jeudi 14 mai 2009

La beauté en temps de crise.

L’autre soir, chez les amis du musée, je m’émerveillais de la sophistication de la réflexion du conférencier qui nous entretenait de la beauté selon Gerhard Richter. Même si je n’avais pas tous les éléments pour accéder à tous les arcanes de ce brillant exposé de Bernard Blistene, j’ai goûté avec délices les fulgurances de Baudelaire reliant la beauté à la révolte.
Je trouvais de prestigieuses justifications à mon ennui quand sur un tableau et même dans la vie, l’harmonie proclamée s’impose, je préfère les décalages, les incertitudes, les surprises. J’ai aussi voulu comprendre « la photographie, c’est tout ce qui n’est pas moi » d’après Barthes : lorsque je suis derrière le déclencheur je ne suis pas sur l’image : ouf !
J’ai apprécié aussi le goût du maître des cérémonies à revisiter le sens premier des mots comme : « faire remonter à la surface » qui inviterait à poursuivre le jeu avec le mot : « objectif ».
Mais cet arsenal d’érudition m’a paru aussi si loin de ce qui nous tarabuste quotidiennement.
Nos politiques qui pataugent, s’agitent, s’excusent, pourraient-ils enrichir leur staff de tels penseurs ? Est ce qu’un tel regard ne peut que nous conduire à gratter des couches d’acrylique et à nous tourner vers des ombres. Les nombres comptent, l’économie s’essouffle, pendant que le théâtre brûle n’entends tu pas le souffle chaud d’un saxo ?
Des artistes ont divorcé de la gauche, Ségo désespéra le lectorat de Télérama, le anti Hadopi nous dépitent. Richter fixa la bande à Baader sur ses toiles, Picasso fit œuvre avec Guernica. Que faire avec Lampedusa où s’échouent les barques africaines ?

mercredi 13 mai 2009

Prise de tête. Faire classe # 31

L’apparition de cette funeste expression marquait le début d’une dégringolade.
Réfléchir devenait synonyme de souffrance aboutissant au comble :
« surtout ne pas se poser de question », c’est ce que dit le sauteur à l’élastique depuis le parapet.
Intello est devenu péjoratif, une insulte, un mépris. La tête en bas.
Des images d’ascenseur social sortent encore de claviers paresseux alors que l’idée d’élévation ne figure plus au goût du jour. La culture en un temple unique impressionnait trop : dans le passé, on se devait d’avoir lu ce livre, de connaître telle date … Ces sources de culpabilité se sont taries. Et en plus la valeur travail a été préemptée par Sarko, à quoi bon se fouler, prononcer le mot et vous voilà chez le maréchal. Le souhaitable, le désirable sont devenus relatifs, insignifiants. Dit-on encore : « élever » un enfant.
Il y a quelques temps, quand nous n’étions pas gouvernés par le morpion omniprésent, je m’en prenais à l’esprit de dérision qui envahissait tout l’espace.
Les « guignols de l’info », symboles d’une liberté de ton, furent un temps les maîtres puissants d’une pensée correcte, ils sont devenus un nom générique pour toute une manière d’envisager une société. L’anticonformisme à heure fixe, derrière des applaudissements commandés a perdu de sa verdeur, de sa vérité, calibré entre deux tunnels de pubs. Pour ne pas rougir du péché majeur du manque d’humour, il vaut mieux pour la victime de la satire, s’avilir, que reconnaître ne pas goûter l’ironie sans mesure. La flagellation quotidienne des responsables a dévalorisé la pensée un peu subtile. Pauvre Rocard qui pensait que la politique s’adressait à des citoyens en mesure de suivre les méandres d’une pensée complexe : il fut brocardé et apparut abscons. Il en arriva à tomber un soir dans « la boîte à coucou ».
On n’a jamais tant parlé des « people » depuis que le peuple dans son sens « noble » a disparu. Tout et son contraire. Les expulsions de sans-papiers s’effectuent pour des raisons humanitaires et la carte scolaire supprimée pour éviter les ghettos : elle les consacre. Sous les paillettes marrantes, la vieille passivité est entretenue par les nouveaux officiants cathodiques, ils chérissent les déclinologues et autres animateurs en désespoir.
J’avais écrit ceci il y a quelque temps déjà et les petites interdictions : affiche de Dahan, condamnation d’un repreneur de « casse toi pov’con », rappeur censuré, le conformisme qui se lève tôt et se couche tard, fait froid dans le dos. Quand des chroniqueurs se montrent irrespectueux c’est la tempête ! Lèse majesté envers celui qui a si peu de noblesse.
Alors le lecteur qui se régalait d’Hara Kiri devient prude, va cacher ses lectures destinées à un public averti. Ben oui : la prudence sera de mise par rapport aux enfants qui doivent être préservés et ne pas avoir accès à tout, surtout avec la caution de l’école. La « création du monde » n’en prendra que plus de prix, plus tard.
Bien sûr que la frivolité n’est pas cantonnée derrière les écrans plats ; il revient à l’école de redorer le blasons des valeurs dans une société du dénigrement. Mais à l’heure où l’on parle de coachs spécialisés en éthique, ce n’est pas à l’école maternelle de dispenser des leçons de civisme : décidément ceux qui nous gouvernent s’appliquent à prouver leur ignorance crasse des pratiques d’une école qui fut notre fierté !
La mission civilisatrice de l’école primaire républicaine ne s’est pas épuisée quand chaque commune a obtenu sa communale, et ce n’est pas du luxe au temps de Frédéric Lefebvre et de Nadine Morano.
L’homme s’est sauvé quand il s’est mis debout : il a pu envisager un avenir, le construire. Réfléchir, chercher, travailler.

