jeudi 3 novembre 2016

Ernest Pignon-Ernest. MAMAC Nice.

L’exposition dure jusqu’à début janvier 2017, et les foules s’y pressent.
Alors que les centres d’art contemporain sonnent souvent le vide, ici l’histoire et l’actualité se rejoignent, l’artisan s’appuie sur les artistes, la rue se retrouve au musée, et le ravissement devant de belles images rend les réflexions fécondes.
J’éviterai de me répéter ayant consacré d’autres articles au septuagénaire
mais mon plaisir fut renouvelé avec cette présentation d’un parcours où se révisent tous les combats :
contre l’apartheid, pour l’avortement, contre les expulsions, d'autres conditions de travail, en soutien aux immigrés…
Il nous conduit à Soweto, en Palestine, à Naples, Alger…
Avec lui, les poètes deviennent des icônes: Rimbaud, Maïakovski, Artaud, Desnos, Nerval, Genet… Neruda.
La veuve de celui-ci, à laquelle il présentait son travail, le trouva dans une expression plus sérieuse que lorsqu’il était vivant, cependant cette gravité lui convenait bien. 
Des influences de peintres sont manifestes : Le Caravage, Ribera…
« Sans Tapiés et sans Léonard nous ne regarderions pas les murs de la même façon » EP-E
Je ne me souvenais pas avoir vu sur place les solitudes nocturnes derrière les vitres des cabines téléphoniques lyonnaises
et regrettais de n’avoir pas fait un tour avant démolition, à la prison Saint Paul où il avait collé de magnifiques portraits d’hommes
et quelques « yoyos », des bouteilles plastiques, qui se balançaient de cellules en cellules.
Une  photographie devenue une icône des révoltes sud africaines de 1976  se souvient des piétas et sa réinterprétation vise à mobiliser contre le SIDA en 2002.
En 2015 Pasolini porte son propre cadavre.
Nous pouvons mesurer les évolutions de l’artiste pouvant se dispenser de toute arrogance tant son œuvre est limpide, évidente et forte.
« Dans l’image il y a toujours enfouis, des signes qui ont déjà servi, je travaille le dessin – puis sa mise en situation- de manière à les exhumer, les réactiver, leur donner un sens nouveau, provoquer des rencontres improbables entre le passé et aujourd’hui, des allers-retours dans l’histoire, des anachronismes révélateurs. Je vise à troubler l’appréhension des lieux en mélangeant aux sensations qu’ils procurent aujourd’hui quelque chose du contexte du passé. »
Son trait, à travers la présentation d’une multitude de travaux préparatoires, devient plus ondoyant : les plis des tissus soulignent la sinuosité des gestes. Il aime le corps des hommes et l’âme des femmes.
Encres, pierre noire, sérigraphies et photographies témoignent d’un travail exigeant pour s’insérer dans les villes ou provoquer des chocs qui régénèrent tant de lieux.
Comme l’empreinte de l’échelle d’Hiroshima ou celle du suaire de Turin, les traces magnifiques de E P-E perdurent au delà d’éphémères collages sur les murs écorchés de nos villes.

mercredi 2 novembre 2016

On revient de loin. Pierre Carles Nina Faure.

