jeudi 11 octobre 2018

Expositions à Bernin et La Tronche

Au Château de La Veyrie à Bernin sont exposés jusqu’au 27 octobre, des gravures d’ Ernest Pignon-Ernest, Niki de Saint-Phalle, César, Tapies, Morellet ...
Le cadre est remarquable, la vue dominant la vallée du Grésivaudan splendide, et la présentation des œuvres dans des pièces joliment délabrées est tout à fait originale.
L’extérieur de ce qu’il serait plus juste de nommer maison forte a été rénové, mais la tour ajoutée au XIX° siècle sur une construction initiale datant du XIII° me semble bien dégingandée.
Cette propriété a été aménagée avec tout le confort moderne par Keller à qui l’on doit aussi le pavillon portant son nom construit sur pilotis au dessus de la Romanche à Livet Gavet.
L’exposition sur deux étages, intitulée « Absence, ou la mémoire d’un lieu vacant » prend une dimension étonnante en nous confrontant à la notion d’œuvre d’art quand celle-ci voisine avec un lambeau de tapisserie remarquable, s’inscrit dans la brèche d’un mur ou s’harmonise parfaitement au carrelage d’une salle de bain.
Notre œil passe des œuvres encadrées à de charmants bouquets séchés, des tracés d’artistes, à des stigmates de squats récents, de mobiliers qui furent luxueux et des sols qui furent magnifiques à l’idée de rénovations nécessaires qui en effaceront le charme.
 


Tal Coat est au musée Hébert jusqu’au 29 octobre 2018.
Le beau musée de La Tronche nous avait fait connaître Trophémus avant que sa disparition lui vaille une plus grande notoriété. 
Cette fois c’est Tal Coat (1905-1985) qui est à l’honneur ; ses autoportraits marquent le temps qui passe. Ils se trouvent à l’étage du musée où sont exposées des œuvres d’Hébert lorsqu’il était pensionnaire à la Villa Médicis.
Dans les salles de « L’autre côté » de la rue pour désigner l’annexe, il s’agit des « années d’envol », les 20 dernières années de Pierre Jacob qui avait choisi «  Front de bois » comme nom traduit en breton pour éviter la confusion avec Max Jacob, le poète.
Un film aux beaux paysages permet d’aborder une œuvre  peu évidente au premier coup d'oeil.
Je jouerai volontiers avec le terme «  croûte » très péjoratif en peinture, alors qu'il peut se comprendre aussi comme cicatrice, surface où le temps a joué, recherche éternelle du peintre à traduire, pénétrer le réel.
« Se regarde comme un caillou ou un morceau de bois. »
Souvent monochromes, ses peintures grumeleuses en aplat, fouillent la terre, le sable, effleurent la roche.
Lorsqu’il accompagne des poètes, attentif à l’équilibre de la page, ses graphies prennent de l’élan.
«  En ces peintures nul commencement, nulle fin ; elles font corps avec l’atmosphère que nous respirons »  André du Bouchet

mercredi 10 octobre 2018

Retour à Nancy.

Nous reprenons nos marques autour de la place Stanislas et les parcs alentours dans la ville dont nous n’avions pas épuisé tous les charmes l’an dernier.
C’est l’époque des mirabelles qui viennent jusque dans nos assiettes accompagner agréablement des filets de pintade dégustées au restaurant «  Les tartes et les plats de Stanislas » , adresse du" Routard" dont les indications à des prix raisonnables deviennent de plus en plus rares :
Le lendemain, nous trouvons près de la belle piscine construite en 1913, le musée de l’école de Nancy bien ouvert, cette fois.
La propriété de style "art nouveau", comme il se doit, appartenait  au mécène Eugène Corbin dont nous profitons des collections.
La profusion des meubles les fait apparaître parfois trop chargés alors que la virtuosité, l’inventivité sont manifestes pour chaque pièce.