mardi 12 mai 2009

Allumez le four !

Je vous tâte, je vous pétris. J'imagine que vos verres en sont tout farineux et que si vous pouviez parler, émettre plaintes et requêtes, vous réclameriez un traitement à la chiffonnette, une douche au Spray Clearme, un trempage intégral dans une chimie adéquate.
Les humains sont ingrats, chères lunettes. Les humains sont ingrats mais s'attachent aux objets… à leur façon. J'affirme que je vous ai aimées, mes mies, d'un amour constant et rapproché, allant jusqu'à vous chercher quand je vous avais sur le nez. Il en est ainsi: on ne voit pas ceux qui vous servent le mieux.
Au début de notre relation, je vous ai subies comme on subit les éléments naturels, les aléas de la vie, l'accumulation des années. Aujourd'hui, c'est à peine si je vous vois. Vous ne m'êtes plus d'aucun secours.
J'ai de la peine, cependant à me séparer de vous, comme lorsque j'allais faire piquer mes chiens chassieux, goîtreux ou cancéreux. Sans emploi, vous vous seriez encroûtées.
Je vous range dans votre étui à ressort, votre sarcophage Steroflex bien que de chair vous n'ayez miette. Je pose sur vos cercles jumeaux, vos seins glacés, sur vos bras graciles de fillette anorexique, ce suaire synthétique avec lequel je vous astiquais trois fois par jour, vérifiant sur le bleu ou le gris du ciel la perfection de vos transparences.
Cloîtrées dans cet étui rouge que je vois d'un gris anémique qui tremblote et s'égare tel un nuage entre le plafond et le plancher, bouclées, coffrées, vous l'attendrez longtemps votre prince charmant !
Dans quel pétrin vous voilà !
Mes doigts ont vérifié, ces derniers mois, les dégradations que vos verres annonçaient sur mon visage. Aujourd'hui, je ne me vois plus…
Vous ne servirez plus mes passions botaniques, mes illusions d'amateur quand à grands coups de pinceaux, je guérissais sur la toile une nature trop étrange.
Certes vous ne me protégerez plus des postillons des infatigables parleurs. Comment leur dire, à ces amis, que je les voudrais muets en compagnie de ma cécité. Mais ils parlent : ils se consolent.
Je sais, je sais…L'oraison est pompeuse! Mais je procède à vos obsèques.
Vous allez reposer sur le manteau de la cheminée, près de l'antique horloge. Il paraît que certains endeuillés déposent en cet endroit les urnes renfermant les cendres et osselets de leurs chairs disparues.
Mon amour est parti.
Un homme si généreux ! Une canne blanche en cadeau d'adieu. Il m'en apprit le fonctionnement. Un bouton, un déclic et la voilà rigide, prête à l'emploi.
J'aurais préféré un chien, son poil odorant, sa langue râpeuse, ses soupirs apaisants au crépuscule.
Depuis que je joue avec ma canne dans le dédale de la ville, depuis que je range les objets avec un soin extrême - chacun doit habiter un territoire immuable, si je veux le retrouver - depuis que dans mes rêves, la lune tourne telle la toupie bariolée de mon enfance, depuis que la chaleur sur mes mains et mon visage est la seule preuve du jour, depuis…
On sonne ! Il est onze heures.