Interrompant cette semaine le récit de notre voyage en Equateur, j’ajoute quelques commentaires autour d’un film consacré au président équatorien Rafael Corréa, le septième en dix ans.
Je craignais que l’impitoyable documentariste qui en était arrivé jusqu’à piéger Schneiderman, le roi des donneurs de leçons médiatiques, ne soit trop dans la critique systématique.
Hé bien pas du tout ! Il s’agit plutôt d’un exercice d’admiration d’autant plus remarquable que le réalisateur est pugnace en général. Un des spectateurs à l’issue de la projection lui faisait d'ailleurs remarquer sa déférence à l’égard de Corréa, lui rappelant celle de Joffrin envers Chirac qu’il avait pointée dans un de ses films précédents , dénonçant les « nouveaux chiens de garde », pour employer les termes du Monde diplo
« Depuis l’arrivée de Correa, les inégalités entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres ont baissé. Des routes ont été construites et réparées. L’État est relativement présent sur l’ensemble du territoire. Il y a des hôpitaux, des dispensaires, des écoles gratuites. »
On voit les ajustements d’une équipe au pouvoir lorsqu’au moment de la venue du pape François, est reportée la proposition de loi devant taxer fortement les successions des plus riches.
En faisant reconnaître une part illégitime de la dette de son pays, le président ne se représentant pas en 2017, avait habillement et courageusement joué pour racheter cette dette aux chinois. Ceux ci avaient apporté des liquidités au moment où l’Equateur ne pouvait plus emprunter.
Avec la chute des prix du pétrole, dont ils ont été très dépendants , les progrès remarquables opérés à rebours des règles prônant l’austérité, ont ralenti, et une politique « extractiviste » ouvrant de nouvelles mines a été relancée. De nouveaux barrages hydroélectriques permettront une indépendance énergétique presque totale.
Des points de vue différents sont présentés avec des entretiens de jeunes ministres rafraîchissants, d’opposants de gauche et de droite et nous partageons les discussions entre les deux réalisateurs. Alors que les femmes au foyer pourront  bénéficier d’une retraite, et que l’égalité homme /femme en matière de salaire est assurée, la légalisation de l’avortement se fait toujours attendre, y compris pour les victimes de viol.
D’avoir été trop bien élu a peut être rendu ce parfait francophone étudiant en Belgique pas assez attentif aux mouvements sociaux qui  par ailleurs ne se sont pas mobilisés au moment où les mesures concernant les successions n’ont pu passer.
Il est réconfortant de voir qu’une volonté politique peut modifier le cours des affaires, d’autant plus quand cela est mis en valeur depuis un bord qui souvent nie et dénigre.
Ni Hollande, ni Maduro :
«  Cette régulation du capitalisme n’a pratiquement pas d’équivalent aujourd’hui dans le monde »

mardi 1 novembre 2016

Comment naissent les araignées. Marion Laurent.

Trois destins croisés de femmes aux relations problématiques avec leurs mères.
Les cadrages efficaces, les traits nets, facilitent la lecture de ces 150 pages.
Cependant pour aller au-delà d’un scénario choral finalement assez classique, plus de nuances, d’hésitations, d’ambiguïté n’auraient pas été du luxe. 
Les beaux visages sont lisses, les décors classiques, tandis que pour apporter un peu de mystère, le recours à l’ellipse devient un procédé trop habituel.
D’autre part le choix de conduites atypiques ne donne pas forcément de la profondeur à un récit on the road movie again. Ce trajet à travers les images statiques des States a manqué pour moi d’originalité.
Tant de romantisme dépressif me redonnerait goût à la férocité ricanante, à la distraction gratuite, aux esthétiques frapadingues, aux aquarelles bêtifiantes …   

lundi 31 octobre 2016

Willy 1er. Ludovic, Zoran Boukherma, Marielle Gautier, Hugo Thomas.

Un jumeau dont le frère vient de se suicider lance à ses parents qui ont collé par mégarde la photographie de l’inconsolable survivant sur la tombe :
« A Caudelec, j’irai. Un appartement, j’en aurai un. Des copains j’en aurai… »
Sous tutelle, ce garçon de 50 ans, inadapté mais pas si fragile, depuis une ferme isolée de Normandie, va gagner son autonomie, révélant la violence d’un milieu où ceux qui se moquent de lui, le manipulent sont aussi en souffrance, solitaires, pathétiques. Ce film inspiré de faits réels entretient l’ambiguïté entre réalité et fiction, rire gêné et apitoiement, proximité et étrangeté. Il nous interpelle sur notre identité la plus élémentaire, notre méconnaissance de notre pays, et la dimension de nos rêves d’ailleurs. Original et poignant.

lundi 24 octobre 2016

Ma vie de courgette. Claude Barras.

