samedi 6 avril 2019

Ombre parmi les ombres. Ysabelle Lacamp.

Les infamies antisémites du moment ont replacé ce petit ouvrage tout en haut de la pile de mes livres à lire. Les récits à propos des camps de concentration, puisque c’est de ces ombres là dont il s’agit, n’ont pas manqué et l’indicible est toujours à vif. Pourtant, alors que je récuse l’idée d’une fin de la mémoire coïncidant avec l’extinction des générations témoins, il faut reconnaître que j’ai eu envie de passer à autre chose.
Et puis insultes et graffitis et cette mauvaise foi qui condamne négligemment  l’antisémitisme avant de parler d’autre chose, appellent un moment de réflexion. Peut-on supporter la faillite de l’école qui n’a pas manqué de faire la leçon anti raciste et qui dans certains lieux ne peut pas mentionner la shoah ? Mais y a-t-il des solutions ? Plus on en parle, plus les dessinateurs de croix s’excitent.
Ces 176 pages qui retracent la fin du poète Robert Desnos mort en 45 à Terezín mêlent l’imagination à la plus féroce des réalités, en adéquation avec la sensibilité de l’homme au regard clair.
Celui qui a écrit
« une fourmi de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête, ça n’existe pas ça n’existe pas » avait rencontré la bête immonde.
Ysabelle Lacamp met en scène Desnos à l’issue de son parcours commencé à Buchenwald jusqu’à ce qui a été son ultime camp de concentration, présenté alors comme une colonie juive modèle : une farce on ne peut plus macabre.
Tout est exacerbé : l’horreur du présent et les souvenirs ensoleillés des fratries intellectuelles, l'amour du poète pour Suzanne :
« J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu'il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu'à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l'ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie. »
La licence poétique laisse ce texte à un narrateur, personnage fictif d’adolescent,  qui permet de parler de ce camp où étaient regroupés des intellectuels et de dialoguer avec le poète qui explora les rêves avec les surréalistes, s’en détacha, écrivit dans les journaux pour des publicités,  et résista. Il a traversé les années pour allumer des sourires aux enfants récitant :
« Une fourmi parlant français
Parlant latin et javanais
Ça n'existe pas, ça n'existe pas
Et pourquoi… pourquoi pas » 

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