C'est le boulanger ambulant …
J'ouvre la porte et me vient cette odeur de blé et d'ortie, de laine et de sueur. Je tends les bras. Il attrape mes mains, les tient entre ses doigts hardis. Je tâtonne comme maladroite, je les caresse comme par mégarde. Cécité oblige… La croûte du pain est douce, agrémentée d'espiègles aspérités. La peau du boulanger aussi.
L'homme de onze heures sent la farine et le levain, le bois brûlé. Sa voix est celle d'un marin, forte, claire. Une voix de sel et d'algues. La voix des travailleurs de la nuit. Bruit des fournils la nuit sont bruits de la mer la nuit. Les pêcheurs tirent les filets, les boulangers étirent la pâte…
La miche est sur mes genoux.
Le boulanger sonne chez la voisine qui n'aime que les ficelles : une ficelle bien cuite, s'il vous plait ! La pauvrette achète des avortons de boulange et tout secs encore !
La miche est tiède contre mon ventre. Je la caresse, je caresse le ventre blond d'un jeune boulanger. Je caresse les champs et les forêts, les montagnes têtues, les fleuves habiles. Contre mon ventre je caresse le pain élastique et si vieux. Son odeur craque dans mes narines et me chante une mélopée : des lions rouges trottent parmi les graminées, le soleil se disperse dans les herbes. Une femme vêtue d'indigo revient de la source, les seins portés haut…
Pain de mes rêves, je te découpe, je prends dans ma bouche le beau travail du boulanger.
Demain, je le recevrai de nouveau, à onze heures avant qu'il n'aille sonner chez cette linotte de voisine et qu'elle s'étrangle avec sa baguette racornie !
Demain j'ouvrirai ma porte en douceur pour ne rien perdre du défilé des odeurs.
Mes mains frissonneront sur ses mains, sur son pain, mon enfant, mon enfant quotidien. Le rire fort et clair, les mots jetés comme des poignées de lumière.
Je fermerai la porte sans bruit.
Le croûton éclate entre mes molaires. Le plaisir éclate dans ma bouche.

Marie-Thérèse Jacquet, alias Marie Treize

lundi 11 mai 2009

Still walking

Oui, il faut encore marcher, et que les escaliers sont pénibles à gravir après la mort d’un fils pour cette famille qui se retrouve une fois l’an chez les parents !
Film essentiel, profond, délicat, les personnages ne sont pas forcément ce qui apparaît d’eux, la tendresse côtoie la violence, le sourire la douleur.
Bien au-delà du cliché à propos de la société japonaise coincée dans ses codes de politesse, c’est toute la complexité de notre condition humaine qui est présentée à chaque plan, ou la modernité s’affronte à la transmission, l’individu à la société. Autour des sushis s’éprouvent le temps et les solitudes. Les entrelacs des relations dans la maisonnée sont traités avec retenue, ainsi ces récits familiaux où dans la banalité se disent des vérités essentielles qui seront perçues seulement plus tard. Les invités repartent lestés de nourriture après ce dimanche dans la maison à l’ombre de la canicule qui cuit dehors.
Nous sommes concernés par cette histoire à l’autre bout du monde, si proche.

