samedi 11 février 2012

Ecrire est une enfance. Philippe Delerm

« Le petit maître » que le prof de lettres aurait aimé être en peinture, il l’est pour moi en littérature. L’amateur de Proust, ambitionnait d’être édité dans la blanche de Gallimard mais sa sincérité, sa simplicité, sa modestie n’en font qu’un écrivain pour instituteur. C’est pour cela que je le comprends, que je l’aime, avec toutes ses contradictions, dans sa fidélité à son amour de jeunesse, Martine sa femme, et dans son admiration sans vergogne envers son fils Vincent.
Il revient sur ce qui l’a constitué comme écrivain, ses premières lectures, Crin Blanc,
« l’école comme un royaume », ses phares inattendus : Léautaud et Jules Renard,
ses soutiens dans le monde des lettres : D’Ormesson, Le Clézio, Gerber.
Il remonte à la genèse de certains de ses livres, et dit son admiration d’Hamerchoï, Barbara, des Vestiges du jour.
Lui qui sait bien doser mélancolie et bonheur, revendique ce qu’on médisait de lui :
« l’art d’accommoder les restes ». 
Il évoque les images de vocabulaire qui occupaient les murs des classes :
 « Une perfection douloureuse émanait de ces représentations du monde saisies dans la ligne claire du graphisme. Douloureuse, parce que dans le jardin potager, le jardinier qui bêche son coin de terre ne se disputera jamais avec la jardinière, que l’enfant qui cueille les cerises les pieds sur le quatrième barreau de l’échelle profite à l’infini de cette harmonie indestructible, qu’il peut être tout aux cerises, rien ne sera jamais menacé. Bienfaisante pour les mêmes raisons, bien sûr. Le monde de l’école protège, arrête sur image. Tout est simple clair. » 
 Du Delerm.

vendredi 10 février 2012

C’est quoi être de gauche ?

Pour conclure ma tournée des débats au forum Libération de Lyon en novembre 2011, j’ai suivi une discussion que j’aurai jugée bien inutile quand les clivages allaient de soi, mais depuis quelque Kouchner est passé par là et des missions dévolues à Rocard, Lang ont rimé avec démission, érosion.
Je connaissais ce vieux routier d’Henry Weber, j’ai découvert avec plaisir la philosophe Cynthia Fleury.
- Liberté, égalité, droit de l’homme, solidarité, laïcité, écologie… La liberté est entrelacée à l’égalité, c’est l’indivisibilité des lois.
- Indépendance du parquet, respect de la parité, fin du cumul des mandats …
- La gauche du XXIe siècle sera internationaliste, éco-socialiste, alter européenne et féministe.
- Clinton: « Il faut que la marée fasse monter tous les navires » 
- Pour la maitrise du devenir collectif une puissance publique revigorée ira de soi et la suprématie de l’être sur l’avoir adviendra.
- Dans la formule « Le marché est un excellent serviteur, c’est un mauvais maître »
le mot « marché » a remplacé « l’argent » du proverbe.
 A reprendre mes notes, bien des formulations paraissent tellement pieuses, comme se raréfie l’attitude de se laisser affecter par le malheur d’autrui.
- Le peuple existe, le peuple est raisonnable, le peuple est souverain : c’est cela la démocratie.
Le rappel des fondamentaux n’est pas inutile avec ce mot « peuple » qui en arrivait à paraître obscène dans certaines bouches, avec droits sociaux, projet de civilisation, éducation.
Dans une atmosphère dont le réchauffement inquiète, les sentences s’accompagnent désormais de précautions envers la planète.
- L’homme devra se réconcilier avec la nature.
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Dans le Canard de cette semaine:

jeudi 9 février 2012

Musée d’art catalan. Collection romane.

