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mardi 15 décembre 2009

Ma grand-mère Philomène. 2° partie

Ma grand-mère s’appelait Philomène, elle est morte à 45 ans, elle était née un 20 décembre.
Son fils, un fils d’assassin, a épousé ma mère, Augustine, née un 20 décembre. Ils ont eu un premier enfant, une fille. Son nom est le mien, je suis cette petite fille d’un assassin envoyé au bagne à Saint Laurent du Maroni, décédé en 1944.
Il était menuisier, souffleur de verre. Il avait été allemand, puis français selon les oscillations de l’histoire de l’Alsace. IL est devenu alcoolique sur le front de Russie. Les pioupioux, on les dopait à la vinasse des deux côtés de la boucherie. Je suis la petite fille d’une jeune mère de onze enfants que son époux a privé de mots et de vie. Direct, d’une balle tirée direct à bout portant devant trois de leurs enfants.
Je suis la fille de Charles, celui qui n’a pu sauver sa mère, celui qui a scellé sa mémoire, croyait-il, celui qui m’a langée de secrets, m’a nourrie de vide, m’a aimée de désespoir.
Je suis cette enfant-là se mirant dans le chagrin fou d’un père privé de mots. Je suis née un 20 décembre, solstice d’hiver.
Et arrive toujours le moment. Le choix. Enquêter ou dépérir.
J’ai choisi de vivre. J’ai pris le train pour Strasbourg au printemps.
Je n’ai pas vu Strasbourg. Pendant deux jours munie d’un crayon et de papier j’ai lu les archives, j’ai promené les yeux dans des témoignages du passé, les témoignages de Français parlant allemand, rapport d’autopsie que je n’ai pas eu la force de lire jusqu’au bout.
Philomène, ma grand-mère inconnue. Je n’ai connu de son apparence que ce qu’en a écrit le médecin légiste. Le cadavre de ma grand-mère dans les yeux d’un technicien de l’autopsie.
Je n’ai pas vu ses yeux vivants, entendu sa voix et ses rires. Elle ne m’a pas prise sur ses genoux. A Strasbourg j’ai lu sans répit. Le ventre tordu d’effroi et de pitié.
Maie Treize

mardi 8 décembre 2009

L’effroi et la pitié(Première partie)

Depuis quinze ans elle remettait cette expédition. A quoi bon aller enquêter sur le passé de ses ancêtres, qu’est-ce que cela changerait aux destins particuliers, à l’Histoire.
Laisse les morts enterrer les morts, laisse les archives en paix, va de l’avant, amuse-toi. Les vivants seuls sont importants, le présent. L’ici et maintenant… Foutaises de psy !
Elle s’en racontait de bien bonnes pour ne pas bouger ; elle dorlotait ses insomnies, ses crises d’asthme, ses accès de gastrite. Jusqu’à ce que ça pète, jusqu’au bord du terrain miné.
Vos ulcères sont inguérissables… On doit y aller voir… C’est peut-être un lymphome… C’est quoi ?... Rassurez-vous un lymphome c’est curatif (lapsus du médecin, lapsus parfait comme toujours), je veux dire curable… Rougissements, balbutiements.
On l’opère, on lui retire cet épaississement de l’estomac, ce bouclier de chair qui empêche que l’organe ne crève. Cette résistance à être percée qu’elle a. On la tuyaute, on examine ses tissus, on la ravigote…
La Faculté se dit penaude : il n’y a pas de lymphome, régime, petit estomac à chouchouter, régime, estomac d’enfant de huit ans, régime, quatre repas par jour, vous en avez pour deux ans à vous remettre, régime, pas de, pas de, pas de. Pas.
Elle a su, quelqu’un lui a dit ce que son corps savait depuis toujours, quelqu’un lui a dit enfin et peu importe qui le lui a dit :
"tu as raison, ce n’était pas un accident : le pépé a tué la mémé."
Bouches privées de mots, de cela personne n’était coupable, surtout pas coupable la bouche de son père scellée par l’horreur. Un cœur de treize ans écrabouillé.
Elle a connu chose faite, épreuve traversée, enquête achevée, la violence de sa joie de vivre.
Elle a compris la bouche infirme du père. Violence infligée à la parole qui se tarit.
Haine, peur, désespoir. Non, ces mots sont trop usés, ils sont les oripeaux de la littérature. Régime de la honte, fabrique du secret, sève mortelle pour les générations à venir.
Il a treize ans : devant ses yeux, le père tire une balle de revolver dans la bouche de la mère. Elle dit : Jésus Marie, s’écroule cramponnée à la dernière des onze, la petite de deux ans qu’elle portait sur le bras.
Marie Treize

mardi 1 décembre 2009

Chambres noires

Les miroirs sont des maraudeurs. Des canailles. D’ignobles menteurs. Ils ne créent ni ne retiennent. Je te prends et je te jette. Amnésiques. Alors on a inventé les appareils photo. Au début ils magouillaient avec la lumière dans leurs chambres noires, leur camera à soufflet.
L’attente du cliché développé créait le suspens. Ah ! Fais voir les photos ! Ah, Oh ! Ce que ! Et là ? Lui ? Elle ? Ah ! Quand même ! Après. Encore. Mouais… A table !
Alors est venu le génie qui dit zéro et compte jusqu’à un. De géniaux débiles ont inventé les « numériques ». Nous voici revenus aux miroirs, ces indépassables virtuoses de l’instantané. Et toutes ces machines, ces clés USB, ces imprimantes, ces scanners. Le temple du Moi multiplie ses saints.
Pourtant, nous ne sommes pas quittes en dépit de la manipulation effrénée de nos idoles sur papier glacé. Ils demeurent, ces réduits confinés que nous baladons toute notre vie. Fardeaux si légers que beaucoup leur dénient toute existence… Jusqu’au jour, jusqu’à l’heure de la stupeur. Alors vole en éclats, notre petite boîte noire, l’autre côté du miroir. Notre vie nous éblouit d’une lumière si insoutenable qu’elle nous fait mourir. Nous périssons de nous voir sans l’aide des miroirs. Peut-être qu’alors, certains découvrent un dieu fait à leur image, suprême création de leur intarissable besoin de consolation. La vie nous rattrape et nous fige dans la mort avant d’aller se reproduire plus loin. Reste l’insensible plaque des pierres tombales.
Qu’as-tu fait de ta vie ? De profundis. La vie t’a eu et… bien profond !
Il nous arrive, alors que nous poursuivons nos chemins aléatoires dans le magnifique terrain miné qu’est notre vie, de mettre le pied à quelques millimètres d’un engin explosif. Nous nous arrêtons au bord de l’anéantissement, pétrifiés par le regard de la Méduse. Nous ne dansons plus alors, insouciants que nous étions, dans les près et les bois. Nous mesurons nos pas, nous regardons nos montres, nous supputons les dénivelés, nous faisons le point, adossés à de vieux arbres. Nous avons vieilli… Féconde constatation ! Combien de kilomètres parcourus ! Nous soupirons. A quelle distance sommes-nous du but ? Nous sommes si fatigués ! Alors l’arbre nous fait la leçon. Nous nous asseyons sous ses frondaisons, pour l’écouter : « Il n’y a pas de but, sinon celui de croître, de faire souche et puis de disparaître. Contents. » Les arbres, même auprès des lacs et des rivières ne se mirent point, s’admirent encore moins. Ils sont trop occupés à édifier les colonnes du ciel. A proclamer l’extravagante pugnacité de la vie.

Clémence Psyché

mardi 24 novembre 2009

Extravagante pugnacité de l’être.

Au-dessus du miroir aux alouettes qu’est mon P.C. j’ai affiché la phrase signée Valéry Paul :
« L’espérance est la résistance de l’être devant les prévisions de son esprit ».
Voilà une pensée qui me nourrit.
Quand je me suis rendue au service de réanimation à l’hôpital Nord, je me suis perdue sans coup férir entre les niveaux, les services. J’ai tourné de vestibules en coursives. Oubliée en un vaisseau fantôme, je ne parvenais plus à lire les écriteaux. Aveugle, je demande ma route à d’autres égarés parlant vite et bas, me désignant des directions que cassent d’imprévisibles bifurcations. Dans ce Château, je n’étais pas prête pour autant à reprendre le chemin de la sortie puisque ce chemin de toute façon je l’avais perdu aussi. Par ces tunnels, ces couloirs insensibles je devais rejoindre l’armée des soignants, des blessés. Trouver la chambre d’Y. accidenté en Chartreuse. Sans carte, sans cailloux blancs, sans fil providentiel, à un moment j’ai appelé : « Il y a quelqu’un ? »
Je tendais l’oreille mais n’entendais que des aboiements, des grincements de poulies, des chuintements, des échos de fonds de ravins ! Et puis un barbu, poussant un chariot de bonbonnes m’a dit : « Au fond à droite… » avant de disparaître dans un autre labyrinthe. Au fond à droite nul Cerbère, juste l’équipe de déminage en blouses vertes.
Enfile cette blouse, ce bonnet, lave-toi les mains, tu peux pisser avant si tu en as besoin… J’en avais besoin. Pas plus de deux personnes à la fois dans la salle de réa. Quand Jo va sortir, nous pourrons entrer. Jo est sorti et nous sommes entrées dans un sombre sapin de Noël. Chambre noire et dans ce noir les yeux clignotants d’une dizaine de robots, leurs âmes à nu sur des moniteurs opalescents. Ce bruit de soufflerie, régulier, trop régulier pour être humain. Ce tube dans une bouche, paille géante pour aspirer l’air. La bouche meurtrie de Y. Sous le drap le corps figé de Y. Une machine fait le boulot pour qu’il respire, le vieux copain. De part et d’autre du lit nous tenons ses mains. Il ne peut parler, nous nous regardons.
Les larmes viennent, les larmes viennent quand il n’y a pas d’autre recours. Les larmes chassent les images, les larmes sont réelles. Les larmes sont bonnes. Pleurer nous abreuve. « Le ciel, son soleil et ses étoiles sont pour toi, vieux frère, tu les retrouveras bientôt. » Y. approuve avec ses mains qu’il serre dans les nôtres. De temps en temps nous tentons des interprétations qu’il valide ou invalide à coups de paupières. Conversation lente, lenteur de ce qui s’élabore dans la vie en péril quand elle s’obstine à vivre.
A. essuie les larmes de son mari. J’assiste à une transfusion d’amour entre ces deux là.
Les miroirs et notre peur de mourir, volent en éclats. Terrain déminé.
Clémence Psyché

