vendredi 5 février 2010

Médium

A la recherche du dernier numéro consacré à « NOUS », j’ai connu un numéro plus ancien de « Médium » la revue trimestrielle de Régis Debray et je me suis régalé. Le format carré est agréable à lire avec des articles à la bonne mesure pour approfondir un sujet sans être assommé, et des sujets aussi divers que l’ADN, Wikipédia, les intégristes… Nous sortons des clignotements de l’actualité en y retournant avec un brin de subtilité de plus.
« Le déclenchement de l’exaltation hyperreligieuse nécessite l’action conjuguée de deux besoins innés : le besoin d’attachement et le besoin de la cause première… »
« rien n’envoûte autant l’homme que de courir après le fantôme d’un point d’origine »

J’ai laissé de côté les pages concernant le Québec, par contre l’information scientifique claire sur l’ADN permet de mettre à jour notre idée de l’homme, de notre liberté. Et le rappel de l’origine du mot « think tank » expression militaire (un bunker où préparer les plans de bataille à l’abri) avec « ses traductions équivoques : une boite à penser ou bien un réservoir où puiser des idées » nous éclaire. Comme l’interrogation concernant l’inversion des valeurs entre la fiction et la biographie, de même que la visite guidée des dispositifs que le clic met en branle : « rien ne consomme davantage de temps, de moyens matériels, logiciels et organisationnels que la fabrication de l’immédiateté apparente. »

jeudi 4 février 2010

Couleur sépia

Le musée de l’Ancien Evêché présente jusqu’en mars quelques photographes de la fin du XIX° siècle en Isère. Un cycle de conférences aux archives départementales de l’Isère m’a permis de mieux apprécier le travail de ces pionniers dont les épreuves aux rendus subtils ont nécessité beaucoup d’ingéniosité, de patience. Des vues de la Grande Chartreuse, des quais de Grenoble, des panoramiques magnifiques et déjà des alpinistes sur le glacier de la Meije. Il fallait bien au moins un assistant pour trimballer tout le matériel, celui-ci apparaît d’ailleurs sur quelques clichés. Des daguerréotypes émouvants dans leurs écrins ont toute la valeur des pièces uniques, et ne sont pas altérés par le temps. Ce qui ne sera pas le cas pour nos milliers d’images à la merci d’un plantage d’ordinateur, ou de la réduction à l’état de poussière de nos tirages à l’encre comme le prophétisait le conférencier par ailleurs passionnant. Celui-ci entretint un public pour une fois essentiellement masculin, des délices du collodion, des sels d’argent et des vapeurs de mercure qui écourtèrent pourtant la vie des premiers techniciens qui avaient préparé la voie aux artistes. Mais nous n’allons pas accabler nos héritiers sous l’avalanche de nos bobines même si les risques de surcharge ne sont pas certains : l’intervenant dans la belle salle de conférences de la rue Auguste Prud’homme nous rapportait la remarque de deux jeunes vendeurs dans une brocante, à qui l’amateur de photos anciennes demandait pourquoi ils ne conservaient pas les trésors contenus dans les albums qu’ils vendaient : « Vous avez vus la tête qu’ils avaient ! ».

mercredi 3 février 2010

J 21. Saigon.

