mercredi 21 octobre 2009

J6 : Hanoï (au-delà de la rivière)

Les marchés éclairés, aperçus du train qui arrive en gare vers 5h, regorgent déjà de monde. Nous nous rendons d’abord au marché aux fleurs : cœur de lotus, roses emmaillotées dans du papier journal au bout de très hautes tiges, oiseaux de paradis, orchidées, feuillages divers et palmes . Les bouquets sont exposés par terre, soit sur des vélos mais aucun ne trempe dans un vase. Les carrioles attendent d’être à nouveau remplies.
Je renonce à mon cours de cuisine, la turista nous attaque tous à des degrés divers : effets de l’anti paludéen, la Malarone ?
Mes compagnes viennent me réveiller après avoir couru les boutiques. Nous mangeons à côté de l’hôtel, à l’angle de Hang Gaï et Hang Hom street au « Malraux ». Le menu vermicelles, poulet, légumes + bière et café à 105 000 D est non seulement délicieux mais le rapport qualité/prix est irréprochable. Je me contente de quelques miettes dans mon bol de riz pour améliorer mon repas de régime.
Nous retournons dans la clim' pour une petite sieste d’une heure à peu près.
Mes compagnes poursuivent dans la ville pendant que je me repose en évitant la moiteur. Elles trouvent la pagode du cheval blanc mais c’est en un chantier. Dans cette ville, les mobylettes occupent tout l’espace, les rues bien sûr, les cours, mais aussi les trottoirs dans un alignement continu, et même dans les magasins chics l’engin trône au milieu. Elles font une petite halte au bord du lac devant un yaourt mangue malgré les glaçons et retour à la boutique préférée où la vendeuse salue ses bonnes clientes d’un « à tout à l’heure ».
Pendant la restructuration des valises, je leur lis des passages de Zweig. Nous dinons d’une soupe au céleri et thé au jasmin au « Malraux » à nouveau.

mardi 20 octobre 2009

Charlotte et le Poulpe

Un jour, il avait bousculé Charlotte devant la machine à café :
« Pousse ton vieux cul de là ».
On se fait des ennemis mortels pour moins que ça, surtout si l'affront a pour témoins les plus épais machos d'un laboratoire.
Charlotte sortit du local en se brûlant les doigts au gobelet, mortifiée de n'avoir trouvé en riposte qu'un :
« Tu crois que le tien est de la dernière fraîcheur ! ».
N'empêche qu'elle avait battu froid au Poulpe pendant quelques semaines. Mais le Poulpe était le Poulpe. Comment l'éviter longtemps ? L'individu portait un sempiternel pull en faux jacquard qui soulevait sa blouse en perpétuel lambeaux. C'était un grand type, célibataire d'une quarantaine d'années, barbe poivre et sel déjà, l'œil glauque, rampant. Il trainait les pieds, développait des théories jamais renouvelées sur l'inutilité du zèle, les vertus du laisser-aller, la vanité des combats.
Technicien titulaire du C.N.R.S. Et donc inamovible, il avait, depuis sa promotion au dernier échelon de sa catégorie sensiblement abaissé son efficacité professionnelle si bien que les trois équipes de recherches se le refilaient sournoisement, invoquant des raisons brumeuses pour s'en débarrasser. Personne n'était dupe. Surtout pas le Poulpe qui promenait ses gros souliers nonchalants d'étage en étage, prenait prétexte de ses changements d'affectation pour échapper aux réunions de synthèse, oublier les vaisselles de ses supérieurs tout un week-end, oublier la routine des horaires.
Le Poulpe recherchait surtout la compagnie des femmes. Caressait de loin, prenait dans ses tentacules les plus âgées. Ces dernières se dégageaient en riant après des simulacres de résistances. Il n'avait subi qu'une rebuffade et de la part d'une thésarde nouvellement arrivée qui l'avait repoussé les mains tendues devant elle :
« Vous, vous trompez ! Laissez moi ».
« Je suis un incompris, avait-il soupiré ».

