C’est avec un portrait lumineux de La comtesse Marie Howe par Gainsborough que Serge Legat débute son
exposé brillant aux amis du musée de Grenoble.
Portrait dit « à la chandelle », puisque
repris le soir par l’artiste qui avait peint le visage de la belle alors qu’un
autre modèle avait porté la robe chatoyante. Le fond crépusculaire renforce la
lumière qui émane du personnage.
Les portraits défient le temps, les cadrages
varieront suivant les époques.
Miroir des émotions, la peinture serait née, d’après
Pline l’Ancien, d’une jeune fille amoureuse qui veut garder l’image de son
amoureux en partance pour ailleurs : sur un mur, elle entoure l’ombre de
son visage d’un trait au charbon.
Enguerrand Quarton
peint une Pietà, celle de Villeneuve
les Avignon, en 1450. Saint Jean Baptiste retire avec délicatesse la couronne
d’épines, mais c’est surtout le profil du donateur en prière en marge de la
scène religieuse qui est remarquable. Il s’agit d’un portrait individualisé et
non plus d’une représentation symbolique. Le moyen âge est fini.
D’autres donateurs temporels en camaïeu de gris figurent au
dos du polyptyque coloré du jugement
dernier de Beaune peint par Rogier Van der Weyden,
Cependant le corps glorieux, figure en solitaire, dès
1328 sur une
fresque à Sienne avec comme personnage central : le condottiere Guidoriccio da Fogliano de Simone di Martini, hiératique, majestueux, pour
l’exemple; moins cher qu’une sculpture.
Au XV° siècle, un autre condottière, Sigismond Malatesta par Piero della Francesca au profil
de médaille à la façon antique est figé, sans contact avec le
spectateur.
Par contre le portrait "Le
jeune homme en prière" par le flamand Hans Memling est d’une telle beauté qu’il peut être vénéré même sans la partie religieuse manquante du
diptyque destiné aux voyages. La mode des « portraits aux deux yeux »
est lancée : la Joconde
laissera voir ses mains. Les bustes se souviennent des reliquaires du moyen
âge.
Au XVII° siècle, les portraits collectifs des
groupes civiques de Frans Hals qui joue avec les couleurs, respectent les hiérarchies
mais chaque visage est individualisé.
Dans cette spécialité hollandaise, Rembrandt joue plutôt avec les ombres : lors de sa « leçon d’anatomie », les
élèves ont le regard porté vers un livre qu’ils confrontent à la réalité la
plus crue.
La comparaison du portrait royal de François 1° par les Clouet avec celui de Maximilien Ier par Dürer caractérise
nos nations, avec la main sur l’épée de l’un, sur fond héraldique, alors que
l’autre tient une grenade ouverte symbole de l’universalisme : un seul
fruit, plusieurs pépins.
Le portrait d’apparat de Louis XIV par Rigaud dans ses drapés en cascade à
côté de sa colonne à haut socle est l’allégorie de la puissance.
En regard de la pompe française, Charles Ier par Van
Dick marque son rang avec une élégance nonchalante, en un geste souverain,
la main sur la hanche, les gants marquent la dignité, le jaune et le blanc sont
des couleurs nobles.
Au cœur du Vatican, Raphaël peint L’école d’Athènes : Léonard de
Vinci est déguisé en Platon, Michel Ange en Héraclite : le corps est théâtralisé.
Dans la mise en scène, le tableau impérial
(10m X 6m) du sacre de Napoléon Ier
où l’ « on marche dedans » est
insurpassable: Joséphine est couronnée dans la version définitive mais les
travaux préparatoires de David attestent
que Napoléon se sacrait lui-même, le pape s’active alors qu’il fut passif, la
mère est dans la loge, au centre, elle était absente en vrai.
Alors que Cosme
1° ait été brillant sauf dans le domaine militaire et qu’il figure en
armure par Bronzino est un péché
véniel. Sa riche femme Eléonore de Tolède,
dans sa robe de brocarts, impassible,
marque la distance.
La mode de travestir les marquises en déesses
ne va pas s’étendre au-delà de 1750 : adieu Thétis, Achille et Cupidon,
Flore… Et Diderot assassine J.M. Nattier, le spécialiste du genre: «
Cet homme a été autrefois très
bon portraitiste ; mais il n’est plus rien ».
La renaissance a joué avec les codes et les
symboles : la maîtresse de Ludovic Sforza, Cecilia
Gallerani par Léonard de Vinci tient dans
ses bras une hermine, c’est que la bête figure sur le blason du régent de Milan,
mais sur la joue de Caroline Rivière
par Ingres l’éphémère que certains
ont pu imaginer n’était qu’une tache, pourtant la très jeune fille aux gants
trop grands n’allait pas arriver à l’âge de femme.
Savonarole pourra fulminer : dans la
fresque de Ghirlandaio, en tête d’un
groupe de visiteuses, la femme du commanditaire détourne les regards vers elle,
alors que la vierge vient de naître.
Le portrait d’un jeune
homme de Lorenzo Lotto semble un
instantané, il garde son mystère mélancolique mais annonce le temps des
émotions.
L’amour : dans conversation
dans un parc Gainsborough
se représente avec sa femme, Rubens à 53
ans vénérait Hélène Fourment sa
seconde femme de 16 ans.
Goya sait que la Marquise de Solana est condamnée, son visage
livide est marqué, elle est élégante et digne, le peintre admiratif.
Margherita Luti, « la Fornarina »,
« la donna velata », sera immortalisée
par Raphaël.
L’amitié : le facteur Rollin face à
face avec Van Gogh, Marat et David, Renoir et Frédéric Bazile, Manet et
ses parents…