mardi 17 novembre 2009

Les miroirs étaient trop hauts

Les miroirs étaient trop hauts dans notre logement étroit, ou alors, ma joie de vivre était si forte qu’elle se passait de sa représentation.
Autrefois je contemplais mon image pour me voir belle, pour le croire, pour enfin aujourd’hui ne plus m’en préoccuper après en avoir douté. Je me dis que je suis enfin libérée de cette hallucination servie sur le plateau vertical des miroirs.
Quand un homme de ma génération me dit, mi figue mi raisin : « Tu es encore consommable… », je réponds que je ne suis plus une oie blanche et qu’il n’a pas l’air non plus d’un pigeon. Nous rigolons, nous nous faisons la bise. C’est moins fatigant que de trampoliner dans un plumard et plus sûr pour nos ostéoporoses ! Bien entendu, ces messieurs sur le retour (on devrait plutôt dire en avance sur le peloton) audacieux en paroles ne sont pas toujours très doués dans l’art de séduire.
Tandis qu’en catastrophe le Don Juan évoque les images de ses dulcinées d’antan afin de ravigoter son ustensile, elle, en attente paresseuse de l’événement improbable finit par ouvrir sa flore (à défaut d’autre chose) et de s’écrier :
- Botrychium Lunaria ! Je savais que j’en trouverais dans ce coin ! Regarde, n’est-elle pas mignonne cette minuscule fougère rescapée du Tertiaire ? Deux centimètres au plus…
- Ce n’est pas beaucoup en effet, commente-t-il, en se refalzarisant. Faudrait que je la photographie en macro ta… Tu as dit ?
Charmante sexualité des seniors !
Les miroirs étaient placés trop haut dans le logement étroit de mon enfance. Je trottais plus bas que ces nids aux alouettes, préoccupée de ce que je trouvais par terre. Si les vieillards regardent par prédilection le ciel en dépit de leurs arthroses cervicales, les petits enfants, depuis si peu de temps sur terre et encore tout étonnés de l’aventure, examinent le sol, l’apprivoisent à pas branlants cette chose qui les tient et parfois les bascule.
Clémence Psyché

mardi 10 novembre 2009

Ce jour-là

Et puis ce jour là dans le clair obscur de notre demeure nordique, je me suis vue dans le miroir disposé sur le buffet. C’était l’époque où les Arts Décos influençaient jusqu’au mobilier bas de gamme des foyers populaires. J’avais été gravement grondée, peut-être même battue par une mère sans cesse excédée. Pour mon esprit de six ans, la réprimande était injuste et je n’avais pu m’en expliquer. Il en était ainsi dans une famille où l’on ne savait parler. Les enfants filaient doux, menaient leur vraie vie dehors avec leurs bandes (peut-être en est-il toujours ainsi dans ce que les medias et les politiques appellent les quartiers sensibles). On rentrait au logis pour manger, déféquer et dormir ou se prendre une raclée pour absence prolongée, jamais un bisou (ce mot n’existait pas). Au mieux on se retrouvait le dimanche sur des genoux, entre des bras fatigués : le chat ou le chiot faisaient aussi bien l’affaire. Dans le commerce surtout si celui-ci est artisanal, en l’occurrence dans une boulangerie, il n’y a pas de place pour les enfants. Ils se débrouillent, pratiquent l’évitement des petites tâches : va porter ce pain à Mme X., surveille le lait, recharge le poêle, va ici, va là. Ne pas se faire chopper, se glisser en catimini dans la rue et courir, courir vers les jeux, courir vers les autres enfants. Liberté conditionnelle… dont les lois étaient la faim et le sommeil. Liberté réelle : l’apprentissage de la débrouillardise.
Peut-être avais-je sauté le repas de midi ; cette mère électrique qui parlait peu, mais gueulait fort, veillait scrupuleusement à la survie de ses rejetons, les gavant de nourriture « fortifiante » , les persécutant de lavements intestinaux si elle soupçonnait un fonctionnement défaillant de leurs tubes intimes. Une mère qui ne pense qu’à vous remplir selon ses désirs, selon ses peurs, selon les souffrances de sa propre enfance nécessiteuse.
J’avais pris une torgnole - pas grave, comme on le dit aujourd’hui, surtout si c’est douloureux. En prime j’avais reçu la haine, la folle haine dans les yeux de ma mère, ses cris. En morceaux je me voyais dans les yeux de ma mère. J’étais promise à la destruction. Furieuse aussi, je l’étais …
Me voilà réfugiée, au plus noir de la salle à manger, grimpée sur une chaise, secouée de sanglots, suffoquant, crachant, expulsant ma morve.
Je lève les yeux et je la vois. Qui est-ce, celle-là ? C’est un visage de fillette blonde, elle essuie son visage, le salissant. Elle a les yeux comme des flaques d’eau. Des yeux de fée ou de princesse qui coulent sur ses joues. Elle renifle et me regarde. Comme elle est intéressante ! Comme Je suis belle !
Consolée. La vie est admirable ! Je ris : ma mère est moche, mais moche. La pire des sorcières !

Sorcière bien-aimée, petite enfant des corons sans miroirs, sans robinets, sans électricité. Pour l’intimité, des chiottes au fond du jardin.

Clémence Psyché

mardi 3 novembre 2009

Poussin

Le bleu, surtout ciel, c’est pas une couleur que j’aime. J’ai trop vu les voiles bleus en plâtre des statues de cette vierge dans l’église et par-ci par- là, dans les chapelles de campagne. On me traînait dans les processions, on m’abandonnait sur le banc dans la chapelle de la Sainte Vierge avec les envies de pipi qui ne tardaient pas ; j’avais peur des toiles d’araignées pendues aux colonnes, peur des recoins où s’entassaient les débris des dieux démodés, peur des souris qui n’avaient pas peur de moi et se livraient à leurs petits commerces.
Je ne manquais pas de mères pourtant. J’étais l’enfant unique de Louise la boulangère toujours dans le pétrin par ces temps de guerre. Elle avait quatre sœurs. Elle me confiait à ses frangines toutes célibataires et sans enfants. Il y avait ma préférée, Berthe aux grands pieds de palmipède et puis Augustine la grande gueule, Florine aux gros lolos voyageurs, Olivia et ses moustaches. Toutes pieuses, les petites mains du curé ! On m’embarquait, on me déposait, on me laissait en attente, on m’oubliait, on me couvrait de baisers en me retrouvant sur le banc en face des voiles de plâtre bleu, sage, assis en tailleur sous la garde des araignées et des souris besogneuses. Les tantes ne manquaient pas d’ouvrage dans l’église du bourg normand : Berthe lavait à grande eau la nef. Belle et bien bête. Je veux dire bien bête de s’esquinter le dos au lieu de regarder ses soupirants. Augustine dirigeait le chœur des dames et demoiselles, Florine s’occupait de la sacristie avec le curé pour l’aider. Ca prenait du temps tandis que je rongeais mon frein et que l’envie de pipi me tortillait sur mon banc. Olivia s’occupait de dépoussiérer les Joseph, Rita, Thérèse, Nicolas et autres Martin. Une fois même elle me caressa de son plumeau. Somnolant dans la pénombre j’ai poussé un hurlement croyant à une attaque des toiles d’araignées. “ Et alors, Poussin ! Qu’est-ce qui t’arrive ? ”

Et voilà, Poussin ! J’étais le poussin d’Augustine, de Florine, de Berthe, d’Olivia. Un mot doux avec un bec.

J’ai parlé très tard. Mes premiers interlocuteurs furent Miquette la chienne papillon qui ne s’est jamais envolée en dépit de ses grandes oreilles qu’elle dressait pour me répondre. Oui, l’oreille droite ; non l’oreille gauche. Rien du tout quand elle ne comprenait rien. Alors elle s’asseyait et me tirait la langue. Le chat me comprenait aussi, un fainéant aux griffes prestes. Il me ronronnait des berceuses bien plus efficaces que les contes horrifiques de mes tantes. Elles raffolaient d’histoires d’ogres et de revenants : pourvoyeuses en cauchemars.

J’ai eu, me disait-on, un berceau garni de satin bleu et je n’ai pas beaucoup gazouillé. Je vomissais beaucoup dans les dentelles. Le lait de ma mère ne passait pas. Toujours pressée de retourner à son commerce, elle n’attendait pas mon rot et me confiait à d’autres bras, d’autres haleines, d’autres odeurs musquées d’aisselles et de ventre, d’autres voix postillonnantes, d’autres manières de manipuler mon petit torse et mes petites fesses.

