jeudi 7 mai 2020

Responsable (bis).

Depuis le temps que je me répands sur ce blog, je croyais n'avoir titré aucun article avec ce mot clef de nos débats, eh si! http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/04/responsable.html  C'est que celui-ci revient en force à l’occasion de l’évacuation de la responsabilité pénale des maires en temps d’urgence sanitaire.
Le sénat a entériné un mouvement marquant de nos comportements contemporains : ouvrir les parapluies face à la judiciarisation de nos rapports sociaux. Si les gardiens de la loi préfèrent que ceux à qui ils doivent leurs places se défaussent, comment appeler des citoyens à prendre leurs responsabilités ?
Ces calculs électoraux accompagnent le jingle obsédant de la période : « de toutes façons c’est la faute à Macron », sans atteindre toutefois l’odieux «  Macronvirus », ils participent d’un climat délétère.
Pour chérir ici les paradoxes et les contradictions, je n’en suis pas moins perplexe devant l’incohérence des contempteurs d’une trop grande verticalité du pouvoir qui refusent de choisir quand on leur en laisse la possibilité. Ils tirent sur l’état mais lui soutirent tout ce qu’ils peuvent pourtant : l’état c’est moi !
Le catalogue des instructions du ministère de l’éducation pour la réouverture des classes a semblé bien lourd, que n’aurait-il pas été dit s’il n’y avait pas eu de recommandations du ministère de l’instruction publique ?
Depuis ma retraite confortable, je m’en voudrais d’asséner des leçons, mais en toute bonne dialectique, je vais le faire, prudemment. Quand une ancienne collègue instit’ colle sur Facebook une carte de France, venant du SNUIPP, tout en rouge pour signifier que nulle part ne sont réunies des conditions de sécurité pour accueillir les élèves le 11 mai, je commente en supposant que cette carte deviendra verte au mois de juillet. Il est vrai qu’elle s’était inscrite d’emblée « du côté de la vie face à l’économie », avec tant d’autres, comme cet enseignant interviewé qui ne veut pas tuer sa mère en lui rapportant le COVID. Combien d’assassins a-t-il croisé en allant acheter son masque ? Prônant le droit de retrait, ils s’économisent, bienheureux d’avoir pu ignorer l’économie,15 millions de retraités, 8 millions de personnes au chômage partiel.
Au fil de l’eau, plutôt que dans le courant « courage », un représentant du PS (parti socialiste) déclare:  
 «Je ne souhaite pas que mes enfants, ni qu'aucun enfant de France, soient les cobayes d'une expérience qui pourrait être malheureuse.»
Le confinement a pu permettre de se ressourcer mais en demeurant dans un cocon où nous sommes préservés de l’adversité, des aspérités, des dangers, les déjà mous se sont ramollis et les durs endurcis.
Quand on met le nez dehors, on entend à nouveau les oiseaux, on pourrait aussi réviser la complexité du monde.
Le temps s’était arrêté  http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/04/le-temps-se-distend.html mais la géographie, l’histoire, l’économie nous rattrapent : nous nous apercevons que des familles ne mangent pas à leur faim à… Genève, alors au Burkina, la petite fille qui avait un seul œuf à vendre, qu’est-elle devenue ?
Si le virus est un accélérateur de tendances dans le désordre mondial et dans les caractères dont les traits s’accusent, il précipite vers leur fin les plus vieux et les plus fragiles.
« Avec la récession économique qui découle du confinement, ce sont les jeunes qui vont payer le plus lourd tribut, que ce soit sous forme de chômage ou d’endettement. Sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration. »
J’approuve ce salutaire coup de gueule d’André Comte-Sponville et je ne suis pas mécontent que mon fils n’ait pas d’idées préconçues quant à la reprise des cours pour se petits.
Dans le débat plus général, quand est minimisé le temps qui reste à passer en classe d’ici les vacances, est oublié le temps très long où les enfants ont été privés d’école, même si certains professeurs des écoles n’y voient aucun inconvénient http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/04/le-postillon-n-55-printemps-confine-2020.html, je suis d’une autre école, d’une autre génération.
« Si demain le temps des procureurs l’emporte sur le temps des éclaireurs nous allons dans le mur. » Nicolas Hulot
...............
Comme le nombre de mots dépassait ce qu'un commentaire peut contenir, j'ajoute cette contribution au débat qui m'est parvenue dans ma boite mail avec l'accord de l'auteure:

" Bonjour,
Je n’ai pas l’habitude de réagir à vos articles que je lis assez souvent ... et même si je n’ai pas votre facilité d’écriture j’ai besoin de m’exprimer en lisant et relisant le dernier que vous avez posté.
Il m’a mise en colère et blessée également.  Vous sous-entendez  quelque part que nous sommes des « planqués »  : « Prônant  le droit de retrait ils s’économisent  bienheureux d’avoir pu ignorer l’économie… »   ou bien réagissant à cette carte de France du SNUIPP en rouge qu’une amie et collègue de Saint Egrève avait postée sur FB . À l’époque votre commentaire m’avait déjà fait un petit tiquer … Comme si pendant toute cette période nous, enseignants, nous nous étions tranquillement tournés les pouces à la maison ...
Je ne sais pas si vous avez encore le loisir de consulter des blogs d’enseignants ou de côtoyer des instits en activité mais ces deux derniers mois n’ont pas été de tout repos. Personnellement j'ai été vraiment bluffée par le travail incroyable que certains collègues faisaient à distance avec leurs élèves (travail qu'ils partageaient généreusement...) et que  je n’étais pas capable de faire par manque de connaissance des nouveaux outils numériques. Je me suis contentée de travailler à distance via Internet et beaucoup par téléphone. J’ai passé des heures à appeler mes élèves pour les aider ou leurs parents me transformant parfois en psy à distance quand ceux ci craquaient … Je ne pense pas les avoir abandonnés  ou ne pas avoir rempli ma mission. Sous-entendre que la carte de France allait comme par miracle être verte le 4 juillet était pour moi assez méprisant envers le corps enseignant.
Quant à la reprise j’aurais aimé qu’elle se passe différemment : la faire sur la base du volontariat : le ver était dans le fruit et c’était ne lui donner aucune chance de réussir… On nous a asséné ces dernières semaines qu’il fallait à tout prix raccrocher les enfants décrocheurs, les plus fragiles, les familles qui n’avaient pas accès aux nouvelles technologies… Etc. etc. Mais qui regarde BFM TV… ? Qui se nourrit des rumeurs les plus anxiogènes… ? Résultat : sur ma petite classe de CE1 en REP "100 % réussite" je n’ai que le tiers  de mes élèves qui vont revenir et ce tiers a des parents qui ont dû recevoir la même éducation que votre fils et qui ont la même capacité de réflexion ...  autant dire que ces enfants à mes yeux ne sont pas les plus défavorisés au niveau transmission des savoirs. Ceux que j’aurais aimé voir revenir à l’école ne reviendront pas car leurs parents ont trop peur pour eux… Un autre élément  intervient en cette période : le ramadan qui déjà les autres années éloigne certains enfants de l’école car les parents ont plus de mal à les réveiller le matin ayant souvent veillé tard en famille…
À mes yeux il ne fallait pas laisser le choix. Il fallait effectivement organiser la reprise pour que les conditions sanitaires soit réunies peut-être un jour sur deux mais il fallait que tous les  enfants reprennent le chemin de l’école. Du coup les écarts vont encore se creuser. Nous autres enseignants nous allons nous trouver devant des enfants en présentiel et des enfants qu’il faudra continuer à suivre à distance…  (Je ne crois pas que les enseignants s'économiseront en assurant cette double tache).
Les ordres et les contre-ordres affluent. Être directeur en cette période n’est pas une sinécure. À Anatole France à Fontaine par exemple nous avons annoncé aux parents que l’école reprendrait la semaine prochaine mais hier au soir  on a appris que notre école était réquisitionnée pour recevoir tous les enfants prioritaires de la commune et que du coup nous ne pourrions pas accueillir nos propres élèves… Il a fallu donc faire un mail aux parents pour leur dire que finalement la rentrée était repoussée au moins au 18 mai... Comment décourager ceux qui avaient "vaillamment" pris la décision d'envoyer leur rejeton "au front" ...  ? tout ceci assorti d’un protocole sanitaire que je vous joins et qui fait complètement halluciner… !
J’essaye d'imaginer qu'elles auraient été vos réactions il y a 15 ans quand vous étiez encore en poste avec la conscience professionnelle, le bon sens et l’engagement qui vous caractérisaient.
Désolée d’avoir été si longue mais j’avais besoin de m’exprimer et de vous expliquer mon point de vue depuis le terrain.
À bientôt… J’espère qu’on se croisera à l’automne à la MC2 !"
Martine C
....
 le dessin est de Chappatte pour "Le temps" repris par courrier International.
 

