vendredi 14 mars 2025

Patienter dans les ruines. Michel Onfray.

Si la couverture est lugubre, le titre juste, la quatrième de couverture met en appétit : 
 « … à l’heure où cette civilisation dont je procède s’effondre, doublement menacée par une incroyable négativité qui la détruit et par l’horizon transhumaniste qui s’annonce à l’échelle civilisationnelle… » 
Le philosophe, athée militant, livre en 120 pages ses réflexions après un petit séjour dans une abbaye où il célèbre la lumière, partage les rites de la communauté, dialogue respectueusement avec le père Michel. 
« Quand chaque journée ressemble à chaque journée, que la veille, le jour même et le lendemain seront, à peu de chose près, identiques, que chaque mois ressemble à chaque mois, chaque année à chaque année, chaque vie à chaque vie, que ceux qui sont entrés dans le cimetière ont vécu la même vie que les vivants qui s'en souviennent dans le monastère et ceux qui les remplaceront quand ils seront morts, le temps fond, se dilue, se dissout, se métamorphose comme un métal en fusion et génère dans son athanor quelque chose qui ressemble à l’éternité. » 
La lecture commentée des sermons sur la chute de Rome de saint Augustin est exigeante, comme est nécessaire le retour aux questions éternelles sur le thème du mal, de la liberté, tout en gardant un recul, générateur de sagesse : 
« Le judaïsme a généré une civilisation de l'herméneutique ; le christianisme, une civilisation de l'allégorie ; l'islam, une civilisation de la réitération. Le monastère est le lieu où vit, dure et perdure l'allégorie. Car tout y fait sens, sans cesse, partout, tout le temps, dans le moindre détail. La vie quotidienne y est une voie d'accès au sacré. »