Nous partons pour une longue route de 300 km vers Saigon.
Nous faisons un arrêt vers un village Coho Lang Ga rendu particulier par la présence d’un immense coq en béton érigé par des missionnaires. Nous déambulons dans les champs où des paysans trient méticuleusement des échalotes avant de les placer dans un grand sac plastique. Depuis notre véhicule nous constatons que les cultures maraichères cèdent la place aux plantations de thé, café puis d’hévéas. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de déguster gratuitement au choix thé ou café dans un complexe commercial proposant ces produits. Nous continuons la descente et la pluie s’abat violemment sur la belle route où dégringolent des coulées de terre rouge et de cailloux, avec de nombreux cars et scooters qui slaloment pour éviter les trous et les pierres.
Au bord de la chaussée, des hamacs, des chaises longues alignés à l’abri attendent des conducteurs fatigués. Un nombre important d’églises et de saintes vierges surplombant des maisons nous intrigue : ce sont des paroisses entières des minorités du Nord qui ont été déplacées avec l’église de leur village.
Avant l’arrivée à Saigon sur la route n° 1 dès Bien Hoa, la circulation s’intensifie progressivement jusqu’à l’embouteillage qui devient grandiose avec une nouvelle averse abondante et drue. « C’est une tranche ! C’est le bazar!" mais pas de casse ni trop de klaxon. Tous les véhicules se frôlent, déboitent et changent de file sans la moindre hésitation. Sur les bas côtés des vendeurs proposent des imperméables aux motocyclistes qui se faufilent entre les voitures, les camions en grand nombre, quand ce n'est pas possible, sortent carrément de la route à droite. Et puis d’un seul coup, sitôt passé un camion à l’arrêt, la circulation se fluidifie pour l’entrée à Saigon.Par contre la pluie persiste. Nous entrevoyons les lieux importants de la ville que nous sommes les seuls- les occidentaux- paraît-il à appeler Ho Chi Minh City (HCMC) : l’hôtel Rex, la mairie, le marché Ben Than, l’avenue au bout de laquelle s’élance la cathédrale, l’ancienne rue Catinat, aujourd’hui Dong Khoi. Nous coupons par le Cultural Park et la voiture s’arrête sous le porche du « Chancery Saigon all suite Hôtel 196 Nguyen Thi Minh Khai 3° district ».
Nous prenons possession, de notre suite à deux chambres. Nous commençons notre tour en ville avec nos imperméables et parapluie en abandonnant nos pulls, direction le marché couvert. On peut juger une nouvelle fois du sens du commerce et de l’habileté des petites vendeuses à l’affut de nos moindres envies. Nous ressortons après avoir craqué pour deux papillons et deux libellules si légers que les paris sont pris sur leur état au retour… ils seront intacts. Dehors la pluie s’est éloignée. Nous voyons alors un cortège discipliné de toiles de tentes sur roulettes tirées par des hommes se précipiter pour installer un nouveau marché nocturne à l’extérieur.
Nous partons plans en main, cette fois sans protection du tout contre la pluie, à la recherche des curiosités de Saigon : les hôtels grand luxe, Rex, Continental, Caravelle, le théâtre, la rue Nguyen Hué. Nous sommes surpris par l’aspect luxueux de la ville, nous avons l’impression d’avoir changé de pays. On peut marcher sur les trottoirs sans buter contre une moto, les avenues larges peuvent se traverser sans trop de risque grâce à des passages piétons et des feux à peu près respectés. Les magasins de luxe, les immeubles neufs à plusieurs étages, les éclairages et une présence policière importante nous plongent dans un autre univers. Des forêts primaires au Vuitton d’ HCMC.
Nous regretterons plus tard de ne pas avoir cédé à un fabricant habile de sauterelles à partir de tiges et feuilles de bambous, nous ne le retrouverons pas.
Nous mangeons fort bien dans une chaîne vietnamienne « Pho 24 » et rentrons nous coucher dans la douceur du soir qui n’a rien à voir avec la nuit moite de Hanoi.
Les amoureux prennent le frais aux abords du parc, avec ou sans moto, tendrement ou plus pudiquement.

mardi 2 février 2010

Lucien père et fils

Margerin s’est mis en pantoufles lui aussi pour chroniquer gentiment les derniers soubresauts de jeunesse de Lucien désormais quinqua à la banane blanche et au ventre proéminent. Le passé lui colle aux baskets, l’armoire de ses teeshirt collector déborde, et le carton de ses vinyles s’éclate en redescendant à la cave. Il ne s’aperçoit pas que son fils qui veut devenir « people » a grandi. Papa n’est vraiment pas un méchant et même s’il grogne en entendant la musique de sa fille, celle-ci saura bien vite le mettre dans sa poche.
A l’issue d’une visite chez les grands parents où Lucien a du user de toute sa persuasion pour trainer ses enfants, le grand père dit :
« Ces réunions de famille m’épuisent.
- Oui je sais, c’est pénible, mais que veux-tu ça leur fait tellement plaisir »

répond la grand-mère.
Ces malentendus nous sauvent parfois.
Le parfum qui se dégage de ces pages est très années 60, et même s’il est question de la grippe A, celle ci se soigne à l’apéro et nécessite un rappel. La ligne a beau demeurer claire, la nostalgie domine, elle nous repose des vacheries du temps. Lucien garde une naïveté qui lui fait échapper bien des écueils. Mais il se retrouve bien souvent seul comme lorsqu’il va acheter quatre repas au Mac Do comme plus petit dénominateur commun à un repas dominical chacun dans sa chambre.

lundi 1 février 2010

Cinéduc : « Bonjour le bonheur ! »