2 commentaires:

  1. Pour la justice...
    Je crois qu'un petit rappel de ce que j'appelle les faits de la vie n'est pas inutile.
    Il se trouve qu'un des attributs les moins contestés du pouvoir, c'est le monopole sur la justice.
    Je m'explique : si on va à Beaune, aux Hospices, on peut voir le tableau de Van der Weyden qui s'appelle... LE JUGEMENT DERNIER, où un Christ, en.. SEIGNEUR trône pour trancher en séparant les bons des méchants pour séparer le bien du mal.
    Quoi qu'on fasse, je ne suis pas sûre qu'on parvienne à fonctionnariser et désacraliser la justice, ni à enlever de l'esprit d'une humanité qui garde une longue continuité, l'idée que celui qui juge détient du pouvoir ? LE pouvoir ?
    Si on regarde aussi ce tableau de Van der Weyden, on s'aperçoit que le juge qui prononce son jugement si tranché entre le bien et le mal, il n'a rien d'une mauviette. Il a... la force avec lui, et on ne voit aucune tendresse, aucune pitié dans ses yeux.
    La justice... c'est la guerre, et Athéna, de l'autre côté de notre héritage greco-romain, est en armure quand on la voit.
    Donc.. là où est la justice, l'armée, la force et LA GUERRE ne sont jamais bien loin.
    Donc, et j'y arrive, la judiciarisation de la société favorise un climat de... "guerre" civile dans les esprits.
    Ce n'est pas très apaisant, la "guerre" civile. On peut même dire que ça met tout le monde.. SUR LES NERFS.
    Je poursuis pendant le confinement une lecture que j'ai commencée bien avant : un exposé de la civilisation romaine où il apparaît que l'empire a été miné et détruit à la fin par les incessantes guerres CIVILES qui lançaient les uns contre les autres, au détriment de la civilisation elle-même.
    En fin de compte, on doit se demander, "qu'est-ce qui permet à des hommes de SE FEDERER, de SE METTRE AU SERVICE DE (un homme/femme ? un idéal ?"
    Pour en revenir à la "guerre" civile...
    La citation de Comte-Sponville me semble tomber dans le travers passionnel de notre époque : ériger et diviser la société en pôles, l'un à l'opposé de l'autre, donc, dans un antagonisme... stérile. Un pôle n'a de sens qu'en OPPOSITION à l'autre, et les deux lieux sont EGALEMENT extrêmes, INHOSPITALIERS, froids. Il en va de même pour le "pôle" jeunesse, le pôle enfance, le pôle... santé.
    Le duel est forcément.. passionnel. Il faut du trois pour faire société, et pour faire circuler le sens des mots.

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  2. Il est loin le temps où l'école dictait le calendrier et c'est là un des problèmes de fond, irrémédiable. Comme j’ai lu davantage de critiques, de refus, que de témoignages de mise en œuvre d'un accueil adapté, je réagis aux multiples commentateurs qui n’insistent que sur le côté négatif de toute décision prise aux intentions toujours suspectes: que n'aurait-on dit si la reprise avait été obligatoire?
    Il peut y avoir de multiples lectures au fait que l'obligation ne s'est pas imposée: un pouvoir qui cherche le consensus, ne voulant pas courir le risque de ne pas être suivi (voir le petit Prince et ses conseils pour commander au soleil de se lever), un nouveau management qui a abandonné la position jupitérienne pour que les personnes au plus près du terrain soient actives. Je sais le travail qu'ont accompli certains et nous nous perdons les uns et les autres dans les généralisations, mais quelle est la proportion de ceux qui ont bossé comme des fous et de ceux qui ont fait le pont entre les grèves, le droit de retrait et les vacances ? Oui la réalité ne se lit pas en rouge et vert. Je n’ai pas lu le pavé des recommandations, mais que n'aurait-on dit s'il n'y avait pas eu?
    Oui il aurait été souhaitable que tous les enfants reprennent le chemin de l'école, mais que faire maintenant? Je surjoue le légitimisme, quand ceux qui se font le plus entendre font flèches de tous bois contre l'exécutif.

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