dimanche 20 février 2022

Les fables ou le jeu de l’illusion. Philippe Car. Jean de La Fontaine.

Des admirateurs du poète avaient été plus avisés que moi qui pensais retrouver la subtilité et la précision d’une langue en voie de perdition; ils sont peut être restés à lire plutôt que de passer leur soirée loin de chez eux. 
Pourtant une comédienne demandait en conclusion du spectacle d’amener à l’Hexagone quelqu’un qui n’y serait jamais venu ; au théâtre d’accord, mais pas à une séance de propagande ! 
La troupe marseillaise nommée « L’agence de voyages imaginaires » s’est servie du prestige de l’inspecteur des eaux et forêts pour délivrer ses messages, comme s’il n’y avait pas une grande variété dans les fables, une telle richesse avec ses contradictions dans une œuvre qui a traversé le temps, dénaturée quand elle enfile de trop gros sabots. 
Certains sketchs sont pourtant réussis quand ils collent au texte : « Le héron », « Les deux pigeons ». « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf » par une mise en scène astucieuse et poétique nous séduit également par sa fantaisie comme « Le corbeau et le renard » bien rigolos. 
Mais le prologue et les intermèdes où apparaît Gaïa, la terre, en femme à barbe qui ne peut plus supporter l’homme alourdissent un propos qui se conclut par :   
« Vivre sans tendresse
On ne le pourrait pas
Non, non, non, non
On ne le pourrait pas ».
 
Qui dirait le contraire ? 
Cette gentille conclusion consensuelle trahit la vigueur, le courage de La Fontaine, ses dénonciations tellement bien dites de la méchanceté, de l’avidité, de la couardise, de l’orgueil… 
Nous avons du plaisir quand on se rend compte qu’un auteur aime ses personnages ou  qu'un metteur en scène fait partager son admiration, mais ce n'est pas le cas ce soir, même si le droit d’un créateur est aussi d’être critique. La corporation des comédiens peut bien faire en sorte que la fourmi soit entrainée dans la danse par la cigale, mais le choix d’un conte grivois pour en faire ressortir la grossièreté, s’il est dans l’air du temps, était déplaisant, comme les commentaires inutiles bien peu confiants à l’égard du texte et du spectateur.
A côté des grands classiques revisités, des découvertes sont bienvenues : 
« Mortellement atteint d'une flèche empennée,
Un oiseau déplorait sa triste destinée,
Et disait, en souffrant un surcroît de douleur :
Faut-il contribuer à son propre malheur !
Cruels humains ! Vous tirez de nos ailes
De quoi faire voler ces machines mortelles. » 
Philippe Car, le metteur en scène que j’ai placé dans le titre avant son devancier du XVII° siècle, a choisi son bouc émissaire dans « Les animaux malades de la peste » : les ministres et le président, en se dispensant du texte, alors que nous portons encore le masque : 
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : 
On n'en voyait point d'occupés
À chercher le soutien d'une mourante vie »
 
Il piétine dans la démagogie.
Je lui reste cependant reconnaissant d’avoir rencontré « Le pouvoir des fables », 
qu'il illustre d'ailleurs dans l’abus des gags et des apartés:
 « Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »
..........
Reprise des publications lundi 28 après une semaine au ski avec les petits.
 

1 commentaire:

  1. Heureusement que je n'y étais pas.
    Là, je vais me répéter... beaucoup. Ce que tu épingles là est la raison principale pourquoi j'ai fini par déserter Avignon. Je ne sais pas si j'y remettrais les pieds de mon vivant.
    J'ai horreur de la propagande. Elle me fait dresser le poil (j'ai beaucoup de poils...).
    Heureusement qu'il y a des lieux sur Grenoble où on peut voir La Fontaine autrement.
    Ce qui est navrant avec notre époque c'est sa fatuité, et sa tendance à penser qu'elle a découvert le monde.
    Je vois avec stupéfaction que le "progrès" nous a apporté la généralisation des moeurs de la cour à toutes les classes sociales. Pitié. Les moeurs de la cour sont les plus inintéressants de tous.
    Contente d'avoir loupé ton spectacle, et d'avoir vu le mien...

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