jeudi 11 juin 2009

« Girls by girls »

« Girl » : c’est du vocabulaire anglais qui m’est encore familier, mais quand je me suis mis à la recherche du mot « junk » parce que la galerie qui expose des plasticiennes s’appelle Spacejunk, je n’ai pas vu le lien, car le lieu est propret et les œuvres présentées gentilles
Et pourtant le junky c’est le « camé », en économie les « junk bond » sont des obligations pourries, quant à la « junk food » elle donne du côté malbouffe. Cette galerie a l’intention de valoriser l’art de la rue, certaines artistes exposées se réclament de la « board culture » comme skate board, les sports de glisse, où l’artiste en équilibre avec la nature est « complice des éléments ».
Caia Koopman reproduit des personnages féminins assez stéréotypés mais à bien regarder une larme peut perler au coin de leurs grands yeux. Carole Bielicki joue aussi du rose avec des présences plus inquiétantes. Sofia Maldonado l’américaine dont j’ai photographié un des dessins pour illuster l’article a une vraie patte bien qu’un peu statique à mon goût. Mizzo une suissesse est influencée par la ligne manga, ses arabesques appliquées sur des supports inhabituels (chaussures, téléphone, skis) peuvent plaire.
http://www.spacejunk.tv/

mercredi 10 juin 2009

Récréation. Faire classe # 33

J’ai bénéficié pendant des années de locaux multiples et confortables dans une école toute neuve, de la bienveillance de mes collègues et de la confiance de certaines directrices peu enclines à une interprétation frileuse des textes. Si bien que dans le cadre rigoureux des vingt minutes de pose qui ne s’autorisaient jamais à déborder, mes élèves ont profité d’une grande liberté qui a constitué pour beaucoup une part heureuse de leur vie à l’école. Moment éducatif scandé par le son d'une cloche de vache que les élèves de C.P avaient l'honneur d'agiter pour marquer la fin de la récré. Nous étions raccord avec l'esthétique de l'école maternelle attenante avec sa salle de jeu en forme de grange Chartrousine.
Rester en classe représentait une récompense suspendue en cas de problème pour poursuivre des constructions de maquettes, jouer à l’ordinateur,à des jeux mathématiques, musarder dans le musée de classe, lire...
Des équipes se succédaient en salle polyvalente pour préparer des pièces de théâtre, des danses. Des personnalités se sont révélées, des parodies très drôles d’émissions de la télévision prouvaient s’il en était besoin que les enfants ne sont pas forcément dupes. Ces créations annoncées par affiche, combinaient liberté individuelle et compte rendu au groupe.
D’autres pouvaient regarder une cassette amorcée ensemble.
Ainsi en comptant les vidéos proposées dans le car au retour du ski, les élèves découvraient une bonne vingtaine de films en une année scolaire : Chaplin, Wallace et Grosmitt , « L’appel de la forêt », « Le ballon d’or », « L’enfant de Calabre », « Fanfan la tulipe ». Il y eut bien des émotions partagées par une dizaine d’enfants voire en solitaire devant « Jeux interdits », « Le gône du Chaaba », « Le vieil homme et l’enfant », « Cuore », « La guerre des boutons » « Rue Case nègres ». J’ai accueilli « le Titanic », « Babe », « Billy Elliot »… Et j’ai renoncé à « Germinal »après des remarques judicieuses de parents. Je me suis gardé des trop connus « Madame Doubtfire », mais sans me lasser j’ouvrais chaque saison sur « La gloire de mon père » pour partager cette croyance en l’école qui ne renie pas la lumière des vacances mais la prolonge. Nous tricotions un petit patrimoine culturel avec aussi « Un sac de billes » et « L’argent de poche » …
