vendredi 12 novembre 2010

Faut-il empêcher les riches de s’enrichir ?

J’ai retrouvé une copine perdue de vue depuis trois décennies à ce débat de Libé à Lyon, parce qu’elle en avait estimé l’intitulé rigolo. C’est plus accrocheur que l’objectif du millénaire de l’ONU qui prône « l’élimination de la pauvreté ». Et Rony Brauman a bien raison de souligner : " le creusement jusqu’au vertige du fossé entre les riches et pauvres qui est la marque de ces trente dernières années dans le monde appelle d’autres réponses que celles du conservatisme compassionnel sous-tendant les objectifs du millénaire. L’amélioration de sort de l’humanité passe moins par la réduction de la pauvreté que par la lutte contre les inégalités. Pour que les pauvres soient moins pauvres, il faut que les riches soient moins riches ".
Son interlocuteur, Claude Alphandéry, trouve lui aussi que « les politiques libérales de dérégulation au profit des plus riches ont eu des effets dévastateurs sur l’emploi, l’environnement, les niveaux de vie… »
Et l’on pourrait aligner les formules :
« L’inégalité nuit gravement à la santé »Wilkinson,
ceux qui ont échoué, reçoivent des rémunérations mirobolantes et« se tournent vers les E.U. pour les salaires des dirigeants et vers la Chine pour les salariés ».
Chercher un mot plus précis pour remplacer « durable » qui s’épuise à s’accoler avec développement ; « soutenable » ferait l’affaire.
Ecarquiller les oreilles quand on nous rappelle que l’écart des revenus qui était de 1/20 dans les années 60 est passé à 1/500.
Envisager un revenu maximum qui serait à « encapsuler ».
Mais quand on constate que seulement 56% des français sont opposés au bouclier fiscal, on peut mesurer que la propagande est redoutable: quand les riches prétendent payer 50 % d’impôts: «Ils payent au maximum 20 %, car le revenu fiscal est minoré. »
Nous sommes hébétés.
L’état s’est appauvri entre 2000 et 2009 de 119 milliards.
Pour ajouter quelques zéros dans cette barque,
sous le titre « ceux qui font la dette, défont les retraites »,
Attac rappelle d’après les chiffres du Conseil d’Orientation des Retraites
que l’ensemble des niches fiscales en France représente 75 milliards d’Euros de perte pour le budget de l’état alors que le déficit du régime des retraites pour 2010 est de 10,7 milliards d’Euros…
Nous avons perdu cette bataille, encore.Dessin du Canard Enchaîné de cette semaine.

jeudi 11 novembre 2010

Le calendrier des postes.

Aux murs de fermes obscures, je me souviens d’images uniques : celles du calendrier des postes.
Et je ne peux m’empêcher que se superposent à ce clou, les silhouettes voutées de l’Angélus de Millet.
Moi, fils de plouc, ne me défilant pas derrière les bannières à faucille, je trouvais pourtant bien niaises ces icônes. Aujourd’hui, que je me suis un peu frotté d’art contemporain - on est toujours le kitch de quelqu’un - ces paysans pionniers des produits dérivés, remuent ma boîte à étiquettes.
L’Angélus enraciné vaut, me semble-t-il, autant pour son ciel que pour sa terre.
Les chatons ou les paysages d’automne que distribuait le facteur sont enserrés désormais dans des cadres clignotants sur nos buffets sans poussière.
En ces temps impitoyables, les chatons se portaient à la rivière, mais présentement la tendresse et les lumières qui dégoulinent dans nos undisclosed adresses disparaissent sous la profusion.
Derrière la page cartonnée où se résumait une année, le vieux garçon marquait le jour où il avait emmené vache au taureau. Les bateaux de pêche carmin attendaient au port en des eaux émeraude, où le Guste n’irait jamais.
Le facteur sonne-t- il encore par chez vous, au moins une fois ?

