samedi 14 octobre 2017

Le maître a de plus en plus d'humour. Mo Yan.

A travers l’histoire d’un ouvrier modèle qui se retrouve sans emploi, est scrutée la société chinoise en mutation accélérée, depuis un moment d’ailleurs.
Le terme « maître » qui désigne le personnage principal prenant à présent conseil auprès d’un  de ses anciens apprentis, pourrait aussi s’appliquer à Mo Yan lui-même, prix Nobel.
 « Le maître et l’apprenti se placèrent côte à côte devant les urinoirs, sans se regarder, les yeux fixés sur les boulettes désodorisantes qui roulaient sans fin. Dans le fracas de l’eau, il demanda doucement : 
- Pourquoi faut-il payer pour aller aux toilettes ?
- Maître, on dirait que vous débarquez de la planète Mars, vous croyez que de nos jours il y a encore des choses gratuites ? dit l’apprenti en haussant les épaules. Mais payer a aussi son avantage. Si c’était gratuit, même en rêve, des petites gens comme nous n’iraient pas dans des W.C. luxueux comme ceux-ci ! .
L’apprenti le guida pour se laver les mains et les passer sous le sèche-mains, puis ils sortirent des toilettes. Assis dans le triporteur, frottant ses mains rugueuses adoucies par le séchage, il dit en soupirant : « Xiaohu, on s’est fait une pisse de luxe tous les deux.
- Vous ne manquez pas d’humour, maître !
- Je te dois un yuan, je te le rendrai demain !
- Vous avez de plus en plus d’humour, maître ! »
Par sa finesse, sa malice, une certaine réserve, l’auteur rend plaisant un épisode de la vie d’un homme gardant sa dignité bien que l’idée qui lui vient pour subsister ne soit pas très orthodoxe.
« Tôt ou tard la belle fille laide sera face à ses beaux parents »
Ce livre léger, 108 pages, incite à mieux connaître l’écrivain chinois dont le pseudo signifie  « Ne pas parler » et d’aller vers un de ses livres le plus célèbre : «  Beaux seins, belles fesses » que l’on m’a vanté, parmi les 80 ouvrages qu’il a produits.
« Il soupira en pensant à ces amoureux, c’était fatal qu’il en soit ainsi pour ce genre de couple; c’était un amour classique, très triste, comme les concombres plongés dans le pot de saumure : pas de trace de sucre, ils n’ont que le goût du sel. »

vendredi 13 octobre 2017

Le Postillon. Automne 2017.

Le bimestriel satirique à la grenobloise qui passe une annonce pour un emploi d’administratif, aurait pu tout autant en profiter pour faire appel à de nouveaux dessinateurs, l’un d’eux en est réduit à vanter son plaisir de « chier dehors ! » et la couv’ n’est pas très percutante.
Un supplétif. ve pourrait être requis également pour sa correctrice. teur pour surveiller à la sortie des rotatives quelques « z » intempestifs qui ont envahi plusieurs pages :  encore un logiciel facétieux.
Bon, j’arrête avec l’écriture inclusive, dernière mode visant à mettre à bas la supériorité mâle en grammaire et avec les critiques que les rédacteurs anonymes guère avares en remontrances  ne s’appliquent guère à eux-mêmes.
Le courrier des lecteurs est bien maigre et un « debriefing » serait bienvenu pour ces impitoyables de la démocratie à propos du numéro précédent comme le faisait « So foot ».
Les journalistes masqués vont adorer le mot « debriefing », eux qui traquent avec pertinence toute langue de bois :
Celle du CEA : « upgrader les plateformes », « on va switcher sur les compositions de Bernardo » et toutes les variantes pour parler de licenciements : « retrouver des degrés de liberté », « il faut se mettre en capacité managériale », « on va faire des inflexions », « la ventilation des départs prévisionnels »… « la granulométrie des services » : «  la performance sera upgradée ».
Celle des politiques : Hugelé, maire de Seyssins, le seul macroniste battu aux législatives n’est pas oublié, payé par la SEMITAG comme conseiller technique à la mobilité durable : «  nous voulons passer d’une entreprise de transports à une entreprise de déplacements » il est devenu « responsable de la culture et du parcours clients »: pourrait-on parler pour lui d’emploi aidé ? Un autre de ses collègues Colas Roy a bénéficié des prud’homs avant de voter en faveur du plafonnement des indemnités, alors qu’Emilie Chalas s’était entraînée à  faire baisser les coûts à la mairie de Moirans.
Il en est jusqu’à un dealer, dont l’interview est intéressante, à se voir comme un "macroniste" en puissance : «  Ma cocaïne vient soit de Saint martin pour la commerciale, soit de Guyane pour l’artisanale. Pour la faire venir chacun a son système. Moi j’ai mon propre voilier, acheté 40 000€, avec un skipper qui travaille pour moi : il ramène la coke en bateau d’Amérique du Sud vers l’Europe. Je fais une marge d’environ 30 000 € par kilo… La seule drogue qu’on ne fait pas c’est l’héroïne… Ce business là est tenu par les « Muslims »- ça peut surprendre mais certains sont connectés aux Talibans en Afghanistan - et les Albanais. Les Albanais sont les plus cinglés avec les Tchétchènes… »
Dans cette livraison à 3 €, les brèves épargnent (presque) Piolle et les socialistes( les quoi?), Carignon est absent, par contre le job de reporter est bien fait avec la description de la situation de familles de gens du voyage à Villard-Bonnot qui vivent à proximité d’une usine de compostage de déchets industriels. L’évocation à teneur nostalgique concerne cette fois Mistral, quand il y avait des jardins. La recherche d’angle nouveau des journaleux les amène à décrire le contenu de poubelles à Echirolles et à Corenc : « Actuel » avait fait ça dans les années 70 en recopiant quelques américains. Ils continuent à  documenter leur aversion pour les technologies nouvelles :
«  L’artifice de l’intelligence » le titre n’est pas vraiment malin.
…………
Le dessin en tête vient du baveux « Postillon » et celui du bas du « Canard » :
 