Dans une école qui s’ouvrait, les architectes avaient négligé les propositions des enseignants qui demandaient des toilettes à l’extérieur. Immanquablement, le coin des lavabos installé dans les bâtiments est devenu cachette pas toujours poétique. Il est vrai que l’installation de points d’eau extérieurs n’a pu perdurer. Ils ont été vite détruits lors d’incursions nocturnes. Les aménageurs n’avaient pas noté non plus le souhait de planter un mûrier pour nourrir quelques vers à soie. Et l’idée d’un atelier qui échapperait à la dictature des femmes de ménage relevait trop de l’utopie : les salles sont blanches aujourd’hui, pas de copeaux par terre. Pas de craies floues qui fondent sous les giboulées, la municipalité a tracé des marelles qui y ont perdu de l’aléatoire.
Dans cette école qui cherchait ses marques, les règles de vie en commun et la part attendue des enfants ont suscité la constitution d’un conseil d’enfants. Ils eurent d’abord à inventer pour ces temps de récréation. Assez répressifs au départ, les délégués élèves guignaient le rôle de petits kapos ; les enseignants ont réaffirmé leur rôle de garant de la tranquillité de chacun. Les caïds des bacs à sable ont été contrariés. Pour éviter que l’instance ne dégénère en récriminations perpétuelles le conseil a été orienté vers plus de propositions. Les élèves ont tenus des stands et animé une vraie fête de l’école organisée de leur propre initiative, une occasion de bons moments pour clore l’année scolaire.
Les territoires implicites dans une cour de récréation s’ordonnent beaucoup autour des parties de foot des grands. Les maîtresses peu enclines à amortir quelque centre au deuxième poteau avaient imposé l’usage exclusif de ballons en mousse n’entravant pas la virtuosité des footeux. Parfois quelques parties à l’Agorespace voisin avec ballon cuir laissaient de la place aux petits. Mais cette exception réservée aux beaux jours dérogeait trop au principe du partage des surveillances. Car la cour offre une vitrine sur le quartier, la communauté éducative y concrétise sa cohérence en un langage commun. La force, les connivences, la sérénité, le soutien entre adultes se jouaient dans ces moments essentiels pour l’ambiance d’un groupe scolaire.
La récréation ne procure pas vraiment une pause pour les enseignants qui préparent par leur vigilance, une suite sereine à la journée.
J’ai appris qu’il existait désormais des animateurs pour apprendre à jouer aux enfants. Passé le moment de consternation, j’admets finalement ce type d’intervention s’il réamorce de l’inventivité, et n’empiète pas sur le temps de distraction réel de l’enfant ; la paix !
Les déclarations d’assurances concernent essentiellement ces périodes. Les compagnies dicteront-elles encore plus la loi ? Verra-t-on des vacataires privés pour garantir la sécurité dans les couloirs et aux abords des bunkers éducatifs ? Si les tourmenteurs des toboggans passent au « 20 heures », je crains ne pas avoir abusivement extrapolé.
Que crie le moineau ?
La joie me tient chaud.
Que crie l’alouette ?
J’ai le ciel en fête.
Et que crie la pie ?
Qui rit, s’enrichit.
Maurice Carème