Poussin, poussinet, pupuce, poussipouninet, poupou et j’en passe…

Ah ! Je les ai bien remplies vos mains, mes tantes. Ah ! Je les ai bien humidifiées de mes larmes vos lèvres voraces. Poussin, poussinet, je te mangerai de baisers. Pourquoi pleures-tu ? Si mignon à croquer ! Miam, miam, miam sur le petit ventre ! Le joli zizi du poussinounet ! J’avais peur de vos grandes bouches (sauf celle de Berthe, si paisible), de vos baves, de votre force inattentive. Je passais de mains froides en mains chaudes ; de seins plats en seins ronds. Les seins doux et ronds de Berthe, son odeur de tilleul et de cerise. Contre eux, j’avais un peu de repos et je m’endormais.

Et puis j’ai grandi. Mon corps. Je parlais peu. Mes études au cours privé de la rue des Augustins furent un fiasco : rêve au lieu d’écouter, répond à côté de la question, recherche la solitude. Certes j’avais d’excellents résultats en rédaction mais j’étais tellement nul dans toutes les autres disciplines qu’il fallut renoncer au séminaire.
Je bricolais à la boulangerie, décorateur de mokas, virtuose de la poche à douille.. Faut bien que tu gagnes ta croûte, Poussin ! Je peignais aussi de petites natures mortes, des chats, des chiens et des souris sans jamais utiliser le bleu. J’ai eu un succès paroissial. Les commandes rapidement étendues au canton. Le tourisme gagnait notre région riche en églises romanes. Je vendais des images de chapiteaux sous un ciel blanc.
Pauline n’était pas une beauté mais elle sentait bon. Elle était parfumeuse et esthéticienne dans la localité voisine. Le soir des noces je tremblais de désir dans la chambre nuptiale réservée par mes parents à l’hôtel des Voyageurs. Mon father me parlait pour la première fois, me donnant des conseils que j’écoutai à peine tant ils me firent rougir.
Pauline en nuisette de satin bleu, m’appela. Elle rayonnait de bonheur dans le grand lit : Viens mon Poussin, Viens…
Nous n’eûmes pas d’enfants ensemble, c’est le responsable de la cellule communiste qui se chargea de ma descendance avec foi et persévérance. Je devins le père légal d’enfants du plus beau roux. Tante Augustine rappela que nous avions eu un ancêtre rouquin au XIX me siècle…
Je me fichais bien des gênes et autres ciments générationnels. Je peignais nuit et jour pour nourrir et éduquer notre portée de renardeaux.
Poussin ! Il faut commander du mazout ! Poussin, as-tu réglé la facture d’électricité ?
Pauline me rappelait à mes devoirs. Je regardais avec appréhension les canines naissantes des petits. Plus ils grandissaient, plus j’avais l’impression de rétrécir et d’être en danger.

Cette époque est bien loin maintenant. J’ai trouvé le bonheur et la paix. Je peins toujours. Le directeur m’encourage. Grâce à ton talent, me dit-il, nous allons enfin pouvoir rénover le réfectoire et les chambres du premier étage. Il me tape amicalement sur l’épaule et m’apporte personnellement du café et des crêpes. Ne perds pas de temps…
Et il y a mieux… Je me suis trouvé une bien jolie poule, la plus fraîche de l’hôpital. Elle glousse quand je la baise dans ses draps de soie commandés à la Redoute (la valeur de trois tableaux). Elle dort nue. Je la regarde dormir nue au matin, cette lumière nacrée qui joue dans le duvet de ses joues. Elle m’appelle Son Grand Coq Génial.
Quelque fois une très belle femme, plus très jeune, un peu cassée, me rend visite.
Elle m’apporte des mokas. Elle est bien gentille mais… je ne la connais pas.
Elle me dit : c’est pour toi Robert. Je sais que tu les aimes.
Je crois qu’elle est un peu folle. Peut-être a-t-elle perdu un être cher qui se nommait Robert ? J’aime son odeur de tilleul et de cerise.
Marie Treize

mardi 20 octobre 2009

Charlotte et le Poulpe

Un jour, il avait bousculé Charlotte devant la machine à café :
« Pousse ton vieux cul de là ».
On se fait des ennemis mortels pour moins que ça, surtout si l'affront a pour témoins les plus épais machos d'un laboratoire.
Charlotte sortit du local en se brûlant les doigts au gobelet, mortifiée de n'avoir trouvé en riposte qu'un :
« Tu crois que le tien est de la dernière fraîcheur ! ».
N'empêche qu'elle avait battu froid au Poulpe pendant quelques semaines. Mais le Poulpe était le Poulpe. Comment l'éviter longtemps ? L'individu portait un sempiternel pull en faux jacquard qui soulevait sa blouse en perpétuel lambeaux. C'était un grand type, célibataire d'une quarantaine d'années, barbe poivre et sel déjà, l'œil glauque, rampant. Il trainait les pieds, développait des théories jamais renouvelées sur l'inutilité du zèle, les vertus du laisser-aller, la vanité des combats.
Technicien titulaire du C.N.R.S. Et donc inamovible, il avait, depuis sa promotion au dernier échelon de sa catégorie sensiblement abaissé son efficacité professionnelle si bien que les trois équipes de recherches se le refilaient sournoisement, invoquant des raisons brumeuses pour s'en débarrasser. Personne n'était dupe. Surtout pas le Poulpe qui promenait ses gros souliers nonchalants d'étage en étage, prenait prétexte de ses changements d'affectation pour échapper aux réunions de synthèse, oublier les vaisselles de ses supérieurs tout un week-end, oublier la routine des horaires.
Le Poulpe recherchait surtout la compagnie des femmes. Caressait de loin, prenait dans ses tentacules les plus âgées. Ces dernières se dégageaient en riant après des simulacres de résistances. Il n'avait subi qu'une rebuffade et de la part d'une thésarde nouvellement arrivée qui l'avait repoussé les mains tendues devant elle :
« Vous, vous trompez ! Laissez moi ».
« Je suis un incompris, avait-il soupiré ».

Il avait repris son vieux speech sur la froideur du monde en général et de ce laboratoire en particulier, le dos contre un radiateur à trois mètres de l'évier débordant de fioles et tubes à essai encrassés.
La lame oblique du soleil d'octobre tranchait le sentier dans le calcaire. Ils montaient déjà depuis une heure. Charlotte peu entrainée aux marches en montagne, malgré leur proximité habituelle, soufflait, accrochait ses yeux aux « technica » imprimés sur les talons de son compagnon et gardait le rythme dans cette sorte d'hypnose : « technica » à droite, « technica » à gauche.
Elle pensait que depuis son veuvage elle avait négligé son corps et que ce dernier le lui reprochait bien. Que d'énergie à tirer ses grosses fesses qu'elle tâta sans ménagement. Elle mangeait trop de chocolat et le petit verre de whisky le soir devant la télé, son goût pour les nourritures grasses, les parties fines au restaurant avec les copines, tout cela contribuait à son précoce vieillissement. A quarante-huit ans elle en paraissait dix de plus.
Le Poulpe lui avait suggéré le service qu'elle lui avait bien volontiers rendu : le mener tout en haut de la falaise avec son barda. L'incident de la machine à café avait été pardonné.
Elle avait laissé sa Lancia au départ du sentier, chaussé ses vieilles godasses de montagne, fait la grimace au contact du cuir racorni et ils étaient partis vers la crête blanc et gris.
L´automne s´envolait dans des bruissements jaunes et rouges. De la roche friable montaient des odeurs d´aisselle, des parfums de cheveux et de poivre. Les voici au faîte. Derrière eux la prairie en douce pente a le pelage gris blanc des vieux chevaux. Devant eux il y a le vide. « Trois cent mètres de gaz », commente le Poulpe. Charlotte a retiré son pull, ses godillos et se masse les pieds avec difficulté. Elle chantonne un peu modulant selon le profil d´une chaîne de montagne lointaine que la neige brode déjà.
« C´est pas tout ça, faut que je me prépare ; s´agirait pas que le vent change. J´ai tout à vérifier. Il va falloir te pousser un peu, j´ai besoin de beaucoup de place ».
Il sort de son sac à dos une masse bleue et molle d´où pendent courroies et ficelles. Ses gestes sont rapides et francs. Il étale le tissu soyeux qui recouvre bientôt une bonne partie de la pente. A petits coups du plat de la main il déplisse, lisse, rectifie, fignole.
Placé devant tout cet azur qui nargue le ciel, il s´attaque aux ficelles :
« Tu comprends faut pas que je parte les ficelles emmêlées. Tiens, ça c´est les freins, tu vois la ficelle jaune ? Y a intérêt à savoir où elle est ».
A son air satisfait Charlotte estime que tout est en ordre. Il coiffe le casque orange, glisse la moitie d´une fesse dans le siège léger dont il boucle la ceinture. Dans chaque main il a saisi le bouquet de cordelettes. Il fixe un point droit devant lui – parfaitement immobile. Charlotte intriguée, assiste à la métamorphose du Poulpe : les rides s´effacent, le front s´élargit, la bouche se délasse, les épaules se déchargent. Il a 20 ans.
Coup de poignets ! La toile flasque s´élève en panache . Le Poulpe court, court, décolle. Charlotte se dresse, agite les mains, saute comme une gamine :
« Bye, bye, papillon ! Veinard ! Salaud ! ».
Mais il ne l´entend pas, il se balance déjà loin, visage ordonné à l´air, boursouflure bleu tendre sur l´indigo céleste, méduse, anémone, libellule.
Elle se rassoit :
« Veinard, salaud ! »
et elle rit en caressant l´herbe sèche. Puis se dépouille de tous ses vêtements, râle un peu en roulant sur la pente. Crissement de la soie sur la soie. Elle râle plus fort, arrête d´un coup de reins la chute lente. Bouche contre terre, elle mord, s´agrippe aux herbes, se remet sur le dos, écarte les cuisses, caresse son ventre, le gonfle, observe les jeux de la lumière dans sa toison. Un papillon rescapé des premières gelées se pose sur son genou.
Marie Treize

mardi 15 septembre 2009

Affleurements

Ciel gris sur un morne dimanche,
Le blues est dans mon coeur
Et dans la guitare
Sur C D