mercredi 10 novembre 2010

J 10 à New York. Le Queens

Nous destinons notre dernière visite au Queens, avec comme but le Moma, extension de celui de Manhattan appelé aussi PS 1(Public school). Nous y parvenons grâce au métro G, et nous débouchons dans un quartier en travaux d’où nous apercevons la forme reconnaissable du Chrysler building, notre préféré, sur l'autre rive. Nous sommes sur Jackson avenue, la rue du Moma bis que nous trouvons facilement. Nous faisons le tour du sévère bâtiment rouge, ancienne fabrique d’agrafes selon les guides, ancienne école aussi comme l’annoncent les frontispices. Grille close, le musée n’ouvre pas avant midi. Il est 11 heures, le temps est beau, nous patientons en marchant vers le quartier grec.Tout d’abord de l’autre côté de la rue nous jetons un œil sur le grand entrepôt graffé, tagué de bas en haut et sur toutes ses faces sous l’égide de 5 pointz ou 5PTZ.com, seul bâtiment touché par cette débauche de couleurs et sans doute amené à disparaître au profit d’immeubles arties ou résidentiels. Nous longeons Jackson avenue en direction de Queensboro bridge jusqu’à un nœud routier bruyant où s’entremêlent les poutrelles des passerelles. Nous rebroussons chemin car la 21street que le guide Evasion signale comme quartier grec et méditerranéen n’est pas à côté. Nous prenons conscience de l’échelle du plan. Nous n’atteindrons pas le quartier Steinway où subsistent peut être des fabriques de piano. Avant de gagner le PS, nous nous restaurons dans un Deli coréen, self service de plats cuisinés et goûtons une diet root bier inoubliable qui donne l’impression de boire de l’Hextril.
Nous nous rinçons la bouche à la cafétéria neuve du Moma PS avec un expresso, deux gâteaux au chocolat délicieux et un cheese cake insipide. L’entrée du musée est gratuite car seul un étage est visible, les autres sont fermés au public pour cause d’installation.
Le lieu lui-même est intéressant : les couleurs des murs de briquettes s’écaillant ont été conservées et des milliers de pas ont donné une patine aux marches d’escalier cimentées. D’autres escaliers méritent l’appellation cages d’escalier, à cause de grillages protecteurs. Des artistes ont peint les murs de scènes en noir ou collé des paysages d’arbres à un étage, de tremblements de terre au 2nd. Mais l’exposition essentielle réside dans la présentation de vidéos, classées chronologiquement. Nous commençons avec le ballet mécanique de Fernand Léger, Ray et Anteil, entracte de René Char, Picabia et Satie pour nous orienter progressivement vers des visions plus masochistes : hula hop en barbelé qui meurtrit le corps d’une femme, œuvre d’une Israélienne ; femme qui se mange un sein à la cuillère simulé par un melon, humoristique : acteur qui imite un bébé et s’aventure en couche culotte au milieu de la rue, témoignages, performances : superposition de corps nus au sommet d’une montagne pour la hausser d’un mètre… Nous circulons ensuite sur des planchers recouverts entièrement de 33 tours en vinyle noir aux étiquettes multicolores.Nous renonçons à prendre le métro aérien vers Manhattan car l’heure tourne et nous avons rendez-vous à 16h chez Emma. Derniers préparatifs et un taxi, belle voiture noire sans sigle apparent arrive. Nous faisons nos adieux à nos amis.Notre chauffeur indien d’Inde s’inquiète du numéro du terminal où nous devons nous rendre. Nous ne sommes pas en mesure de répondre, alors il correspond par téléphone tout au long du trajet, se faufilant dans la circulation dense vers JFK Airport. Nous trouvons la réponse à sa question sur la route grâce aux panneaux explicatifs qui répertorient les compagnies d’aviation selon les terminaux. 45$ plus tard, nous enregistrons nos bagages, passons le contrôle de sécurité pour lequel nous avons acquis de l’expérience, sans chaussure ni ceinture. Il nous reste 3h 30 d’attente, occupées par la lecture, l’écriture. Nous mangeons un tacos monstrueux dont nous avons du mal à venir à bout à deux. L’avion est à l’heure. Bien installés, nous dormons en toute quiétude. Le transit à Madrid nous impose un nouveau contrôle de sécurité, chaussures, ceinture et tout le bintz. Je retrouve avec plaisir l’Equipe et Libé et découvre avec bonheur le livre « Seul le silence » de Ellory que ma femme vient de finir. Elle crève de chaud et s’achète un T-shirt couleur locale : « Bad Toro ». Embarquement et arrivée à l’heure à Genève, la navette pour Grenoble part toutes les dix minutes (43€ la place). Les personnes auxquelles nous avons à faire paraissent moins courtoises.
………………
Je termine ici l’exploitation du carnet de voyage de mon épouse. Les semaines à venir, je prolongerai les plaisirs de ce séjour par des évocations de films récents ou de livres où il est question de New York, avant un retour sur notre voyage en Chine de 2007.