jeudi 13 mars 2025

Le Havre # 2

Nous partons tout frais dispos pour le centre-ville dès 9h,
laissons la voiture au parking de l’hôtel de ville, et disposant d’une avance confortable pour notre rendez-vous, nous commandons un café en terrasse au soleil à côté de la maison du patrimoine.
A proximité, l’espace Niemeyer de style moderne, 
contraste avec l’architecture austère et uniforme de Perret. 
Ses deux « Volcans » de couleur blanche, dédiés à la culture, abritent une bibliothèque et une Scène Nationale,  les Havrais les appellent aussi "les pots de yaourt"…
Ils reposent sur une esplanade semi enterrée peu végétalisée, comme concentrés dans une enceinte. Nous rejoignons le lieu de rencontre pour la visite commentée de la ville.
Toujours à l’avance, nous patientons seuls dans une petite pièce devant des films d’époque, l’un sur les bombardements des Britanniques (qui n’ont pas fait de quartier ) l’autre sur la vie  dans des logements de fortune, « en  carton », « où s’entasse la population dans la convivialité du monde des femmes et des enfants et la déchéance des hommes dans l’alcoolisme ». Nous ne visionnerons pas les autres vidéos sans doute tout aussi  instructives et bien faites car notre jeune guide Lukas sonne le rassemblement des candidats à la visite. D’entrée, il nous séduit par sa maitrise de la langue française, précise et fluide, et son élocution claire tant au niveau du volume vocal que du débit : c’est un plaisir
- Il nous présente tout d’abord la situation historique de la ville durant la seconde guerre mondiale : cinq mille morts au sein de la population, une ville rasée qu’il faut reconstruire rapidement.
Les autorités font appel à Auguste Perret alors âgé de 70 ans. Mais avant de construire, il faut  déblayer et la tâche s’avère difficile à cause de l’importance des gravats à déplacer et à disperser. Alors les responsables décident de concasser les pierres des ruines et de les répartir sur le sol ainsi élevé de 80 cm par rapport à l’ancienne ville. En souvenir, et comme point de comparaison, la place de l’hôtel de ville a conservé la hauteur d’origine.
Puisqu’il ne reste rien ou presque après les bombardements, l’urbanisme de la ville part sur de nouvelles bases  en favorisant de larges avenues, une circulation plus fluide en résulte, et rares sont les embouteillages encore aujourd’hui.
- Notre guide nous signale la rue de Paris, petite sœur de la rue de Rivoli dont elle copie les arcades sous lesquelles s’abritent des commerces.
Puis il nous conduit devant la mairie : elle se compose d’un corps de bâtiment constitué de salles d’apparat et de salons d’honneur percés de hautes fenêtres, et d’une  tour carrée élevée sur la gauche qu’Auguste Perret ne verra pas achevée.
- L’architecture généralisée et uniforme de Perret valut au Havre 
le surnom de "Stalingrad de la mer".
Toutes les façades conçues selon le même modèle n’affichent aucune fioriture, aucun décor.
Symétriques et régulières elles s’inspireraient de l’antiquité et du XVIII° siècle, mais avec du béton armé à la place de la pierre et malgré quelques petites variations de couleur, le gris l’emporte largement, peu compensé par de la végétation.
- Grâce au guide, nous accédons à un appartement témoin des années 1950. Sauvegardé au milieu des  logements actuels, il témoigne du confort et de la présence du progrès à la portée de tous dans les années après- guerre. 
Pour la conception des immeubles, tout repose sur le chiffre 6,24 m qui sert de base à n’importe quelle mesure : il a pour avantage de se diviser par 2,3,4,…12….
Leur principe de construction sert toujours  pour bâtir des garages en étages : des poteaux poutres assurent la structure, des plaques de béton comblent les espaces et les portes et fenêtres sont préfabriquées. Ce procédé plus rapide et moins onéreux  répond à la nécessité d’offrir  au plus vite aux Havrais des habitations décentes après des abris provisoires et insalubres. 
A l’intérieur, tout concourt à l’amélioration des conditions de vie, Perret veut  intégrer  la modernité, en proposant des aménagements pratiques et des installations nouvelles concernant l’hygiène.
Grace à l’absence de mur porteur, chaque appartement reste modulable.
Cependant, l’orientation Nord-Sud traversant et les portes coulissantes optimisent l’entrée de la lumière, élément important pour l’architecte.
Les chambres donnent côté cour pour plus de tranquillité et le salon s’oriente côté rue.
Aucun couloir ne chemine entre les pièces, évitant de l’espace perdu.
Par contre, beaucoup de placards bien agencés remplacent d’encombrantes armoires,
il existe même des dressings.
Chaque appartement bénéficie, luxe à cette époque,
de sa propre salle de bain et de ses WC. 
Enfin la cuisine possède un vide-ordures, un évier en inox et un étendage suspendu.
Le confort passe aussi par le chauffage collectif à air pulsé et des colonnes d’aération.
Auguste Perret ne livre pas ses appartements garnis mais il conseille et invite les futurs occupants à se fournir dans une entreprise particulière afin de s’équiper  de meubles de qualité (bois de chêne) à prix abordables car fabriqués à la chaîne : lits gigogne, fauteuils…
C’est le mobilier exposé ici, enrichi d’objets iconiques : audio, tourne disque, un vrai frigidaire d’origine US, et toutes sortes d’ustensiles découverts avec l’apparition des arts ménagers.
La qualité, il la recherche dans les matériaux et utilise un bon béton, mais il est aussi attentif à leur pose ; par exemple, il prévoit des
plinthes arrondies côté sol pour mieux passer la serpillère, comme on le pratique dans les hôpitaux.
Même dans le hall d’entrée de l’immeuble, il ne lésine pas sur la marchandise et les petits détails, il opte pour des revêtements en chêne sur les portes, une sorte de travertin moins cher tapisse le sol mais faisant bien son effet et des rampes en fer forgé aux soudures invisibles alternent barreaux ronds, barreaux hexagonaux.
- A cet ensemble architectural en béton, 
s’intègre parfaitement l’église Saint Joseph conçue elle aussi par A.Perret.
Il l’a érigée  à partir du niveau du sol existant avant les  bombardements du Havre, en hommage aux victimes et la ville du passé. Elle sortit de terre en un temps record de 6 ans.
Notre guide nous conduit à l’intérieur. 
Bien que nous l’ayons visité hier, il nous informe utilement, 
nous convie à mieux regarder et interpréter les choix de l’architecte.
Tout d’abord, Perret ne respecte pas un plan en croix latine et lui préfère la croix grecque en étoile; il place l’autel en son centre. Sur cette croix reposent un carré, puis une demi-pyramide, et une tour lanterne octogonale de 107m portée par 4 piliers,  souvent  comparée à un cierge ou à un phare. 
L’importance des figures géométriques s’inscrit fortement dans l’édifice.
Soucieux de la  qualité des matériaux, il fait appel au maitre verrier Marguerite Huré pour imaginer les 12768 vitraux colorés dont l’épaisseur s’amincit et les couleurs s’éclaircissent au fur et à mesure que l’édifice  s’élève. La créatrice opte pour des verres soufflés à la bouche, et sélectionne des dominantes de couleurs différentes pour chacun des points cardinaux en leur attribuant une signification liée à la religion.
Et en fonction de l’heure de la journée, de la saison, de la lumière due au temps ensoleillé  ou au temps pluvieux, les teintes vibrent et chantent, se modifient en permanence. Curieusement, ce chatoiement n’apparait pas à l’extérieur, où une  sorte de doublage en verre blanc s’accorde au gris du béton dans une bi tonalité douce. Il faut passer le seuil pour être baignés dans la lumière divine.
Pour l’anecdote, Perret aurait dit à  l’Abbé Marcel Marie :  
"Vous voulez que votre église soit belle, vous voulez aussi qu’elle soit aimable. 
Alors il faut confier les vitraux à une femme".
Comme mobilier, plutôt inhabituel, des fauteuils de spectacles soi-disant plus confortables que des bancs  entourent l’autel,  disposés en légère pente pour  une meilleure vision. Quant au baptistère, dans l’ombre, il est minimaliste : trois marches symbolisant la trinité  encerclent  une base  carrée au centre de laquelle apparait un petit bassin rond et bas.
Le style de Perret  se retrouve jusque dans son aversion pour  la décoration, le superflu : 
pas de place pour des tableaux, des statues, des chemins de croix.
Outre le crucifix planté devant l’autel, il concède juste la présence d’un claustra sur la galerie de l’orgue, sorte d’évocation du moucharabieh utilisé au Maghreb qu’il affectionnait particulièrement. 
Notre visite avec Lukas prend fin, le groupe s’éparpille.