Il faut gagner la dernière manche,
S'inventer des douceurs,
Oublier les escarres
Du passé
D.

mardi 8 septembre 2009

Grisaille

Décor de ciel plombé,
Foule
Foutue
Fatiguée

Clopes des mutants blêmes
Mégots qui s'accumulent
Devant l'arrêt du bus,
Le désespoir vit au fond du caniveau

D.

mardi 30 juin 2009

Mots d’enfants :

A la sieste.
- Ferme les yeux pour te reposer.
Maxime, 3 ans :
- Oui, mais quand je les ferme, je ne vois plus rien.
Maxime ne s’est pas endormi.

- Voyez cet arbre (Lilas) avec ces bourgeons... A votre avis, qu'est ce que c'est ?"...
- C'est un bourgeonnier, maîtresse !

Titouan, 3 ans :
- Mamie on prend l’apéro ?
- Non pas ce soir. On ne prend pas l’apéro tous les soirs.
- Oh juste une petite péro !


Le chat a l’habitude de dormir sous le bouleau.
- Tiens où est le chat ?
Brice, 2 ans et demi :
- Il est sous le travail.

- Titou, qu’est ce tu as envie de manger à midi ?
- ça m’est égal : je suis un omnivore.

Julien, 3 ans regarde sa mère pourchasser une grosse mouche avec un torchon.
- Attention ! Tu vas la morter !

Tata rouspète parce que sa pelote de laine tombe souvent.
Quand elle retourne au jardin pour tricoter, Brice propose ses services :
- Je viens avec toi, je te tiendrai ta pelaine.

Madeleine le jour de ses deux ans. Son oncle lui tend une fleur d’iris :
- Tiens c’est une rose.
- Non c’est une bleue.

- Que fait le bateau ?
- Il navogue répond Titouan.

Alors, Julien(moyen maternelle), ça va à l’école ?
- Oui.
- Tu fais des progrès ?
- Non, je fais des dessins !
Merci à Madeleine et à Martine qui ont recueilli ces mots.

mardi 23 juin 2009

Taï Chi chuan

Il en serait ainsi pendant les jours à venir, les mois et les années, tant que la vie s'y prêterait. Elle bougerait en silence, la petite dame de 89 ans, aux yeux bridés.
Regardez-la. Elle est petite comme une enfant de douze ans. Elle porte des chaussons de toile noire, un pantalon de coton froissé. Elle ne sait que deux ou trois mots de Français : bonjour, oui, ça va, et vous ? Quelques uns vont à sa rencontre dans ce coin de la grande salle où mardi après mardi nous nous retrouvons pour bouger en silence.
- Comment allez-vous aujourd'hui ?
- Ca va. Bonjour,
répond-elle
Son visage est presque sévère. Comment savoir si nos salutations lui plaisent ou si nous l'importunons à venir la saluer au début de la séance. Son visage est bistre légèrement fripé, une énigme.
Le sol du gymnase est de caoutchouc bleu, les fenêtres haut perchées donnent à voir des arbres qui nous content les saisons, qui rapportent les humeurs des vents.
Vingt corps s'adonnent au mouvement en silence. Vingt corps vêtus de tissus flasques si l'on excepte quelques uniformes noirs à revers blancs.
La Chinoise de 89 ans, petite, dans l'angle ouest de la salle ne porte pas d'uniforme. Elle remue dans des étoffes gris rose et jamais son visage ne nous dit quoi que ce soit. Dans son coin, elle tourne comme une planète incompréhensible, inexplorable, un très vieux mystère appliqué à tourner en silence. Quand les équilibres se font audacieux, que sur un talon nous examinons la rose des vents, elle s'arrête, nous regarde impassible. Elle regarde les feuillages, frotte ses petites mains. Elle repart, meut ses membres courts sans effort. On voit rarement son visage. Elle aussi ne voit que nos dos. Le Taï chi ne sait rien de l'improvisation.
Les corps s'appliquent, tendent membres, visages, hanches, coudes et genoux. Tâtent le vide, pulsent le sang vers les orteils, le bout des doigts. Dans le silence, chacun perçoit le murmure de ses vertèbres, chevilles, rotules. Craquement d'une articulation malmenée, chuintement des talons se vissant au sol. Ronde perpétuelle. Yin, je me dérobe, m'aplatis, m'arrondis. Yang, j'attaque, tranche des mains, coups de pieds, coups de poings. Lutte avec l'air, avec la gravité, édification du squelette depuis la plante des pieds et sa précise cartographie, jusqu'au menton volontaire.
La Chinoise vibre telle une feuille de tremble. Comment imaginer un corps sous l’étoffe gris et rose?
Quelques uns vont encore la saluer à la fin de la séance après les mouvements taoïstes qui brassent l'univers.
- Au revoir, Madame.
- Au revoir,
répond-elle, le visage indéchiffrable.
On ne la voit jamais quitter la salle, ni dans les vestiaires. Peut-être arrive-t-elle la première et s'en va-t-elle la dernière. Elle apparaît, elle disparaît, telle un esprit. Elle bougera ainsi tant que la vie lui prêtera l'incalculable nombre des électrons qui font la cohésion des corps.
Son visage impassible semble dire : Tournez en silence avec moi. Je ne suis qu'une âme, vous n'êtes que des âmes, du vent, du soleil et des herbes. Vous n'êtes que du soleil, du vent et des herbes. Bougez lentement, droits, entrez dans la ronde des astres, jusqu'à la fin des jours. Abandonnez-vous au vide parfait, dans le ventre du temps.
Philomène

mardi 16 juin 2009

On n’est pas sérieux, quand on a septante ans

On n’est plus sérieux, quand on a septante ans
Un beau matin, on se lève, on n’a pas dormi
On dit adieu les rêves, on salue ses envies
On regarde au miroir ses rides de vieil enfant.

On enfile un vieux short, des baskets rose bonbon
On nettoie la bécane, on regonfle les pneus
La selle est un peu molle, propice aux abandons
Le chemin a des parfums mouillés dans les creux

Voilà qu’on aperçoit une casquette bleue
Des yeux rieurs, une barbiche claire, c’est Léon.
Septante ans, poète et vainqueur du Marathon
De New York, Paris ; on l’avait perdu des yeux

Premier mai ! Septante ans ! « - On se laisse griser »
La sève printanière, plus forte que vos artères
Est un alcool capiteux qui vous fait tanguer
- Bonjour ! – Salut ! Ce jour exauce mes prières !

On met un pied à terre, on fait des regards doux
On s’essuie la nuque, on boit à son bidon
Vous aimez pédaler sur la digue, dit Léon
On opine, on lui offre un caramel mou.

Sur la berge de l’Isère tremblent les peupliers
Les neuves hirondelles chassent les moustiques
De nos sacoches kaki, on sort nos pique-nique
Pour lui pain et fromage, pour soi du lait caillé

L’ombre est fraîche, il vous couvre de son K-Way
« Quand on a septante ans, mieux vaut être prudent ! »
Ses yeux brillent comme lacs ; on n’ose dire ouais !
On s’endort pour de vrai dans un décor charmant.

On rêve du temps jadis, on était si sérieux
L’amour unique pour toujours mettait le feu
A chaque heure. On était plein et le monde vide.
A septante ans le monde est plein et le cœur vide.

Léon rampe vers vous, à la bouche une violette
Il dit votre nom les bras pliés sous la tête
Sa main touche la vôtre, il chante un vieil air
« La belle si tu voulais… », on ne fait pas la fière.

On murmure : « nous dormirions ensemble, lonla »
Il poursuit, tremblant : « dans un petit pré carré »
On s’entête : « sous les lilas et les résédas »
On trouve sur les fougères une couche pour s’aimer

On revient chaque soir au chemin des amants
On récite Rimbaud, on chante du Ferré
Le cœur est plein, le monde aussi, chère liberté
On se fout d’être sérieux quand on a septante ans.