Il avait repris son vieux speech sur la froideur du monde en général et de ce laboratoire en particulier, le dos contre un radiateur à trois mètres de l'évier débordant de fioles et tubes à essai encrassés.
La lame oblique du soleil d'octobre tranchait le sentier dans le calcaire. Ils montaient déjà depuis une heure. Charlotte peu entrainée aux marches en montagne, malgré leur proximité habituelle, soufflait, accrochait ses yeux aux « technica » imprimés sur les talons de son compagnon et gardait le rythme dans cette sorte d'hypnose : « technica » à droite, « technica » à gauche.
Elle pensait que depuis son veuvage elle avait négligé son corps et que ce dernier le lui reprochait bien. Que d'énergie à tirer ses grosses fesses qu'elle tâta sans ménagement. Elle mangeait trop de chocolat et le petit verre de whisky le soir devant la télé, son goût pour les nourritures grasses, les parties fines au restaurant avec les copines, tout cela contribuait à son précoce vieillissement. A quarante-huit ans elle en paraissait dix de plus.
Le Poulpe lui avait suggéré le service qu'elle lui avait bien volontiers rendu : le mener tout en haut de la falaise avec son barda. L'incident de la machine à café avait été pardonné.
Elle avait laissé sa Lancia au départ du sentier, chaussé ses vieilles godasses de montagne, fait la grimace au contact du cuir racorni et ils étaient partis vers la crête blanc et gris.
L´automne s´envolait dans des bruissements jaunes et rouges. De la roche friable montaient des odeurs d´aisselle, des parfums de cheveux et de poivre. Les voici au faîte. Derrière eux la prairie en douce pente a le pelage gris blanc des vieux chevaux. Devant eux il y a le vide. « Trois cent mètres de gaz », commente le Poulpe. Charlotte a retiré son pull, ses godillos et se masse les pieds avec difficulté. Elle chantonne un peu modulant selon le profil d´une chaîne de montagne lointaine que la neige brode déjà.
« C´est pas tout ça, faut que je me prépare ; s´agirait pas que le vent change. J´ai tout à vérifier. Il va falloir te pousser un peu, j´ai besoin de beaucoup de place ».
Il sort de son sac à dos une masse bleue et molle d´où pendent courroies et ficelles. Ses gestes sont rapides et francs. Il étale le tissu soyeux qui recouvre bientôt une bonne partie de la pente. A petits coups du plat de la main il déplisse, lisse, rectifie, fignole.
Placé devant tout cet azur qui nargue le ciel, il s´attaque aux ficelles :
« Tu comprends faut pas que je parte les ficelles emmêlées. Tiens, ça c´est les freins, tu vois la ficelle jaune ? Y a intérêt à savoir où elle est ».
A son air satisfait Charlotte estime que tout est en ordre. Il coiffe le casque orange, glisse la moitie d´une fesse dans le siège léger dont il boucle la ceinture. Dans chaque main il a saisi le bouquet de cordelettes. Il fixe un point droit devant lui – parfaitement immobile. Charlotte intriguée, assiste à la métamorphose du Poulpe : les rides s´effacent, le front s´élargit, la bouche se délasse, les épaules se déchargent. Il a 20 ans.
Coup de poignets ! La toile flasque s´élève en panache . Le Poulpe court, court, décolle. Charlotte se dresse, agite les mains, saute comme une gamine :
« Bye, bye, papillon ! Veinard ! Salaud ! ».
Mais il ne l´entend pas, il se balance déjà loin, visage ordonné à l´air, boursouflure bleu tendre sur l´indigo céleste, méduse, anémone, libellule.
Elle se rassoit :
« Veinard, salaud ! »
et elle rit en caressant l´herbe sèche. Puis se dépouille de tous ses vêtements, râle un peu en roulant sur la pente. Crissement de la soie sur la soie. Elle râle plus fort, arrête d´un coup de reins la chute lente. Bouche contre terre, elle mord, s´agrippe aux herbes, se remet sur le dos, écarte les cuisses, caresse son ventre, le gonfle, observe les jeux de la lumière dans sa toison. Un papillon rescapé des premières gelées se pose sur son genou.
Marie Treize

lundi 19 octobre 2009

Mary et Max.

Joué par des acteurs, avec le même scénario qui narre la correspondance entre une petite fille australienne et un vieux newyorkais, je crois que je n’aurais pas tenu longtemps. Et là par la magie de la pâte à modeler, j’ai beaucoup aimé l’univers original d’Adam Elliot. Pas de mièvrerie dans cette histoire poétique pour adultes où le souci du détail va à l’essentiel. L’esprit d’enfance décape la comédie humaine et touche au tragique. L’ambiance d’avant Internet est rétro mais les solitudes sont toujours aussi bétonnées et le cocktail de férocité et de tendresse espiègle nous fait fondre. Un pompon rouge éclaire dans la nuit de la folie.

dimanche 18 octobre 2009

« Pontere & Nilstof » de père en fils.

A Gresse en Vercors ( 400 habitants et 4000 lits) à l’Auberge buissonnière se produisaient Didier Quillard et Dominic Toutain. C’est le temps des copains.
Didier joue de la guitare, de la clarinette, des percussions à eau, il chante.
Dominic conte et chante.
Tous deux sont des formateurs, et le choix du thème, père / fils, n’est pas étranger à leurs engagements éducatifs tant l’absence des pères dans notre société est criante.
Mais ils ne délivrent aucun discours didactique pour exprimer cette relation fragile qui a souvent du mal à se dire.
La variété des instruments permet d’éviter une trop grande régularité dans l’alternance, une chanson, un récit ; des histoires courtes, des proverbes, viennent rythmer ce spectacle qui passe en un éclair. « fils de poisson sait nager ».
Quand j’exprimais autour de l’excellente soupe à l’oignon (6, 50€) qui a conclu agréablement cette fin d’après midi( spectacle à 17h 30), qu’une des histoires m’avait parue trop exemplaire ; j’ai appris qu’elle était vraie. Un enfant à qui le père n’avait pas douté un instant de l’innocence quand il avait été accusé de vol, était devenu avocat.
Nous passons du sourire avec une chanson de Boby Lapointe à l’émotion à l’écoute de « Mon vieux » de Daniel Guichard.
La citation ne vient pas de cette séance mais je ne résiste pas à caser Vincent Rocca :
« En fin de compte, la vie de père ne tient qu'à un fils ! »

samedi 17 octobre 2009

Le logiciel social démocrate est-il obsolète ?