mercredi 12 mars 2025

Neandertal. David Geselson.

Après des salles qui l’an dernier tardaient à s’éteindre au début d’une pièce de théâtre, l’absence de lumière jusque sur le plateau devient tendance.
Ainsi nous ne voyons rien de la première scène où deux scientifiques sont réfugiés dans les sous sols de l’université qui les accueille lors d’un colloque.
Nous sommes intrigués, et les surprises ne manqueront pas tout au long de ces 2h 20 d’interrogations souriantes.
Même si on ne comprend pas tout de la conférence gesticulée qui suit pour nous expliquer ce qu’est l’ADN, nous pouvons saisir les enjeux du travail d’une équipe de paléogénéticiens chargés de trouver « du vivant dans des trucs morts ». Toutes les compositions amoureuses sont possibles dans ce groupe burlesque, pathétique, émouvant, qui croise thèmes de recherche et  vie privée de tranquillité quand il est question de filiation, de mémoire. Les acteurs sont excellents, la mise en scène au poil.
L’homo sapiens a-t-il rencontré le néandertalien ? Y a-t-il urgence à se procurer des os de 30 000 ans d’âge alors que des cadavres sont à reconstituer du côté de Srebrenica ? Y a-t-il un gène juif ? Qui était le premier occupant de Jérusalem ? Quand ai-vu pour la dernière fois une étoile filante ? 
Ces interrogations ouvrant vers l’infini du temps et de l’espace se traitent poétiquement à coup de balais essayant de débarrasser la terre du plateau, car tant de malheur sont arrivés depuis que « Dieu a été planté dans la terre ».
L’assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin rappelé encore ce soir parait une fois de plus comme un évènement déterminant empêchant une quelconque résolution de la question éternelle des frontières au pays du Livre.
Pleinement dans l’actualité, sans prêchi-prêcha, nous sommes contents d’avoir résisté au découragement qui peut nous guetter après d’autres spectacles ignorant ou méprisant le spectateur. Le théâtre peut faire acte de bienfaisance. 

mardi 11 mars 2025

Une histoire populaire du football. Deveney. Correia. Bonaccorso.

