jeudi 12 octobre 2023

Art contemporain # 3. Gilbert Croué.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble continue à nous faire partager ses découvertes sous la forme de l’an dernier: 
5 artistes venant de cinq pays exerçant avec 5 techniques différentes. 
L’américaine vivant à Zurich, Clio Newton (34 ans) dessine avec la plus archaïque technique:
la racine calcinée du fusain. « Sarah ».
La représentation d’« Anabella » est encore plus impressionnante 
quand on sait qu’elle aussi mesure  plus de 2 m de haut.
Les modelés nés du noir, s’estompent pour nuancer la lumière magnifiant les peaux. « Aman »
Des gommes « mie de pain » font ressortir les brillances : « Venus ».
Le noir creuse, le blanc met en avant. « Jaran »
Le brésilien Vik Muniz (62 ans) partageant sa vie entre Rio et New-York recherche les matériaux les plus inhabituels pour les photographier en 10 exemplaires
« The Floor Scrapers after Gustave Caillebotte» se référant à l'histoire de l'art, à agrandir.
Dans l’« Autoportrait en oriental » une roue de vélo donne une idée de la taille de l’éphémère œuvre originale née des ordures.
Il sculpte la poussière, « Fossile »
dessine avec du sucre, « Valicia en habit du dimanche »
avec du chocolat : « Sigmund »
ou du caviar pour « Marx ».
Pour le prix Nobel de littérature « José Saramago »
il choisit de la terre de son pays natal, le Portugal.
Le portugais autodidacte, Sergio Odeith (47 ans) est devenu une star du street art, 
«  Bloc de béton, autobus »
virtuose de l'anamorphose comme Holbein
Ses insectes sont saisissants, « Mante religieuse »
ou son « Léopard » au Qatar. 
Il est sollicité par Coca Cola, Benfica ou l’aéroport d’Heathrow …
L’artiste basé à Athènes Adam Martinakis (46 ans) crée des sculptures numériques.
Dans «  Golden boy »
ou « Dernier baiser » les corps d’albâtre anonymes deviennent universels, arachnéens.
Dans ses chorégraphies, les corps sortent de leur enveloppe.
« The Inevitability Of Time /pieta »
revient à l’histoire et
 
dans « With the unknown »  les pixels circulent.
Shadafarin Ghadirian
(39 ans) photographe iranienne rend plus présente la condition indigne des femmes de chez elle en masquant leur visage derrière des objets qui lui ont été offerts à l’occasion de son mariage,
dans sa série « Comme tous les jours » 
ou « Qajar » : 
des femmes du XIXe siècle se retrouvent avec des objets anachroniques proscrits (Pepsi, VTT…)
« Nil, Nil » à dire sur le ton : « non, rien… rien » quand c’est trop grave pour en parler. 
Bien regarder la tache de sang sur les chaussures.
« Be Colourful »
met des couleurs aux voiles. 
(600 morts depuis l’assassinat par la police de Mahsa Amini pour « port du voile non conforme à la loi »)
« Miss Butterfly » s’inspire d'un conte iranien : 
Une araignée, ayant pris un papillon dans sa toile, impressionné par sa beauté, lui propose de le libérer s’il lui rabat quelques insectes. Mais celui-ci refuse et l’araignée le libère, touchée par son courage. Les insectes restés dans la cave n’ont pas voulu suivre le beau lépidoptère vers la lumière.
L’humour, la délicatesse peuvent être efficaces.

mercredi 11 octobre 2023

Paris # 4.