Marité
Rappel de l'original:
ON N'EST PAS SERIEUX QUAND ON A DIX-SEPT ANS
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, - la ville n'est pas loin, -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague, on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...
Le coeur fou robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d'une pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte, et d'un mouvement vif...
Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !...
Ce soir-là,... vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud

vendredi 12 juin 2009

Les dépossédés

Bonne nouvelle !
Robert Mcliam Wilson vit à Paris, il est l’invité d’un nouveau fait littéraire « Paris en toutes lettres » ; et aux lecteurs de Télérama, il confie qu’il a toujours rêvé d’être éboueur, avec cet humour qui lui est si particulier.
Robert Mcliam Wilson, je l’ai rencontré en 2007, lors du Printemps du Livre Grenoblois ; il était l’évènement ; son dernier livre « Les dépossédés » venait d’être traduit de l’irlandais et bouleversait les lecteurs par l’actualité du livre, ici en France ; une France d’avant la crise pourtant, mais qui découvrait qu’au XXIème siècle, on pouvait y vivre, y travailler et ne pas pouvoir se loger.
Ecrit en 1992, alors qu’il n’avait que 27 ans mais trois livres derrière lui sur les luttes et la misère au Royaume Uni, les « dépossédés » tente une analyse d’une forme particulière de la pauvreté et décrit une classe moyenne ravagée par la politique ultralibéraliste de la Dame de Fer Margaret Thatcher ;le projet de l’écrivain est de réaliser une enquête objective, accompagné d’un photographe, sur « la pauvreté , (celle-ci) étant la seule expérience humaine, en dehors de la naissance et de la mort, que tout être humain est capable de partager ».
Pour être « dépossédé », il faut avoir « possédé » quelques biens, un emploi, une famille et c’est le processus de déchéance financière, sociale, morale vécue par des femmes et des hommes rencontrés à Londres, Glasgow et Belfast, qu’il partage et nous invite à partager : en compagnie d’ Henry « beau, intelligent enflammé, mais sans le sou, noir et gay, tu ne peux pas être plus marginal ! » ; de Gabrielle qui lui apprend qu’être pauvre c’est moche mais qu’être pauvre et femme l’a « laminée plus sûrement que tout autre facteur » ; ou bien encore de Marty et Ann, l’un travaillant dans un « club social » et l’autre, femme de ménage dans un hôpital ; fiers de leurs enfants intelligents et doués, ils se privent de tout pour que ceux-ci poursuivent leurs études au lycée .
Loin de l’étude distancée prévue, Robert MC Liam Wilson raconte avec compassion, faconde et parfois drôlerie, un an de rencontres avec des êtres auxquels il s’est attaché et dans lesquels, issu lui-même d’un quartier pauvre de Belfast, il s’est retrouvé. Il souligne leur dignité au milieu de ces situations inextricables, intenables et pourtant supportées ; il stigmatise les critiques et les clichés ordinairement proférés à leur encontre : un téléphone ? une télévision ? C’est superflu ! Et pourquoi faire autant d’enfants ?
Mais face au cynisme dominant du gouvernement et des riches, il considère que sa démarche a échoué. « Il n’a rien publié depuis plus de dix ans et sa voix nous manque » dit son traducteur.
Marie-Françoise Proust

mardi 9 juin 2009

Elle est à toi

Il m'a dit : Elle est à toi, cette maison.
Puis il a chaussé ses godasses de montagnard, il a enfilé son anorak, enfoncé son bonnet sur sa tignasse qui grisonne. Il a ajusté son sac à dos, vérifié que ses gants étaient bien accrochés à sa ceinture. Il m'a encore regardée. Regard sans faiblesse, au gris pâli mois après mois dans son visage aminci. " N'oublie jamais qu' elle est à toi cette maison, quoi qu'il arrive…"
Devant la porte, il s'est arrêté, il s'est retourné, il a posé sa main gauche sur mon épaule droite qu'il a un peu serrée, comme si cela lui faisait mal cet effort dans ses doigts. J'ai regardé sa bouche demeurée fraîche, une bouche d'enfant. La porte s'est refermée sans bruit sur la brume d'altitude. Ses semelles ont raclé les grosses pierres au delà du perron et le silence est revenu petit à petit gelant l'espace, posant dans ma poitrine des cristaux acides.
J'ai cherché du regard la pendule et les réveils, j'ai froissé le journal de la veille, j'ai serré mes bras contre mon ventre. J'ai allumé un feu dans la cheminée histoire de dégeler la glace qui pressait mes côtes. Quand l'eau bouillante a empli la théière m'envoyant au visage sa vapeur, j'ai entendu le mot " solitude ".
Je ne reverrai plus jamais Jean.
Au matin je l'avais trouvé s'affairant autour de son sac. Il avait très mal dormi : " Ca ne peut plus durer ; je vide mon compte en banque. Je pars voir le monde, les fleurs, les bêtes et les hommes quoi ! Ne dis rien même si tu ne comprends pas. Tu as la maison ; j'ai fait le nécessaire. Tout est en ordre. Moi, il faut que j'arpente la terre avant la fin… " IL s'était appuyé du front et des mains contre le manteau de la cheminée. Ses épaules pointaient sous le pull bleu qu'il ne quittait plus. Ses hanches étroites, des hanches d'ado, avaient encore fondu ; son pantalon faisait des poches sous ses fesses. Ses jambes si longues tremblaient un peu.
Il est parti maintenant.
J'ai bu un bol de thé et j'ai installé un matelas près de la cheminée. J'ai bu de l'eau chaude toute la nuit. Le vent s'est levé vers minuit. La branche du cèdre a frotté contre les lauzes. Jean n'avait pas eu la force de la couper ; je m'y mettrai demain. J'ai écouté France-Culture. La nuit les voix sont proches, elles sont dans la pièce, feutrées, chuchotantes. J'ai écouté les voix des femmes et des hommes, surtout celles des hommes. J'ai peut-être dormi.
Au matin, j'ai remis le matelas dans la chambre d'amis, j'ai pris un petit déjeuner, beaucoup de miel. La brume s'était levée, on apercevait la muraille éclatante du Mont Aiguille. Au printemps je partirai, je vendrai le chalet. Je quitterai ce cul-de-sac. Cette maison est un bateau échoué. Bientôt elle sentira le moisi.
Jean est parti. Il n'a pas voulu partager les derniers mois. Je l'aurais aidé pourtant mais que savait-il de mon amour ? Il a choisi cette marche contre la mort qui me laisse à moitié vivante.
Dans la salle de bain, sur l'étagère de Jean, j'ai trouvé ses boîtes de pilules… la galère de la trithérapie. Aura-t-il le temps d'atteindre les premiers déserts africains?
Le café, c'est vraiment une grande invention. Je vais en boire beaucoup aujourd'hui. Je couperai la branche du cèdre comme on coupe l'avenir. Le temps me portera le temps qu'il voudra.
Philomène

mardi 2 juin 2009

Dormir, dormir encore…

Dormir, dormir encore. Le chat est couché sur les pieds de l’enfant, chaton léger, si léger. C’est un chat qui jamais ne ronronne. C’est un chat de guerre qui craint les guerres. Son refuge, ce n’est pas la cave. Son refuge, il le trouve sur les pieds d’une enfant qui respire lentement pour retarder l’avenir. Elle rêve vite, elle veut terminer son rêve avant que ne se fende le silence. Le silence quand on le laisse tranquille, c’est le poids d’un chaton.
On marche dans la rue. La mère regarde par la fenêtre. Dans le ciel des fleurs de lumière achèvent de se faner. Les tirs de la défense anti-aérienne font leur boulot d’éclairagiste. Le spectacle son et lumière commence par la lumière. Faut bien qu’ils y voient, ceux qui vont tuer et ceux que l’on tuera. Les étoiles du feu d’artifice dégringolent quand se tait le chant des sirènes. Ils glissent sur les toits, le beffroi, disparaissent. On va peut-être mourir cette fois, murmure la mère, c’est beau pourtant ce ciel en fleurs.
L’homme et l’enfant ont sursauté. Ils ne se sont pas réveillés. Peut-être qu’ils rêvaient de l’enfer. Il faudrait réveiller l’enfant avant que le ciel ne lâche la mort. La mère regarde la rue, comme si c’était la chose la plus importante à faire par cette nuit d’été : prendre le frais à la fenêtre. Des ombres marchent, chuchotent. La petite s’enfonce sous son drap. La mère se penche pour l’écouter respirer. Dormir, dormir encore, c’est ce que disent les cheveux, le front de l’enfant, sa main posée sur la patte du chat… Elle n’a pas entendu les sirènes. Les nuits précédentes, elle était la première à jaillir du lit. Elle n’a pas entendu les jurons de l’homme répandu, long et large au travers du lit. « Merde ! Je ne descends pas, laisse-moi, tant pis… Y en a marre… Va… Prends l’enfant ou laisse-la avec moi… J’veux pas mourir sous terre… »
Déjà, il se fout la tête sous l’oreiller.
Dormir. Elle voudrait s’étendre près de l’homme long et large. Cacher son visage à l’aisselle de son homme, respirer sa vie, laisser passer la guerre, confier l’enfant au chat, à la maladresse des bombardiers. S’endormir, ne pas rêver, ne jamais se réveiller.
Elle se redresse. C’est ce silence. Un bloc de gelée aux tympans. Ses oreilles guettent les vibrations qui font de la gelée du silence imbécile mille aiguilles de terreur. C’est un bruit qui prendra à peine le temps de passer par les oreilles, qui ira droit au ventre pour le saccager. Alors, il sera trop tard.
Elle enroule la petite dans sa couverture.
Le couloir, c’est du goudron dans la gelée du silence. L’enfant ne pèse pas lourd, le sommeil l’allège encore. Parfois elle murmure, ne veux pas, veux pas… Mais la mère fait son travail de mère avec douceur et furie, c’est une chatte son petit entre les crocs.
La rue a le gris des vieilles rues sous les nuages frôleurs de lune. La mère évite les trottoirs, les murs traîtres ; elle gagne le milieu de la chaussée. Tout ce qui est de main d’homme lui fait peur. Soudain le vent les frappe. Pas de bruit formidable, à peine quelques cliquetis de tôles, le grincement de la girouette au carrefour de leur rue et du boulevard. La lumière arrive brutale sur le front de l’enfant. Elle ouvre si grand les yeux que la mère trébuche. Elle dit à la mère qu’elle veut marcher. Elle montre le disque filant sous l’effilochure des nuages.
- C’est une bombe ?
- C’est la lune, la pleine. Vite, on n’a pas le temps.
Le bourdonnement qui se retenait de l’autre côté du ciel, lance son boucan. Une sauvagerie, un hurlement. Retour des titans d’acier.
Les deux courent. Les tigres à leurs trousses lancent des rafales de frelons : c’est la lune bien sûr, c’est cette saleté de lune. Si elle brille de son gros ventre obscène, alors les tigres et les frelons arrivent pour le percer. Rien à faire. La petite pleure. Elle court plus vite que sa mère, ses pieds nus font clap, clap sur les pavés. Les mères ne sont pas rapides quand les coursent les tigres : elles hésitent entre fuir ou faire face.
- Regarde ! Ils sont là, les salopards ! Regarde bien, n’oublie pas !
Elles sont pétrifiées au carrefour. Puis sèchement l’enfant libère sa main. Volte-face. Elle court vers leur maison ;
- On a oublié le chat ! On l’a oublié !
Dans la chambre, l’homme n’a pas bougé. Tout est blanc et noir : des zébrures jaunes de plus en plus rapprochées. La maison tremble. Une gravure pieuse tombe dans un fracas de verre. A terre, saints, saintes, dieux et grigris ! Ils font une drôle de gueule les dieux lares ; personne ne sera épargné surtout pas les ventres des mères, aucun enfant, aucun chat. C’est contre eux que se font les guerres.
L’enfant compte, elle ne sait pas ce qu’elle compte. La voix froide qui jamais n’a peur lui dit de compter. Elle lui dit que si l’on entend le sifflement c’est que la bombe n’est pas pour vous. Alors elle espère les sifflements et se glace quand le silence revient.
Près de la mère, sous la table aux pieds grêles, elle guette les sifflements. Les pieds de l’homme font une drôle de danse. Ils courent. L’homme court dans son sommeil. Les tigres le pistent, rugissent dans son rêve.
La mère, son enfant, leurs dents claquent dans leur mâchoire… qu’une mâchoire pour hacher la peur… leurs entailles se vident… un seul ventre… ventre labouré, troué, explosé… oh…oh…oh… les serpents ne sifflent pas sur les têtes… les serpents se tordent et mordent dedans…
Les tigres sont repartis. Ils ont griffé la lune, ils ont chié dans les nuages, ils ont pété les tympans. Les pieds de l’homme sont au repos. L’enfant s’est rendormie, le chat entre les bras. La mère s’accoude à la fenêtre. Les gens sortis des abris regagnent leur demeures : c’était Five les usines de locos, ça brûle là-bas… Ce coup c’était pas pour nous… Ils sont heureux de respirer l’air de la nuit après la puanteur des souterrains.
On saura demain qui a casqué.
La mère se recouche. Pour se faire une place elle repousse le bras de l’homme. Le ciel est une fumée. Elle regarde la lutte que font les nuages aux fumées de la guerre. Elle ne peut pas dormir. Elle ne peut pas dormir. Elle ne veut plus dormir.
Lille 1943 ou 44 ou… ?
Kaboul, Bagdad, Gaza, Darfour, Sri Lanka, Peshawar et cetera.