jeudi 12 octobre 2017

14° Biennale d’art contemporain. La Sucrière à Lyon.

Pour illustrer le thème  de cette année «  Mondes flottants » : de petits poissons cerfs-volants se devinent sur fond de ciel bleu. La proposition n’est pas franchement originale.
En persistant à me tenir au courant  de ce que les artistes, révélateurs-d’une-époque, peuvent proposer http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/01/biennale-dart-contemporain-lyon.html j’ai appris depuis longtemps que la beauté n’est plus un critère.
Il restait l’humour, il s’absente présentement, à moins que… d’après le directeur de la biennale : « l’art et l’espace se biomorphent, s’ouvrent sur des projets qui remettent en cause l’abstraction de la modernité européenne afin d’en réévaluer la portée, à l’échelle du monde »
L’insolite, l’inattendu deviennent bien rares.
Pas un trait, pas une coulure, pas une peinture, pas une moulure, pas une sculpture. Les fournitures sans enchantement proviennent de chez Leroy Merlin, pas du marchand de couleurs. Les tas de blocs de béton, même présentés dans de forts vastes lieux sont devenus un tic, un truc trop vu.
Un tissu léger soulevé par l’air dispensé par des ventilateurs a déjà été mis en place tant de fois.
Pénétrer dans une salle en plastique agricole boudinée, respecte certes le thème, mais nous rapproche d’avantage des châteaux gonflables destinés aux enfants lors des fêtes foraines que d’émotions esthétiques à bannir décidément de nos sentiments de spectateurs.
N’y aurait-il que des enjeux économiques dans ce rendez-vous ? C’est essentiellement cette dimension qui est mise en valeur dans un quatre pages du « Monde » réalisé en partenariat avec la Biennale de Lyon. Ce type de publi-reportage fréquent pour vanter les charmes de l’Arabie Saoudite me semblait moins habituel dans le domaine culturel où toute approche critique est donc exclue.

Oui de la flotte il y en a, puisque « mondes flottants » : laiteuse dans un bassin circulaire où tombent des gouttes qui forment des ronds dans l’eau, ou à l’intérieur d’un réseau de tuyaux transparents.
Il y a bien quelques photos de manifs en 68 pour arrêter le regard comme on feuillette distraitement un magazine : « ah oui ! » ; mais les tricotages autour de fils de fer issus de rebuts de brocante kitsch : je n’en peux plus.
Et la décomposition du vol d’un oiseau ne constituerait même pas un  mobile sympathique à accrocher au dessus d’un berceau.
Les inévitables produits dérivés ont pris, me semble-t-il, la place des œuvres devenues des prétextes, et sur Internet où les trolls sont portant prompt à ferrailler, pas un mot de critique, que des informations marchandes : c’est que tout cela est bien anodin.
Le hot dog aux oignons pris à la sortie au food truck était excellent, so branchy. 

mercredi 11 octobre 2017

Venise en une semaine # 5.