Le parapluie se devait être intermittent pour notre pèlerinage aux puces de Saint Ouen où nous avons dérogé au café / croissant pour un cake délicieux confectionné comme chaque jour par la patronne accablée par la défection de dernière minute d’une serveuse.
Aux abords du site classé par l’UNESCO les allées sont bondées comme à la foire de Beaucroissant pour des chaussures, des foulards et des survêts…
Le plus grand marché d'antiquité et brocante au monde est ouvert seulement le week-end.
Cinq millions de visiteurs pour mille cinq cents vendeurs.
Pour respecter nos traditions nous avons marchandé un masque gabonais en « plein vent » aux abords d’un des douze marchés, dont certains noms chantaient dans nos souvenirs.
Même s’ils se sont spécialisés : le mobilier à Biron et à Serpette (XX°), les livres à Dauphine, les vêtements à Malik, il est toujours possible d’être étonnés, de voir des nouveautés dans toutes ces vieilleries.
Après le cimetière du père Lachaise (70 000 sépultures) et celui de Montparnasse, le cimetière de Montmartre, construit sur d’anciennes carrières et  traversé par le métro aérien ne manque pas de charme avec ses vieilles tombes moussues ou de lierre vêtues, un peu échevelées comme dans les enceintes anglaises destinées aux morts.
Nous n’avons pas cherché d’illustres disparus tels Stendhal ou Zola dans le dédale des dalles parfois effondrées.
Un monsieur explorait son téléphone pour une chanson de Michel Berger devant l’emplacement couvert de vitres qu’il partage avec France Gall.
Sax et Truffaut, Nijinski et Fred Chichin, La Goulue et Berlioz sont là.
Parmi 20 000 sépultures, il parait que celle de Dalida est la plus visitée.
Devenus des lieux où se proclame la biodiversité, les cimetières expriment bien la personnalité d’une région, et offrent, sans baratin, des occasions de trouver de la sérénité, au milieu du fracas des rues environnantes, un moment pour méditer sans le recours aux mitrailles des jeux vidéos.

mardi 10 octobre 2023

Fun home. Alison Bechdel.

Le titre convient parfaitement à cette  tragicomédie pennsylvanienne : il s’agit du surnom de la maison funéraire appartenant au chef de famille par ailleurs professeur féru de décoration et de jardinage. 
Et tout est de cet acabit : ambiguïté des sentiments à l’égard d’un père dont l’homosexualité est révélée petit à petit comme l’affirmation du lesbianisme de la narratrice.
Les citations de Joyce, Colette, Proust, Fitzgerald, James, en territoire littéraire commun à deux générations donnent de la profondeur à un récit autobiographique moins fort cependant que Maus ou Persépolis évoqués en quatrième de couverture.
Il est affirmé également que l’une des plus grandes révolutions du XX° siècle est celle des genres sexuels, alors que sur 240 pages la révélation cernée de non-dits de leurs penchants sexuels est subtile, affirmée, mais pas gueularde. 
« A dix ans, j'étais obsédée par le fait de préserver mon journal de toute inexactitude. Mais avec l'âge, les faits bruts cédèrent aux caprices des émotions et des opinions. Une fausse humilité, une calligraphie énervée et l'auto-dénigrement vinrent obscurcir mon témoignage... » 
Dans ces années Nixon, le puritanisme est présent, mais cette famille ne me semble pas malheureuse. 
« Notre maison était une colonie d’artistes. Nous mangions ensemble mais consacrions le reste du temps à nos quêtes personnelles et dans cet isolement, notre créativité prenait un tour compulsif. » 
Cette relecture du passé est nuancée, contradictoire, et nous interroge aussi sur l’art, nos vies avec les livres, les apparences, les distances entre ville et campagne, entre adultes et enfants… 
« - Les voies du seigneur sont impénétrables.
 - Ça n'a rien d'impénétrable! Il s'est tué parce que c'était un pédé honteux maniaco-dépressif qui ne supportait pas de vivre une seconde de plus dans cette petite ville bornée. »

lundi 9 octobre 2023

Le livre des solutions. Michel Gondry.

Le film du bricoleur 
a prolongé agréablement notre déambulation dans une brocante que nous avons parcourue avant la séance.
«  Le livre des solutions » n’était qu’un gros cahier vierge, et au cours d’une mise au vert dans les Cévennes chez la tante du réalisateur foutraque, il va s’étoffer de trouvailles en pagaille du tyrannique héros à l’égo excentrique.
Il devra passer son temps en excuses, mais nous nous serons bien divertis pendant 1h 42 tant les inventions bonnes ou calamiteuses abondent. 
Légèreté, modestie, originalité composent le portrait d’une valeur sûre et fragile, accessible et ambitieuse, amusante tout en témoignant des méandres de la création et des contours de la production.

dimanche 8 octobre 2023

Bowie-Cage. Miroirs Etendus.

Dans le cadre des concerts du dimanche à 11h à la MC2, les grands parents viennent avec leurs petits enfants car les prestations musicales, moins chères et plus courtes que les spectacles habituels de l’auditorium, sont des initiations de qualité.
Moi, grand parent pourtant contemporain de Bowie, la pop star, je le connaissais très peu et John Cage à peine mieux, sinon qu’il avait proposé « 4′33″» quatre minutes trente-trois secondes  de silence comblées par les bruits des spectateurs : un Marcel Duchamp de la musique. 
J’avais besoin d’être initié. 
Les cinq musiciens venus des Hauts de France organisent finement la rencontre des deux chercheurs. Leurs univers contrastés s’enchainent bien. Les sons expérimentaux paraissent plus soyeux et les mélodies plus étonnantes. 
Un bon moment, comme un éclair au chocolat.

samedi 7 octobre 2023

Les deux Beune. Pierre Michon.