La 3° biennale du 1° au 10 février de cinéma et éducation au Méliès, à Berto et dans bien des salles de l’agglomération … à La Vence Scène, présente 36 longs métrages, des débats, des rencontres, des élèves qui ont fait des courts, et un site bien sûr, en tapant « Cinéduc ».
Au moment de se « faire une toile » même le lecteur de Télérama qui préfère les films qui se terminent mal, a pu se dire, transgressif : « et si on choisissait un film qui ne vous mette pas le moral dans les chaussettes ? » Pas facile de trouver.
L’équipe de Cinéduc a mis deux ans pour dégoter bien des perles en supplément d’ « Alexandre le bienheureux » qui allait paresseusement de soi pour illustrer la thématique 2010 « Bonjour le bonheur ! »
Voici deux avis sur des films qui figurent au programme que j’avais eu la chance de voir à Cannes :
Moscow Belgium de Christophe Van Rompaey
Film bon qui apporte un plaisir sans mélange ; la langue flamande est savoureuse, les acteurs subtils, transfigurés, passant de l’accablement de vies compliquées à la grâce de l’amour. Le réalisateur aime ses personnages et nous aussi.
Les toilettes du pape de Cesar Fernandez Enrique Charlone
Quand un scénario original trempe dans le social le plus humble en évoquant l’amitié, la drôlerie, l’absurde, l’arbitraire, l’oppression : le résultat est réjouissant. Notre connaissance du monde et notre empathie en sortent fortifiés.

dimanche 31 janvier 2010

"The song", danse.

Deux heures avec Anna Teresa De Keersmaeker, certains spectateurs n’ont pas tenu longtemps face aux moments de silence, aux lumières qui s’éteignent, aux danseurs en jean. J’ai apprécié ce spectacle dérangeant, ses trouvailles, ses bruitages de rien, ses gestes ténus, ce vent né d’une corde. Quand on se met à aimer, une chaise qui tombe peut vous ravir.
Ces corps affolés et toujours la précision de ATDK. Quand la musique est arrivée, après ce temps étiré qui nous sortait de nos rythmes paniqués, je l’ai reçue comme un cadeau. Ce spectacle dit par ailleurs très bien notre époque courante. La poésie peut se lire dans l’épure, les mécaniques, et quand les artistes vous amènent à redécouvrir la lumière et le noir, la vitesse et l’attente : j’applaudis. Etre émerveillé par un rideau métallique souple qui tombe lentement.

samedi 30 janvier 2010

Maison des jeunes et de la culture

A Grenoble la municipalité - de gauche - ferme des postes dans les MJ ; dans ma ville l’opposition - de gauche - s’oppose aux restructurations à la MJ.
En attendant le début d’un spectacle à la MC2, au kiosque de ma librairie préférée, « Le Square » je suis tombé sur la revue « Le mouvement » qui consacrait un article aux MJC : « qui se souvient des MJC ? »
Je m’y suis plongé, tout en sachant que j’arpente plus volontiers le hall Grenoblois dans la file en marche vers Galotta que je passe du temps en attendant mon petit fils à l’atelier cirque de la maison de mon quartier.
Je ne vais pas arranger mon cas en allant sur le site de « 60 ans des MJC », pour me vautrer avec délices dans une nostalgie qui me deviendrait coutumière. Ecoutez comme c’est joli : « Nous voudrions qu’après quelques années une maison d’école au moins dans chaque ville ou village soit devenue une maison de la culture, une maison de la jeune France, un foyer de la nation, de quelque nom qu’on désire la nommer, où les hommes ne cesseront plus d’aller, sûrs d’y trouver un cinéma, des spectacles, une bibliothèque, des journaux, des revues, des livres, de la joie et de la lumière » Direction des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire – 1944.
Le dilemme entre le sociocul et les professionnels de la Culture n’est pas nouveau.
On a accusé l’école de tous les maux et dans le même mouvement on la somme de guérir toutes les plaies. De la même façon, dans l’arsenal des solutions à apporter au malaise des djeuns’, les MJC ossuaires de quelques ringardises sont appelées à apporter du sens aux bouchés du MP3, et de la tranquillité aux riverains des parkings haschischins.
La crise, qui ampute en premier les budgets culturels dans l’indifférence, n’est pas que financière, elle affecte aussi nos valeurs, nos priorités. Les poètes ne sont plus convoqués qu’aux enterrements. Que pèse Anatole France (la MJ) face à Caterpillar ? Némo face aux nanos ?
J’ai apprécié que dans cette revue, « Mouvement », consacrée aux artistes et qui s’affiche indisciplinée, soit rappelée « l’importance de la transmission et du partage, la dénonciation de l’orientation actuelle à former des consommateurs de culture plutôt que des individus critiques et créatifs »
Mais n’est-il pas trop tard ? Les individualismes triomphent et s’échauffent, et le « vivre ensemble » devient une incantation pour ficeler une liasse de billets pour blog.
Croulant sous les réunions, les bavardages, les paperasses les praticiens de l’éducation et de la culture sont harassés et les vieux canassons fourbus.
« Etincelle », petit con, c’est une métaphore pas une invitation pour mettre le feu au gymnase !