La vie dans un foyer pour enfants pourrait générer des stéréotypes en ribambelle, d’autant plus que les caractérisations des films d’animation  ne donnent pas  toujours dans la nuance.
A travers une forme originale sans affèterie, cette histoire optimiste, poétique, nous intéresse aux destins de ces petits drôles et émouvants, recueillis par des professionnels aimants.
Les auteurs s’adressent sans clin d’oeil à une quelconque fraction de marché, à des parents, à des enfants, pour aider à mieux nous parler, nous aimer.
Ces mômes ayant connu des douleurs cruelles, en voie de résilience sous protection institutionnelle, interrogent la mère d’un enfant qui vient de naître au foyer de leur éducateur :
« - Est ce que tu l’aimeras s’il fait pipi au lit, s’il ne comprend rien à l’école ? 
  - Bien sûr ! »
 Musique : «  Je n’ai pas peur de la route. » version pastel.
..............
Je reprends le fil des publications sur ce blog lundi prochain, le 31 octobre.

dimanche 23 octobre 2016

A tour de rôle. Pierre David Cavaz.

Ne passez pas votre tour, si les deux excellents comédiens Müh et Zimmermann passent près de chez vous : ils sont excellents au service d’une pièce d’une heure dix, drôle, astucieuse qui les met en valeur.
Dans le petit théâtre de la MC 2, nous sommes à proximité des acteurs et de leurs jeux subtils, drolatiques qui expriment bien les solitudes d’autant plus crûment que les tentatives de s’inventer une autre vie tournent au fiasco tragi comique dans « La légion ».
L’auteur récemment disparu disait :
« Cette pièce, je l’ai écrite… pour le plaisir. Aucune livraison de message, aucune volonté d’analyser, d’éclairer ou d’interroger. Seulement le plaisir. Et plaisir rime avec rire » et délire.
Ce n’est pas tous les soirs qu’une note d’intention se réalise avec une telle évidence.
Dans  la première partie, « Le Pyjama en satin », nous ne savons plus où s’arrêtent les rôles des acteurs lors des répétitions virtuoses d’une pièce où l’absurde dit bien le théâtre du monde.
« C’est l’histoire de deux œufs dans une poêle.
L’un dit : «  oh ça commence à chauffer ! »
L’autre s’étonne : « c’est drôle un œuf qui parle »

samedi 22 octobre 2016

XXI. Automne 2016.

Un dossier consacré aux « ficelles du pouvoir » , même loin des spots habituels, est plutôt inattendu dans le trimestriel de référence:
- dans une des îles vierges appartenant à Richard Branson ( Virgin) recevant ses influents amis,
- à l’opposé comment  la ville de Grande Synthe s’embellit avec un maire écolo pas bobo,
- au Burundi où la peur règne.
Dans un pays voisin, le Rwanda, Marie Darrieussecq rencontre deux « justes » Hutus qui ont sauvé des Tutsis, toujours menacés plus de 20 ans après les massacres.
La misère n’est pas seulement à Manille où des familles vivent dans un cimetière,
mais aussi aux Etats-Unis, à Flint, où il est si difficile de résoudre le problème de l’eau empoisonnée par le plomb.
A Nancy, en France la cité judiciaire surnommée le Titanic prend l’eau et les dossiers s’entassent.
En Guinée forestière, retour dans l’épicentre de l’épidémie d’Ebola avec rappel dans un des compléments documentaires toujours utiles, de la difficulté de trouver un vaccin qui risque de ne pas être rentable.
Les dessins qui illustrent chaque article sont efficaces. Un film concernant les orthodoxes juifs craignant Dieu est présenté en dix planches, et le récit graphique de Sacco traite de la civilisation des indiens Dene au Nord du Canada dont les chiens de traîneaux ne sont presque plus utilisés, les motos-neige sont bien plus efficaces.
Il faut un entretien approfondi avec Serge Gruzinski pour entrevoir la richesse de son travail d’historien envisagé à l’échelle du monde.
Il s'est retrouvé à la gare de sa ville natale de Roubaix dans une situation plus périlleuse qu’au Brésil ou au Mexique face à des jeunes qui ont voulu l’éloigner : 
«  tu n’as rien à faire ici ! »
Lui qui plaide :
«  Chaque recoin de la planète peut accueillir aujourd’hui des religions, des mémoires, des modes de vie venues de différentes parties du monde. »
210 pages nourrissantes et bien écrites comme à chaque livraison,
avec quelques rubriques habituelles brèves et significatives :
cette fois un recueil de citations du nouveau maire de Londres Sadiq Khan.