Ce sont deux rivières en Dordogne, bien décrites en 150 pages poétiques baignées de pluie.
«…  un brouillard dense dérobait à mi-jambe les arbres, scintillants mais drapés, cagoulés, harnachés comme pour un sacrifice. Je revois ce brouillard ; je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise montait gainer les peupliers, l’auberge, l’église. » 
Elles coulent en bas du village où est nommé un jeune instituteur qui fantasme sur la buraliste.
Ce livre se voulant hors du temps nous épargne les outrances féministes de l’heure, mais la description redondante d’un désir mâle univoque censé être original au départ, ramène à une voix masculine datée. 
« Elle lâcha le flipper, elle tourna les talons et vivement amena dans le brouillard ses façons de glamour, ses aplombs de grue, son fourreau de nuit sous quoi régnait, absconse, absolue, la fente considérable. » 
Me conviennent mieux des mots choisis pour saisir un sourire qui 
« n’était pas une peinture de guerre, cette réclame ou ce bouclier d’ivoire… » 
mais plutôt  
« cet arc en ciel de l’âme, changeant, vibrant. »
Les métaphores sont nombreuses, alors je ne peux m’empêcher de me souvenir que la quintessence des saveurs campagnardes contenue dans la tartiflette peut s’éventer au bout d’un moment, et le plat de fête devenir bourratif. 

vendredi 6 octobre 2023

Zadig n°18. Eté 2023.

Depuis le premier numéro du trimestriel précieux pour la variété de ses points de vues,
un changement s’est opéré  en privilégiant un thème parmi les 170 pages. 
Et puisqu’il s’agit de se plonger dans les passions françaises, « l’amour à la française » tire la couverture à lui dans cette livraison.
L’ouverture par une interview de Charline Bourgeois Taquet et Valéria Bruni-Tedeschi est assez conventionnelle d’autant plus qu’une conversation courant sur 15 pages avec Virginie Efira , actrice à la mode, l’avait précédée. 
L’auteur de théâtre Alexis Michalik se voit sollicité. 
« Jadis l’homme avait droit aux prostituées et la femme devait être vierge. » 
Un retour historique « de la galanterie à #metoo » s'avère par contre intéressant : 
«  changer d’idéal collectif, ce n’est jamais supprimer les problèmes : c’est se débarrasser des anciens et en acquérir de nouveaux ».
Concernant aujourd’hui des experts évoquent « le trouple » (couple à trois), et rappellent qu’en 2021, il y a eu plus de 200 000 victimes de violences conjugales et 94 000 viols.
Au pays rose de Ronsard, pleurent les yeux d’Elsa.
La mémoire de ces réalités ahurissantes va avec la légèreté de l’évocation des « french lovers » des années 40 en Amérique, ou les divertissants récits d’expériences avec l’application de rencontres « Tinder » ou quand persiste le jeu du hasard et que Julie livre les résultats de sa recherche du polyamour.
Sous le titre : « La confusion des sens », les mots sont éclaircis : « embrasser » bien sûr.  « Faire l’amour » a signifié un jour « faire la cour » et amitié et amour se confondaient jadis.
« Les cadenas de l’amour » attachés au Pont des Arts ou à Montmartre éloigneraient-ils de la légèreté ? Les élans ailés perdent-ils en s’accrochant ? Faut-il une preuve ?  
Bien loin de la tendresse et des émois des amants, l’évocation de la colère de jeunes Corses après la mort d’Ivan Colonna remet en lumière un épisode de violence qui avait été éclipsé par le début de la guerre en Ukraine.
Les souvenirs de la Corrèze de Franck Bouysse ressemblent aux miens, et je sais les lueurs opalines de la Bretagne, même si ce n’étaient pas des ballots de cocaïne qui s’échouaient sur les plages.
Vanessa Springora raconte le destin des sangliers de Port Cros venus du continent à la nage et devenant un problème en se multipliant.
 J'ai trouvé la nouvelle de Philippe Claudel, « la bêche » assez plate, mais les planches gourmandes de Guillaume Long toujours aussi savoureuses : « Les gnocchis d’Océane ».  
Les brutaux faits divers choisis par Jaenada ne seraient-ils pas la face ratée de l’amour ?