Salaires indécents, médiatisation exagérée contribuent à accentuer l’aversion de beaucoup envers ce sport universel, amplificateur des enjeux économiques et politiques du monde.
Mais des récits d’émancipation, de joie collective peuvent également être contés pour suivre le ballon rond à la trajectoire capricieuse.
A la lecture de cet album de 140 pages vulgarisant un ouvrage d’un journaliste de Médiapart, des souvenirs reviennent pour le lecteur de « Miroir du football » pour lequel la défense en ligne était de gauche alors que la présence d’un "libéro" trahissait la généreuse classe ouvrière.
Après une introduction qui évoque quelques contradictions de ce sport, les caractéristiques des origines se retrouvent dans bien des aspects contemporains lorsqu’il est question d’ordre public.
A XIV ° siècle en Angleterre, les hommes de paroisses voisines s’affrontent en communautés aux effectifs indéterminés pendant quelques heures ou quelques jours, mais la mise en clôture restreint les aires de jeux et le nombre de joueurs. 
Les écoles britanniques réservées aux aristocrates après avoir interdit ces jeux qui dégénéraient en bagarres, vont les intégrer dans leur enseignement et fixer des règles communes en 1863. La fédération anglaise prône dès le début le fair-play dans un jeu qui reste rude à 11 contre 11 pendant 90 minutes. 
Les ouvriers représentant 70% de la population au milieu du XIX° siècle ont obtenu une réduction du temps de travail, « la semaine anglaise », dont le patronat et les églises finissent par mesurer l’intérêt puisque les travailleurs occupant le temps libéré au football améliorent leur condition physique, en s’éloignant des cabarets, qui seront pourtant le creuset de nombreuses équipes. 
«…  alors que les communautés paysannes ont été dépossédées de leur folk football par la bourgeoisie agraire, la classe ouvrière s’entiche du ballon rond initialement réservé à l’élite industrielle ».
Les anglais au delà de leur empire créent des équipes à Sao Paulo, à Montevideo, en  Afrique du Sud, en Russie, en Turquie, à Copenhague, Hambourg, Prague, Turin, Milan, Bilbao, à Barcelone un Suisse réunit les expatriés anglais alors que la jeunesse dorée de Lisbonne joue sur la plage, le club du HAC (Le Havre) est fondé en 1872. 
Pour la coupe du monde de 1966, il n’y avait qu’une place pour l’Afrique, l’Asie, l’Océanie. En 1974 les Léopards zaïrois deviennent la première équipe sub-saharienne à être qualifiée.
Pendant la guerre de 1914, toujours en Angleterre, des femmes suppléant les hommes partis au front, surnommées «  les munitionnettes » jouent dans des matchs caritatifs, mais il faut attendre les années 60 en France du côté de Reims pour que soit crée la première équipe féminine avant la reconnaissance du foot féminin par la FFF en 70.
Le dribble est inventé au Brésil quand le fils virtuose d’un homme d’affaire allemand et d’une lavandière noire évitait les agressions jamais sanctionnées par les arbitres. 
«  Le joueur noir qui ondule et chaloupe ne sera pas rossé, ni sur le terrain ni par les spectateurs à la fin de la partie ; personne l’attrapera ; il drible pour sauver sa peau ».
Quelques pages aux dessins dynamiques sont consacrées à Pelé et Garrincha sous le titre  «  dribbleurs social club » alors que « Diégo, Dieu et le Diable » revient à Maradona.  
D’autres chapitres rappellent le courage exemplaire de Sindelar prodige autrichien qui refusa de jouer pour l’Allemagne nazie ou les dirigeants du Spartak ( comme Spartacus) de Moscou finissant au goulag pour avoir contrarié le Dynamo qui appartenait à la police secrète et le CSK à l’armée.
L’histoire des supporters en Egypte et le rôle qu’ils ont joué lors du printemps arabe de 2011 comme ceux des clubs rivaux d’Alger les premiers à pousser Bouteflika dehors en 2019, confirme l’idée que les groupes de supporters ne sont pas que des abrutis. 

lundi 10 mars 2025

God Save the Tuche. Jean-Paul Rouve.