Philomène

mardi 26 mai 2009

Shit colombien

- Oui, oui…Hm, hm…
- …
- Oui, alors… aujourd’hui… maintenant… ici…
- J’ai pas envie de parler…
- Pourtant… à dix heures, hein ? Hm… Hm !
- Oui, hm… C’est quelle heure ?
- …
- Vous ne répondez pas à ce genre de question… Je l’oublie toujours !
- …
- Maintenant…tiens ! Ca me rappelle un rêve de main. Mais elle ne tenait plus rien. C’était une main inerte… une main…
- Une main avec rien autour…
- Tout d’abord, il n’y avait que cette main. Je la voyais énorme et blanche sur un drap de bain blanc aussi… Ce blanc sur du blanc qui n’avait jamais vécu… ça me… ça me …
- Oui… ça, ça…
- Ca m’échappait ; elle pendait un peu bleue, cette main… Et puis, elle a disparu et la serviette aussi. Il n’y avait plus qu’un oiseau.
- Oui… la main, l’oiseau, les deux.
- (aparté) Non, pas un oiseau, non, surtout pas un oiseau avec la main. Je vois où il veut en venir ! Ces obsessions… Et dire que je paie 45 euros les vingt minutes pour qu’il me refile ses obsessions !
- Oui, l’oiseau, la main… ?
- Non. En fait c’était pas un oiseau. J’avais mal vu mon rêve. Je crois que ma vue baisse sur mes rêves.
- Ah, oui ? Ca baisse, ça baisse ?
- C’était une araignée, j’en suis sûr ! Avec ses huit pattes bien gonflées, bien gorgées de sang.
- Gonflées… huit, huit, huit…
- Huit ! Je sais ce qu’il pense : les pouces ont été sectionnés… Je n’irai pas de ce côté-là ! Il peut toujours déblatérer en tirant sur sa moustache !
- Huit, huit, huit !
- En fait, je ne sais plus si j’ai écrasé l’araignée… Mais j’ai eu envie de le faire…
- Oui, ces huit dans les poils …
- Il veut m’emmener là où je n’irai pas. Je le vois bien ce salaud à trifouiller de ses dix doigts dans… Il le sait cette ordure que je ne bande plus… Il me torture, le sadique et moi je lui refile 45 euros chaudement négociés pour vingt minutes de torture !
- Oui, doigts, araignée, poils…
- …
- …
- j’ai eu un autre rêve cette nuit !
- Autre… autre ?
- J’entrais dans une salle de bain…
- Hm, hum, autre ?
- Il y avait dedans un mec complètement shooté, écroulé près de la baignoire !
- Hm, hm…
- Il avait l’œil dégoulinant et des moustaches… Là, j’ai très bien vu les moustaches. Noires, raides, luisantes, huilées, à la Dali quoi !
- Hum… raides, huilées…
- Ca y est, il remet ça, il m’emmerde !
- Oui, l’huile…
- J’ai ressenti une angoisse profonde, ses yeux en disaient long. C’est une peur longtemps enfouie. Je ne sais pas s’il est encore vivant.
- Oui… long, profondément enfoui…
- Mais, j’en peux plus, je vais le tuer ce tortionnaire ! Deux ans que je bande plus. Il le sait bien ce pourri et il me tourne sur le gril ! Il me coupe tout ! Il me coupe tout !
- Oui… les choses enfouies…
- Alors j’ai fait quelque chose dans le rêve… J’ai pensé au shit colombien…
- Oui, le colon…
- Mais où il m’emmène ce con !
- …
-…
- Oui… hm … « Shit » en anglais, c’est ?
- Je sais que vous savez que je sais ce que c’est « shit » ! Shit ! Et re-shit !
- Mais vous ne voulez pas le traduire, hein ?
- D’ailleurs, ça ne devait pas être de bonne qualité. Y a des gens qui fument n’importe quoi ! Et après y s’étonnent d’être tout …
- Inertes, blancs, bleuâtres …
- Pourquoi ?
- …
- …
- …
- Ce type, je lui ai coupé les mains ; elles saignent pas. Elles sont vides comme gonflées d’air en fait. Je lui ai coupé les moustaches aussi. Elles sont tombées sur la serviette. Elles étaient toutes petites. J’ai parlé dans mon rêve… Tiens, je vais te lui dire à ce nul que sa théorie est nulle, nulle, nulle ! J’ai dit au mec qu’avait plus de mains ni de moustaches : ça t’apprendra à faire de la contrebande…
- Contre… bande
- Contre… bande
- Ce sera le mot de la fin, monsieur.
- …
- Les Vingt minutes sont écoulées.
- …
- Cette fois vous avez le compte juste. Merci.
- Merci. A lundi.

Marie Treize

mardi 12 mai 2009

Allumez le four !