Sur deux étages les lampes, les lustres aux inspirations florales nous enchantent.
Les volutes enlacent vitraux, vases, étagères, meubles à ouvrage, chaises et fauteuils, pianos, lits et tout un pan de mur en céramique.
Le style chinois transparaît.
Les marqueteries sont  magnifiques et le travail du bronze admirable. 
Depuis les plafonds jusqu’aux bijoux, les cuirs, les textiles, épousent les courbes caractéristiques des disciples de Gallé.
Dans le parc qui semble avoir souffert de la chaleur s'élève un édifice qui avait abrité un aquarium.
Plus loin a été transporté un tombeau en hommage à la femme d’un critique d’art .
Cette présence nous suggère d’aller faire un tour au cimetière pour voir d’autres exemples d’architecture funéraire, mais nous ne prendrons pas le temps, bien que ce type de visite puisse nous renseigner sur les particularités d’un pays.
Retour à  la brasserie l’Excelsior : huîtres, suprême de volailles, « parfait » et à la confiserie voisine pour les bergamotes, bonbons parfumés aux huiles essentielles des bergamotiers de Calabre.
La villa de Majorelle étant toujours en réfection comme le Musée Lorrain, nous ne pouvons visiter que l’église des Cordeliers qui présente les tombeaux des Ducs de Lorraine.
Sous une coupole magnifique aux caissons décorés de bustes d’anges, nous trouvons des correspondances avec le tombeau des Médicis, en plus sobre.
Des scènes sculptées sont attendrissantes, tel le retour d’un croisé.
C’est là que fut célébré le mariage d’Otto de Habsbourg-Lorraine et Régina de Saxe-Meiningen en 1951. Non que « Point de vue, image du monde » ait supplanté « Marianne » dans ma corbeille à magazines, mais pour souligner la proximité de l’Allemagne.
Les bateaux de nos compatriotes européens viennent s’amarrer dans le charmant port de plaisance Sainte Catherine situé à deux pas du centre-ville où s’érigent des immeubles neufs.
La promenade sur les quais dans ce quartier en rénovation, très agréable, nous mène jusqu’à un hôpital construit au dessus du canal de la Meurthe.
Après une visite de la Cathédrale Notre Dame de la Conception où débute un office avec encensoir et aubes blanches, nous faisons un dernier tour au parc Charles III,  vers l’ancienne université populaire, la graineterie, avant une salade au Vaudémont.

mardi 9 octobre 2018

L’Odyssée d’Hakim. Fabien Toulmé.

Avec la même fraîcheur de trait que Delisle dans ses récits en des pays revêches, ce premier tome de 268 pages, retraçant l’itinéraire d’un jeune syrien s’éloignant de son pays devenu invivable, est passionnant.
Le dessinateur se met en scène, pour rendre encore plus proche cette histoire vraie.
Quelque humour au milieu de l'inacceptable permet de regarder en face les horreurs d’une guerre civile et ses causes.   
« ll n'y a pas beaucoup d'avantages à être un réfugié, mais s'il y en a bien un, c'est qu'on n'a pas grand chose à déménager ».
Passant par le Liban, la Jordanie, la Turquie, le jeune homme qui travaillait dans une pépinière, fait preuve d’un esprit d’entreprise, d’une vitalité qui forcent le respect.
Les rappels pédagogiques concernant l’emprise des Alaouites à travers une histoire de gosses est d’une grande efficacité. La montée de la terreur atténuée par une grande solidarité familiale est palpable. La peur qui surgit est toujours une surprise. Il a tout perdu, mais se relève, sans poser au héros ni gémir sur sa condition.
La vie continue: Hakim rencontre sa future femme, qui revendra son bracelet de mariage en attendant la grande fête qu’ils feront au retour. Le cousin faignasson est bien lourd, mais sa situation familière nous repose des scènes pas moins horribles que l’absurdité de vies appliquées à la destruction de l’humanité. 
Un autre album contant la suite du périple est attendu, puisque c’est à Aix en Provence où Hakim s’est réfugié que le dessinateur vient à la rencontre d'Hakim.

lundi 8 octobre 2018

Cris the Swiss. Anja Kofmel.

