Trump n’est pas qu’un épouvantail envahissant dans notre
jardinet, il est le nom de nos aveuglements, de nos mensonges.
Il n’est pas arrivé comme ça, alors que tant d’autres pères
Ubu sévissaient depuis longtemps sur la planète. Il se situe au point focal
d’une accumulation de fake news nourrissant ses partisans qu’il gave maintenant
à souhait.
Nous aurions tort de le voir comme émanant d’un système
étranger : nous sommes partie prenante. Bien au-delà de la diffusion
hâtive d’informations raccourcies, qui n’a pas transmis de conneries? Nos
vigilances se sont assoupies sous la couette douillette de la méfiance tous
azimuts.
Avant l’expression « c’est dans le journal »
attestait de la vérité, dorénavant c’est le contraire.
Tous les journalistes sont soupçonnés d’être vendus puisque
leurs employeurs sont riches, sans compter que Bouygues est au capital de
l’Huma ! Lorsque des informations sont
absentes de leurs papiers, elles prennent la saveur de l’inédit.
En ce qui me concerne, la cérémonie de la lecture d’un
quotidien aurait tendance à m’apaiser, quand les flots Facebook, avides de vide
et de noirceur, pétitionnaires à tour de clics, m’épuisent. Avec des
informations enfin hiérarchisées, je peux ouvrir à l’endroit voulu, retrouver des
plumes familières, abandonner ou reprendre des pages grand format jusqu’au jour
suivant, prendre mon temps, sans être talonné par les alertes.
Ce rite date mais une pose est bienvenue quand le
scepticisme imprègne tous les actes de nos vies.
Le garagiste va-t-il m‘arnaquer ? Le prof être
injuste ? L’élève menteur? Les parents envahissants? Le médecin négligent?
Le spectacle bidon? La ville à visiter décevante ? La vie ? Le
politique malhonnête ? Le président des riches ?
« Riches, nous vous pendrons », comme je viens de le
lire sur les quais de l’Isère. La formule risque d’être effacée moins vite que
l’inscription « Piolle m’a bouffé » sur la dragonne récréative
de la place Saint Bruno.
Nous ne sommes pas condamnés, écœurés par le sirop des
communicants d’une métropole « apaisée », à verser côté Ubac où des cyclistes arrogants croisent
des automobilistes exaspérés, à la lueur des incendies.
Au comptoir des bavards en toutes matières, certains trouvent
inconvenant d’exprimer les problèmes posés par une démographie sans borne, mais
fussent-ils partisans de l’avortement ne s’abstiennent pas, eux, de donner des
leçons à la terre entière.
Alors pour s’en tenir au débat concernant la sélection qui
me semble bien sommaire :
Faut-il pointer que la différence sociale qui finit par se
voir à un moment à la fac ne se résoudra pas en maintenant les étudiants dans
l’illusion que toute profession est accessible comme ça ?
Et pour ceux qui auraient dans leur monde en noir et blanc,
des métiers dignes et d’autres pas, ce serait bien d’imaginer un avenir
positif, atteignable, bien que le dilemme intellectuel manuel soit dépassé.
Pour la main seule compte la Poucette comme aime la louer Michel Serres. Tiens,
dans les professions déficitaires : ajouter ingénieurs techniques, à ce
niveau ils préfèrent la finance.
Les marchands d’illusion ont décrédibilisé bien des
aspirations à un monde meilleur, est ce que la franchise peut amener à
l’espérance ? Est-ce que citer à ce
propos la « décence ordinaire » d’Orwell tirerait l’expression si
loin de son lieu de naissance ?
Le mot « honnête » précédant le mot « homme »
a disparu sous sa perruque aristocratique et même quand il se pose après :
« conforme (1) aux lois (2) de la morale (3) et de la probité( 4) »,
la définition comporte quatre gros mots.
« Juge-toi
honnêtement, et tu jugeras les autres plus charitablement. » John
Mitchell Mason.
……………
Le dessin qui précède l’article est de Joann Sfar dans « Paris
Match » :
« Soudain je fus
saisi par l’impérieuse nécessité d’écrire sur la difficulté d’être au monde »,
les deux suivants proviennent du « Canard
enchaîné » et de « Courrier international ».