mardi 9 novembre 2010

La vie d’Augustine.#1

Augustine Marie Joseph née en 1912 est décédée en 1999.
A l’attention de ses enfants, petits enfants et arrière petits enfants, elle a laissé trois cahiers dont un de poésies.
Née dans le Pas de Calais à Auchel dans le Pays minier, elle a pris son stylo à bille en 1978 afin de relater l’histoire de sa vie. Elle a quitté l’école avant d’obtenir son certificat d’études primaires, ce qui était le cas de la plupart des enfants de mineurs. Mais son caractère joyeux, son énergie, son sens de l’observation, son humour ont guidé la rédaction de souvenirs sans misérabilisme.
Les travailleurs du charbon étaient fiers de leur condition de mineurs.
Certes, pauvreté allant jusqu’au dénuement quand le nombre d’enfants était important mais ciment familial, solidarité gages de survie.
La fratrie d’Augustine ( 11 enfants ) n’a connu aucun décès.
Je suis sa fille aînée à qui elle a confié ses écrits. Je les ai saisis me contentant de corriger l’orthographe et la ponctuation.
Ses textes sont écrits sans ratures : de simples ajouts très rares.
Document illustrant un passé ouvrier, la lutte opiniâtre pour améliorer sa condition, « s’élever » socialement, devenir son propre patron.
Les grandes guerres aussi comme des vols de vautours sur l’innocence des agneaux.
Si des jeunes lisent les fragments publiés par Guy que je remercie de tout mon cœur au nom de ma mère disparue, ils découvriront combien forte était la soif d’apprendre chez les enfants de mineurs. Aujourd’hui l’Ecole est parfois vécue comme une punition par les ados dans nos pays privilégiés.
« Il va falloir recruter 9,1 millions d’enseignants d’ici à 2015 … pour combler la pénurie et assurer la scolarisation de tous les enfants de 6 à 11 ans
selon le dernier rapport de l’Unesco sur la demande mondiale… »

« Le Monde » 4 octobre 2010.
Marie Treize
Nous poursuivrons la publication de ses écrits en plusieurs épisodes,les mardis qui viennent.La vie d’Augustine.#1
Du temps de mon père, quand les mineurs toussaient, on disait qu’ils crachaient leurs poumons.
La vie devenait très dure. Les ouvriers commençaient à se révolter. Ils s’attaquaient aux hommes politiques surtout (Poincaré). On sentait la guerre venir. Il y a eu des assassinats. Heureusement, Clémenceau était pour la classe ouvrière : il nous aidait mieux.
Mes aînés travaillaient, aidant la famille à vivre car la retraite de mon père ne suffisait pas. Mais le docteur était gratuit pour les mineurs (Les Mines, propriétés privées avaient un dispensaire pour les familles de mineurs).*
Ma mère et mes sœurs, Sophie et Jeanne, faisaient des lessives : pas de machines à laver !
Cela se faisait dans de grands tonneaux sciés en deux. Chaque moitié était équipée d’un battoir accroché à la paroi. On le manipulait de droite et de gauche. Et toute cette eau qu’il fallait transporter depuis la pompe avec les jougs…
Maria, la mère de Lucienne prenait des cours d’infirmière tout en travaillant.
Nous n’avions pas de W.C. dans la maison. Le « cabinet » était au fond du jardin.
C’était souvent la galopade : il fallait faire la queue. Parfois on allait dans le cabinet du voisin qui était collé de dos au nôtre.
Le réservoir à excréments était une cuve en bois qu’il fallait vider de temps en temps
Nous-mêmes car il n’y avait pas de vidangeurs dans les corons. On vidait les caisses dans un trou du jardin comme toutes les familles des corons. Cela se faisait surtout l’hiver. Il fallait avoir une sacrée santé !
Mes frères reconnaissaient l’odeur des voisins. Ils disaient : tiens, chez les Vylérie, ils vident leur merde. On reconnaît leur parfum !
Et pour nous c’était pareil, puisque l’on ne pouvait pas faire autrement.
Mais il fallait voir comme nos légumes étaient beaux !
On recouvrait les trous avec de la paille et des épluchures et ça nous donnait un excellent fumier que l’on répartissait dans tous les jardins par roulement.

* Note du transcripteur

lundi 8 novembre 2010

« Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. »

Mais non ce n’est pas dans ce film où Carla Bruni a tourné; le bel inconnu c’est un autre, tous les autres, que l’on s’invente, alors allons voir le Woody Allen de l’année.
L’éternelle confrontation des illusions à la réalité crée le comique. La citation de Shakespeare concernant la vie « pleine de bruit et de fureur » sonne bien solennellement et touche au grotesque quand il s’agit du simple déchaînement de pathétiques démons de midi, de treize où onze heures.
Un vaudeville, comme on ne dit plus, un film choral, léger, avec des silences, des hésitations qui sont la patte du maître. Anthony Hopkins se paye une blonde de salle de gym, son ex se console avec les prédictions d’une voyante et du whisky, sa fille aimerait bien Banderas mais elle arrive trop tard, le mari de celle-ci réalise son fantasme avec la fille sublime d’en face qui joue de la guitare dans sa robe rouge, mais la suite sera sûrement foirée, donc drôle, si Allen poursuivait encore cette histoire de paumés, pleine de désillusions. La citation complète sur « la vie racontée par un idiot », se termine par : « qui ne signifie rien ».

dimanche 7 novembre 2010

Aldebert.