Il ne fait pas bon en ce moment se dire social démocrate : pas d’ambiguïté bien sûr pour Alain Minc au forum de « Libé » face à Jean Luc Mélanchon qui dût s’en défendre d’en être, en préambule.
Le compromis social établi dans les sociétés du Nord de l’Europe et qui servit de modèle, reposait sur des syndicats forts et liés aux partis de gauche.
En France, le corporatisme des « inclus » va-t-il tellement contre la justice sociale qu’il en oublie les exclus ?
Et dire que l’impôt sur le revenu rapporte moins qu’il y a vingt ans.
Le capitalisme transnational expulse la régulation et le consentement mutuel n’a plus de prise sur le réel. L’expression de l’intérêt général qui devrait s’incarner dans la loi est amoindrie.
Si la présence de l’Euro nous a protégés d’une crise plus grave, les replis sont à craindre pour des partis socialistes en perte d’attractivité dans toute l’Europe.
L’implication populaire sera-t-elle le salut ?
Dans la bataille politique, pour reprendre des termes du XIX°, c’est encore par l’éducation que nous sortirons du productivisme, que les valeurs ne seront pas indexées sur le CAC 40, que nous saurons débusquer, sous le mot d’équité, l’abandon de l’égalité, que nous pourrons regagner de la fraternité au pays du chacun pour soi.
J’avais commencé une liste des traitres à la cause de la gauche : Bockel, Kouchner, Hirsch, Amara, Jouyet, et je me suis aperçu que j’avais oublié Besson le prototype.
Allègre est-il rejoint par Lang dans les allées de Neuilly, et Evin compte-t- il comme le nom de Mitterrand ? Hanin et Macias, Val et le tout dernier qui vole au secours du prince Jean : Julien Dray !
Et Anne Sinclair, l’amoureuse Paris Match de DSK, tellement contente aux States, où elle n’a pas à supporter les fêtes de la rose à Trifouilli-les Oies, et Benoit Hamon porte-parole du PS qui ne savait pas s’il était à jour de sa cotisation; ça motive les troupes ! Et Rocard!
Il n’y a pas que le logiciel sauce dém’ qui beugue, les bœufs tracteurs ramassent les balles aux pieds des élus comme Vallini, qui refuse le non cumul des mandats, et ils sont harassés.

vendredi 16 octobre 2009

Les dépossédés (Bis)

Ce titre désigne les pauvres, non comme une classe sociale assignée à cette place fatale, mais comme les victimes d’un processus accentué sous Thatcher. La fluidité de l’écriture de Robert McLiam Wilson sur 340 pages, ne vient jamais distraire de l’âpreté du documentaire décrivant la vie d’individus dans les quartiers déshérités de Glasgow, Belfast, Londres.
« Jennifer G. et ses enfants mangent du riz aux champignons six jours sur sept. Adèle d’Andersontown, chauffe une chambre minuscule dans sa HLM, trois jours par semaine seulement et pour dormir elle enfile deux manteaux l’un sur l’autre. Le bébé d’un homme de Clonard pleure sans arrêt et crache le sang dans une chambre verdie par l’humidité »
Cet auteur est chez lui, il nous fait partager une émotion tendue, son empathie avec les personnes rencontrées, sa révolte et aussi son impuissance ; il lutte contre les clichés attachés à ces classes dites jadis dangereuses, en préservant leur dignité.
« Nous savons pertinemment que nous sommes gouvernés par une administration qui nous ment effrontément » … « Nous ne voulons pas croire que la vie na va pas sans une certaine vilénie ».
Les photographies de Donovan Wylie qui accompagnent l’enquête, ne sont pas belles, elles sont ennuyeuses, ternes, désespérées.
Le 13 juin 2009, Marie Françoise avait recommandé ce livre sur ce blog.

jeudi 15 octobre 2009

Duncan Wylie, Grégory Forstner

Duncan Wylie est originaire du Zimbabwe (ex Rhodésie), à présent de nationalité française, il peint des maisons écroulées avec des couleurs chatoyantes et une grande virtuosité. Ses contours rouges viennent mettre de l’énergie à des scènes que les hommes ont désertées. J’aime beaucoup cette transfiguration de la réalité. Le soleil brille même sur les ruines et ses coups de brosse vous réveillent.
Présenté à côté, au musée de Grenoble, Grégory Forstner, né lui à Douala(Cameroun), se place dans la lignée des expressionnistes allemands. Mais ses représentations d’animaux en uniformes en train d’exercer des tortures m’ont parues conventionnelles. Bien qu’il ait pris le parti de prélever des détails dans les tableaux classiques, je vois beaucoup de dessinateurs de B.D. qui inventent à chaque case et qui installent un univers plus fort, plus original.