Un journaliste est mort en Croatie en 72. Sa cousine cherche à retrouver les circonstances de cette disparition sans que la déploration ne submerge la recherche d’une vérité difficile.
A travers ce destin individuel, reviennent à la surface bien des aspects d’un conflit où l’institution européenne s’est montrée défaillante. Dans la Croatie vue par certains comme dernier parapet de la chrétienté, des journalistes sont sortis de leur rôle quand des héros à tristes figures estimaient que l’égorgement était plus sûr que l’étranglement.
Des images d’autobus mitraillés qui ressemblent tellement aux nôtres alternent avec des dessins animés, le cauchemar ne se distingue pas des noires réalités, l’intime croise l’universel. 
Au bout de cette enquête les réponses ne sont pas assurées ; les chemins qui y mènent, tortueux, piégés, nous ont instruits et remis en tête des épisodes trop vite oubliés.

dimanche 7 octobre 2018

Le siffleur. Fred Radix.

A l’Hexagone de Meylan pas de place pour le moindre sifflet désapprobateur à l’issue d’une heure et demie de poésie, d’humour, de pédagogie, de musique.
Du temps où les peintres sifflaient en haut de l’escabeau, les manifestations de joie étaient primesautières, la désinvolture harmonieuse, les douches musiciennes, l’admiration évidente, les merles étaient moqueurs et les oiseaux dans la charmille.
Accompagné d’un quatuor à cordes excellent, le conférencier vêtu bien entendu d'une queue-de-pie est un virtuose qui doit boire de temps en temps, de l’eau, car il ne saurait à la fois « siffler l’apéro et l’opéra ».
Il n’abuse pas de cet humour, usant de l’autodérision dans un spectacle parfaitement dosé, parfois baroque et pince sans rire, nous étonnant avec des airs pourtant connus, jouant habilement avec un public qu’il n’a pas besoin de solliciter par des procédés trop faciles. Il saura faire accompagner par la salle « Le Beau Danube Bleu » de Strauss sur deux notes.
Mozart est à l’honneur et Schubert, Bizet et Morricone, le cinquième Beatles,  une fauvette, et les sept nains revenant du boulot, le gendarme de Saint Tropez y allant, en passant inévitablement par « Le pont de la rivière Kwaï » ... «  Singing in the rain » magnifiquement dansé, chanté et sifflé ne nous lâche plus d’un moment.

samedi 6 octobre 2018

Le lambeau. Philippe Lançon.

Je connaissais un peu l’auteur rescapé de la tuerie qui avait décimé la rédaction de Charlie, son style m'ayant fait retarder mon désabonnement à Libération, dont je redoutais cependant les références qui me paraissaient souvent trop réservées aux happy few.
«  Les pompiers m’ont soulevé et j’ai survolé vos corps morts qu’ils enjambaient, et soudain personne ne riait. »
Cette fois, la lecture est limpide.
« Je suis Charlie. La manifestation et le slogan concernaient un évènement dont j’avais été victime, dont j’étais l’un des survivants, mais cet évènement, pour moi, était intime. Je l’avais emporté comme un trésor maléfique, un secret, dans cette chambre où rien ni personne ne pouvait tout à fait me suivre, si ce n’est celle qui me précédait dans le chemin que j’avais  maintenant à entreprendre : Chloé, ma chirurgienne. »
Le premier roman du miraculé était titré d’après un poète cubain :
« Je ne sais pas écrire et je suis innocent »
Son dernier ouvrage, éprouvant, précis comme un scalpel, est un hommage au travail des chirurgiens, des policiers, à ses proches, un remède au mal, la preuve vivante que l’écriture peut guérir, la musique consoler, la culture reconstituer.
«  Je ne ferais plus jamais rien de ce que j’avais fait. Chaque instant se refermait sur lui-même avant l’entrée des suivants. A l’intérieur, il ne restait qu’un certain moi même et les échos médicamentés d’une vague espérance. »
Nourri de Proust, de Kafka, de Bach, ses écrits sont intenses, avec un détachement qui le sauve, allant au-delà de la littérature.
«  Le néant est un mot qu’on n’emploie plus volontiers et que j’avais utilisé dans trop d’articles pour avoir lu trop de poésie, ou les avoir lues trop mal, un de ces mots qui a gonflé dans les consciences en vieillissant comme un cadavre dans l’eau, gonflé et puis crevé. »
Je suis allé vers ces 500 pages comme à La Toussaint on fait le tour des tombes, revenant sur cette date de janvier 2015 qui signifia la fin d’un monde où les femmes de Wolinski étaient charmantes, et conjurer le temps, quand les machines affolantes viennent accentuer les arasements de ma mémoire.
«  Mon aventure maltraite ma mémoire, en l’incisant et en l’insensibilisant tour à tour : de ce chaud et froid naît le chagrin … 
Il ne s’agit pas d’un précis de résilience exemplaire, genre : «  comment je me suis fait refaire la gueule en trois ans ». Quelques mots à propos des douleurs omniprésentes n’en prennent que plus de poids. Ce relevé des riches heures, qui amènent à une résurrection, célèbre la vie, le corps et l’esprit, en finesse et en force.