Quand les feuilles mortes, qui n’ont pas résisté à l’appel de l’automne, se font pousser par les souffleurs, il se peut, que attirés par quelque nouveauté en CD sur les présentoirs impératifs de la Fnac, vous cédiez à de la chanson française qui mêlerait rock et poésie.
Aldebert m’a ainsi fait de l’œil depuis son trapèze avec son titre « j’ai dix ans » qui sentait le Souchon. Je m’efforce d’aller vers des musiques inédites mais je trouve que le fils du dessinateur de Paris Match dont les chiens allaient au « restaurant réservé aux nonosses et banquets » ne vaut pas Bénabar dont il assurait une première partie, et s’il n’est pas aussi politique que Jamait, il n’a pas non plus la gouaille de Sansévérino dont il peut se réclamer aussi. Elevé au Brassens, ce bisontin ne manque pas d’énergie mais comme il est d’usage maintenant que lorsque vous avez un bon jeu de mots il convient de le répéter, cela peut lasser :
« L’étoffe des héros, paraît-il, n’est qu’un vieux tissu de mensonges. »
« Dis moi qui te suis, ma chérie, je te dirai qui je hais »
« L’homme descend du songe »

Par contre « j’ai tourné sept fois ma langue dans sa bouche » c’était déjà entendu.
Oui, nous sommes au temps où les dames sont aux Camel light et si « milite » rime avec « instit », ce n’est pas indispensable de tomber dans le cliché avec la maitresse qui récupère tous les pots de yaourts. Chanteur d’une génération qui n’est plus la mienne avec des notations enfantines qui me paraissent plus régressives que tendres et des paniques de vieillir qui manquent d’originalité. Il est de la fratrie à Jeanne Cherhal, Renan Luce, dont l’humour, l’humilité sauvent bien des redites. Il lui sera beaucoup pardonné et on pourra même goûter avec jubilation une parodie de rap avec la Madeleine Proust sur « le deux cinq »où la saucisse est de Taumor, où on roule tout Doubs et avec « tout ce qu’on entend et qu’on nous dit pas » il n’y plus qu’a se joindre aux ritournelles entrainantes: « tout le monde debout sur le zinc ! ».

samedi 6 novembre 2010

XXI. automne 2010.

Les villes choisies pour le dossier de cet automne « Des villes et des hommes » ont plutôt des couleurs crépusculaires. Certes de sympathiques potagers sont cultivés dans la ville de Détroit,mais ils poussent parmi les ruines de la cité de l’automobile. Toyota city est encore florissante, mais l’on pressent la fin, derrière une organisation trop bien pensée. L’autre agglomération au Québec qui vivait des mines d’amiante, s’effondre littéralement. La démarche est plus positive d’habitude chez mon chouchou trimestriel.
Par contre Guillebaud qui retrouve un ancien fixeur éthiopien trente quatre ans plus tard nous offre une occasion de nous remémorer et de voir que tout récit ne se clôt pas forcément de façon tragique.
Un anglais dans un récit graphique rend un banal voyage en camion en Iran tout à fait intéressant.
Le retour sur une émission qui avait attiré l’attention : « la mise à mort du travail » est utile.
XXI soulève aussi souvent le voile sur des injustices ignorées : cette fois des esclaves en Bolivie qui ont essayé de se révolter. Un photographe a suivi une troupe d’acteurs d’Opéra en Chine et Phil Casoar, un ancien d’Actuel revient sur la mort d’un jeune phalangiste, alors qu’Ariane Chemin nous conte une histoire en Corse qui tourne mal, mais c’est bien tourné. Nous faisons connaissance d’un ancien compagnon de Castro, un sacré personnage.
210 pages. Avec toujours une bibliographie et filmographie attractives en fin de reportage, nous avons tout pour prendre du plaisir surtout que pas une page de publicité ne s’interpose. Nous sommes vraiment ailleurs mais pas à l’abri de l’effarement face au monde tel qu’il va, voire encore un peu plus saisis.