Dans le parc de Monjuic à Barcelone ont été rassemblés des trésors de l’époque romane.
Leur présentation m’a rappelé que cette époque n’était pas qu’architecture mais aussi fresques.
Elles ont échappé à l’usure du temps et aux amateurs d’Outre Atlantique.
Sur les peintures qui n’ont pas subi de restaurations intempestives, les représentations de Dieu faisaient débat encore au XI° siècle. N’avait-on pas recommandé à Moïse ?
 « Ne représente pas ce qu'il y a là-haut dans le ciel, en bas sur la terre, ou dans l'eau sous la terre. Ne te mets pas à genoux devant ces dieux, ne les adore pas. » 
Les corps peints ne devaient pas s’enfler dans une épaisseur qui aurait fait offense à Dieu.
Plus tard, les vents de l’esprit animeront les personnages et Masaccio apportera des ombres.
La vierge au IV° siècle devient fédératrice avec sa maternité et par la codification des ses représentations, elle se différencie des idoles antiques.
Damien Capellazzi conférencier aux amis du musée de Grenoble pointe le pléonasme : « une abside orientée à l’Est » (orient/orienté).
Il nous fait prendre conscience du temps nécessaire pour que « l’image se lève » et reconnaître que tout est symbole : Saint Michel porte les forces de l’automne et la résurrection est située côté Ouest.
Le Christ est souvent entouré d’une mandorle, en forme d’amande, fruit du premier arbre à fleurir.
Le tétramorphe, animal en kit, rassemble l’aigle de Jean, le taureau de Luc, l’ange de Mathieu, le lion de Marc.
J’ai appris aussi que Saint Martin n’était pas radin, l’autre moitié de son manteau appartenait à l’Empire.
Saint Etienne est lapidé et ceux qui l’assaillent semblent jongler, les corps sont mis en mouvement.
Au-delà d’une marque laissée par les Lombards aux fenêtres des églises, la reconnaissance de leur civilisation au patrimoine mondial abolit la notion de barbare.
La virtuosité des artisans s’exprime aux pourtours des œuvres peintes sur les cuves absidiales, les couleurs primaires trouvent leurs complémentaires. Les figures humaines stylisées se juxtaposent avec les décorations apportées par des nomades passés par Bysance.
Les « brûlants » anges gardiens sont spectaculaires avec leurs yeux multiples et leurs plumes déployées.
Les mains expressives symbolisent l’action ; quand elles sont voilées, elles se montrent respectueuses comme les gendarmes quand ils mettent les gants blancs.
Les statues semblent avoir parfois leurs yeux fermés. Celles qui ont conservé leurs peintures ont une toute autre allure et les devants d’autel ont gardé aussi leur fraîcheur.
L’inscription SCS figure le chant d’un triple sanctus et m’évoque une bulle de bande dessinée.
En prenant le temps de zoomer, les symboles foisonnent : la belette et l’écureuil étaient recommandés pour les repas des femmes enceintes.
Et c’est encore ce soir que j’ai appris que le contraire de symbolique était diabolique.

mercredi 8 février 2012

Au nord de la Bourgogne.

Avec un tel nom de région, pas loin de la Champagne, peut on imaginer un tourisme qui n’aille pas que de vigne en cave ?
A Fontenay, les moines cisterciens qui construisirent l’abbaye au XII°siècle eurent d’abord à assainir l’endroit aujourd’hui charmant, car comme l’indique son nom, l’eau était abondante. Nous visitons l’église sobre selon la volonté de Saint Bernard qui ne voulait pas de distraction à la prière. Le dortoir sous une magnifique charpente, le cloître, la salle capitulaire sont plus habituels en ces lieux que la forge qui utilisait le fer extrait à proximité.
Une enfermerie était-elle destinée à ceux qui n’avaient pas respecté la loi ou conservait-elle les biens précieux de la communauté ? Un pigeonnier de belle allure, un chenil et une boulangerie complètent le circuit. Il ne reste rien de la papeterie des Montgolfier qui possédèrent un temps cette vaste propriété.
 Nous avons préféré la modestie du musée des arts naïfs et populaires de Noyers sur Serein au palais de la renaissance italienne d’Ancy Le Franc qui recèle une des collections de peintures murales des plus importantes.
 Dans un village aimable, ce musée rassemble des objets en terre, métaux précieux ou commun, des toiles, de l’autre bout du monde et ceux d’à côté : du kitch, de l’inventivité, des arts traditionnels, des dingueries contemporaines, des trésors originaux et du bric à brac, de l’art brut, des expressions engagées. Un hommage chaleureux est célébré à l’art au quotidien. Une riche caverne pour les enfants et ceux qui n’ont jamais cessé de s’étonner, loin des bousculades, pour des rencontres intimes et variées. Dans cet ancien collège à la poésie entêtante, la ferveur des collectionneurs est palpable, il y a une âme dans ces murs.

mardi 7 février 2012

Coloscopie de La France du XXI° siècle. Lefred-Thouron.