mardi 9 juin 2009

Elle est à toi

Il m'a dit : Elle est à toi, cette maison.
Puis il a chaussé ses godasses de montagnard, il a enfilé son anorak, enfoncé son bonnet sur sa tignasse qui grisonne. Il a ajusté son sac à dos, vérifié que ses gants étaient bien accrochés à sa ceinture. Il m'a encore regardée. Regard sans faiblesse, au gris pâli mois après mois dans son visage aminci. " N'oublie jamais qu' elle est à toi cette maison, quoi qu'il arrive…"
Devant la porte, il s'est arrêté, il s'est retourné, il a posé sa main gauche sur mon épaule droite qu'il a un peu serrée, comme si cela lui faisait mal cet effort dans ses doigts. J'ai regardé sa bouche demeurée fraîche, une bouche d'enfant. La porte s'est refermée sans bruit sur la brume d'altitude. Ses semelles ont raclé les grosses pierres au delà du perron et le silence est revenu petit à petit gelant l'espace, posant dans ma poitrine des cristaux acides.
J'ai cherché du regard la pendule et les réveils, j'ai froissé le journal de la veille, j'ai serré mes bras contre mon ventre. J'ai allumé un feu dans la cheminée histoire de dégeler la glace qui pressait mes côtes. Quand l'eau bouillante a empli la théière m'envoyant au visage sa vapeur, j'ai entendu le mot " solitude ".
Je ne reverrai plus jamais Jean.
Au matin je l'avais trouvé s'affairant autour de son sac. Il avait très mal dormi : " Ca ne peut plus durer ; je vide mon compte en banque. Je pars voir le monde, les fleurs, les bêtes et les hommes quoi ! Ne dis rien même si tu ne comprends pas. Tu as la maison ; j'ai fait le nécessaire. Tout est en ordre. Moi, il faut que j'arpente la terre avant la fin… " IL s'était appuyé du front et des mains contre le manteau de la cheminée. Ses épaules pointaient sous le pull bleu qu'il ne quittait plus. Ses hanches étroites, des hanches d'ado, avaient encore fondu ; son pantalon faisait des poches sous ses fesses. Ses jambes si longues tremblaient un peu.
Il est parti maintenant.
J'ai bu un bol de thé et j'ai installé un matelas près de la cheminée. J'ai bu de l'eau chaude toute la nuit. Le vent s'est levé vers minuit. La branche du cèdre a frotté contre les lauzes. Jean n'avait pas eu la force de la couper ; je m'y mettrai demain. J'ai écouté France-Culture. La nuit les voix sont proches, elles sont dans la pièce, feutrées, chuchotantes. J'ai écouté les voix des femmes et des hommes, surtout celles des hommes. J'ai peut-être dormi.
Au matin, j'ai remis le matelas dans la chambre d'amis, j'ai pris un petit déjeuner, beaucoup de miel. La brume s'était levée, on apercevait la muraille éclatante du Mont Aiguille. Au printemps je partirai, je vendrai le chalet. Je quitterai ce cul-de-sac. Cette maison est un bateau échoué. Bientôt elle sentira le moisi.
Jean est parti. Il n'a pas voulu partager les derniers mois. Je l'aurais aidé pourtant mais que savait-il de mon amour ? Il a choisi cette marche contre la mort qui me laisse à moitié vivante.
Dans la salle de bain, sur l'étagère de Jean, j'ai trouvé ses boîtes de pilules… la galère de la trithérapie. Aura-t-il le temps d'atteindre les premiers déserts africains?
Le café, c'est vraiment une grande invention. Je vais en boire beaucoup aujourd'hui. Je couperai la branche du cèdre comme on coupe l'avenir. Le temps me portera le temps qu'il voudra.
Philomène

lundi 8 juin 2009

Etreintes brisées

J’aime bien me distinguer parfois en tenant des propos pour le plaisir de contredire des majorités. Mais mon peu d’enthousiasme à la vue du dernier Almodovar me remplit de doute : aurai-je tant émoussé mes capacités à admirer ? Tout le monde applaudit tellement à chaque apparition du grand prêtre de « La Movida » qui commence à faire long feu pourtant, me semble-t-il. Oui, toujours ses couleurs, et Pénélope est bien gironde, les citations de propres films de Pedro sont drôles, mais l’annonce des possibilités de multiples histoires nous détache de l’émotion d’une seule qui nous empoignerait. Comme un peintre que l’on connaît bien et qui nous présenterait sa palette, mais nous n’avons plus la surprise. Le plaisir de se retrouver en territoire familier s’est éventé : l’épicerie « moderne » a pris des années.

dimanche 7 juin 2009

Renan Luce

Sautillant, le jeune homme est parfait pour accompagner une matinée de printemps.
Il nous conte des histoires de tendresse, même s’il n’est pas très crédible avec sa voix juvénile en « Repenti ». Par contre il est charmant dans les « Voisines » et dans « La lettre », s’inscrivant dans la tradition d’un Renaud décoléré, sans parigotisme, il renouvelle le stock des trousseurs de rimes, boucleurs de courts métrages à la patte fraîche.
« Cherche regard neuf sur les choses
Cherche iris qui n'a pas vu la rose
Je veux brûler encore une fois
Au brasier des premières fois
Mais j'ai croisé sur mon chemin
Deux grands yeux bleus, deux blanches mains
Ses menottes ont pris mes poignets
Et ce sont ses yeux qui m'ont soigné »

