Paraissant trois fois par an, cette publication répond à un
des intitulés : « plongée dans la fabrique des idées ». Mais il
convient de prendre son souffle, sans croire qu’il s’agit comme une autre
publicité le proclame « sans chapelles » : c’est une publication
de Médiapart, intéressante et quelque peu orientée. La date de parution a son importance. La
question posée dans un article « Doit-on protéger les enfants ? » laissant entendre
que la notion de protection est un signe de la domination adulte serait
sûrement à revoir. « La
vulnérabilité supposée » des enfants parait scandaleuse aujourd'hui.
Le constat sur le long terme concernant l’éducation nationale de Nathalie Quintane ne laisse aucune
illusion : il est titré « R.I.P. ». Ses descriptions où une
trousse, les toilettes bouchées , prennent toute la place et traduisent
avec verve l’ennui de collégiens, comme une visite à la médiathèque voisine
provoque rire amer et désespoir. Les photographies d’une sinistre école
Robespierre ou Babeuf un jour d’hiver, voire la fière inscription Rosa Parks
sur un collège de Gentilly ponctuent 40 pages sur 160. L’écrivaine est plus
convaincante que la politique : bien qu’encore jeune, elle a la nostalgie
de professeurs rebelles des années 70 et sa radicalité qui la conduit à mettre
tous les ministres dans le même sac d’Haby à Blanquer ne la rend pas très crédible.*
L’enquête sur l'Organisation Internationale pour les Migrations offrant des subventions à
des artistes africains pour dissuader leurs compatriotes de mettre leur vie en
péril en traversant la Méditerranée m’a paru une démarche intéressante,
plutôt qu’un scandale quand le rédacteur parle de messages « sédentaristes ».
A la rubrique « Monde des idées », les mots
nouveaux, pour un étranger au monde universitaire, ne manquent pas: à vocation intersectionnelle
l’ « écologie queer »
se cherche, comme les « undercommons »,
alors que les « maintenance
studies » iraient à l’encontre des innovations bien que « l’accélérationnisme de gauche »
comporte des angles morts. C’est qu’il ne convient pas de s’appesantir sur le « cognitariat ».
Si la critique d’Uber
essentiellement sous l’angle spéculatif ne rend pas compte des motifs du succès
éclair de cette entreprise,
l’approche des évolutions du marché de l’art négligeant les caractéristiques de la matière même
des objets de ces transactions est également partielle.
Le portrait de Renaud
Camus, l’obsédé du « grand remplacement » est documenté, mais que
penser de la critique de cette idole des suprémacistes blancs et de son
esthétique vénérant la violence, le chaos,
alors que la bombe aérosol, dont l’histoire est contée par ailleurs, va
se
heurter avec ses graffs « aux
stratégies de maintien de l’ordre social et esthétique des villes »?
Voir dans la panne
d'électricité à New York de l'été 1977, « une fenêtre sur
l’émancipation » est tout aussi excessif que le terme « nuit des
animaux » qui avait alors été retenu par la presse américaine.
Il est aussi question de « StripTease », la défunte émission de télévision,
politiquement incorrecte,
et de sex-toys
qui bien qu’évoqués en écriture inclusive concernent essentiellement les
femmes.
Le reproche adressé aux créateurs qui se sont exprimés sur
l’Europe, recourant à des « oppositions faciles et usées »
pourrait s’appliquer à bien des rédacteurs de cette revue.
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* Le livre de Nathalie Quintane « Un hamster à l’école » dont sont extraits plusieurs
chapitres, développe sur 198 pages une vision désespérante de l’école où les
enseignants et les élèves s’ennuient.
Mais ce parti pris ironique, vachard, est fascinant, porté par une écriture
peut-on dire poétique ? Oui. Les ouvrages à propos de l’école sont souvent
le fait de profs remarquables, elle, est en retrait, en surplomb, tout en ne se
donnant pas forcément le beau rôle. Son tranchant, revigorant, à la lucidité
vaine, s’il change des propos nostalgiques et des vœux pieux, est le reflet
amer d’une époque qui a abandonné ses ambitions éducatives.