Je vous tâte, je vous pétris. J'imagine que vos verres en sont tout farineux et que si vous pouviez parler, émettre plaintes et requêtes, vous réclameriez un traitement à la chiffonnette, une douche au Spray Clearme, un trempage intégral dans une chimie adéquate.
Les humains sont ingrats, chères lunettes. Les humains sont ingrats mais s'attachent aux objets… à leur façon. J'affirme que je vous ai aimées, mes mies, d'un amour constant et rapproché, allant jusqu'à vous chercher quand je vous avais sur le nez. Il en est ainsi: on ne voit pas ceux qui vous servent le mieux.
Au début de notre relation, je vous ai subies comme on subit les éléments naturels, les aléas de la vie, l'accumulation des années. Aujourd'hui, c'est à peine si je vous vois. Vous ne m'êtes plus d'aucun secours.
J'ai de la peine, cependant à me séparer de vous, comme lorsque j'allais faire piquer mes chiens chassieux, goîtreux ou cancéreux. Sans emploi, vous vous seriez encroûtées.
Je vous range dans votre étui à ressort, votre sarcophage Steroflex bien que de chair vous n'ayez miette. Je pose sur vos cercles jumeaux, vos seins glacés, sur vos bras graciles de fillette anorexique, ce suaire synthétique avec lequel je vous astiquais trois fois par jour, vérifiant sur le bleu ou le gris du ciel la perfection de vos transparences.
Cloîtrées dans cet étui rouge que je vois d'un gris anémique qui tremblote et s'égare tel un nuage entre le plafond et le plancher, bouclées, coffrées, vous l'attendrez longtemps votre prince charmant !
Dans quel pétrin vous voilà !
Mes doigts ont vérifié, ces derniers mois, les dégradations que vos verres annonçaient sur mon visage. Aujourd'hui, je ne me vois plus…
Vous ne servirez plus mes passions botaniques, mes illusions d'amateur quand à grands coups de pinceaux, je guérissais sur la toile une nature trop étrange.
Certes vous ne me protégerez plus des postillons des infatigables parleurs. Comment leur dire, à ces amis, que je les voudrais muets en compagnie de ma cécité. Mais ils parlent : ils se consolent.
Je sais, je sais…L'oraison est pompeuse! Mais je procède à vos obsèques.
Vous allez reposer sur le manteau de la cheminée, près de l'antique horloge. Il paraît que certains endeuillés déposent en cet endroit les urnes renfermant les cendres et osselets de leurs chairs disparues.
Mon amour est parti.
Un homme si généreux ! Une canne blanche en cadeau d'adieu. Il m'en apprit le fonctionnement. Un bouton, un déclic et la voilà rigide, prête à l'emploi.
J'aurais préféré un chien, son poil odorant, sa langue râpeuse, ses soupirs apaisants au crépuscule.
Depuis que je joue avec ma canne dans le dédale de la ville, depuis que je range les objets avec un soin extrême - chacun doit habiter un territoire immuable, si je veux le retrouver - depuis que dans mes rêves, la lune tourne telle la toupie bariolée de mon enfance, depuis que la chaleur sur mes mains et mon visage est la seule preuve du jour, depuis…
On sonne ! Il est onze heures.
C'est le boulanger ambulant …
J'ouvre la porte et me vient cette odeur de blé et d'ortie, de laine et de sueur. Je tends les bras. Il attrape mes mains, les tient entre ses doigts hardis. Je tâtonne comme maladroite, je les caresse comme par mégarde. Cécité oblige… La croûte du pain est douce, agrémentée d'espiègles aspérités. La peau du boulanger aussi.
L'homme de onze heures sent la farine et le levain, le bois brûlé. Sa voix est celle d'un marin, forte, claire. Une voix de sel et d'algues. La voix des travailleurs de la nuit. Bruit des fournils la nuit sont bruits de la mer la nuit. Les pêcheurs tirent les filets, les boulangers étirent la pâte…
La miche est sur mes genoux.
Le boulanger sonne chez la voisine qui n'aime que les ficelles : une ficelle bien cuite, s'il vous plait ! La pauvrette achète des avortons de boulange et tout secs encore !
La miche est tiède contre mon ventre. Je la caresse, je caresse le ventre blond d'un jeune boulanger. Je caresse les champs et les forêts, les montagnes têtues, les fleuves habiles. Contre mon ventre je caresse le pain élastique et si vieux. Son odeur craque dans mes narines et me chante une mélopée : des lions rouges trottent parmi les graminées, le soleil se disperse dans les herbes. Une femme vêtue d'indigo revient de la source, les seins portés haut…
Pain de mes rêves, je te découpe, je prends dans ma bouche le beau travail du boulanger.
Demain, je le recevrai de nouveau, à onze heures avant qu'il n'aille sonner chez cette linotte de voisine et qu'elle s'étrangle avec sa baguette racornie !
Demain j'ouvrirai ma porte en douceur pour ne rien perdre du défilé des odeurs.
Mes mains frissonneront sur ses mains, sur son pain, mon enfant, mon enfant quotidien. Le rire fort et clair, les mots jetés comme des poignées de lumière.
Je fermerai la porte sans bruit.
Le croûton éclate entre mes molaires. Le plaisir éclate dans ma bouche.

Marie-Thérèse Jacquet, alias Marie Treize

mardi 5 mai 2009

Coincée

Alice était pauvre. Toujours, elle s'était sentie pauvre. Même devenue veuve et riche, elle économisait, emplissait ses bas de laine en Bourse… enfin son conseiller financier se chargeait de ce tricotage. Alice n'avait pas suffisamment d'affinités avec l'argent pour s'y salir les mains. Ce qu'elle aimait le plus au monde c'était la lecture des romans du XIX ième siècle qui décrivent si bien la pauvreté du peuple des laissés pour compte. Elle raffolait des œuvres de Hugo, de Dickens. Elle aurait adoré Zola mais quand la pauvreté se roule dans la fange, l'alcoolisme, le stupre et la violence, quand la pauvreté perd les joues creuses et nacrées des sylphides de Moreau pour adopter les chairs bouffies et violacées des pochardes, cette pauvreté-là l'emplissait de dégoût. La pauvreté se devait d'être digne, besogneuse, vertueuse et pourquoi pas, pieuse. Le Dieu auquel croyait Alice n'avait-il pas annoncé : Bienheureux les pauvres, car ils seront rassasiés. Alice aurait aimé que son Seigneur ajoutât : Et qu'ils se lavent pour sentir bon, et mériter vos aumônes.
Quand son conseiller financier l'informait de la prospérité de ses valeurs boursières, Alice ressentait au bas du ventre une sorte de spasme qui lui procurait une intense satisfaction mais aussi une vague honte qu'elle chassait vite. Nombre d'associations caritatives la sollicitaient. Elle ne donnait jamais suite à ces demandes de secours. "Aider financièrement les gens ne sert qu'à les enfoncer, à les rendre dépendants et paresseux. »
Donner aux mendiants me confiait-elle, c'est alimenter les sources du mal." Elle ajoutait qu'elle priait pour tous ces malheureux, que le Seigneur avait dit qu'il y aurait toujours des pauvres parmi nous, qu'elle même vivait avec économie et ne s'en portait pas plus mal.
Ses courses étaient vite faites: elle avait sélectionné les petits commerces où l'on est à l'abri des tentations en victuailles. Elle achetait les fruits en déclin, les légumes en agonie, se privait de viande, s'autorisait de temps à autre un rectangle de poisson panné, un yaourt en pré-retraite.
Elle s'habillait au moment des soldes. Mais ses choix toujours judicieux (elle ne manquait pas d'une certaine élégance) l'amenaient à sélectionner les grandes surfaces du prêt à porter. Les soldes de chez Toutou sentaient la naphtaline, mais elles étaient plus avantageuses que chez Tata. En outre chez Tata, les étoffes prenaient une odeur de patchouli et de henné à force d'être froissées par des mains un peu trop brunes.
Elle faisait le marché le mardi dans son quartier élégant… vers midi quand les bonnes affaires faisaient sa joie. Elle rentrait chez elle chargée de dix kilos de prunes, par exemple, gardait les plus gâtées pour sa consommation immédiate, congelait le reste pour l'hiver ou se lançait dans les confitures. Quand on lui faisait remarquer qu'elle ne consommait que des fruits et des légumes pourris, elle rétorquait qu'on exagérait, et que d'ailleurs les chiens enterraient leurs os pour les déguster ensuite ? Des scientifiques n'avaient-ils pas démontré que ces os développaient sous terre des vitamines indispensables à la bonne santé de ces animaux perspicaces ? "Regarde-moi, ajoutait-elle en se redressant, ne suis-je pas en bonne forme?" Je ne pouvais que l'approuver.
Alice s'alimentait, point. Savourer, déguster étaient des mots de riches et en son âme, Alice était pauvre, aussi pauvre et pure qu'un désert.
Un samedi, elle décida de se rendre dans un magasin de fripes que je lui avais indiqué dans le quartier arabe de notre ville. Une imposante matrone, yeux verts cerclés de khôl se leva prestement quand Alice poussa la porte où s'affichaient des prix alléchants : cinq euros, la robe, vingt euros les cinq. La volumineuse kabyle se mit à tournoyer dans ses voiles, ses franges et ses verroteries, dirigea habilement sa cliente vers des robes vaporeuses, lumineuses comme la nacre. Enfin des robes dignes de Peau d'Ane.
-Cinq robes, ce ne serait pas sage, soupirait Alice en laissant glisser les soies et les taffetas sur ses longues mains.
-Ma joulie, ces roubes sont des rives… Achète, achète. Première qualité. J' y toute bien lavé et ripassé !
Oui, ces robes sentaient le propre mais Alice tint bon. Une robe seulement !
Elle enfila immédiatement un miracle de soie et de dentelle mordoré, paya, remercia.
- Riviens quand ti veux, ma joulie. Ti es aussi béle que la princesse de Mille et une nuits !
Alice s'envola, légère, véloce comme une barque ancienne que l'on vient d'équiper d'une voile neuve. Ses pas l'amenèrent dans une rue très chic où elle ne mettait jamais les pieds par peur des tentations. Sa marche énergique l'avait mise en appétit. Des odeurs délectables excitent ses papilles. Elle ne contrôle plus ses jambes, elle marche comme un jouet télécommandé, se retrouve assise devant une nappe immaculée où le serveur de ce luxueux restaurant (trois toques) vient de la pousser avec une douceur et une fermeté qu'aucune main d'homme ne lui a fait ressentir depuis très longtemps.
- Nous avons des soles de l'Atlantique encore vivantes. Regardez l'aquarium…
- Oh, oui ! Vite, j'ai si faim!
- Grillée?
- Grillée.
Elle n'attend pas longtemps, se contentant de humer la rose blanche penchée vers elle, contempler les cuivres et les acajous, les tentures de lourde soie indienne.
Les tapis mousseux éteignent les pas des serveurs souriants, ondoyants. Des hommes vifs et précis, de jeunes hommes… Depuis combien de temps n'a-t-elle pas regardé un homme?
La vie est belle. Elle est divine quand la sole craquelante, fumelante et parfumée de citron se pose devant le nez et la bouche d'Alice.
C'est un peu plus laborieux de dégager les chairs blanches de la sole que de trancher dans le lieu noir panné.
Quand l'arête se plante dans le gosier, tout au fond du gosier d'Alice, rien n'y fait.
Ni le Sancerre pourtant bien frais, ni les secours prodigués par les garçons, ni les soins trop tardifs du médecin bénévole au local de " Médecin du Monde ".
Un dernier baiser à l'amie décédée. Son visage est bouffi et violacé mais elle porte une robe magnifique qu'on ne lui a jamais vue. Une robe digne d'un personnage de Gustave Moreau.
Marie Treize

mardi 21 avril 2009

Anantapodoton et anacoluthe s’en vont en bateau.