L’église de Burano, dont la principale attraction est son campanile sacrément penché depuis un affaissement de terrain, est fermée jusqu’à 15h. Tant pis pour « La crucifixion » par Tiepolo, exposée dans le bâtiment religieux.
Nous passons notre chemin après une déambulation à travers les couleurs inimaginables et les linges pendus 



et retournons à l’embarcadère pour gagner la troisième île projetée : Torcello à 10 minutes de Burano. Une fois arrivés, nous n’avons plus qu’à suivre le chemin dallé qui longe une fois de plus un canal. De l’autre côté, un chemin est bordé d’un grillage interdisant de s’aventurer dans la nature. Puis quelques restaurants espacés donnent un air plus habité.
Un pont très simple sans parapet, un pont du diable, traverse le canal qui aboutit à une modeste esplanade où se situe la cathédrale Santa Maria Assunta fondée en 639 ! On a du mal à imaginer que cette île fut habitée par 20 000 âmes jusqu’au XVII° siècle. Mais le paludisme fit de ravages et aujourd’hui l’île où séjourna Hemingway est presque sauvage.
Nous sommes surpris d’être les deux seuls à passer le seuil de la cathédrale, est ce parce qu’il faut payer 5 € pour pénétrer dans le lieu sacré et 5 € pour grimper dans le campanile que les gens renoncent ? Ils ont tort car vraiment, ça vaut le coup ! La gardienne me fournit un morceau de textile non tissé pour couvrir mes épaules dénudées et nous avons droit à un audio guide en français afin de ne rien louper d’intéressant et de comprendre tous les symboles représentés. Seul inconvénient : interdit de photographier et le gardien fait respecter la loi.( Les photos ci-dessous ne sont donc pas personnelles)
Outre le pavement, l’iconostase surmontée d’un christ en croix sur têtes de morts, la vierge hiératique et orante sur la mosaïque dorée de l’abside, les gestes, les personnages porteurs de sens symboliques, c’est surtout l’immense mosaïque autour et au dessus de la porte d’entrée qui distingue cette église de beaucoup d’autres.
Elle raconte par bandes superposées, le jugement dernier, comme une BD où l’enfer est bien sûr plus pittoresque, plus animé, d’une lecture plus intéressante que le paradis. Sans blabla superflu le commentaire de l’audio guide dirige notre regard et nous relie à des histoires chrétiennes qui font partie de notre patrimoine.
Par l’extérieur nous accédons au campanile, assez peu fréquenté lui aussi, dont la montée en plan incliné est interrompue de temps en temps par quelques marches. 
Nous dominons la lagune, au même niveau que les trois cloches heureusement muettes à cette heure : vue sur les toits de la cathédrale et la chiesa Santa Fosca attenante, sur les jardins, les canaux parfois envasés et les champs cultivés, l’île de Burano, et des îlots bien peignés.
Avant de reprendre les transports collectifs, nous nous installons confortablement dans un restaurant chic au milieu d’un parc pour consommer un limon soda. Guy tente de se brancher à la Wifi de la maison, j’écris, l’heure est douce. Vers 17h nous songeons à rentrer mais nous nous trompons de vaporetto.
Il passe bien par Burano mais au lieu de rentrer sur Venise, il dessert la presqu’île et les stations de Treporti et Punta Sabblioni, lieux de camping prisés par les jeunes touristes.  (La photo ci-dessus n'est pas celle de notre bateau mais d'un paquebot de croisière, grossier en ces lieux). Nous patientons avant de nous engouffrer dans la bonne embarcation direction San Marco avec halte au Lido. Arrivés après 35 minutes de trajet, nous poursuivons  jusqu’à  station « La ferrovia » sous un soleil déclinant. Sans passer par la maison, nous nous attablons à 20 mètres de chez nous à la « Casa Bonita » recommandée par notre logeuse Béatrice. Nous commandons des poulpes à la tomate et à la polenta et un plat de seiches également à la tomate et petits pois de San Erasmo, île des cultures maraîchères. Pour attendre la préparation un peu longue de ces produits frais, l’établissement nous offre un pétillant  en apéro. Guy ne résiste pas au tiramisu. Soirée à la maison à 21h : écriture et lecture.
 
 
 
 
 

mardi 10 octobre 2017

Mister nostalgia. Robert Crumb.