samedi 6 juin 2009

Coupe - coupe

En football, la coupe de France en mettant en compétition toutes les équipes du territoire laisse espérer à chaque joueur de pouvoir fouler un soir la pelouse du stade « deuf » après avoir écarté une série d’adversaires de tous niveaux par élimination directe. Tout le monde de Valencogne à Paris, sur la même ligne de départ.
Il y avait des surprises jadis et mythologie éternelle et mobilisatrice : Goliath pouvait chuter.
Cette année l’équipe de Guingamp (8000 habitants ; stade de 15 000 places) a gagné contre l’équipe de Rennes, la métropole régionale. Et les éditorialistes paresseux de reprendre la même image : « le foot des champs a gagné contre le foot des villes ». Hypocrites ! La multiplication des compétitions, conduit les entraîneurs à faire des impasses. Maintenant la coupe est devenue accessoire. D’ailleurs quelle coupe ? Celle là, l’historique qui convoque les souvenirs, ou les autres, celle de la ligue ou celle à Toto ? Le spectateur se lasse- d’ailleurs dit-on encore spectateur ? On parle de supporters. Allant à Gerland pour un match de rugby, j’avais refusé à la charmante hôtesse, un maquillage aux couleurs de Clermont, je crois.
L’équipe de France, elle, est devenue un produit TF1 et les campagnes publicitaires ne peuvent rien pour convaincre que des individualités surpayées se bougent pour une étoile de plus sur la poitrine. C’est Domenech qui ramasse pour ce qu’est devenu le foot : une arène pour la com’ où les convictions se sont enfuies. On ne joue pas impunément avec l’innocence éternellement.
J’ai applaudi, encouragé, le GF 38 promis à redescendre en ligue 2, nous restons en une : bien fait! Mais pour une fois qu’ils passaient à la télé, en demi-finale de la coupe, les « grenoblois » nous ont gratifié d’une prestation insipide, sans conviction. Derrière la même vitre passent des matchs anglais à 100 à l’heure, sans jérémiades, et là le désinvestissement des deux équipes sautait aux yeux. Difficile de faire plus banal que l’injonction de « mouiller le maillot », mais le pauvre môme qui dort avec l’écharpe de club est bien peu respecté. Grenoble reste en ligue 1, Guingamp vainqueur de la coupe, la ligue des champions au Barça : parfait. L’OM de la ville des passions et des réprouvés, que j’aime aussi parce son destin est capricieux, a finalement réussi sa saison. Si j’aime poser en amoureux des faits, des fois ce sont les fées qui me font môme. De surcroit l’équipe d’Aulas, l’OL, a perdu de sa superbe. Il voulait un championnat genre NBA (basket américain) avec des équipes immuables jouant entre elles au niveau européen : une élite sous cloche à donner en spectacle aux pauvres. Cette mise en retrait laissera un sursis au rêve pour toutes les équipes même celle où votre boulanger garde les buts.

vendredi 5 juin 2009

Celui qui n’est jamais venu

Alain Rémond a quitté Télérama, je me suis détaché de Sa Sainteté bien pensante.
Mais je me suis lassé plus tard de ses chroniques dans Marianne où il a usé beaucoup du cintre et de l’anodin. Dans ce dernier livre lu avec jubilation, je retrouve la veine autobiographique qui m’avait fait acheter de nombreux exemplaires pour offrir de « Chaque jour est un adieu ». Il excelle dans le genre en racontant une fois encore ses vingt ans, sans jamais renier ses exaltations poétiques d’alors. Il ne poursuivra pas sa vocation de prêtre, et évoque sa solitude, ses amitiés, son amour. Il reprend les conseils que lui a adressés Jean Cayrol « L’inspiration lâchée sans bride peut paraître neuve à celui qui écrit soumis à ses pulsions, mais en réalité elle traine tout l’héritage d’une culture et le tout venant des images et des paroles dans lesquelles nous baignons… »
Il est question du destin, de cœurs brulants comme avec les pèlerins d’Emmaüs, dans la simplicité, la limpidité, l’évidence d’une vie honnête. Merci.