Préambule: Le « Gradus » est un dictionnaire des procédés littéraires ; auteur, Bernard Dupriez. Mon édition en 10/18, date de 1984.
Gradus ad Parnassum « escalier vers le Parnasse, séjour des muses… »
Les sciences inventent des termes dont le sens nous est inconnu mais qui ne sont pas insignifiants pour notre imaginaire. On se rappellera Colette, enfant, rêvant au mystérieux« presbytère ».
Pour ma part, j’adore le terme « concupiscence » savoureux aux lèvres de certains prêcheurs de la sainte église catholique. Prononcez-le, lentement, syllabe après syllabe. N’est-il pas surprenant que ce mot proclame ce qu’il condamne ?
« Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux »
a écrit René Char. L’écriture automatique des surréalistes exploite cette mine !

Anantapodoton et anacoluthe s’en vont en bateau.
Il y aurait d’une part, ce dialogue entre un théoricien du haïku d'origine européenne mais vivant à Kyoto, à qui l'éditeur du Gradus, aurait commandé un manuel facilitant l'écriture des haïkaï. Je devrais vous l'écrire autrement cette première phrase trop bourrée d'informations (avec anantapodoton intégré) qui n'ont rien de folichon, qui exhalent une tristesse de soirée studieuse peut-être alcoolisée, quand s'emmerdent les futurs candidats à l'agréation de lettres modernes ou pas.
Soit l'auteur du Gradus*, B.D. s’entretenant avec son éditeur que nous nommerons « éditeur »
Editeur - Mon vieux, votre Gradus, il est un peu démodé. Austère, quoi ! Les jeunes et même les moins font une allergie tellement c'est poussiéreux, d'aspect. Mes concurrents éditent des versions light de votre ouvrage. Bien plus digestes.
B.D. - Ils me pillent, ces fainéants. C'est du rapt. …
Editeur - N'exagérons pas… Ils nous font aussi de la pub… Chaque année les universités, les prépas diverses aux divers concours recommandent l'achat du Gradus. A la radio il n’est plus question que de chiasmes, d’oxymores, d’euphémismes dans les jeux télévisés.
B.D. – J'en sais quelque chose ! Ma petite fille Camille prépare l'agrég de lettres modernes. Et bien vous savez ce qu'elle m'a dit ? "Papy je vais abandonner. Je perds le sommeil, ma libido est au plus bas. Ton bouquin, c'est relou grave. J'oublie au fur et à mesure que j'apprends… ça me fèch d’une force !"
Editeur – Vous savez que la poésie japonaise est dans le vent. Tout le monde écrit des haïkaï. C'est devenu une activité incontournable des ateliers d'écriture du premier au quatrième âge. Même les vieillards atteints d’Alzheimer y excellent, ils passent si naturellement du coq à l’âne, les pauvres !
B.D. – Excusez-moi mais je ne vois pas le rapport avec notre problème…
Editeur– J'y viens… Je connais un type qui enseigne le français au Japon ; il parle et écrit le japonais à la perfection. Il a d'ailleurs soutenu une thèse sur Issa. Si je ne me trompe ? Le sujet en était : "De la sublimation poétique chez Issa, éjaculateur précoce. "
B.D. – Attendez, je ne vois pas en quoi les éjaculations précoces ou non d'un moine japonais du XVIII me siècle concernent les compilations de procédés littéraires dont je suis l'auteur !
Editeur – Patientez ! Je lui ai proposé d'écrire une somme sur le haïku. C'est à la mode, ça se vendra. Le titre en serait bénin pour ne pas décourager… Genre : Le haïku sans douleur… Ou le haïku en un quart d'heure !
B.D. – Je ne vois toujours pas le rapport avec notre problème.
Editeur – J'y viens.
B.D. - … ?
Editeur – Voici ma stratégie : insidieusement en quelque sorte, afin de ne point effaroucher les lecteurs, notre distingué niponisant glisserait nommément les procédés littéraires de votre Gradus chaque fois qu'il décortiquerait un haïku. D'abord par des notes en bas de page citant votre ouvrage et puis peu à peu lui donnant toute sa place dans la partie majeure de son ouvrage. Une sorte de montée orgasmique…
B.D. – Je vois… Hum… Ce n'est pas une mauvaise idée, je crois même si je peux risquer cette hyperbole… qu'elle est géniale. En quelque sorte déconditionner tout en reconditionnant.
Editeur – Et voilà… A doses de plus en plus conséquentes. Grâce à des redites habilement programmées, le lecteur imprégné à son insu, n'aura plus peur de l'aposiopèse, de l'anaphore, de l'hypallage… Finis les boutons et les conjonctivites dont souffre ma chère petite Camille.
B.D.- Enfin la poésie de ma somme les ravira et je gage - on peut rêver - qu'ils finiront par lâcher les recueils de haïkaï pour se délecter uniquement de mon bouquin. Ce Gradus qui m’a blanchi le Chef !.
Editeur. – Que nous allons relooker. Couverture en couleur, illustrations érotiques mais esthétiques. Le maquettiste est déjà à l'œuvre…
B.D. – Et pourrai-je rencontrer notre… nouveau collaborateur ? Je veux dire, l'expert en poésie japonaise…
Editeur – Il est à Paris. Je vous invite chez moi demain. Sa femme sera du dîner. Je vous préviens, c'est une bombe textuelle. Hi ! Hi ! Suis-je bête !
***
Je reviens à la première partie de ce récit. Je me cite : " Il y aurait d’une part ce dialogue entre un théoricien du haïku d'origine européenne mais vivant à Kyoto… " Voici un bel exemple d'anantapodoton. J'ai trouvé ce terme reptilien dans le Gradus, comme il se doit, à la rubrique légèrement coquine, d'anacoluthe. Je vous recopie la définition du premier de ces deux mots : "… de deux éléments corrélatifs d'une expression alternative (comme les uns… les autres) un seul est exprimé". Dans le cas qui nous intéresse, c'est à dire celui de l'expert en poésie japonaise, il nous manque le deuxième élément : "il y aurait d’une part ce dialogue entre un théoricien du haïku ».. . Exit le deuxième élément. Vous connaissez la blague de Coluche ? Quelle différence y a-t-il entre (au hasard) une planche à pain ? Cela ressemble aux exercices de méditation zen, genre « applaudir d’une seule main. »
Le deuxième élément, ne peut-être que la femme, l'épouse du docteur es haïkiste, la supposée bombe sexuelle aux dires de l’Editeur.
Donc il y aura un dialogue entre cet homme éminent niponisant et son épouse.
Rejoignons le couple dans son jardin zen agrémenté de coussins. Ecoutons les.
Elle : Miel de ma vie, nectar de mon âme, délices de ma bouche… Viens, je t'appelle, je t'attends, je t'espère. Mon anacoluthe ruisselle.
Lui : (tout bas pour lui-même) Arch ! Saloperie d' anantapodoton qui ne veut se réveiller ! J'ai beau m'activer, il est aussi endormi qu'une litote !
(Tout haut) Bien aimée, azur de mes nuits, sel de mes rêves, poivre de mes muscles, miches de mes réveils… Patiente… en lisant mes derniers haïkus !
Elle : Quoi ! Comment ! Arch ! Tes haïkus ! Tes haïkus… Et ma césure… c'est un cuir !
Je vous comprends, cher lecteur, en supposant qu’un lecteur soit toujours en poste, vous voilà choqué ! Pour ma défense je pourrais invoquer cette brandade de morue trop chargée en ail, pesant sur mon estomac ! La vérité est plus prosaïque. Elle s’adresse à certains Messieurs dépensiers et peu imaginatifs : abandonnez les revues spécialisées, ces revues sur papier glacé, chaudement illustrées que vous croyez bien cachées et que vos héritiers découvrent sans coup férir dans le grenier, au-dessus de l'armoire à pharmacie ou sur la réserve d’eau des toilettes…
Déposez dans les lieux d'aisance un Gradus, régalez-vous ! Votre descendance y prendra goût. Et cet ouvrage fécond, éveillera peut-être des vocations de poètes ou des talents d'humoriste. A moins qu’un sort moins enviable détourne de leur fonction ces pages érudites. Evitez ce geste sacrilège !
Marie Treize
* Le Gradus est ouvrage épatant, planète étrange, riche en termes énigmatiques, d’une poésie totale, d’un comique surprenant. J’aime m’y promener, j’y cueille des mots rares qui se fanent presque aussitôt, ma matière grise n’étant pas un terreau favorable aux fleurs de la rhétorique.