Mes deux prescriptrices à l’orée de l’adolescence avaient envie de frites à la sortie. 
« Date de naissance ? Le jour de mon anniversaire ! » 
Quant à moi, mon goût de l’humour au second degré a été mis à l’épreuve. 
Si je sais distinguer Didier Deschamps et Marcel Duchamp, j'évite de jouer au « transfuge de classe », genre déjà abondamment mis en scène. Je n’arrive pas à demeurer impassible face à l’extension du domaine de la bêtise en classe populaire.
Sur les routes anglaises toute la famille accompagne un jeune prodige footballeur au centre de formation d’Arsenal, en évitant de justesse les autres véhicules: 
« Moi, je suis Français, je roule à droite » 
Les Deschiens tant loués me mettaient mal à l’aise. De la même façon, les sottises d’une tribu ch’ti , représentant toutes les générations en leur cinquième apparition, réveillent un inconfort qui n’avait pas besoin de telles caricatures pour réapparaitre.
Quand quelques rires m'échappent, je me retrouve comme ces personnages de Bretécher se montrant dédaigneux après un film qui les avait fait s’esclaffer tout du long.
Je n’avais pas commandé de frites, mais j’en ai pioché quelques unes dans le cornet de mes voisines.

samedi 8 mars 2025

Riens. Régis Debray.

« Sur notre boule terraquée » 
: en mettant en relief cette expression employée deux fois en 143 pages, je ne voudrais pas perturber la fluidité du texte de celui dont je guette attentivement tout livre nouveau, mais partager seulement le plaisir de jouer de ses mots qui toujours me ravissent.
Chaque ligne est délicieuse : 
« Les mots ont beau avoir la politesse de survivre aux choses qu’ils désignent,
chaque Français sait bien qu’ils ont filé à l’anglaise ».
Et il serait vraiment malséant de louer son sens de la « punch line » lui qui s’amuse : 
« On ne dirige plus on manage ; on n’oriente plus on pilote. On est disruptif et innovant. Décarboné et compétitif. Comme il sied à un foyer incubateur de talents, dynamisé par l’upcycling et le monitoring… » 
Mon maître répercute d’autres maîtres : 
« Il n’y a de grand parmi les hommes, disait Baudelaire, que le poète, le prêtre et le soldat » et c’est peu dire que les trois sont mal en point. »
«  Ils ont le droit, dit Balzac, d’être un siècle en retard mais qu’y faire ? 
Ils ne peuvent pas être de celui qui les voit mourir. On ne court pas deux siècles à la fois ». 
Quand il évoque ses rencontres avec Julien Gracq, François Maspéro, Chris Marker, Jean Luc Godard,  Edgard Morin ... son amitié pourtant mal engagée avec Bernard Pivot, nous ne sommes pas au pays des people, mais dans un tourbillon intellectuel où l’amant fugace de Jane Fonda ne se donne pas toujours le beau rôle lorsqu’il publie l’impitoyable réponse à une de ses maladresses de la part de Simone Signoret qui l’avait hébergé après son retour de quatre ans de captivité en Bolivie.Les espérances internationalistes avaient plus de gueule alors que les repentances qui ont suivi.
Ce livre de souvenirs chaleureux, désabusés, graves, plaisants, n’est pas rien. 
« S’il faut de tout pour faire un monde, il faut des riens pour faire une vie »
Et si je ne partage pas  son opinion à propos de l’Europe, chacune de ses productions est pour moi une fête. 

vendredi 7 mars 2025

« M’en fous ! »