vendredi 5 octobre 2018

Quelques traces de Benalla.

Je voulais titrer cet article: « Sans ajout de Benalla » pour aller à l’encontre de la présence « à la une » depuis des mois de ce personnage acteur d’une péripétie trop vite qualifiée « affaire d’état », mais l’hystérie au pays des insultes avait fait des dégâts : le ministre de l’intérieur est passé à l’extérieur.
Ceux qui n’ont jamais accepté le verdict démocratique peuvent jouir de la comédie présente amplifiée avec gourmandise par les médias.
Pour avoir retenu de lectures récentes que le temps des victimes avait succédé à celui des héros, je suis allé dans le même sens qu’un de mes amis qui regrettait que l’on soit passé du temps de la gratitude à celui des récriminations.
"Le catholicisme est une société d'assistance et de secours mutuel quand le protestant, seul face à Dieu, est l'entrepreneur de son propre salut." Patrick Cabanel.
On a beau veiller à ne pas trop barboter dans le bouillon amer de la période, il est bien difficile d’éviter quelques délétères effluves.
Alors qu’un plan pauvreté, un plan santé étaient présentés, Benalla le cador a continué à occuper les écrans.
Privés de confidences d’un président qui n’aurait pas dû « dire ça », les journalistes-humoristes tirent sur le quartier général. Bien fugace a été leur autocritique du temps où le discrédit des politiciens à l’ancienne et de leur « porte-coton » les avait vus rejetés ensemble par l’opinion. Présentement, ils mettent au plus haut, les sénateurs ! La révision constitutionnelle attendue attendra.
Il serait bien court de persister dans la position de l’idiot regardant le doigt quand le sage désigne la lune, et trouver dans les médias les responsables de l’air du temps alors qu’ils n’en sont que le reflet.
Il vaut mieux à partir de la formule: «  De quoi Sarkozy est-il le nom ? » la renouveler en s’interrogeant à propos de Joffrin, Ruffin, Bourdin, Macron, Collomb…
Les nuances dans les analyses ne se voient guère et le courage d’aller à l’encontre du buzz est indexé sur l’inculture galopante qui n’est pas qu’orthographique. Quant au mot travail, il a passé la date de péremption depuis Pétain.
Qui tweete ? Essentiellement Trump et les journalistes qui s’auto- allument. Quand les réseaux sociaux bruissent : ils s’étonnent de leur propre barouf.
Et que je copie, clique, clike, à la queue leu leu à propos de passages piétons où les Beatles les avaient précédés, avant que l’horticulteur au chômage invité à traverser la rue, eût reçu de nombreuses propositions d’embauche.
Les mots du président à l’ONU face à Trump m’avaient semblé forts, je n’en ai trouvé trace dans la radio du lendemain matin.
Au-delà des partis-pris, les discours lassent, et comme un gadget dans les paquets de lessive, parmi ces tas de mots ne subsistent que les jeux que l’on pourra fabriquer avec eux.
Les paroles qui prétendent renforcer les fondamentaux à l’école ne sont pas opérantes, quand les horaires de français s’amenuisent, quand persistent les attitudes émollientes, quand le goût d’apprendre ne va plus de soi.
La co-destruction par les parents, le ministère, les enseignants menant à la semaine de quatre jours affaiblit une mesure importante qui consiste à dédoubler les CP et le CE1 en zone prioritaire. La présence moindre des enfants à l’école creuse les inégalités qui prétendaient être réduites par une scolarisation plus précoce.
« Voulez-vous apprendre les sciences avec facilité ?
Commencez par apprendre votre langue. » Condillac
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Hommage à Pétillon dans le Canard de cette semaine.