.
Il avait aussi composé une maquette « Le palais de quatre heures du matin » dispositif théâtral, dont il reste une photographie de Man Ray et une huile où figure un oiseau, une femme, une colonne vertébrale.
Ses peintures sur tout support reprennent ses recherches où les corps s’effilent, ils grandissent à mesure qu’il enlève de la matière.
Lorsqu’une femme ouvre les bras comme pour ouvrir un rideau, il la modifiera.
« La place » est un plateau composé de trois figures et une tête, elle jouxte « La forêt » où il a rassemblé sept silhouettes et un buste d’homme.
Il  joue des tailles et des perspectives, ses quatre petites femmes en haut d’une pyramide tronquée sont des prostituées inatteignables au bout d’un parquet  à la patine dorée.
Ses têtes épurées n’ont pas d’âge, l’une sur son socle rouge évoque l’Egypte, comme on peut voir de l’Etrusque dans les figures qui encadrent une lampe objet d’art décoratif travaillé avec Diégo le frère précieux qui se permettait de lui dire qu’une œuvre était terminée.
L’art évoque l’au-delà, sa présence défie le destin des hommes.
Ses personnages sont menacés, fragiles et le déchiffrage de leurs visages, une quête qui n’en finit pas, mais laisse de belles traces.
Les esquisses, les essais s’approchent de l’immortalité. L’artiste donne une permanence à ce qu’il fait. César existe plus par son livre « La guerre des Gaules » que par ses actes.
 Sa peinture n’est pas faite pour séduire mais pour saisir la vie. Eternel insatisfait de lui-même, il ne cesse d’essayer de faire le portrait d’ « un homme qui est fait de tous les hommes, qui les vaut tous et qui vaut n’importe qui » comme disait Sartre. Il en noirci du papier, il le crève de traits qui reviennent sans cesse sur l’ouvrage, qui vous transperce.
Ses hommes qui marchent ne bronchent pas et leur mouvement dit cependant la vie.
Giacometti a posé devant nos yeux des silhouettes « grattées jusqu’à l’indestructible », elles sont devenues figures de l’absolu.
Cet article doit beaucoup aux informations et interprétations délivrées par Etienne Brunet lors d’une visite commentée et à celles de Guy Tosatto le directeur du musée lors d’une conférence aux amis du musée.

mercredi 17 avril 2013

6 mois. N° 5.



« La fureur de vivre » est le titre commun à trois reportages alors que c’est l’instinct de mort qui domine :
dans un camp en Afrique du Sud pour apprendre « la suprématie de la race blanche » aux jeunes afrikaners nés après la fin de l’apartheid,
lors de rassemblements de skins à Rome,
chez des jeunes gangsters au Guatemala.
Terrifiants.
Le quotidien des Samis éleveurs de rennes en Laponie offre un contrepoint rafraichissant ainsi que le portrait de deux vieilles femmes ramassant des groseilles dans la campagne moscovite.
La venue d’un petit enfant qui valorise leurs très jeunes mamans à Naples est  présenté avec un point de vue original.
Les américains qui veulent se faire « congeler »  après leur mort  pour ressusciter plus tard pointe une autre forme de folie humaine, alors que le retour  17 ans plus tard d’une photographe auprès d’une petite fille qui vivait dans une décharge au Mexique est une source d’espoir qui ne peut tomber dans la mièvrerie tant le parcours a été incertain.
Dans l’esprit de XXI, une documentation claire complète chaque chapitre des ces 352 pages passionnantes, élégantes qui mettent en valeur les photographes dont de belles personnalités sont révélées comme Fernando Morales d’abord infirmier qui a créé une association pour aider les mineurs emprisonnés en Sierra Léone.
« Un enfant était allé se baigner à la rivière avec son meilleur ami, qui s’est noyé. La famille du défunt l’a accusé d’assassinat. Il a été incarcéré à 13 ans et cela faisait 4 ans qu’il attendait d’être jugé. Il a été libéré en 2013. »
Il y a aussi la photobiographie de Clint Eastwood  et une série de tirages pastels de l’Allemagne des années 60.
Mon image préférée : une petite fille en Zambie  souriante derrière une belle collection de lunettes de soleil étalées sur un chemin de latérite.
………..
Je reprends mes publications après une deuxième interruption due à de nouvelles défaillances de mon ordinateur. Et je n'ai pas récupéré encore mon carnet d'adresses mail.

mardi 9 avril 2013

Les années spoutnik. Baru.


Premier d’une série de quatre albums, « Le pénalty » est à la classe ouvrière ce qu’était « La guerre des boutons » au monde rural.
Retour vers l’année 1957, quand les affrontements entre gamins de Sainte Claire le haut et ceux des « par en bas » ne faisaient pas le 20h et se résolvaient en un match de foot des habillés contre les torses nus.
Les grands tentent de canaliser la fougue de plus jeunes qui s’essayent à être courageux, ils rêvent de gloire et d’amour, se déguisent en indiens mais sont vite à court de flèches.
Eternels jeux de garçons où une fille apparaît pour garder les buts. Elle ne sera pas acceptée pour ce rôle mais sa tignasse, sous la casquette réglementaire d’alors, fait tourner des têtes.
Baru est mon préféré pour conter simplement en BD le quotidien des milieux populaires. L’album s’achève trop vite : le scénario est élémentaire et le mouvement tellement enlevé que nous avons très vite envie de connaître d'autres pages de cette enfance lorraine.
……..
Je reprends mes publications quotidiennes interrompues  inopinément par une défaillance de mon ordinateur, dont la carte-mère claqua.