Notre géographie et notre histoire s'abiment en ce moment, quelques répliques de ces bouleversements effrénés en vocabulaire et morale se ressentent près de chez nous.
Quand le maire de Grenoble dit que de sécurité comme de propreté, il s'en fout un peu, le « un peu » ajoute une pincée de sel sur les plaies citoyennes, loin des métaphores pour les receveurs d’éclats de grenade.
La sincérité de ces dépressives paroles n’a pas été assez reconnue, de même que son courage d'accepter qu'il n'y a rien à faire contre les trafics et les kalachnikovs, sinon du théâtre pour apprendre à vivre avec les dealers!
C’est qu’il est libertaire en diable, l’édile déconstruit. Alors qu'il ne prétende pas faire la leçon aux agriculteurs les premiers à souffrir du réchauffement climatique, ni à quiconque. 
L'édile participant à toute cette violence d'atmosphère déconsidère les militants préoccupés par la qualité de l'air, la propreté de l'eau.
Cette bouffée irresponsable peut se rapprocher d’autres propos décomplexés dans le genre Trumpy de Championnet, dont la grossièreté rapporte des voix. Il ne s’agit pas d’une confidence « off » mais d’une déclaration « in » Libération, pour une opération de com’ qui aurait perdu une jambe au « M » dans un mandat tout de communication habillé.
Ces mots, scandaleux pour un élu, ont fait parler sur le coup ajoutant un clou de plus au cercueil de la décence, de la crédibilité de la parole politique mais sera recouvert par d’autres, entre deux Munich (1938/2025) . Ses verdâtres partisans au-delà des familiers de « Chichon square » aiment renverser les accusation, suggérant que ceux qui s'indignent appartiennent à une fachosphère qu’ils engraissent d’ailleurs de leur désinvolture et de leur mépris.
Les médias que je fréquente le plus souvent n’ont pas plus traité ce sujet que des violences physiques d’un député LFI contre un membre de l’éducation Nationale cherchant à protéger son établissement. L’ex chauffeur de Mélenchon aimant bien bordéliser l’assemblée où il est élu, est quand même plus cool que ceux qui ont mis le feu au Reichstag en 1933.
Lors d’un meeting à Toulouse, le chauffeur de salle Jean Luc Mélenchon avant de souhaiter la créolisation de la France lui n’a pas peur des mots : 
« Oui, M. Zemmour, oui, M. Bayrou, il y a un “grand remplacement”. » 
Ses déliés alliés du PS en avalent leur subversive motion de censure dont même le « plouf ! » n’a fait aucun bruit.
Dans les oubliés de l’info : Rima Hassan (LFI) votant contre la demande du Parlement européen de la libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis mi-novembre à Alger, n’a pas vraiment ému les bonnes âmes. L'homme de lettre n’est pas une femme.
Je ramène tous ces mots qui en arrivent à être anecdotiques au moment où l'actualité arrache notre candide badge « Peace and Love ». Le new-yorkais Woody Allen n’a plus la parole, de sinistres individus ont été choisis pour mettre à bas les démocraties, hacker les réseaux, hâter la fin de notre monde, précipiter l’agonie d’une planète asphyxiée.
Après tant de maisons éventrées, d’enfants orphelins, de mères éplorées, les trêves décrétées appellent des troupes renforcées, des armées sortant des casernes, de colossales richesses pour des obus et des drones.
Quand les mots se cherchent autour d'« indécence » pour qualifier les propos des deux chefs Poutiniens, nous perdons encore en force bien loin des enjeux géopolitiques, dans l’idée que nous avons des hommes : quel rapport à la vérité offrent ces modèles ? De grands dégâts pour l’humanité.
« Grandir, c'est apprendre le mal. Le mal est inévitable. »
Claire France
Pour s’abreuver aux phrases qui pleuvent des journaux, et encourager les petits à lire, nous sommes désarmés quand on en arrive à estimer que devient inutile la littérature lorsqu’elle « travaille à chercher la conscience » de nos intérieurs avec nos contradictions, nos doutes, nos prudences.
Est-ce que les proverbes fussent-ils chinois peuvent encore servir ?
« Qui fait le bien obtient le bien, qui fait le mal obtient le mal. »
Ces mots de Mahomet semblent moins entendus que d’autres plus belliqueux : 
« Combattre le mal par le bien est honorable, lui résister par le mal est funeste. »