Quand le dessinateur nancéen fut admis à l’Académie de l’humour politique paraissant tous les mercredis, le monde avait bien changé.
Au pays de Cabu et Kerleroux … fameux dessinateurs, un des successeurs de Reiser en moins vibrant eut désormais son rond de serviette. Il exerce aussi son humour ravageur à « l’Equipe Magazine », mettant en scène des créatures autour d’un comptoir où il sait être bref.
Dans ce recueil il écrit également et ce n’est pas triste. Ses personnages sont avachis mais toujours surprenants, leur décalage nous décolle d’une réalité consternante dont ils mettent l’absurdité en relief.
 Un jeune en prison a obtenu une permission de sortie pour faire sa première communion.
Une dame s’interroge sur tous ces gens qui font des études pour savoir si les prix augmentent alors que son voisin lui dit qu’il suffit de faire ses courses.
Au moment où un Guéant vient crachoter sur les civilisations, il n’y a pas besoin de forcer le trait, ses paroles se situent bien dans la zone examinée et ça pue!

lundi 6 février 2012

Edgar. J. Clint Eastwood.

Hoover commença par mettre en fiches des livres dans la bibliothèque du congrès puis indexa tous les individus qu’il considérait comme des ennemis de sa patrie : 450 00 personnes.
Il passa 48 ans à la tête du « bureau » fédéral, au service de huit présidents des E.U. avec un zèle et une perversité qui le conduiront à outrepasser les lois qu’il était chargé de faire respecter. Il va moderniser les méthodes et utiliser les médias.
Le film aborde la complexité qui ne l’embarrassait pas, lui, un des plus influents personnages du monde.
Avec sa vision manichéenne il rangeait dans le camp des méchants : les communistes, les nègres, les pédés. Alors qu’il traquait voire inventait des secrets pour les puissants qu’ « il tenait par les couilles », il ne pouvait affronter sa vérité : il se cacha son homosexualité.
Une connaissance historique est nécessaire pour suivre l’enchainement des évènements dans cette période chargée, même si le propos du film construit autour d’aller-retour n’est pas essentiellement politique.
Les couleurs m’ont bien plu et le maquillage pour Di Caprio est réussi mais pas pour l’interprète de Clyde Tolson le numéro 2 ; dans le genre j’ai préféré « Il Divo » qui évoque la vie d’Andréotti, sulfureux personnage lui aussi, donc intéressant.

dimanche 5 février 2012

Ithaque. Botho Stauss. Jean Louis Martinelli.

Homère : huit siècles avant JC.
Strauss : auteur de théâtre contemporain le plus joué en Europe.
Martinelli, directeur des Amandiers, joue habilement avec les codes antiques et ceux d’aujourd’hui, pourtant en ce moment on ne dit plus « homérique », mais « péplum » comme tant de critiques l’inscrivent, alors qu’il s’agit de la fin d’une épopée mythique.
Ulysse touche terre.
Il revient dans son île, vingt ans après son départ, avec sous des oripeaux de vieux mendiant, des muscles d’acier.
Pénélope mettra bien du temps à le reconnaître.
Il est vrai que Charles Berling se travestit, joue de ses contradictions : un peu pleurnichard, crâneur ressassant sa gloire passée, tout en ayant aboli le temps qui fut quand même celui d’une absence qui dura.
Nos dieux sont désormais lointains, alors que le rusé guerrier et bon conteur doit sa toute puissance à une Athéna un peu ninja qui l’aide à surmonter tous les obstacles, allant jusqu’à permettre l’oubli des crimes.
Il fallait ça, parce qu’Ulysse est avant tout un humain et il a tenu ses 29 siècles.
Tous les prétendants à la succession, « morfals » qui se goinfrent, me rappelaient les bruits de la ville où se joue le bal des Woerth, Lefebvre, Bertrand, Copé autour de sa Dispendieuse Majesté. Ils finissent mal.
Plus intimement se rejoue le thème du temps, de la reconnaissance, de la fidélité.
Je craignais ne pas tenir les 3h20 de la représentation, mais idéalement placé, j’ai apprécié les nuances qui font partager par exemple les difficultés de Télémaque à succéder à un père aussi prestigieux, grâce à une mise en scène dynamique sans être tapageuse, respectueuse sans être ennuyeuse.