Avec cet album de 92 pages, il est possible de revenir sur l’évocation du blues agricole des années 20 dans le Mississipi, et savourer l’humour d’un des papes de la contre culture que je n’avais pas fréquenté depuis des décennies.
Le dessin est magnifique, les femmes ont toujours d’amples volumes, mais le narrateur maigrichon ne se voit pas toujours lui même sous son meilleur jour.
Sa passion exclusive pour le jazz natif qui en fait un collectionneur émouvant, le conduit à condamner inutilement toutes les autres musiques. Le goût du passé ne devrait pas conduire forcément à endurcir un côté réactionnaire.
Mariant ses compétences de musicien et ses talents de dessinateur, l’américain vivant en France, illustre des chansons dont la traduction révèle comme souvent la faiblesse des textes rehaussés heureusement par des dessins truculents.
Qu’il décrive le parcours de plusieurs musiciens dont Charlie Patton au moment de la Grande Dépression ou parodie Boucle d’or aux cheveux coupés rencontrant les trois ours, le ton est acerbe dans ses planches comme travaillées en xylogravure.
L’évocation des chanteurs des rues et la quête des musiques oubliées apportent de la tendresse dans cet album, assemblage de différents récits qui invitent à aller voir si Fritz the Cat son personnage le plus célèbre était aussi ludique que le souvenir me le disait. 

lundi 9 octobre 2017

Le Sens de la fête. Eric Toledano Olivier Nakache.

Le film divertissant, promis à un grand succès, saisit parfaitement l’air du temps macronien: du « bordel » peut émerger une grâce éphémère certes, mais toujours bonne à prendre, la relève prend la place d’une génération désabusée, mots crus et discours interminables, éloge de l’entreprise et de la diversité, réactif et positif…
Les téléphones portables sont une source de gags surtout autour d’un photographe daté - il s’appelle Guy - qui regrette l’argentique, ne supporte pas les photos par téléphone, mais s’accommode fort bien de la géo localisation pour draguer. Les délices des correcteurs orthographiques non corrigés dans les SMS et les répondeurs saturés sont réservés à Max le patron, attachant maître d’œuvre d’une fête de mariage où les catastrophes s’accumulent avant une conclusion qui ne peut être qu’heureuse.
Ses collaborateurs ne sont pas tous déclarés, mais si certains ont des compétences qui mériteraient un surplus de formation, d’autres peuvent rattraper les coups mal partis, naturellement, gentiment.
Qui n’a pas dit que Bacri et tous les acteurs sont excellents, passant de la caricature à des notations plus subtiles, en une partition bien orchestrée avec des dialogues croustillants ?
Rythmées par des cartons qui indiquent le temps qui s’écoule à la minute près, comme ça se dit dans notre présent affolé, ces deux heures passent bien vite :
rire ensemble, rire ensemble, houai !
Léger, frais, pas comme le contenu du camion frigorifique… 

dimanche 8 octobre 2017

Le monde d’hier. Stefan Zweig. Jérôme Kircher. Patrick Pineau.

Dès 1941, S. Zweig, l’auteur alors le plus traduit au monde écrivait :
« Jamais une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle puissance intellectuelle dans une telle décadence morale ». En 1942, il se suicidait.
Chassé d’Autriche parce que juif, puis d’Angleterre parce que de langue allemande, l’humaniste qui parla si bien de l’ « âge d’or » de Vienne avait « la bile noire ».
« Toute ombre, après tout, est fille de la lumière et seul celui qui a éprouvé la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence a vraiment vécu ».
Jérôme Kircher, seul en scène, par sa sensibilité vibrante, exprime toute la force de l’œuvre ultime de Stefan Zweig.
« Et paradoxalement, dans les temps où notre monde reculait moralement d’un siècle, j’ai vu cette même humanité s’élever par l’intelligence et la technique à des prodiges inouïs, dépassant d’un coup d’aile tout ce qu’avaient produit des millions d’années »
Je voudrais retenir plutôt que les correspondances évidentes avec les forces mortifères qui minent aujourd’hui notre continent, la subtilité, la limpidité de cette littérature qui fonde notre identité européenne. La nostalgie d’une douceur de vivre dans une Mittel Europa réinventée me semble plus porteuse d’avenir que les passions tristes qui nous étouffent.
Pendant une heure dix, je me suis trouvé en bonne compagnie dans un café à Vienne, ville du « vivre et laisser vivre », au début du XX° siècle en comprenant combien Paris pouvait être une récompense.
Dachau ouvre ses portes, les livres sont brûlés et la vieille mère de l’apatride n’a plus le droit de s’asseoir sur un banc public lors de ses dernières sorties.
Qu’a pu, que peut la culture contre la barbarie ? Si peu.
Il y a des jours bombecs et des jours sang dans ces mondes incroyables.
Quand un infime refuge de douceur entre deux pages n’est rien face à l’apocalypse inscrite aussi dans les livres, quand la musique réveille les morts et enchante les vivants, une pièce de théâtre rappelle ces paradoxes : c’est la vie qui essaye encore.
La rentrée à la MC2 pour la saison 2017/18 est modeste et puissante.