Je peux regretter la violence des temps et ne pas hésiter à
lancer quelques coups de patte épistolaire plus souvent qu’à mon tour. Je râle
constamment contre les analystes de pacotille qui ne soupçonnent que de noirs
desseins derrière toute décision, pour plonger aussi sec dans la généralisation
hâtive. Lister ainsi ces contradictions vise à mettre le masque de
la lucidité, de l’honnêteté à des faiblesses qui appellent l’indulgence de mes
semblables. Je satisfais mon appétit des
paradoxes et une propension au « en même temps » qui se donne les
illusions de maîtrise tous azimuts dans un monde ayant perdu le Nord. Noire est
la nature humaine et mes mains ne sont pas propres.
Les prophètes du « monde d’après » qui ont prêché
par écrans interposés n’ont pas vu que sous leurs yeux le numérique avait
permis d’avancer pour contrer le virus avec le pass sanitaire et permis à
l’économie de moins souffrir avec le télé travail, les services en ligne,
culturels, éducatifs, marchands, d’information, sanitaires, à foison. Ces
outils numériques sont devenus tellement ordinaires qu’on en oublierait qu’ils
ont permis aussi une réponse éclair à la pandémie seulement freinée par des
superstitions séculaires. L’intelligence côtoie la bêtise, la générosité, la
bassesse. Ainsi loin des intentions généreuses des babas de la Silicon Valley,
Internet est devenu le lieu des fake news et un moyen de diminuer, harceler son
prochain.
Et que dire de nos compatriotes qui ne supportent ni éoliennes ni
mines pour extraire les produits nécessaires aux voitures propres qui leur sont
proposées ?
Par nos indignations de W à Z vis-à-vis de Woke ou Zemour,
n’avons-nous pas contribué à leur notoriété même si le déni par rapport à leurs
succès esquive toute réponse ? De près ou de loin, d’aucun ne veulent voir
les avantages du « quoi qu’il en coûte » et ne retenir que les
périodes d’esclavage pour les pays qui l’ont aboli. Ils n’envisagent pas ce qui
est ponctionné à la sécurité sociale, pas plus qu’ils ne reconnaissent les
avancées de la condition des femmes alors qu’ils excusent leur mise sous
l’éteignoir sous prétexte de religiosité.
J’avais assisté, il y a cinquante ans de cela à l’arrivée
depuis l’Afrique noire de l’expression « trop » à la place de
« très » et ne voyais là qu’une couleur sympathique de plus dans nos
façons de parler. Aujourd’hui nous exagérons, dramatisons, et nos échanges
s’avèrent difficiles: « Castex assassin ! », Mélenchon se
« bigarise», un graffeur mélange tout et insulte les déportés...
Dans la boite à consoler, je cherche quelques mots pour
triturer leurs racines et en extraire quelque huile essentielle
adoucissante : « délié » dont j’aime les arabesques suivies de
quelque « plein » pourrait nous fournir une idée de fluidité dans les
rapports sociaux, mais va vite vers la rupture, le délitement. De tels
contrastes tiennent au fil d’une plume joliment mais peuvent tout autant faire
tache.
Il est des mots plus exigeants, mais plus inaccessibles que
jamais : la confiance. J’écoute
mon médecin, mon garagiste, mes proches, j’ai les amis que je mérite et la
nation à laquelle j’appartiens a choisi, ses chefs : de l’état, son maire,
et avec mes voisins un syndic de copropriété…
Qui
suis-je pour juger ce prof qui exerce en 2022 alors que je fus de la partie
jusqu’en 2005 ? Je ne m’empêche pas quand même de mettre mon grain de sel
tout au long des semaines pour livres et films, regrettant pour les spectacles
vivants le conformisme reproducteur ad nauseam des éléments de langage de
services de presse. Facebook est le repaire de ces copieur/colleur qui entre
deux binettes hilares ou dégueulantes ne s’expriment dans les commentaires que par jets brefs.