dimanche 10 mai 2009

Federico l’Espagne et moi

Quand Daniel Prévost, un des plus célèbre comédien du festival off d’Avignon, se la joue modeste, tout en titrant « Lorca et moi », l’écueil est de taille. Eh bien, le comique aux lèvres minces réussit à s’extirper des images publicitaires avec naturel et sincérité : Il nous rappelle son engagement du côté de la C.N.T. Il n’est pourtant allé en Espagne que l’an dernier, et c’est l’enfance avec ses images héroïques qui revient. Il est vrai qu’il suffit d’un air de « Ay Carmela » pour que nous devenions indulgents. Quelques forts morceaux de Lorca qui n’est pas du genre à vous tapoter l’épaule en douceur.
« A cinq heures du soir.
Quand vint la sueur de neige
à cinq heures du soir,
quand l'arène se couvrit d'iode
à cinq heures du soir,
la mort déposa ses œufs dans la blessure »

samedi 9 mai 2009

Cassé !

Je regarde volontiers, le samedi à 13h 15, l’émission : « Mon œil » sur la deux. L’autre jour, un simple extrait très bref d’une interpellation de Pujadas à un responsable CGT de Continental faisait ressortir d’une façon cinglante la coupure des médias avec le peuple. J'allais dire interview, mais cela supposerait que l'invité ait la possibilité de développer un peu sa pensée, ce qui n'est pas le cas.
Après que des ordinateurs aient été passés par la fenêtre de la sous préfecture, le présentateur voulait faire dire à l’ouvrier interrogé qu’il regrettait ces « violences ». Mais instant rare de vérité, le syndicaliste ne s’est pas incliné devant le prêtre cathodique. Il n’est pas entré dans le jeu répondant comme j’ai pu le lire par ailleurs : « ils nous traitent de casseurs, mais qu’est ce qu’ils font contre ceux qui cassent nos vies ? » Les maîtres de l’opinion ont beau mettre des caméras jusque sous les douches, pour scruter la « vraie vie des vrais gens », le « journaliste » ne comprenait pas, il n’avait pas l’habitude, à l'Elysée pour les communications présidentielles, c'est plus facile. La force de cet ouvrier, sa solidité m’ont frappé, c’est que ces voix là se font tellement rares. Il ne se soumettait pas, ne rentrait pas dans le jeu, le présentateur vedette du journal télévisé en resta coi.

vendredi 8 mai 2009

XXI, printemps 2009

Cette fois dans le trimestriel un dossier consacré à l’Islam avec, comme d’habitude, trois articles sous des angles originaux: un remake du film "Tarzan" au Pakistan, des cousins aux destins antagonistes à Beyrouth, la description d’un réseau éducatif à partir d’un intellectuel religieux turc classé parmi les personnalités les plus influentes du monde.
Et toujours des rubriques plus concises où se décryptent les mouvements profonds de la société : la crise de la presse, par exemple, et des éclairages sur des personnalités : Warren Buffet et d’autres.
L’Afrique est encore bien présente avec une bande dessinée impitoyable. Le dessinateur va voir son père qui a investi dans un village touristique au Sénégal, il répète sans cesse : « On n’est pas bien là ? » : « L’Afrique de papa », pathétique. Il y a aussi les photos des « sapeurs de Brazza », et un reportage graphique au Rwanda : « mon voisin, mon tueur ».
Dans leur tour du monde, les reporters vont fouiner dans les recoins cachés aussi bien chez les Kennedy où Rosemary fut effacée de la lignée, ou au Japon quand par dizaines de milliers des hommes s’évaporent de la société pour fuir le plus souvent leurs dettes et la maffia. Des nouvelles du Tibet à travers une bloggeuse chinoise, ou une cousine chez le baron Seillière qui rue dans les brancards des Wendel, et puis Depardon : ça ne peut être que bon !